Page 7 : spécial élections régionales



La campagne de la LCR

 Comme le reste de l’extrême-gauche, la LCR a obtenu quelques succès dans ces élections. Elle a eu deux élus en Haute-Garonne et partout où elle se présentait seule ses scores sont significatifs. En effet, la LCR était présente sur 23 listes aux élections régionales, mais sur des bases très variables et avec des militants et organisations très différents. Entre l'adhésion pure et simple à la liste des Verts gouvernementaux dans le Nord et les Bouches du Rhône et la participation pleine et entière de la LCR-Rouen à la liste “ Union de tous les travailleurs pour préparer les luttes autour d’un plan d’urgence ” en Seine Maritime, il y a plus qu’un choix tactique, il y a deux politiques.

Entre ces deux politiques, selon les départements, les militants de la LCR se sont associés ou ont constitué une gamme de listes dont les intitulés reflètent bien les orientations à géométrie politique variable. Chercher à regrouper des forces politiques pour présenter des candidatures unitaires aux élections, rassembler des militants d’origines diverses pour défendre en commun des idées, un programme, n’a rien de choquant en soi. Tout le problème est de savoir avec qui, sur quelles bases et pour défendre quelle politique auprès des travailleurs cette unité est recherchée ou réalisée.

La tentative, certes repoussée par une majorité de militants de la LCR, mais affirmée par son porte-parole le plus connu, Alain Krivine, d’être présent sur la liste de la gauche gouvernementale en Seine Saint Denis montre jusqu’où peuvent aller, ou plutôt vers qui peuvent dériver les “ solidarités à Gauche ”. La participation effective de la LCR, en bouche-trous même pas admise dans les meetings officiels, sur la liste des Verts dans le Nord n’a elle non plus rien à voir avec une quelconque “ rupture ” ou “ force unitaire et radicale ”.

Le kaléidoscope des listes soutenues par la LCR traduit une attitude politique fausse. La majorité de la LCR n’a pas vis à vis du gouvernement de la gauche plurielle une attitude claire. Elle est critique certes. Mais qui ne l’est pas ? Même Robert Hue et D. Voynet se hasardent parfois à émettre des critiques. Mais la direction de la LCR n’a pas voulu apparaître en opposition au gouvernement, elle n’a pas cherché à s’adresser aux travailleurs pour exprimer cette opposition qui grandit dans leurs rangs. Les “trois enjeux du scrutin ” définis par C. Piquet dans “ Rouge ” du 5 mars sont significatifs. Le premier est que la droite soit “ boutée hors d’un grand nombre de régions ”, le second est de ne pas donner “ un quitus à l’équipe aujourd’hui aux affaires ” et le troisième est d’exprimer “ l’exigence d’une véritable politique de gauche ”.

Dans les discussions pour constituer des listes aux élections régionales, la direction de la LCR a surtout eu le souci de s’adresser à “ la Gauche ”, de privilégier d’éventuels accords avec certaines de ses composantes : Verts, Mouvement des Citoyens, courants critiques du PCF ou avec des groupes se situant aux marges de la gauche plurielle. Dans la campagne de bien des listes auxquelles la LCR participait, comme dans les axes développés dans “ Rouge ”, ce qui ressortait avant tout était la nécessité de “ battre la droite ”, de “ ne pas donner un chèque en blanc au gouvernement ”, et de “ changer la donne à gauche ”. Toutes ces formules visaient à apparaître comme un courant critique de la gauche, insistaient sur ses préoccupations électorales et faisaient l’impasse sur les responsabilités du gouvernement dans sa politique anti-ouvrière.

Les résultats de l’extrême-gauche vont à l’encontre de cette politique et de ces préoccupations.

Les travailleurs qui ont voté pour les listes soutenues par Lutte Ouvrière, la LCR ou, à une plus modeste échelle Voix des Travailleurs, ont voté pour des listes qu’ils percevaient bien comme des listes d’extrême-gauche. Ils savaient qu’ils votaient pour des militants révolutionnaires.

