éditorial



Colère des paysans, les seuls vrais responsables les grandes sociétés de distribution et l’Etat qui les protège

Les agriculteurs du Finistère ont repris depuis mardi après-midi leurs actions après les manifestations du week-end dernier qui avaient pu choquer beaucoup d’entre nous par leur violence et surtout par leur cible, la SNCF. Il est difficile de ne pas ressentir cette volonté de détériorer les installations comme une agression contre les travailleurs d’autant qu’ils s’en sont pris à un service public, c’est-à-dire à la fois aux usagers et aux travailleurs. Ils s’en sont pris à ce que beaucoup de défenseurs de la propriété privée et de la libre entreprise capitaliste appellent toujours avec mépris les fonctionnaires, qui sont toujours l’objet des attaques des démagogues réactionnaires.

Les travailleurs de la SNCF comme les usagers ont pris tout cela avec beaucoup de sang-froid, manifestant de cette façon leur solidarité avec les paysans victimes beaucoup plus des grandes sociétés de distribution capitalistes que des saisons ou de la concurrence étrangère.

D’ailleurs, d’autres manifestations de producteurs de fruits et légumes ont eu lieu dans le Sud-Est de la France, bloquant plusieurs autoroutes et voies ferrées, provoquant de gigantesques embouteillages et d’importants retards dans le trafic ferroviaire, mais sans violence, dans le simple but d’attirer l’attention de l’opinion sur la dégradation de leur situation. Ils ont le plus souvent rencontré la solidarité des usagers.

Les agriculteurs ont repris leurs actions, ils refusent de se laisser balader par Le Pensec, ministre de l’agriculture, et les pouvoirs publics. Ils ont raison. C’est à juste titre que les producteurs de fruits et légumes dénoncent la situation qui leur est faite. Ils sont contraints aujourd’hui de vendre leur production à un prix inférieur à son coût de revient. Ainsi les producteurs de choux-fleurs vendent autour de 1,40 F-1,50 F le chou qui selon les estimations leur reviendrait à près d’un franc de plus.

Mais là où les producteurs ont tort et où la majorité d’entre eux se laisse manipuler par les plus gros, c’est quand ils rendent l’Europe et la politique de l’Etat seuls responsables de la chute des prix. L’Europe et l’Etat ont des responsabilités bien sûr, au sens où ils protègent les grandes sociétés de distribution capitalistes, qu’ils couvrent leur politique, prenant sur les fonds publics pour aider les agriculteurs volés, pillés par ces grandes sociétés.

Un des responsables du principal syndicat d’agriculteurs, la FNSEA, dénonçait à juste titre le “ hold-up ” des sociétés de distribution. Ce hold-up est considérable.

Le même chou-fleur acheté 1,50 F au producteur se retrouve à l’étal d’un supermarché à quelques kilomètres de là à 5 ou 6 F la tête. Autre exemple, le kilo de pommes qui est payé à la production 1,10 F se retrouve autour de 10 F sur les étalages. La différence est passée dans la poche des grandes sociétés qui parasitent le travail des producteurs. Et ils parasitent le travail des producteurs de tous les pays, qu’ils soient espagnols, italiens, grecs ou français.

Les agriculteurs dénoncent la concurrence étrangère, demandent des exonérations de charges ou de nouvelles subventions de l’Etat. Ces revendications servent directement les plus gros d’entre eux en soulageant tout juste les plus faibles qu’ils détournent et de leurs vrais ennemis, les vrais responsables, et de leurs vrais alliés, les consommateurs, c’est-à-dire les millions de salariés de ce pays.

Il y a un danger dans une telle politique, c’est que le légitime mécontentement des agriculteurs ne soit détourné pas uniquement sur le plan économique, mais aussi sur le plan politique, qu’il soit dévoyé par les démagogues de droite et d’extrême-droite qui voudraient les utiliser, en abusant d’eux, pour détourner leur mécontentement contre les partis au gouvernement et plus fondamentalement contre les travailleurs et leurs organisations.

Le mouvement ouvrier doit être capable d’offrir une politique aux agriculteurs pour leur éviter de tomber dans ce piège qui se retournerait contre tous. Cette politique, c’est d’unir les mécontentements de tous les producteurs, indépendants ou salariés, contre les parasites du travail, les capitalistes, pour le compte desquels agissent les démagogues de droite et d’extrême-droite.

Il faudrait garantir les prix à la production pour les producteurs indépendants en prenant sur les profits des grandes sociétés de distribution qui gaspillent l’argent volé dans de multiples spéculations et opérations boursières. Ces mêmes sociétés qui exercent une pression constante sur les salaires des employés qu’elles contraignent à la grève pour défendre le minimum vital comme les employés d’un Carrefour de la banlieue bordelaise, en grève depuis deux semaines.

Oui, il faut que tous les producteurs s’unissent pour imposer que leur soient garanties les conditions d’existence dignes d’un monde moderne et pour cela, il n’y a qu’une issue, imposer le contrôle de tous les travailleurs sur les grandes sociétés de distribution, sur le Crédit Agricole comme sur les banques. Et les meilleurs alliés des agriculteurs sont l’ensemble des salariés de ce pays, fonctionnaires et travailleurs du privé, tous unis contre les parasites du travail humain.

