éditorial 



Mesures électorales, mépris des chômeurs et des travailleurs, il faut que l’opposition du monde du travail se fasse entendre dans la rue comme dans les urnes

Mercredi, Martine Aubry a présenté son projet de loi de lutte contre l’exclusion devant le conseil des ministres. Pour le gouvernement, il s’agit surtout de faire des déclarations de bonnes intentions, à la veille des élections régionales.

Jospin a donné la véritable mesure des projets gouvernementaux, la semaine dernière, en donnant sa deuxième réponse aux revendications des chômeurs. Cette fois-ci, il avait pris le temps de réfléchir longuement, il avait même eu droit à un long rapport sur la question des minima sociaux. Mais en bon chef d’Etat qu’il se croit déjà, indifférent aux souffrances des autres, il a confirmé sa première réponse : le mépris pour les revendications urgentes et indispensables des chômeurs, recevant à l’occasion le plein soutien de la droite.

La seule augmentation qu’il a consentie est celle de l’allocation spéciale de solidarité destinée à ceux qui n’ont vraiment plus rien, augmentation de 6 % pour dans… un an. Pas question d’augmenter l’ensemble des minima sociaux, pas question d’un RMI pour les jeunes.

Pour justifier son mépris ou ce franc cynisme qui renvoie les mesures urgentes à dans… un an, Jospin a invoqué l’intérêt général qu’il prétend défendre, se drapant dans la pose de celui qui gouverne, sinon au-dessus de la mêlée, du moins au-dessus de la misère et de la souffrance des autres. Il a repris une fois encore cette idée réactionnaire dirigée directement contre les plus faibles, ceux qui sont sans travail , affirmant “ je veux une société de travail, pas une société d’assistance ”. Comme si les chômeurs, à la différence de ce monsieur, voulaient autre chose que du travail. Comme si ce n’était pas lui, l’Etat qu’il dirige, comme ceux qu’ils servent, qui privaient de travail, comme des conditions élémentaires pour mener une vie décente, des millions d’hommes et de femmes, de jeunes.

Et quand Jospin dit “ je veux ”, il prend une pose qui lui va bien mal. Jospin ne veut que ce qu’on a voulu pour lui. Jospin s’exécute platement, empressé de servir les patrons et les financiers qui le dirigent, sourd, comme ses maîtres qu’il singe, aux revendications du monde du travail. Tout ce que veut Jospin, c’est ce que veut le patronat.

“ Pour distribuer, il faut produire ”, a déclaré ce grand penseur qui a l’art surtout d’enfoncer des portes ouvertes. Il ne doit pas être au courant que c’est tous les jours que l’ensemble des travailleurs de ce pays produit des richesses et assure dans les services publics la marche de la société. Et c’est bien à ceux qui produisent que devraient revenir les richesses qu’ils produisent. Seulement Jospin, comme tous les gouvernements qui l’ont précédé, comme l’Etat qu’il dirige, n’est pas au service de la collectivité. Il est au service d’une poignée de parasites qui ne produisent rien et qui voudraient tout empocher.

C’est bien à cause de la politique à courte vue de ces gens-là, politique avide de profits, que des millions d’hommes et de femmes, de jeunes, sont aujourd’hui sans perspectives, pour beaucoup brisés et sans espoir.

Jospin et les partis qui soutiennent son gouvernement servent cette minorité. L’intérêt des travailleurs, de toute la société, est de la combattre.

On voudrait encore une fois nous faire croire qu’il nous faut être patients, que la reprise est enfin peut-être au rendez-vous, qu’il faut de la rigueur pour ne pas la remettre en cause et donc, qu’une fois encore nous acceptions de nouveaux sacrifices. Il n’en est pas question. C’est en acceptant les sacrifices dans le passé que nous avons laissé se détériorer la situation. Si nous laissions faire patronat et financiers comme les politiciens qui les servent, soyons sûrs que ce serait la voie certaine vers une dégradation encore plus grande de la situation.

Jospin espère peut-être que les quelques mesures dérisoires qu’il a annoncées suffiront à garantir le succès électoral des politiciens qui le soutiennent et auxquels il doit sa place. Peut-être que cette démagogie électorale marchera, probablement même.

Mais l’essentiel, c’est que le camp des travailleurs puisse, lui, se faire entendre, exprimer sa condamnation et son désaveu.

L’essentiel, c’est que nous puissions exprimer notre solidarité entre travailleurs, chômeurs, jeunes, que nous puissions affirmer notre volonté d’unir nos forces pour faire enfin payer les riches et inverser le cours des choses.