Ces résultats sont le reflet d’une évolution dans la conscience d’une partie importante de la classe ouvrière. Evolution qui va dans le sens d’une désaffection vis à vis des partis de la gauche gouvernementale, d’une radicalisation. Les travailleurs membres ou électeurs habituels du PCF ou du PS qui ont voté pour ces listes ne voulaient pas voter “ à Gauche ” mais “ à l’extrême-gauche ”.

Ces faits devraient inciter la majorité des camarades de la LCR à reconsidérer les orientations qui sont les leurs depuis plusieurs années. La stratégie qui consiste à essayer d’occuper un terrain entre la gauche plurielle et l’extrême-gauche révolutionnaire est condamnée. Car ce terrain n’en n’est pas un. C’est un “ no man’s land ”, d’où l’on ne peut sortir qu’en rejoignant clairement l’un ou l’autre des deux camps. S’il s’agit d’attirer, de convaincre les travailleurs, les militants qui gardent encore une confiance, de plus en plus mitigée, dans le gouvernement, ce n’est pas en faisant preuve de complaisance vis à vis des partis qui le composent qu’on peut y parvenir. Au contraire. C’est en affirmant clairement notre identité de militants communistes révolutionnaires, en regroupant toutes les forces militantes sur ces bases là qu’on pourra réellement construire une véritable “ alternative ”, un parti des travailleurs.

Citation : Lénine, l’Etat et la révolution, 1917

 “ La société capitaliste, considérée dans ses conditions de développement les plus favorables, nous offre une démocratie plus ou moins complète en république démocratique. Mais cette démocratie est toujours confinée dans le cadre étroit de l’exploitation capitaliste et, de ce fait, elle reste toujours, quant au fond, une démocratie pour la minorité, uniquement pour les classes possédantes, uniquement pour les riches. La liberté, en société capitaliste, reste toujours à peu près ce qu’elle fut dans les républiques de la Grèce antique : une liberté pour les propriétaires d’esclaves. Par suite de l’exploitation capitaliste, les esclaves salariés d’aujourd’hui demeurent si accablés par le besoin et la misère qu’ils se “ désintéressent de la démocratie ”, “ se désintéressent de la politique ” et que, dans le cours ordinaire, pacifique, des événements, la majorité de la population se trouve écartée de la vie politique et sociale. ”

Tribune libre : Tendance “Révolution !” de la LCR : De nouvelles responsabilités pour l’extrême-gauche

Les résultats des élections régionales sont riches d’enseignement.

A droite, la crise du RPR et de l’UDF sous la pression du Front National ne cesse de s’approfondir et peut connaître un nouveau seuil lors de l’élection des présidents des Conseils Régionaux. Ce qui se passe localement laisse entrevoir ce qui peut se passer au niveau national dans les années à venir : le choix d’une partie des composantes de l’UDF et du RPR d’une alliance avec le Front National, d’autant plus si ce dernier vire Le Pen et se donne un aspect plus “ clean ” et convenable.

La gauche plurielle qui n’est au gouvernement que depuis 9 mois, n’est certes pas désavouée massivement mais subit une érosion notable de plus de 5 %. Ajouté à cela, le très fort taux d’abstention, il se confirme qu’il n’y a pas pour le moins d’adhésion massive et franche à sa politique. C’était déjà vrai lors des dernières élections législatives. C’est encore plus vrai depuis la fermeture de Vilvorde, la privatisation des Télécoms et d’Air France, la non-abrogation des lois Pasqua, le refus de régulariser tous les sans-papiers et après le mouvement des chômeurs qui a clairement montré que le gouvernement n’entendait pas céder à la rue et qu’il voulait poursuivre la politique économique de ses prédécesseurs sur toutes les questions essentielles.

