éditorial 

 



La fausse victoire de la gauche gouvernementale n’est pas celle des travailleurs,

face à la montée de Le Pen,

les progrès de l’extrême-gauche indiquent la voie, l’organisation du monde du travail

Le tremblement de terre annoncé malencontreusement par Pasqua pour l’Ile de France et repris, en écho, pompeusement par certains leaders de la gauche plurielle n’aura pas eu lieu. Les élections régionales de dimanche dernier ont surtout été l’occasion pour presque la moitié de l’électorat de désavouer les politiciens, de leur dire son mépris en leur tournant le dos. Tant il est évident pour beaucoup que les gouvernements se suivent et font exactement la même politique au service du patronat et des financiers, que tous parlent des jeunes, des chômeurs, mais qu’aucun ne fait quoi que ce soit qui leur soit favorable, ou qui soit favorable en général au monde du travail.

L’abstention qui a marqué ces élections exprime le mépris des milieux populaires pour ces politiciens soucieux de leur carrière, de leur propre salaire, de leurs propres privilèges. Les bureaux de vote à peine fermés, ces derniers se disputaient sur la seule chose qui les intéresse, le partage des présidences qui donne lieu à toute sorte de marchandages qui ont l’avantage d’éclairer un peu plus sur le monde pourri et avide des politiciens.

Alors quand on nous parle d’un succès de la gauche gouvernementale, quand Jospin prétend que les électeurs ont approuvé sa politique, il y a maldonne. Cette politique a été  désavouée par tous les abstentionnistes comme par une large fraction des électeurs.

La gauche, qui avait obtenu une victoire par surprise lors des dernières législatives, grâce à l’aide involontaire de Chirac, cette gauche mal élue, essaie de faire croire aujourd’hui qu’elle est légitime et bien élue. Elle voudrait pouvoir se revendiquer de l’assentiment populaire pour continuer la politique qu’elle a entamée dans la droite lignée, c’est le cas de dire, du gouvernement précédent.

C’est une illusion, une illusion que nous, travailleurs, nous ne devons pas prendre au sérieux. Elle nous masquerait les réels dangers que nous avons devant nous et qui nous menacent.

Le Parti Communiste qui prétendait jouer le rôle d’aiguillon de cette gauche, qui prétend toujours l’influencer dans un sens qui serait favorable aux chômeurs, aux jeunes, aux exclus, aux travailleurs, est en réalité passé sous la table, se fondant dans la gauche plurielle derrière le Parti Socialiste dont en fait il soutient pleinement la politique. Les quelques réserves de forme qu’il émet de temps en temps ne sont que de pures hypocrisies destinées à donner le change auprès de ses militants.

Cette fausse victoire de la gauche gouvernementale n’est en aucun cas une victoire pour les travailleurs et en particulier les travailleurs qui se revendiquent des idées du socialisme et du communisme.

Bien au contraire même, derrière elle se profile le vrai danger du Front National, qui encore une fois a marqué des points. Si nous laissions la gauche, le Parti Socialiste et le Parti Communiste unis, mener avec notre soutien même passif une politique qui nous est défavorable, nous laisserions le Front National s’emparer du mécontentement populaire pour le dévoyer, le retourner contre les travailleurs et leurs organisations.

Rien n’est joué, la bataille commence à peine et il y a dans ces élections une chose riche d’encouragements et de perspectives, c’est la confirmation de ce qui s’était exprimé sur le nom d’Arlette Laguiller dans les élections présidentielles, l’existence d’un courant d’extrême-gauche au sein du monde du travail. Pour l’essentiel, ces résultats se sont exprimés sur les listes Lutte Ouvrière que soutenait Arlette Laguiller.

“ Voix des Travailleurs ” présentait des listes “ Union de tous les travailleurs pour préparer les luttes et un autre avenir ” suite au refus de Lutte Ouvrière et de la Ligue Communiste Révolutionnaire de faire un front commun. Nous ne nous présentions pas en concurrence mais pour exprimer largement l’idée de la nécessité de regrouper l’ensemble des forces de l’extrême-gauche pour contribuer au regroupement de tous ceux qui veulent agir en toute indépendance des partis qui soutiennent le gouvernement, pour défendre, par la lutte tant sociale que politique, les intérêts du monde du travail.

