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Lutte
Ouvrière : succès et ambiguïtés dune
campagne
Une campagne en retrait sur le plan politique
De ce point de vue, le contenu politique
de la campagne de Lutte Ouvrière comportait des ambiguïtés
et des omissions qui laissent mal augurer de ses capacités à
donner un prolongement juste à lattente de tous ceux qui ont
voté pour ses listes. Dans sa profession de foi, LO sabstenait
de dire aux travailleurs que le gouvernement de la gauche plurielle est au
service du grand patronat, des financiers et de la bourgeoisie en
général. Ses critiques à légard du gouvernement
Jospin étaient étonnamment modérées et elles
le restent dans ses commentaires des résultats des régionales.
Le reproche essentiel fait dans le dernier éditorial des bulletins
dentreprises de LO est linsuffisance des mesures
prises par le gouvernement pour réduire le
chômage. Le plus grave est que LO accrédite
lidée que ce gouvernement pourrait mener une autre politique
sil le voulait . Cette affirmation est
trompeuse. Si réellement cétait une question de volonté
de la part du gouvernement, il suffirait que les travailleurs fassent pression
par leurs luttes sur ce gouvernement pour que, par exemple, il interdise
les licenciements. Depuis quand et à partir de quels exemples
historiques, les
révolutionnaires peuvent-ils faire croire aux travailleurs quil
est possible damener un gouvernement de gauche à interdire les
licenciements ? A linverse, il est du devoir des
révolutionnaires de dire aux travailleurs que les mesures efficaces
contre le chômage ne pourront être prises que par eux-mêmes,
en se mobilisant et en sorganisant. Il est de leur devoir dexpliquer
que dans ce combat, ils auront toujours contre eux le gouvernement au service
de la bourgeoisie, quil soit de droite ou de gauche.
Cette idée qui était au
cur des campagnes électorales de Lutte Ouvrière
jusquen 1995 a totalement disparu. Dans le plan de mesures avancé
dans sa dernière campagne ne figurait plus la nécessité
dun contrôle des comptes de la bourgeoisie et de toute
léconomie par les travailleurs. Sans le contrôle des
travailleurs, aucune des mesures avancées, aussi radicale soit-elle,
na de sens. Cest brandir un couteau sans lame. Cela conduit à
une perception fausse des rapports entre léconomie capitaliste,
la bourgeoisie, son Etat et le gouvernement en cours à son service.
Cest ce qui a amené la direction à écrire dans
la profession de foi que si les comptes en banque étaient rendus publics
on verrait alors doù vient et où va
largent et que les licenciements ne sont jamais justifiés par
des raisons économiques. Comme si les licenciements
pouvaient avoir en règle générale dautres raisons
quéconomiques dans le cadre dun système basé
sur la concurrence et la recherche du profit !
Quand tout à coup, en conclusion
de son dernier éditorial, LO évoque in extremis la
nécessité des luttes, cela aboutit à une affirmation
fausse : Mais les patrons et les lois ne changent que
lorsquon les fait changer par les luttes, par les grèves ou
dans la rue. Désolés, camarades de Lutte
Ouvrière, même la révolution ne pourra
changer les patrons . Quant aux lois que les
travailleurs peuvent arracher à la bourgeoisie et à son Etat,
elles peuvent sanctionner quelques progrès limités mais
certainement pas toucher à des questions essentielles menaçant
le pouvoir des capitalistes telle que linterdiction des licenciements
collectifs.
Les critiques que nous exprimons ici
sont importantes pour lavenir. Les travailleurs nont pas besoin
pour se défendre davocats moralistes lançant des
imprécations indignées contre le patronat. Ils ont un besoin
vital, pour leurs futures luttes, de savoir comment fonctionne la
société et léconomie capitaliste, sans avoir
lombre dune illusion sur la possibilité dobtenir
dun gouvernement de gauche de bonnes lois et de bonnes mesures sur
des questions vitales pour eux. Il serait particulièrement dommageable
de rester sur le terrain de telles illusions au moment où bien des
travailleurs socialistes et communistes qui ont voté pour
lextrême gauche lont fait parce quils sont en train
de perdre leurs illusions réformistes.