C’est pour cela que “ Voix des Travailleurs ” a proposé à l’occasion des élections régionales en particulier à Lutte Ouvrière et à la Ligue Communiste Révolutionnaire de faire un front commun de tous ceux qui n’entendent pas se plier à la politique du patronat que protège le gouvernement. Lutte Ouvrière s’est dérobée avec mépris, la LCR aussi sauf en Haute Normandie où s’est constituée une liste soutenue par l’Association pour le Rassemblement des Travailleurs, la Gauche Révolutionnaire, la Ligue Communiste Révolutionnaire de Rouen et Voix des Travailleurs. En Charente, Gironde, dans les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, nous présentons des listes “Union de tous les travailleurs pour préparer les luttes et un autre avenir”. Ailleurs, nous voterons pour les listes LUTTE OUVRIERE, malgré son abandon de la perspective tracée par l’appel d’Arlette Laguiller au lendemain des élections présidentielles de 1995 et le sectarisme qui en résulte.

C’est aussi dans la rue que nous pouvons, à l’occasion des manifestations de samedi prochain, exprimer notre mécontentement au coude à coude, tous ensemble, pour dire à tous ceux qui nous méprisent que nous ne sommes pas dupes. Ils affichent leur mépris parce qu’ils ont peur de nous. Il est temps de nous préparer à utiliser notre force pour que les richesses soient d’abord distribuées à ceux qui les produisent.

Prétendue croissance de la production, euphorie boursière : le plus court chemin vers l’approfondissement de la crise et l’aggravation de l’exploitation et de la misère

  Les indicateurs économiques sont au beau fixe, annoncent de toutes parts économistes et dirigeants politiques. La production industrielle a progressé de 8,4 % en 97. La croissance économique pour l’année 97 est de 2,4 % et les prévisions pour 98 sont de 3 %. Les excédents commerciaux ont pratiquement doublé, passant de 86,1à 173,4 milliards de francs et la crise asiatique, nous dit-on, même si elle s’est manifestée au mois de décembre par un déficit commercial avec l’Asie, diminuera peu ces résultats, puisque les deux tiers des échanges commerciaux se font avec les autres pays d’Europe. Les investissements productifs reviendraient en force - pas moins de 10 % ! - et enfin la consommation a redémarré depuis le milieu de l’année 97. Même le chiffre du chômage est en baisse mais là-dessus il est vrai, chacun convient qu’il faut être prudent.

La Bourse nage dans l’euphorie et bat tous les jours des records : en 19 séances en février, 11 records ont été battus. Chaque jour, c’est entre 13 et 16 milliards de francs qui sont échangés. Les profits annoncés pour 97 ont aiguisé les appétits. Les OPA mobilisent des milliards de francs et une nouvelle formule fait fureur, les OPRA, offre publique de rachat d’actions : les entreprises consacrent des milliards à acheter une partie de leur propre capital aux actionnaires minoritaires. Cela fait monter le cours des actions et permet de distribuer des dividendes supplémentaires. Quant à l’Etat, il bénéficierait aussi de cet état de grâce : 60 milliards de rentrées fiscales supplémentaires si les prévisions de croissance se réalisaient. 

Il serait évidemment facile de remettre ces chiffres en question. Les investissements, qui seraient le signe de la future “embellie” économique, ont encore baissé de 0,1 % en 97, après avoir baissé de 0,8 % en 96. Et le dernier chiffre connu, 0,1 % pour le dernier trimestre 97, ne témoigne pas de la vigueur prêtée aux prévisions pour 98. Il en est de même pour la consommation qui n’a progressé que de 0,9 % en 97 après avoir connu une progression de 2,4 % en 96. Mais de toute manière, l’essentiel n’est pas là. Quand bien même les chiffres annoncés se révéleraient exacts, la croissance n’entraînera pas une amélioration de la situation des travailleurs.

Bien au contraire. L’euphorie boursière a comme logique une soif toujours plus grande de profits. Le fait même que l’essentiel de la croissance économique soit dû aux exportations (1,5 % sur les 2,4 % de croissance de l’année 97) oblige les patrons français, dans un climat de concurrence exacerbée, à baisser encore les coûts salariaux. La logique du profit contraint les capitalistes à une exploitation accrue des travailleurs. Le moindre arrêt dans cette course folle menace de jeter à bas tout l’édifice : que les profits baissent et les capitaux déguerpissent, comme cela été le cas en Asie.

