Page 2 : spécial élections régionales



Les programmes électoraux et le chômage : obligés d’en parler, tous manifestent leur impuissance et leur… hypocrisie

 La campagne électorale a été de nouveau l’occasion pour les politiciens de parler du chômage. A les en croire, c’est pour tous le sujet de préoccupation numéro un et tous prétendent avoir des solutions pour y faire face.

Le gouvernement essaie même de faire croire qu’il obtient des résultats dans ce domaine en portant au crédit de sa politique une amélioration, pourtant modeste et sujette à caution, des chiffres du chômage et la reprise des créations d’emplois : selon l’UNEDIC, 190 000 postes supplémentaires ont été créés en 1997 mais les deux tiers relèvent du travail intérimaire qui a augmenté de plus de 40,2 % en une année.

Les politiciens tentent de faire croire qu’ils ont le pouvoir d’influer par leur politique sur le chômage et sur l’activité économique. Ainsi, le gouvernement de la gauche plurielle prétend lutter contre le chômage grâce à la loi sur les trente cinq heures et la mise en place des contrats emplois jeunes, il prétend que la réduction du temps de travail contraindra les patrons à embaucher et que la création des emplois jeunes, contrats précaires payés au SMIC, va enrayer le chômage des jeunes.

Mais aucune de ces deux mesures ne peut avoir un effet réel sur le chômage. La réduction du temps de travail ne contraint pas les patrons à embaucher. Tout au contraire, depuis des années, ce sont eux qui ont imposé des réductions d’horaires à des centaines de milliers de salariés - 3,5 millions, près de 16 % de l’ensemble des salariés - qu’ils ont contraint à travailler à temps partiel pour pouvoir baisser leurs salaires et leur imposer des horaires à leur guise. Les trente cinq heures à la sauce gouvernementale ne seront que l’occasion pour les patrons d’accentuer cette politique, d’imposer au nom de la réduction du temps de travail, une flexibilité plus grande, la généralisation de l’annualisation du temps de travail, et de geler, voire de baisser les salaires. Mais cela ne créera pas d’emploi : le patronat en profitera pour tenter d’aggraver les conditions d’exploitation des salariés et rendre leur sort encore plus précaire.

Quant aux contrats emplois jeunes, ils ne sont qu’un bluff et une accentuation de la précarité. Un bluff, car le Parti socialiste qui avait fait de ces 700 000 créations d’emplois jeunes un des thèmes de sa campagne en 97, a d’ores et déjà mis dans sa poche la moitié de ce programme, celui qui concernait les emplois créés dans le secteur privé. Pas un mot des mesures contraignant les patrons à procéder à de telles embauches. Quant aux 350 000 emplois jeunes, ils aboutissent à la création d’une Fonction publique au rabais et sont la généralisation de la politique de l’auxiliariat et de contractuels combattue depuis si longtemps par les salariés de la Fonction publique. En instituant la précarité par des contrats renouvelables sur cinq ans, en limitant le salaire au SMIC pendant cinq ans, ils constituent un précédent et un recul.

En fait, derrière chaque mesure que le gouvernement prend pour lutter contre le chômage, il y a une attaque contre les travailleurs. Depuis vingt ans, la “ lutte contre le chômage ” n’est que le nom donné par les gouvernements de droite et de gauche aux mesures exigées par les patrons. Les uns comme les autres n’ont fait que ce que leur dictait le patronat. 

Leurs tentatives de prétendre qu’ils ont à ce sujet des politiques différentes ne sont destinées qu’à semer des illusions auprès de leur électorat respectif. Ainsi, la droite tempête contre la loi des trente cinq heures et prône l’abandon de toute législation, de toute contrainte tant sur les conditions d’embauche que sur les salaires, et bien sûr l’abaissement des charges sociales.