Mais le fait marquant de ces élections régionales, ce sont les scores de l’extrême-gauche. 22 élus (20 pour Lutte Ouvrière, 2 pour la LCR) et surtout le fait que dans nombre de villes, les scores cumulés de l’extrême-gauche se situent largement au-dessus de 5 %, approchant et même dépassant parfois les 10 %.

Il ne s’agit pas simplement d’un vote protestataire, ou de mauvaise humeur à l’égard de la gauche gouvernementale même si cet aspect existe. C’est aussi la traduction politique du mouvement des sans papiers, du mouvement des chômeurs, de toutes les mobilisations qui se sont développées ces dernières années le plus souvent indépendamment et parfois contre les partis traditionnels. Certes, il ne faut pas exagérer les résultats et les phénomènes électoraux qui sont souvent éphémères. On observe pourtant une certaine constante des résultats de l’extrême-gauche depuis les 5,3 % d’Arlette Laguiller à l’élection présidentielle et il est incontestable que les organisations révolutionnaires ont renforcé leur crédibilité. C’est d’ailleurs la première fois que l’extrême-gauche obtient de tels résultats avec le gouvernement de gauche. Mais elle a aussi, à commencer par la Ligue et Lutte Ouvrière, des responsabilités nouvelles. Le sentiment qui s’est exprimé massivement lundi sur les lieux de travail chez toutes celles et tous ceux qui regardent du côté de l’extrême-gauche était de dire : “ Bravo pour vos résultats, mais maintenant arrêtez vos bêtises et vos querelles de chapelle et débrouillez-vous pour faire des choses ensemble. ” Et il est vital de répondre à cette aspiration. Beaucoup ne pardonneront ni à la Ligue ni à LO de rester l’arme au pied et de faire comme si rien ne s’était passé dimanche dernier.

Pour la Ligue, cela nécessite de rompre avec l’orientation mise en œuvre ces dernières années, qui a été confirmée lors de son dernier congrès national. Elle doit cesser de vouloir être l’aiguillon de la gauche, d’avoir comme seule ambition de prendre sa place au sein de la gauche pour en faire bouger les clivages. Si les scores de LO sont supérieurs à ceux de la Ligue malgré son absence ou son peu de présence dans les mouvements sociaux, ce n’est pas uniquement parce qu’elle s’est présentée systématiquement dans toutes les échéances électorales depuis 20 ans, c’est aussi parce qu’elle a adopté un profil clair vis-à-vis de la politique du gouvernement et des partis de la gauche plurielle.

La LCR a brouillé son image en passant des mois et des mois à interpeller le gouvernement pour qu’il mène une politique vraiment à gauche, à proposer à toute la gauche la possibilité d’actions communes ou encore en s’inscrivant dans des cadres d’alliance avec des forces de la gauche plurielle (liste commune avec les Verts dans le Nord et dans les Bouches-du- Rhône, avec les Verts et le Mouvement des Citoyens dans le Lot-et-Garonne).

Il est temps de changer d’orientation. La Ligue avec l’insertion de ses militants dans les mouvements sociaux, dans les luttes, dans les syndicats et les phénomènes de recomposition syndicale, est la plus à même de prendre des initiatives qui correspondent aux aspirations de celles et ceux qui ont voté pour l’extrême-gauche et battre en brèche le scepticisme paradoxal de Lutte Ouvrière sur les potentialités de la situation politique et sociale. Nous devons proposer à Lutte Ouvrière de débattre, d’organiser unitairement des initiatives politiques (meetings, fêtes, etc.) à tous les niveaux, d’envisager une liste commune lors des élections européennes l’année prochaine.

Les luttes qui ne manqueront pas de se développer dans les mois à venir tout comme les échéances électorales à venir peuvent être autant d’occasions pour l’extrême-gauche de renforcer son influence politique et d’avancer dans la construction d’un nouveau parti des travailleurs.

