Page 4 : spécial élections régionales
Le sens des 900 000 voix dissidentes et les responsabilités quelles impliquent
Les régionales et cantonales nont pas eu lieu hors de la lutte des classes. Elles ont suivi la mobilisation des chômeurs -mobilisation certes limitée, minoritaire, mais réelle dont le combat a été relayé par les grèves et les manifestations des enseignants et lycéens de la Seine-Saint-Denis, la grève des pompiers des aéroports, celle du personnel des wagons-lits, des employés de banques, et bien dautres... En clair, la lutte des salariés na jamais cessé ; dans certains cas, elle a fait reculer le gouvernement et les patrons. Ces luttes nont pas atteint bien sûr le caractère de grands mouvements de classe spontanés permettant daffronter frontalement le gouvernement et le patronat. Mais dans le champ social français, le rapport des forces reste toujours en faveur des travailleurs, de la jeunesse. Le mouvement de novembre-décembre 1995, dont sont nés léchec de Juppé, la dissolution de lAssemblée Nationale et la défaite du RPR et de lUDF, reste le tremplin doù la classe ouvrière peut à tout moment se lancer, à partir dun secteur donné, pour mener une contre-offensive générale sur les revendications propres à lensemble des salariés et chômeurs. Cest alors, mais alors seulement, que la question dun gouvernement anticapitaliste exprimant la volonté des masses pourrait se poser.
A chaque fois que le gouvernement tente de pousser trop vite, trop loin sa politique anti-ouvrière dadaptation à la mondialisation et de mise en uvre de leuro, il se heurte à ce rapport de forces. Jospin, Chevènement, Allègre, Aubry, Gayssot, Kouchner sont forcés de mettre en uvre leur politique réactionnaire en tenant compte de cette atmosphère ... Une réaction se manifeste-t-elle quils louvoient, reculent tout en conservant lobjectif dy revenir.
Les commentateurs étrangers jugent ainsi le gouvernement Jospin fragile . Le résultat électoral a validé cette appréciation, de même que la campagne, ou plus exactement la non campagne qui a précédé. Le P.S., le P.C., les Verts se sont bien gardés de mettre à profit cette circonstance pour mobiliser les électeurs, populariser leur politique, le bilan gouvernemental... Populariser les privatisations, les records boursiers, la loi Chevènement-Debré, la police contre les chômeurs était chose difficile. Quant au RPR et à lUDF au tapis depuis juin, fouaillés par le Front National, ils ont adopté le même profil bas.
Ce sont tous ces éléments que les résultats de dimanche traduisent :
Il y a recul de la gauche
plurielle , en particulier dans ses bastions traditionnels
1. Il est le résultat de labstention record à
quoi il faut ajouter quelque 5 % de bulletins blancs, mais aussi de
la progression notable de toutes les listes se réclamant peu ou prou
du socialisme, critique à gauche du gouvernement.
Le R.P.R et lU.D.F. continuent à
se disloquer, perdant des régions clefs dans leur système de
prébendes (PACA, Ile-de-France, etc.), au point que dans certaines
régions cest la survie même de ces partis qui est maintenant
en jeu !
La progression en voix du F.N. nest
pas très importante, mais elle prend une signification politique nouvelle
face à la débandade du R.P.R. et de lU.D.F... Les combines
pour lélection des présidents de régions accentueront
ces phénomènes de dislocation. Ajoutons que laffaire
Elf -véritable bombe menaçant tous les partis
institutionnels - et dautres affaires peuvent, échappant
au gouvernement, provoquer un véritable séisme
institutionnel...
Lintérêt dune élection cest quelle fournit un cliché, grandeur nature, des rapports politiques. Plus de 900.000 femmes et hommes ont voté pour des listes anticapitalistes, avec la volonté de se démarquer de la politique du gouvernement. Sur le cliché des 21 millions de votants, ces 900.000 ne sont pas au premier plan ; ils sont cependant bien visibles. Ils inquiètent les bourgeois comme les dirigeants du P.C. et du P.S. Ils ont voté sans la moindre illusion électorale ; ils ont voté pour signifier au P.S. et au P.C. quils nacceptaient plus leur politique. Ils ont voté, L.O., L.C.R., VDT, liste unitaire comme à Rouen, listes dissidentes du P.C., sans trop se soucier des programmes proposés : ils ont voté le plus à gauche possible. Cest un événement politique quil ne faut pas surestimer, mais qui a son importance. Ceux qui sétaient regroupés sur le nom dArlette Laguiller lors des présidentielles, se sont retrouvés au premier rang des grèves de novembre-décembre, mais aussi des mobilisations pour les sans-papiers, ce qui na pas été vraiment le cas des dirigeants de L.O...