C’est dans cette perspective qu’en Seine-Maritime s’est constituée une liste unitaire “ Union de tous les travailleurs pour préparer les luttes autour d’un plan d’urgence ” soutenue par la Ligue Communiste Révolutionnaire, l’Association pour un Rassemblement des Travailleurs, la Gauche Révolutionnaire et nous mêmes.

Le score recueilli par ces listes est très modeste, bien sûr, mais il exprime l’adhésion d’une fraction militante non négligeable de l’extrême-gauche à nos perspectives, et c’est très bien.

Là où “ Voix des Travailleurs ” ne pouvait présenter de liste, nous avions appelé à voter Lutte Ouvrière par une affiche où nous disions “ En 1995, Arlette Laguiller appelait ses électeurs, les travailleurs socialistes et communistes, à jeter les bases d’un nouveau parti. Aujourd’hui, au moment où la politique du patronat et des financiers produit toujours plus de chômage et de misère, avec la protection du gouvernement et des partis de gauche qui le soutiennent, cette tâche est urgente pour préparer les luttes et un autre avenir. Dites que vous êtes de ce camp-là. Votez pour les listes Lutte Ouvrière soutenues par Arlette Laguiller. ” Nous signons et persistons. Face à la dégradation de la situation sociale et à la montée de l’extrême-droite, la seule issue est l’organisation et la mobilisation du monde du travail.

Chacun a une place à prendre dans ce combat, dans ce travail collectif, une compétence à apporter, une expérience, des idées, une influence et un passé à mettre au service des autres. C’est à chacun d’en décider et d’en juger, d’en discuter autour de lui. Ces élections ont révélé que nous étions des milliers à refuser cette société et à condamner les partis de gauche qui sont passés dans l’autre camp. Cela aide chacun à prendre conscience des possibilités nouvelles. C’est un encouragement. Certains voudraient limiter la portée de ce vote à un geste protestataire. La signification du vote pour l’extrême-gauche est bien plus profonde que cela. Elle est riche de possibilités.

Les politiciens et ministres de la République, jusqu'à son président : les marionnettes du grand capital

Roland Dumas, ancien ministre des Affaires Etrangères de Mitterrand et actuel président du Conseil Constitutionnel, un “ garant ” comme le dit la presse des “ institutions de la République ” aura échappé provisoirement à la convocation des deux juges qui enquêtent sur l’affaire Elf, grâce à une opération chirurgicale opportune. Il aurait eu quelques retombées de ces 59 ou 60,5 millions de F de commissions versées par Elf à son amie, Christine Deviers Joncour. Pas seulement cette paire de chaussures de 11 000 F que celle-ci a payée avec sa carte de crédit, encore un cadeau d’Elf, mais peut-être ces 8 ou 9 millions, à l’origine inexpliquée, versés sur son propre compte bancaire.

Quel rôle a-t-il joué exactement dans la conclusion du contrat de la vente des frégates de Thomson à Taïwan ? Et quel a été celui du groupe Elf ? Les deux juges ne réussiront peut-être pas à l’élucider, mais à l’occasion de cette affaire, parce que chacun de ceux qui sont mis en cause renvoie les enquêteurs à l’étage au-dessus pour se dédouaner, sont révélés les liens qui unissent les gouvernements aux trusts.

C’est ainsi que Roland Dumas a déclaré au “ Figaro ” que 500 millions de dollars, 2,5 milliards de F avaient été versés en commissions lors de la vente des frégates à Taïwan. Plus du cinquième de la valeur du contrat en pots de vin, cela donne une idée du bénéfice réalisé sur la vente elle-même ! Et c’est bien pourquoi il est de la plus haute utilité pour les trusts de cultiver des liens avec les hommes d’Etat. Dumas a d’ailleurs indiqué que le versement de ces “ commissions ” avait été autorisé et par le ministère des Finances et par le Président de la République lui-même.

