éditorial 



Pour faire disparaître le chômage et la misère, ne comptons que sur nous, les travailleurs, préparons nos luttes et un autre avenir

 Martine Aubry a sorti la semaine dernière son projet de loi contre l’exclusion. A quelques jours des élections régionales, histoire de glaner quelques voix supplémentaires, le gouvernement a voulu se donner l’air de prendre à bras le corps le dossier de la lutte contre la misère. Mais il n’en est rien. Les mesures d’Aubry égrenées sur trois ans relèvent avant tout d’une charité méprisante à l’égard des personnes en difficulté. Mais elles risquent fort en plus d’être une occasion de fournir de nouveaux cadeaux à certains patrons et gros propriétaires sous prétexte d’insertion, de formation professionnelle ou d’accès plus facile à un logement.

Tous ceux que le système économique actuel prive d’un travail et d’un revenu décent n’ont pas été dupes du caractère dérisoire des mesures avancées par le gouvernement contre l’exclusion. Des milliers d’entre eux l’ont fait savoir dans la rue samedi dernier. Des politiciens et des responsables syndicaux en cheville avec le gouvernement sont venus faire de la figuration dans ces manifestations des chômeurs mais ils n’ont pas pu donner le change et nous faire croire que le gouvernement est de notre côté. Indépendamment des manœuvres des uns ou des autres, les chômeurs poursuivent leur lutte. Ils réclament leur dû face à Jospin et Aubry, et en particulier le relèvement des minima sociaux de 1500 francs.

Jospin, déguisé en jardinier prudent et prévoyant, nous a servi jeudi dernier un boniment sur les “ fruits de la croissance ” qui ne seraient pas encore mûrs et qu’il ne pourrait pas encore distribuer. En attendant les patrons, les financiers et les gros actionnaires ramassent toujours plus de profits bien juteux. Ils encaissent toujours plus de milliards qui sont le résultat de l’exploitation de plus en plus forcenée du monde du travail tandis qu’une fraction de plus en plus importante de la population s’enfonce dans la misère.

Le jardinier Jospin est tout simplement un larbin de ces gens fortunés, de même que tous les ministres et dirigeants de la gauche plurielle qui ont le culot de se dire encore socialistes ou communistes.

En quoi Robert Hue se distingue-t-il de Jospin en lui faisant l’accolade au cours d’un meeting électoral et en répétant sur toutes les ondes que dans l’ensemble la politique de Jospin est bonne ? Il a voulu marquer sa petite différence en proposant des mesures fiscales modestes et qui resteront sans lendemain et il a réclamé le report de tous les plans de licenciements. La ministre “ socialiste ” Aubry lui a répondu aussitôt avec une brutalité digne du patron du CNPF : “ Des entreprises ont aujourd’hui besoin de licencier parce qu’elles perdent des marchés, parce qu’elles ont besoin de se moderniser ”. Cette dame patronnesse qui prétend lutter contre l’exclusion épouse totalement le point de vue du grand patronat. Elle approuve par avance les dizaines de milliers de licenciements qui vont augmenter le nombre des chômeurs, accroître la misère et le désarroi de nombreuses familles.

Les élections régionales de dimanche prochain seront une occasion pour nous de condamner sans ambiguïté le grand patronat, les financiers et les riches qui sont les seuls responsables du chômage et de toute la dégradation sociale que cela entraîne.

Ces élections nous permettront de désavouer cette gauche plurielle qui mène la même politique que celle de Juppé et de condamner cette droite de cohabitation que nous avons vue à l’œuvre contre nous pendant des années. Nous exprimerons notre rejet du Front national dirigé par le milliardaire Le Pen, cette extrême droite qui veut diviser les rangs des travailleurs et rêve de détruire tous leurs moyens de défense face aux patrons et aux riches.

Nous dirons tout cela en votant pour des listes de travailleurs, qui participent aux luttes du monde du travail et qui veulent, avec tous les salariés, les chômeurs et les jeunes qui le souhaitent, préparer un autre avenir pour toute la société, un avenir sans exploitation et sans chômage.

C’est le cas des listes soutenues par Voix des Travailleurs en Charente, Gironde, dans les Landes et dans les Pyrénées-Atlantiques. C’est le cas de la liste commune en Seine-Maritime soutenue par L’Association pour le Rassemblement des Travailleurs, la Gauche Révolutionnaire/JCR, la Ligue Communiste Révolutionnaire de Rouen et Voix des Travailleurs.

Ailleurs Voix des Travailleurs appelle à voter pour les listes Lutte Ouvrière, malgré le renoncement de la direction de LO à donner un prolongement concret à l’appel de 1995 d’Arlette Laguiller à construire un parti des travailleurs. Au-delà de l’échéance électorale de dimanche, il sera nécessaire que nombre de ceux qui auront voté pour les listes soutenues par Voix des Travailleurs ou pour les listes Lutte Ouvrière se regroupent et jettent les bases d’une force politique vraiment socialiste et communiste, d’une véritable opposition des travailleurs, des chômeurs, des exclus et des jeunes.