Mais c’est bien une telle politique qui a été mise en œuvre par les gouvernements, tant de droite que de gauche, depuis des années. Cela a notamment été le cas dans le textile où un plan du gouvernement a englouti des milliards de subventions pour exonérer de charges sociales les patrons qui employaient des salariés sous-payés : cela n’a non seulement pas créé un emploi, mais les patrons ont continué à licencier au point que l’emploi dans le secteur textile a reculé de 5 % en 1997.

Les gouvernants n’ont pas d’autre politique à proposer que celle qui correspond aux intérêts du patronat et que celui-ci leur dicte. Et cette politique est simple : pouvoir exploiter les travailleurs sans limite, pouvoir licencier sans entrave, leur payer les plus bas salaires possibles.

Il n’y a pas “ d’infléchissement ” possible sans remettre en cause les intérêts des patrons, sans remettre en cause leur contrôle et leur domination sur la vie économique. Et aucun gouvernement bourgeois ne peut mener une politique qui aille à l’encontre de la volonté et des intérêts des patrons. Les mesures simples et radicales qui permettraient de lutter contre le chômage : l’interdiction des licenciements, le contrôle sur les comptes des entreprises, l’embauche massive dans le secteur public, la réduction massive du temps du travail, la répartition du travail entre tous, ils ne peuvent pas plus les concevoir que les mettre en œuvre, ils en sont organiquement incapables car ils sont là pour défendre les intérêts de la bourgeoisie.

L’abstention record inquiète les politiciens bourgeois et interpelle l’extrême-gauche

 Les élections régionales et le premier tour des élections cantonales ont été marqués par un taux d’abstention (respectivement 42 % et 39,6 % ) très important et même “ record ” pour les élections régionales (plus de 10 % par rapport au scrutin de 1992). C’est une véritable poussée de l’abstention. C’est un fait important dans un pays de tradition électorale, de fait très politisé, où le phénomène abstentionniste a longtemps été marginal. Si elle est en augmentation constante depuis plusieurs années, l’abstention de dimanche a visiblement franchi un cap : l’inquiétude des politiciens de tout bord comme des “ politologues ” le révèle.

Certes le type d’élections entre pour une part dans la compréhension d’un tel taux : les élections régionales et cantonales n’ont jamais connu des taux de participation équivalents à ceux des élections législatives ou municipales ou encore moins présidentielles.

Mais une telle ampleur de l’abstention exprime autre chose qu’un simple désintérêt pour des institutions dont personne ne saurait exactement à quoi elles servent. Une fraction de l’électorat de droite s’est sans doute abstenu pour marquer sa désapprobation à l’égard des politiciens de droite incapables d’apparaître un tant soit peu crédibles, tout juste bons à se disputer des dépouilles d’appareils afin de caser leurs copains ou leur clientèle, avant d’être tout à fait hors course. Mais c’est avant tout un véritable désaveu par les milieux populaires et d’une partie de la jeunesse, des politiciens de tout bord, avant tout soucieux de leur carrière, de leurs privilèges et de leurs salaires. Et dans un contexte où c’est la gauche “ plurielle ” qui gouverne, c’est surtout sur elle que s’abat le désaveu.

Pour Jospin, qui aurait bien aimé la bénédiction des urnes pour ses futures attaques contre le monde du travail, une telle abstention est une claque. Dès dimanche soir il déclarait que ses projets en faveur des “ simplifications de la vie publique, de la moralisation via, notamment, la limitation du cumul des mandats, devraient rapprocher les Français des politiques ”. Robert Hue cachait plus difficilement son inquiétude : “ Il faut entendre cette expression et regarder du côté des abstentionnistes, notamment dans les quartiers populaires. Ils sont impatients. Leurs attentes sociales doivent être entendues ”. Il est vrai qu’entre le score de l’extrême-gauche et le niveau des abstentions, Robert Hue a de quoi s’inquiéter... Finalement, en tournant certes autour du pot, ils avouaient tous deux que l’abstention a des causes politiques et sociales que leur politique au gouvernement contribue à renforcer. Le rejet, le mépris des politiciens serviles aux intérêts des privilégiés, le désaveu d’un système incapable de satisfaire leurs besoins essentiels sans même parler de leurs aspirations, c’est ce qu’ont “ exprimé ” à leur façon des milliers de jeunes et de travailleurs qui ne sont pas allés voter.