Dans les prochains mois ceux qui ont voté pour les candidats de lextrême-gauche seront plus nombreux encore, plus confiants à prendre la tête des grèves et des manifestations pour battre en brèche la politique pourrie du gouvernement de gauche maastrichien... Dans ces grèves, inévitables, les militants révolutionnaires peuvent - pour partie - aider les salariés, revenus sur le terrain de la lutte des classes, à devenir les artisans de la démocratie dans la lutte, par la création dauthentiques comités de grève, aider à leur coordination. Ces élections mettent en évidence un début dune radicalisation dans le mouvement ouvrier qui est à la recherche de formes de structuration politique. Ce processus va concerner un nombre croissant de secteurs de salariés, de chômeurs, de jeunes, posant à chaque militant, chaque organisation, de nouveaux problèmes, de nouvelles questions, de nouveaux défis. Cest pour aider ce processus que Carré Rouge sest créé non comme nouveau groupe, mais comme revue marxiste, partie prenante à ce travail de débat et de regroupement. La lutte pour rassembler une force internationaliste, révolutionnaire est plus que jamais à lordre du jour. Que la discussion fraternelle se mène, samplifie.
Carré
Rouge
1 Lexamen des résultats aux cantonales est également intéressant, dautant que là, chaque formation se présentait sous sa propre bannière. Le P.C. est en recul significatif, y compris dans ses derniers bastions. Lorsque les électeurs de gauche veulent voter réformiste, ils ont le P.S. Nombreux sont les électeurs du P.C. qui ne voient aucune raison de voter pour le P.C. alors que celui-ci met en oeuvre au gouvernement la même politique maastrichienne, quils récusent... Le processus de crise ouverte, de marche à la disparition du P.C. est ainsi aggravé. Cette situation libère un grand nombre de militants communistes à la recherche dune issue positive.
Citation :
Rosa Luxembourg, Le Socialisme en
France
La défaite de la droite, victime de ses propres rivalités, renforce la menace du Front National
Le Front National continue à marquer des points
Le Front National sort renforcé
des élections régionales avec 15,19 % des voix. Aux
législatives lan dernier, son score était de 14,9 %
et celui de Le Pen aux présidentielles de 95, de 15 %. Il progresse
surtout dans les régions où il était déjà
implanté, comme en Provence-Côte dAzur où, avec
26,3 % des voix, il fait 3 % de plus quaux régionales
de 92 et passe devant la droite, en Picardie où il progresse de 5 %
avec 18,4 %, en Alsace (20,50 %, soit 3,8 % de plus quen
92), en Franche Comté (17,20 % et 4,7 % de plus), en Champagne
Ardenne (18,14 % et 3,8 %), en Rhône-Alpes (18,96 %,
et 2 % de plus), faisant également aux alentours des 15 %
en Haute Normandie, Bourgogne, Nord Pas de Calais, Centre. Dans le Var, le
maire de Toulon, Chevalier, réalise même
28,99 %.
Le Front National progresse aussi aux
élections cantonales, avec 13,70 %, contre 12,31 % en 92
et 9,88 % en 94, ce qui traduit une implantation plus
solide.
De toute évidence,
lextrême-droite continue à profiter de laffaiblissement
des partis de la droite traditionnelle, ayant sur eux lavantage de
ne pas avoir été au gouvernement, et de ne pas être
divisée. Mais il conforte aussi ses positions dans une fraction de
lélectorat populaire qui nest pas celui de droite,
capitalisant à laide dune démagogie axée
essentiellement sur la xénophobie, sous la forme de la
préférence nationale , le
mécontentement et la révolte nés de laggravation
du chômage et de la détérioration des conditions
dexistence, alors que les partis de gauche, pour la deuxième
fois en quelques années, assument au gouvernement la responsabilité
dune politique au service du patronat qui conduit à
lappauvrissement du monde du travail.
La pression du Front National sur les partis de droite
Si la défaite de la droite na
pas été, comme le craignait Pasqua, un tremblement
de terre , elle est tout de même nette, dans la continuité
de celle des législatives de 96. Non seulement la fraction la plus
réactionnaire de son électorat, mécontente de la
cohabitation avec les partis de gauche sest durablement tournée
vers le Front National, qui a le mérite à ses yeux de
défendre les mêmes idées réactionnaires de façon
plus conséquente, mais bon nombre de politiciens de ses partis
traditionnels ne répugnent pas à des alliances avec
lextrême-droite, qui leur permettraient de garder leurs sièges.
Ainsi pour lélection à
venir des présidents de conseils régionaux. Valade, président
sortant RPR de lAquitaine a annoncé quil y avait,
arithmétiquement, des tas de solutions
possibles , Millon, ancien président UDF de
Rhône-Alpes, quil accepterait les voix de tous
ceux qui adhèrent à son projet . Blanc,
président sortant UDF du Languedoc-Roussillon quil ne
récuserait aucun soutien . Les anciens
présidents UDF Baur de Picardie, et Raffarin de Poitou-Charentes,
comme Millon et Blanc, nont pas assisté à la réunion
au cours de laquelle les dirigeants de lUDF ont déclaré
refuser toute alliance avec le Front National.