Au Kosovo le début d’une nouvelle guerre dont les grandes puissances sont les principales responsables

Des affrontements sanglants ont repris dans la région la plus pauvre de l’ex-Yougoslavie, le Kosovo, dont la population est à 90 % albanaise. Le chef de l’Etat serbe, Milosevic, a pris le risque de déclencher une nouvelle guerre en envoyant les forces de l’ordre attaquer au canon et bombarder par hélicoptères des dizaines de villages. En une semaine la répression a fait plus de cent morts et 3500 personnes ont quitté le Kosovo pour se réfugier dans la région voisine du Monténégro.

Milosevic a pris pour prétexte quelques actions armées très limitées d’un mouvement nationaliste albanais, l’UCK. Il s’est inquiété du projet des nationalistes modérés d’organiser des élections pour la présidence et les députés du Kosovo afin d’obtenir une reconnaissance internationale. Mais fondamentalement les tueries et toutes les exactions de la police serbe contre la population albanaise ont avant tout pour but de consolider le pouvoir de Milosevic. Il a toujours des concurrents ultra-nationalistes en Serbie prompts à l’accuser de mollesse à l’égard des Albanais du Kosovo. Mais il a surtout besoin de museler les classes populaires serbes, de détourner leur mécontentement contre la population albanaise. Il a besoin de terroriser la population albanaise pour l’empêcher de se mobiliser et de s’organiser pour arracher son indépendance. Car au bout du compte Milosevic préfère que les travailleurs du Kosovo se rangent derrière les petits bourgeois nationalistes albanais plutôt qu’ils ne prennent conscience des intérêts de classe qu’ils ont en commun avec les travailleurs serbes.

La démagogie nationaliste comme arme de division des travailleurs

C’est précisément au Kosovo dans les années 80 que Milosevic a commencé à utiliser la démagogie nationaliste pour briser les rangs de la classe ouvrière yougoslave. En 1981 il répondait à la mobilisation des étudiants puis à celle des chômeurs et des ouvriers du Kosovo par une répression qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés. Les travailleurs du Kosovo avaient été suivis par ceux des autres régions du pays qui menèrent des grèves et des manifestations importantes. Ils réagissaient tous, quelle que soit leur origine ethnique, contre les effets désastreux de la crise économique frappant de plein fouet la Yougoslavie. En 1989 l’inflation était de 2500 % et le taux de chômage avait brutalement grimpé à 17 %. La pression de la crise du système capitaliste sur un pays pauvre dont l’Etat était surendetté a provoqué l’explosion de la Yougoslavie. Car les classes dirigeantes yougoslaves ont répondu à cette pression en divisant par le poison du nationalisme la force sociale qui les menaçait directement dans leurs privilèges, la classe ouvrière. Dans ce sens Milosevic et tous les dirigeants nationalistes croates, slovènes, bosniaques etc, ont bien relayé les intérêts des grandes puissances capitalistes dans cette région. A tout prendre elles préféraient de beaucoup que la contestation sociale et surtout ouvrière soit dévoyée et que tout dégénère en une série de guerres ethniques effroyables plutôt qu’en une révolution ouvrière yougoslave susceptible d’entraîner dans son sillage d’autres classes ouvrières des pays de l’Est.

La crainte des impérialistes d’une explosion incontrôlée

Aujourd’hui les dirigeants des grandes puissances rejouent la comédie de l’indignation à l’égard de Milosevic qui ne respecte pas “ les droits de l’Homme ” au Kosovo. C’est évidemment le cadet de leur souci. L’oppression de l’Etat serbe contre la population albanaise les indiffère tellement que la question du Kosovo n’avait même pas été effleurée dans les accords de Dayton de 1995 ficelés par les Etats-Unis pour “ régler ” la guerre en Bosnie sur le dos des peuples de l’ex-Yougoslavie.

Ils sont uniquement préoccupés que la situation explosive du Kosovo engendrée par la misère et l’oppression contre les Albanais n’entraîne pas un conflit difficile à contrôler et s’étendant à la Macédoine et au Monténégro. Tant que les événements ne prennent pas cette tournure, ils se satisfont parfaitement que l’Etat de Milosevic continue ses massacres et ses tortures au Kosovo.

Lutter contre l’exclusion, c’est lutter contre le chômage, produit de la folle logique du capitalisme

La présentation du projet de loi contre l’exclusion a remis sur le devant de la scène un certain nombre de chiffres : en 15 ans, le nombre de pauvres a augmenté de 70 %, 6 millions de personnes survivent avec des minima sociaux, 10 % des ménages sont en dessous du seuil de pauvreté et 40 % des ménages de chômeurs sont en dessous de ce seuil, plus d’un million de personnes touchent le RMI, plus d’un million des chômeurs officiellement déclarés -37 % - sont sans travail depuis plus d’un an, 200 000 personnes sont sans abri, deux millions sont mal logées.