Cela inquiète beaucoup tous les dirigeants des partis politiques bourgeois car c’est le système de la démocratie bourgeoise qui prend l’eau. Tout comme le bon temps du petit jeu équilibré “ gauche-droite ” qui permettait l’alternance tranquille, le temps des plébiscites et des “ vagues ” roses ou bleues, est terminé. Tous ces faux-semblants électoraux ne sont plus crédibles aux yeux d’une fraction croissante des milieux populaires.

Mais d’une certaine façon l’extrême-gauche n’échappe pas à ce rejet global. L’abstention la pénalise également (par exemple en 1995 le nombre de voix qui s’étaient portées sur Arlette Laguiller étaient partout plus nombreuses dans les départements où LO était présente cette fois-ci, bien que les pourcentages soient plus élevés). En fait, bien qu’en augmentation, les scores de l’extrême gauche sont bien en dessous de ce qu’ils pourraient être si une fraction notable de tous ceux qui rejetaient les partis politiques bourgeois et leur politique l’affirmaient de façon plus consciente en votant pour des révolutionnaires, clairement en opposition au gouvernement de gauche et à la bourgeoisie et défendant la nécessité de l’organisation du monde du travail. Son manque de liens profonds avec l’ensemble des travailleurs et son implantation insuffisante au sein des quartiers populaires ne permet pas actuellement à l’extrême-gauche de capitaliser à son profit le dégoût d’un système et d’un personnel politique au service de celui-ci. Il faut que l’extrême-gauche se donne les moyens d’être une force d’attraction pour la fraction des couches populaires et des jeunes qui se radicalise sans avoir trouvé d’expression politique. Pour cela, l’extrême-gauche, dans sa globalité, doit changer de peau, afin d’être capable d’organiser sous ses idées, sous son drapeau, tous ceux qui ne se satisfont pas de l’abstention, mais qui n’ont rien trouvé de mieux pour l’instant pour exprimer leur ras-le-bol. C’est un défi à relever pour l’ensemble des militants d’extrême-gauche.

Tribune libre : Association pour le Rassemblement des Travailleurs

 Rouen le 17 mars,

Décembre 95 à Rouen fut l’occasion, pour les militants de l’ART, de LO, de la LCR et de la GR, d’apprendre à mieux nous connaître mutuellement et à agir ensemble pour l’auto-organisation et l’extension de la lutte. De cette expérience enthousiasmante, une volonté unitaire est restée. Après la création de VDT, elle s’est consolidée : création de bulletins unitaires d’entreprises, assemblées générales communes, fête unitaire à la rentrée 97. Aux élections régionales, nous avons été en mesure de nous présenter ensemble. A Rouen, l’essentiel des forces militantes de l’extrême-gauche s’est retrouvé autour de la liste “ Union des Travailleurs pour préparer les luttes autour d’un Plan d’urgence ”. Après une campagne dynamique, chaleureuse et enthousiaste, nous avons réuni plus de 8 000 voix en Haute Normandie. C’est un résultat très honorable compte tenu de la place des plus réduites que nous avons eue dans les médias, de nos faibles moyens financiers et de l’absence de relais national à notre liste. Mais si l’on comptabilise nos voix avec celles des candidats soutenus par Arlette Laguiller, c’est plus de 35 000 voix qui se sont reportées sur l’extrême gauche. C’est un score sans précédent dans la région.

Sur le plan national, ces élections sont caractérisées par l’abstention massive, l’odieuse progression du Front National qui passe à 15 % mais aussi la progression importante de l’extrême-gauche qui frôle dans certains cas les 10 %.