Le refoulement de la question du parti
LO nabordant pas la
nécessité dune mobilisation des travailleurs pour imposer
les mesures quelle avance, il est logique que la nécessité
de sorganiser politiquement dans ce but soit passée à
la trappe. Arlette Laguiller est de fait sur la défensive quand elle
doit répondre aux questions concernant la construction dun parti
des travailleurs. Tout indique dans ses interviews comme dans les écrits
de la direction de LO que, sous couvert de modestie, Lutte Ouvrière
se considère comme le noyau autour duquel se construira le parti.
Le succès des régionales est censé permettre à
LO de grossir. Cet égocentrisme politique et organisationnel est
erroné et risque fort de stériliser tous les efforts des camarades
de LO. Des militants se prenant pour les seuls révolutionnaires
habilités à construire le parti et refusant de discuter avec
les autres tendances révolutionnaires et de collaborer avec elles,
nont aucune chance détablir des relations démocratiques
avec les travailleurs et de gagner leur confiance. Aucun dévouement
et aucune forme dactivisme ne peuvent permettre de surmonter ce handicap
majeur du sectarisme que la direction de LO dresse devant ses propres militants.
Bien plus, dans sa volonté de
masquer sa dérobade devant ses responsabilités après
lappel dArlette à construire le parti des travailleurs
de 1995, la direction de LO rabaisse la portée du score des
présidentielles en lui donnant un sens purement
personnel . Toujours dans son commentaire des scores
des régionales de son éditorial, elle écrit :
cest un score qui atteint à peu près les
scores dArlette Laguiller aux présidentielles. Il ne sagit
donc plus dun vote sur une personnalité, si représentative
soit-elle de notre mouvement et de nos idées .
La direction de LO décrète
cette fois avec aplomb et sans nuance que les travailleurs ont voté
pour les idées et le programme que Lutte Ouvrière
représente . Un succès politique ne saurait
être détourné à seule fin de renforcer
sa boutique et de toiser de plus haut le reste de
lextrême gauche. Celui des régionales, sans être
extraordinaire, excède politiquement et humainement les capacités
des militants de LO. Si nos arguments ne les convainquent pas aujourdhui,
leur propre expérience sen chargera dans les mois qui viennent.
La seule voix réaliste consiste à rassembler toutes les forces
des révolutionnaires pour constituer un pôle commun. Il est
ridicule de prétendre vouloir aider à rétablir
un rapport de force favorable des travailleurs contre le
patronat à partir de son crédit
politique, ajouté à notre implantation particulière
dans le monde du travail sans uvrer au regroupement
de toutes les tendances révolutionnaires.
Pour réfuter cette prétention
qui place actuellement LO dans une impasse malgré les apparences
flatteuses et trompeuses quentraînent ses scores aux
régionales, nous ne pouvons mieux faire que de citer un article de
la Lutte de classe n° 41 de décembre
1976 écrit par la direction de LO sur lunité des
révolutionnaires et la construction du parti ouvrier révolutionnaire
en France et à léchelle internationale. En
fait, lémiettement du mouvement trotskyste, en France comme
dans le monde, est dû au manque de liens avec la classe ouvrière,
au fait que socialement il est resté un mouvement petit-bourgeois.
Il a donc subi toutes les pressions des courants qui pouvaient traverser
les milieux petits-bourgeois, très différents suivant les
époques et les pays, mais pressions qui furent assez fortes pour amener
les nombreuses cassures que lon connaît. A cela il faut ajouter,
sans doute, lirresponsabilité dun certain nombre
de militants et de dirigeants, irresponsabilité due aussi finalement
à la nature petite-bourgeoise du mouvement. Elle les a amenés
soit à scissionner, soit à exclure sans quil y ait souvent
de véritable justification. Nous adhérons à
cette analyse qui permet dexpliquer par avance pourquoi la peur
petite-bourgeoise dassumer ses responsabilités a conduit la
direction de LO à nous exclure sans véritable
justification puisque nulle part elle na pu écrire
publiquement quoi que ce soit expliquant lexistence de la tendance
Voix des Travailleurs. Cet article de la LDC
poursuit :
Et ce nest pas,
aujourdhui, parce que ce parti nexiste pas que rien nest
possible au mouvement trotskyste pour sortir de son état
démiettement. Dabord parce que le meilleur moyen daider
à la naissance dun parti, cest-à-dire dune
direction compétente et reconnue, cest justement que des luttes
communes soient menées, au cours desquelles elle pourra agir. Ensuite,
parce que de toute manière, il est stupide sous prétexte que
des désaccords nous séparent de ne pas agir en commun sur les
points où nous sommes daccord. Cest pour cela que la politique
de notre tendance a toujours été de chercher en permanence
où sont les possibilités dunité dans ce mouvement
trotskyste, jusquoù elles peuvent aller, entre quels groupes
et sur quelles bases.