Dans le projet de loi qu’elle a présenté, Martine Aubry prétend en trois ans vaincre l’exclusion. Son plan prévoit d’affecter 51 milliards à ces mesures : 38 milliards à la charge de l’Etat dont 22,4 milliards de dépenses nouvelles sur trois ans, soit sept milliards de francs de dépenses nouvelles par an. A peine plus que les 6,1 milliards de francs du dividende exceptionnel que la Compagnie Générale des Eaux va verser aux actionnaires d’Havas à l’occasion de la fusion des deux sociétés.

Le plan de Martine Aubry est à l’image de ces chiffres : dérisoire. Pour développer l’emploi, elle propose plus de CES, plus d’emplois jeunes pour les jeunes des quartiers pauvres, plus de contrats de qualifs et d’orientation, en un mot plus de tous ces stages et de ces formations bidons qui depuis vingt ans permettent aux patrons d’empocher des subventions sans créer d’emploi et de bénéficier d’une main d’œuvre bon marché. Seule mesure “ nouvelle ”, le TRACE, “ trajet d’accès à l’emploi ” qui est sur 18 mois un pot pourri de stage de qualification et d’emploi précaire pour lequel d’ailleurs l’ancien ministre de Juppé, Jacques Barrot réclame des droits d’auteurs, tant cette mesure ressemble à ce qu’il avait lui même proposé !

Ce plan de lutte contre l’exclusion a été aussi l’occasion pour les gouvernants d’étaler un solide mépris social. Le désormais fameux “nous voulons une société de travail, pas d’assistance ” de Jospin a été décliné sur tous les tons : comment inciter les exclus à retrouver du travail car il ne faudrait quand même pas qu’ils se complaisent dans les délices du RMI et de l’ASS revalorisée de 175 F par mois ! Aussi n’a-t-il pas été question d’augmenter le RMI et de savants calculs ont été faits pour déterminer dans quelle mesure les minima sociaux pourraient être cumulés avec le salaire d’un chômeur qui retrouverait un emploi pour que le tout ne dépasse pas le SMIC !

Dans la même semaine, Martine Aubry a révélé le fond de sa pensée et la véritable nature de sa politique en déclarant que des entreprises ont besoin de licencier lorsqu’elles perdent des parts de marché. De la même manière, Pierret, le secrétaire d’Etat à l’Industrie a justifié les 2700 licenciements chez Renault au nom de la compétitivité. Ces déclarations montrent quel crédit on peut accorder à ce gouvernement lorsqu’il prétend lutter contre l’exclusion.

Car il n’est pas possible de combattre l’exclusion sans combattre le chômage, c’est à dire sans lutter contre la logique de la concurrence capitaliste. Le chômage et la misère sont inscrits dans la logique de cette économie où les licenciements et l’exploitation des travailleurs nourrissent les profits records des entreprises qui entretiennent cette euphorie boursière qui voit chaque semaine la Bourse battre des records. Combattre le chômage, c’est imposer aux patrons comme aux financiers de tenir compte des intérêts de la majorité de la population, c’est-à-dire remettre en cause leur droit à diriger la marche de l’économie.

 Cela, le gouvernement actuel en est organiquement incapable : il est là pour défendre la politique des patrons qui lui dictent leur volonté comme ils l’ont dictée aux gouvernements précédents.

Seul un gouvernement des travailleurs et de leurs organisations, un gouvernement qui s’appuierait sur la mobilisation du monde du travail, sur son organisation, qui serait son instrument pour mettre un coup d’arrêt à la dégradation des conditions d’existence de la majorité de la population, pourrait prendre les mesures simples et radicales qui s’imposent et garantir le droit des travailleurs de contrôler la marche des entreprises publiques et privées, des banques comme de l’Etat lui-même et des collectivités locales.

De cela, il ne peut être question pour le gouvernement actuel. On ne peut infléchir sa politique contrairement à ce que prétend Robert Hue pour justifier la participation du Parti Communiste à la gestion des affaires de la bourgeoisie. D’ailleurs, il est évident que ni les ministres, ni les députés n’ont la moindre influence. Ils n’ont d’autre choix que de soutenir la politique de Jospin. Il n’est pas possible de faire pression ou d’infléchir la politique de ce gouvernement, il faudra que nous le fassions plier, comme on fait plier un adversaire ou l’allié d’un adversaire.

Pour être libres de défendre leurs propres intérêts, les travailleurs doivent voir en toute lucidité derrière les discours faits pour les duper, les mauvais coups. Une autre politique est nécessaire, elle ne peut venir que de nos luttes et de notre organisation.