Les organisations d’extrême-gauche sont maintenant confrontées à une grande responsabilité. Y sont-elles prêtes ? La direction de Lutte Ouvrière semble avoir renoncé à l’appel lancé par Arlette, après les présidentielles, pour construire un grand parti de tous les exploités. La direction de la LCR ne veut pas s’opposer de front au gouvernement de la gauche plurielle. Elle se contente d’intervenir dans les mouvements sociaux pour faire pression sur lui.

Il faudrait une politique audacieuse et forte face au patronat et au gouvernement de gauche, qui soit à la hauteur des enjeux de la crise sociale et politique. De grands affrontements sociaux se préparent. Le mouvement des chômeurs n’est pas retombé. Il faut agir pour la convergence des luttes des travailleurs et des chômeurs autour d’un plan d’urgence. Il faut unir nos forces pour commencer à construire le parti dont les travailleurs auront besoin dans ce combat face au patronat et au gouvernement.

Nous devons commencer à le faire avec tous les courants, aussi petits soient-ils, qui aspirent à construire ce parti des travailleurs ? Des convergences existent entre les camarades de VDT, ceux de la tendance “ R ” de la LCR, ceux la Gauche Révolutionnaire, ceux de la Fraction de Lutte Ouvrière et le groupe La Commune. Mais la fusion de tous ces courants dans une organisation commune n’est pas envisageable immédiatement. L’ART, quant à elle, n’est pas une organisation homogène, avec des militants structurés en cellules. C’est un réseau unitaire reliant de façon large des travailleurs et des militants n’ayant pas forcément la même appartenance politique ni le même degré d’engagement militant.

Il faudra donc définir des étapes et des médiations pour aller vers une organisation commune. Il faut prendre des initiatives et créer un cadre pour militer et agir ensemble. Le collectif unitaire que nous avons crée à Rouen avec nos quatre organisations : “ Union de tous les Travailleurs pour préparer les luttes autour d’un Plan d’Urgence ” doit être maintenu et servir si possible, de point d’appui pour agir, débattre et échanger nos expériences au-delà du cadre rouennais. Nous commençons à discuter dans l’ART des initiatives et des tâches que nous pourrions organiser en commun après ces élections régionales.

Comment construire à une échelle large et de manière coordonnée un réseau de bulletins unitaires d’entreprise du type de ceux qui commencent à exister ? Pourquoi ne pas préparer à Rouen, dans les mois qui viennent, une nouvelle initiative politique unitaire, une rencontre ouvrière pour un plan d’urgence qui permette de rassembler les militants, les acteurs des mouvements sociaux, les travailleurs, les jeunes et les chômeurs que nous côtoyons dans les luttes de nos villes et régions respectives ?

Par ailleurs, ne faut-il pas envisager à moyen terme le lancement d’un véritable journal ouvrier à vocation nationale, sur des bases comparables à celles qui nous ont servi de plate forme pour la liste “ Union de tous les Travailleurs pour préparer les luttes autour d’un plan d’urgence ” ? La discussion serrée entre nos courants nous a permis d’aboutir à une plate forme assez cohérente qui jette les bases d’une démarche programmatique transitoire autour d’un plan d’urgence reprenant les exigences vitales du monde du travail. Le plan d’urgence n’est qu’une esquisse de programme qu’il faudra étoffer. Sur d’autres questions, nous avons encore des divergences. Elles pourraient apparaître sans dommage dans le journal sous forme de tribunes des courants ou de débats contradictoires. La création d’un journal unitaire ouvrier, avec ses correspondants locaux et ses cercles de lecteurs et de diffuseurs ne serait-elle pas le meilleur moyen d’étendre notre influence au niveau national, de faire bouger l’ensemble des forces de l’extrême-gauche, et de s’adresser aux cercles plus larges du mouvement ouvrier qui se détournent aujourd’hui des directions du P.C. et du P.S. ? Ce journal marquerait en tout cas une étape importante vers l’organisation commune et la construction du parti des travailleurs.