Les seconds des grands partis de droite
nont pas les mêmes raisons que leurs dirigeants de dédaigner
cette alliance. Pour les uns comme les autres, les choix politiques sont
question dopportunité et déterminés par la
perspectives des postes à conquérir, et alors que tous depuis
des années affirment quil faut tenir compte de
lélectorat dextrême-droite, nhésitant
pas à donner un tour plus réactionnaire à leurs idées,
il est logique que ceux qui sont le moins assurés de leurs postes
répondent aux avances de Mégret.
Les deux fers au feu du Front National
Dans la bataille de chefs qui fait rage
au Front National, Mégret semble avoir marqué des points. Le
Pen, en effet, qui se voyait presque déjà président
de la Région Provence Côte dAzur, est le seul candidat
FN de cette région à avoir été devancé
par la droite dans son département, les Alpes Maritimes, et à
avoir fait un score moins important que celui de 92. Au contraire de Mégret
dans les Bouches du Rhône qui, avec 26,75 % des voix, fait 4 %
de plus quen 92.
Cest Mégret qui a donné
le ton, dès les résultats annoncés, de la stratégie
qui est celle du Front National pour lélection des présidents
des Conseils de région, proposant un accord
réaliste aux politiciens de droite,
qui nimpliquerait pas un accord sur la totalité du programme
du Front National. Et le Pen de lui emboîter le pas en proposant un
accord portant sur six points de son programme : le refus
de toute hausse d'impôts , la
priorité concrète à la
sécurité , la défense
de l'identité culturelle française et
régionale , la défense de l'emploi
par le développement de l'apprentissage ,
le respect du poids réel de chaque parti dans le
fonctionnement de l'assemblée
régionale , la réforme des
commissions de marché dans le sens d'une plus grande
transparence .
Le Pen a donc renoncé pour
linstant aux déclarations tonitruantes contre les partis de
droite et à ses provocations antisémites. Celles-ci avaient
pour fonction dempêcher que des politiciens du Front National,
alléchés par lodeur des postes, lui échappent
et ne se tournent vers une autre mangeoire, celle des partis de droite. Mais
maintenant il sagit de négociations quil entend
contrôler, même si Mégret en a la
palme.
En même temps quil satisfait
les ambitions carriéristes immédiates de ses dirigeants, le
Front National exerce sa pression sur les partis de la droite traditionnelle,
en les enjoignant par ses déclarations, mais surtout par ses scores,
de choisir, comme la dit Mégret, entre la gauche et
lextrême-gauche et la véritable droite, les poussant à
une politique plus ouvertement réactionnaire.
Cette stratégie actuelle
nempêche bien sûr pas le Front National de se préparer
à offrir à la bourgeoisie les services quil peut lui
rendre en tant que parti fascisant, dont les commandos anti-ouvriers, comme
celui déjà utilisé à Vitrolles contre les
grévistes routiers par le patron de TFE, feront le coup de poing contre
les manifestants et les militants de la classe ouvrière, en attendant
de postuler au pouvoir pour y installer une dictature sévissant par
la terreur contre toute contestation sociale. Limplantation actuelle
du Front National constitue, pour cette raison, le danger le plus important
pour le monde du travail.
Laissons les politiciens de gauche faire la morale à leurs adversaires de droite, et préparons-nous, pour faire face au danger du Front National, à combattre la politique de la bourgeoisie
Mais pour combattre ce danger, il serait
suicidaire de compter sur les partis socialiste et communiste dont les dirigeants
ont multiplié les déclarations vertueuses et moralistes à
destination des politiciens de droite, pour les convaincre de ne pas
sallier avec le Front National. Jack Lang sest même payé
le ridicule daffirmer que ce serait là un baiser
mortel pour la droite , comme si les idées de cette
droite étaient si différentes de celles du Front
National.
La politique elle-même des partis
de gauche au gouvernement ne peut que renforcer cette extrême-droite
qui pourrait retourner contre les organisations du monde du travail le
mécontentement provoqué par toutes les mesures anti-ouvrières
favorables à lenrichissement de la bourgeoisie, quil prend
dans la continuité des gouvernements
précédents.
Il serait illusoire aussi, et combien
dangereux, de faire la morale aux dirigeants de la gauche gouvernementale
pour quils mènent une politique en faveur des travailleurs,
dans le but de désamorcer ce danger. Autant demander du lait à
un bouc : les dirigeants socialistes et communistes qui ont fait le
choix daller au gouvernement, ne peuvent y faire dautre politique
que celle qui leur est dictée par le patronat et les
financiers.
La seule issue à cette situation,
et les scores de lextrême-gauche montrent quelle est dans
nos possibilités, cest de travailler à lorganisation
du monde du travail, en vue dune contre-offensive générale.
Cela ne peut se faire quen toute indépendance des partis au
gouvernement.