D’autres révélations ont été faites par les dirigeants du groupe Elf, mis en cause par la justice.

L’ancien directeur financier d’Elf, Philippe Hustache a révélé que le groupe pétrolier consacrait 800 millions de F chaque année pour aider à ses implantations en Afrique, et que le versement de ces commissions occultes était “ validé par la République ”. Puis, c’est Le Floch-Prigent, son PDG de l’époque qu’il avait mis en cause, qui a surenchéri en déclarant à la justice que ces commissions occultes étaient versées avec “ l’accord des plus hautes autorités de l’Etat ”, et que “ des comptes rendus étaient faits... à l’Elysée et à la direction du Budget ”.

Le “ Canard Enchaîné ” a rapporté comment Le Floch-Prigent demandant, en prenant ses fonctions, à Mitterrand si Elf devait continuer à donner “ certaines facilités ” aux hommes politiques, maintenant socialistes, celui-ci l’y autorisa en lui demandant de passer, pour les socialistes, par son entourage. Il fut bien servi puisque son fils, Jean-Christophe Mitterrand, était salarié du groupe Elf à raison de 80 000 F par mois, pour des missions en Afrique. On y apprend aussi qu’il était dans les habitudes de Pasqua et de Dumas de faire ensemble des dîners fins en compagnie de dirigeants du groupe chez Christine Deviers Joncour, et d’utiliser pour leurs déplacements l’un ou l’autre des sept avions que le groupe met à la disposition des hommes politiques qui peuvent lui être utiles.

Ainsi, les commissions ne sont “ occultes ” que pour la population, à qui on voudrait faire croire, en parlant de scandale, que ces pratiques ne seraient pas dans l’ordre des choses, tant elles s’opposent à ce qu’on nous dit être “ les valeurs de la République et de la démocratie ”. Tous les politiciens qui y vont à ce propos de leur couplet de morale, au nom de ces mêmes valeurs républicaines, se disputent et marchandent en ce moment même la Présidence des régions pour gagner le droit de décider de ces budgets qui sont autant de promesses de bonnes relations avec les patrons et de cadeaux pour les entretenir. L’accession au gouvernement, à la Présidence de la République, c’est la promesse d’avantages encore plus substantiels.

Cette corruption, c’est celle de la démocratie bourgeoise, de cette République et de son ordre entièrement au service des grands groupes capitalistes, qui achètent les politiciens, ministres, président de la République, comme ils achètent les journalistes.

La seule démocratie sera celle imposée par le monde du travail, le pouvoir de la population elle-même, son contrôle sur toute l’activité économique et sur son propre Etat.

Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, 1884

 " La forme d’Etat la plus élevée, la république démocratique […] ne reconnaît plus officiellement, les différences de fortune. La richesse y exerce son pouvoir d’une façon indirecte, mais d’autant plus sûre. D’une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires, d’autre part, sous forme d’alliance entre le gouvernement et la Bourse ; cette alliance se réalise d’autant plus facilement que les dettes de l’Etat augmentent davantage et que les sociétés par actions concentrent de plus en plus entre leurs mains non seulement le transport, mais aussi la production elle-même, et trouvent à leur tour leur point central dans la Bourse. […]

Enfin, la classe possédante règne directement au moyen du suffrage universel. Tant que la classe opprimée, c’est-à-dire, en l’occurrence, le prolétariat, ne sera pas encore assez mûr pour se libérer lui-même, il considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera, politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste, son aile gauche extrême. Mais dans la mesure où il devient plus capable de s’émanciper lui-même, il se constitue en parti distinct, élit ses propres représentants et non ceux des capitalistes. Le suffrage universel est donc l’index qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l’Etat actuel ; mais cela suffit. Le jour où le thermomètre du suffrage universel indiquera pour les travailleurs le point d’ébullition, ils sauront, aussi bien que les capitalistes, ce qu’il leur reste à faire. ”