Cette politique garde toute sa valeur
et toute son actualité. Tous les révolutionnaires, et en
particulier tous les militants de LO, qui sen empareront seront en
mesure daccomplir les tâches nécessaires à la
construction du parti des travailleurs car les conditions politiques et sociales
sy prêtent aujourdhui plus que jamais.
Citation :
Léon Trotsky ( Déclaration de La Vérité
1929)
Anticapitaliste
ou communiste révolutionnaire
?
Nous pensons que ce raisonnement nest pas juste.
Ne se fixer que des objectifs anticapitalistes revient à limiter par avance les luttes des travailleurs à sopposer aux effets négatifs ou aux effets les plus choquants, les plus révoltants ou dramatiques du système capitaliste, sans réellement en remettre en cause les fondements mêmes. En fait, ces camarades inversent le raisonnement. Ce nest pas en insérant lensemble des luttes de la classe ouvrière dans le combat général pour son émancipation que lon tourne le dos aux revendications les plus simples, les plus quotidiennes, voire les plus partielles ou limitées des travailleurs. Bien au contraire, ce nest que parce que nous sommes pleinement partie prenante de la lutte des travailleurs pour leur émancipation de loppression capitaliste, que nous pouvons être sans calcul ni réticence, pleinement solidaires de tous les combats de la classe ouvrière pour elle-même, pour ses propres intérêts, pour la moindre de ses revendications.
Par contre, si on limite par avance les objectifs, on entretient de fait des ambiguïtés qui laissent la place à bien des calculs ou des attitudes politiques qui ne rompent pas pleinement avec les comportements ou les intérêts dappareil, et cela peut conduire à se détourner de certaines revendications très concrètes, immédiates, des travailleurs, ou de revendications urgentes et décisives, voire ne pas aller jusquau bout de certaines luttes, tant il est vrai quaujourdhui il nest pas possible de défendre de façon conséquente, même sur le simple plan syndical, les intérêts des travailleurs sans être par avance prêt à mener tous les combats jusquau bout, en nayant aucun intérêt au maintien du statu quo. La moindre des luttes ou des revendications exige pour être bien défendue une totale liberté didée et daction vis à vis des patrons bien sûr, de lencadrement en général, mais aussi des appareils, pour navoir dautre repère que les intérêts des travailleurs.
On ne peut défendre pleinement les intérêts immédiats des travailleurs sans lier tous les combats de la classe ouvrière aux objectifs de transformation radicale de la société, les objectifs communistes révolutionnaires. Aujourdhui les révolutionnaires ont une place pleine et entière à prendre à tous les niveaux de lorganisation de la classe ouvrière, tant syndicale que politique, et cest en affirmant sans ambiguïté leurs objectifs, sans ruser avec les idées, sans prendre prétexte du niveau de conscience de la majorité des travailleurs pour justifier ce qui reviendrait, de fait, à une abdication de ses propres idées. Inévitablement, de tels raisonnements ne manqueraient pas de préparer des capitulations devant les partis ou les organisations syndicales qui soutiennent plus ou moins le gouvernement, au moment où de plus en plus nombreux sont les travailleurs qui sont amenés à chercher à renouer avec les idées de la lutte de classe.
Citation :
Lénine, LEtat et la révolution,
1917
Considérez nimporte quel
pays parlementaire, depuis lAmérique jusquà la
Suisse, depuis la France jusquà lAngleterre, la Norvège,
etc., la véritable besogne d Etat se
fait dans la coulisse ; elle est exécutée par les
départements, les chancelleries, les états-majors. Dans les
parlements, on ne fait que bavarder, à seule fin de duper le
bon peuple