Si les exportations étaient menacées, nous dit-on, “ ce serait la demande intérieure qui prendrait le relais ”. Cela supposerait à la fois une augmentation de la masse salariale globale, donc des embauches en grand nombre et un relèvement du pouvoir d’achat. Mais pour augmenter leurs profits, c’est exactement le contraire que font les patrons.

Augmenter la production, ils le feront peut-être, mais cela ne se traduira ni par des investissements importants, ni par de nouvelles embauches. Une enquête de la Banque de France révèle que le taux d’utilisation des machines a augmenté de 2,3 % : il a été en 1997 de 50, 94 heures par semaine et il se rapproche du record d’utilisation, 52,85 heures par semaine qui date… de 1963 ! Pour augmenter la production, les patrons n’achètent pas de nouveaux biens d’équipement, ils n’embauchent pas de personnel supplémentaire, ils contraignent un nombre toujours plus grand de travailleurs à travailler en équipes sur les mêmes vieilles machines.

Les patrons lancent aussi une offensive contre les salaires, sous prétexte de l’application des 35 heures. En dénonçant la convention collective, les patrons des banques veulent remettre en cause les augmentations générales et les 14 mois et demi de salaires institués par la convention. Appliquées à 250 000 salariés, on imagine ce que ces mesures pourront rapporter aux banquiers.

Nous devons nous préparer à cette offensive du patronat, comme nous devons nous préparer à une aggravation à court ou à moyen terme de la crise économique. Car l’édifice financier repose sur une base toujours rétrécie. La production ne peut se développer si la demande intérieure, le pouvoir d’achat de l’ensemble de la population, n’augmente pas. Mais le capitalisme est prisonnier de ses contradictions : la course aux profits exige d’imposer toujours plus de sacrifices aux travailleurs. Et ce n’est pas l’Etat qui peut faire ce que les patrons ne font pas. Jospin l’a dit clairement : rien à attendre pour les salariés d’éventuels milliards de rentrées fiscales supplémentaires. Car si le gouvernement augmentait les salaires, s’il prenait des mesures en faveur des chômeurs et des exclus en relevant les minima sociaux, il battrait en brèche la politique de bas salaires du patronat. Et il n’en est évidemment pas question.

Il faut aider les travailleurs à y voir clair. Quand le gouvernement laisse entendre que la prétendue croissance, c’est les emplois de demain à condition que nous sachions… attendre, il ment. Laisser faire, c’est le plus sûr chemin vers une dégradation de la situation. C’est en toute lucidité qu’il faut nous préparer, nous organiser pour mener les luttes qui seules pourront mettre un coup d’arrêt à leurs attaques sans nous laisser endormir par les faiseurs de boniments.

Chevènement : “ Monsieur plus ” des mesures réactionnaires

  Le projet de loi sur l’immigration présenté par Chevènement a été adopté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, les députés communistes s’étant abstenus et les Verts ayant refusé de prendre part au vote. Ce vote n’a pas été qu’une formalité après que la loi a été débattue au Sénat : des amendements ont été adoptés à la demande du gouvernement qui en renforcent l’aspect réactionnaire. Ainsi, pour recevoir la carte de séjour, un étranger devra justifier d’une durée de séjour de dix ans, mais s’il est étudiant, ses années d’études en France seront décomptées et c’est quinze ans de séjour qui seront exigés. Mesure dont le caractère réactionnaire était tellement choquant qu’elle n’avait été adoptée que par treize voix contre onze en commission : seuls deux socialistes et un communiste l’avaient votée aux côtés des députés de l’opposition. Les deux autres amendements vont dans le même sens : aux conditions exigées pour délivrer une carte de séjour temporaire aux jeunes nés en France, il est imposé en plus des huit ans de séjour d’avoir eu cinq ans de scolarité après l’âge de dix ans. Enfin, le texte initial prévoyait que les associations qui auraient aidé des étrangers en situation irrégulière ne pourraient être l’objet de sanctions pénales. Désormais, seules les organisations ayant “ une vocation humanitaire ” et dont la liste sera établie par le ministère de l’Intérieur échapperont à ces sanctions, ce qui donne évidemment toute possibilité de poursuivre les autres.

“ C’est une politique parfaitement cohérente ” a dit Chevènement lors du débat. Cohérente et aussi réactionnaire à l’égard des étrangers qu’à l’égard des chômeurs, des jeunes et des travailleurs.