Tribune libre : Gauche Révolutionnaire

 La gauche plurielle ne peut guère se féliciter d’une grande victoire aux élections du 15 mars. Bien sûr, elle va obtenir la présidence de plusieurs régions supplémentaires. Mais elle perd en voix et en pourcentages par rapport aux élections législatives de 1997. Et ce n’est surtout pas la droite traditionnelle, RPR-UDF, qui en profite. Empêtrée dans sa propre crise et ses querelles internes, son score stagne par rapport aux législatives. Quant au Front national, s’il ne fait pas de percée spectaculaire, il continue à progresser, à s’enraciner région par région, ville par ville, et à peser de plus en plus sur la vieille droite.

Le taux d’abstention de 42 % - du jamais vu dans ce type de scrutin -, montre la désaffection croissante d’électeurs qui ne se sentent plus représentés par ces partis de droite et de gauche qui se succèdent au pouvoir et se ressemblent. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’un fait isolé. Depuis les années 80, le taux des abstentions augmente d’élection en élection.

Mais le fait marquant de ces élections est que presque un million d’électeurs ont porté leurs suffrages sur les listes d’extrême gauche, avant tout celles de Lutte Ouvrière. C’est la preuve que les 5 % d’Arlette Laguiller aux élections présidentielles n’avaient rien d’accidentel, ou de passager. Le résultat de 1995 comme celui de mars 1998 témoignent de l’évolution d’une partie de la classe ouvrière et de la jeunesse. Aujourd’hui, le gouvernement Jospin sert de plus en plus ouvertement les besoins du grand capital français et international. De l’application du plan Juppé aux privatisations et à la fidélité à l’Europe des patrons, incarnée par les traités de Maastricht et d’Amsterdam, Jospin poursuit la même politique que son prédécesseur. Une politique qui tourne le dos aux intérêts des salariés, des chômeurs, des jeunes, des immigrés. Parmi les salariés la méfiance grandit par rapport à la loi sur les 35 heures, vue de plus en plus comme une attaque sournoise contre les salaires et les conditions du travail. Le mouvement des chômeurs s’est vu proposer quelques miettes et surtout les matraques des CRS. Ces mêmes CRS ont été envoyés par le gouvernement de la gauche plurielle contre ceux qui restent, aujourd’hui comme hier, des sans-papiers.

Une frange de travailleurs et de jeunes a déjà mis une croix sur le PS et le PC et cherche autre chose. D’autres ont sans doute voté pour l’extrême-gauche pour lancer un avertissement à leurs partis, dans le cas des électeurs communistes pour refuser les listes communes avec le PS qui concrétisent à leurs yeux les reniements de la direction Hue. Mais d’une manière ou d’une autre, des centaines de milliers de travailleurs regardent vers l’extrême-gauche.

Cette extrême-gauche est présente dans les luttes, comme dans les élections. Elle n’est pas encore crédible. D’un côté ses militants sont présents dans les luttes - dans les entreprises, dans le mouvement des chômeurs ou pour soutenir les sans-papiers. De l’autre l’extrême-gauche peut représenter sur le terrain électoral une alternative à l’abstention ou au “ vote critique ” pour le PS et le PC. Mais elle n’apparaît pas encore comme une véritable alternative politique.

Aujourd’hui toute l’extrême-gauche, et en premier lieu Lutte Ouvrière, se trouve devant un défi. Comment répondre à l’attente des travailleurs et des jeunes qui regardent vers nous ? La réponse se trouve d’abord dans notre capacité à agir ensemble, non seulement dans les élections, mais surtout dans les luttes, dans les entreprises, dans le mouvement syndical, dans le mouvement des chômeurs, dans le mouvement anti-raciste et à constituer un pôle d’attraction pour tous ceux qui veulent se battre. Ensuite dans notre capacité à défendre une politique qui part des besoins des exploités pour aller vers la rupture avec le capitalisme. Ainsi pourrons-nous créer les conditions pour avancer vers le nouveau parti dont la classe ouvrière a besoin. Il est de notre responsabilité à tous d’agir dans ce sens.