Contre les lois Pasqua-Debré-Chevènement, pour la libre circulation des travailleurs

Depuis l’installation du gouvernement Jospin, pas un jour ne s’est écoulé sans que se produisent de nouvelles expulsions d’immigrés. La présence parmi les derniers expulsés de déboutés de la procédure de régularisation est une illustration supplémentaire du caractère réactionnaire de la politique gouvernementale : au prix de quelques concessions partielles (dont quelque 50 000 régularisations sur les 150 000 dossiers déposés), il s’agit avant tout de renforcer ce que la gauche plurielle, comme la droite, appelle la lutte contre l’immigration clandestine. L’une des principales mesures de la “ loi sur l’entrée et le séjour des étrangers ”, définitivement adoptée à l’Assemblée le 8 avril, est ainsi l’allongement de deux jours du délai de rétention administrative, visant à faciliter les expulsions. Une autre disposition de cette loi fait écho aux menaces proférées par Chevènement à l’encontre de ceux qui s’opposent aux expulsions : sous prétexte de répression des “ filières d’immigration irrégulière ”, l’article 10 bis permettra désormais d’attaquer au plan pénal les associations et militants qui défendent les sans-papiers ! Pasqua et Debré en rêvaient, Jospin et Chevènement l’ont fait...

Comme conséquence de l’émotion que cette politique suscite parmi les militants et sympathisants de gauche qui se sont mobilisés récemment en soutien aux sans-papiers et contre la loi Debré, la majorité “ plurielle ” a été agitée de quelques remous. Certes, le débat est resté très policé. Les dirigeants du PCF se sont empressés de relativiser l’abstention de leurs députés lors du vote de la loi. “ Il n’y a pas de fissure dans la majorité ”, a affirmé Robert Hue avant de reprendre l’argument qui est devenu central dans le discours de ce parti : “ il faut qu’une bonne fois pour toutes, on voit bien que la gauche est précisément plurielle, et plurielle dans la transparence. ”. Ce petit jeu paraît désormais rodé : les dirigeants du PCF se voient reconnaître par Jospin et la direction du PS le droit de se démarquer des mesures les plus ouvertement antipopulaires, mais à condition que cela ne prête aucunement à conséquence, et que cela les aide à continuer à cautionner et appliquer la politique d’ensemble du gouvernement.

Six députés (cinq des Verts et le maire PC de Saint-Denis, Patrick Braouzec) sont cependant allés plus loin, en votant contre le projet de loi et en manifestant ostensiblement un certain soutien aux sans-papiers. Immédiatement, ils se sont attirés les remontrances de Chevènement, puis de Jospin lui-même qui, soutenant son ministre de l’Intérieur, a stigmatisé comme “ inconséquent, politiquement et intellectuellement ”, le fait de s’opposer aux expulsions.

On ne pourrait que se féliciter de la prise de position de quelques rares députés, qui aide un peu à sortir les sans-papiers et leurs soutiens de leur isolement actuel. Mais il faut reconnaître que Jospin a raison, lorsqu’il dénonce l’inconséquence de ces responsables politiques. Tous, en effet, ont soutenu la procédure de régularisation engagée par le gouvernement, c’est-à-dire l’examen des dossiers au “ cas par cas ”, opposé à la revendication “ des papiers pour tous ”. Tous ont également fait croire que son projet de loi aurait un caractère progressiste, ou pourrait être infléchi dans ce sens. Comme ils le font, d’ailleurs, pour l’ensemble de la politique gouvernementale.

Le capital est sans frontières... Pas de frontières pour les travailleurs !

De son point de vue, “ politiquement et intellectuellement ” comme il le dit, la logique de Jospin apparaît sans faille. Si l’on examine les demandes de régularisation “ au cas par cas ” en fonction de “ critères ”, cela amène nécessairement à des refus et donc, soit à des expulsions, soit à rejeter les travailleurs sans-papiers dans la clandestinité. Braouzec ne sort pas de cette logique lorsqu’il réclame un “ moratoire ” des expulsions et un “ réexamen ” des dossiers. Et après le moratoire et le réexamen, que se passerait-il ? Tout aussi inconséquent est le fait de limiter l’exigence de régularisation à “ ceux qui en ont fait la demande ”. Et ceux qui n’ont pas fait cette demande, notamment par peur d’être fichés et ainsi rendus plus facilement expulsables, comme c’est le cas de dizaines de milliers ? Et ceux qui, poussés par la misère dans leur pays d’origine, arriveront inévitablement demain ?

La seule solution alternative, démocratique et conséquente, est de revendiquer la libre circulation et installation des travailleurs. Les capitaux et les marchandises entrent et sortent sans aucune entrave, et jamais aucun patron de quelque pays que ce soit, ni aucun dictateur utile aux capitalistes français ne s’est vu refuser un visa. Pourquoi les travailleurs et les pauvres, eux et eux seuls, devraient-ils être arrêtés par des frontières, menottés, expulsés ? A cela s’ajoute le fait que la libre installation est désormais une réalité pour les ressortissants de l’Union Européenne... La loi Chevènement, comme celles qui l’ont précédée, a ainsi de forts relents racistes, mais surtout un caractère de classe affirmé : la cible, ce sont “ tous les miséreux du monde ” pour paraphraser la formule célèbre de Rocard, c’est-à-dire les travailleurs des pays exploités par les grandes puissances capitalistes, par l’impérialisme.

Du fait du poids du chômage, et faute d’une alternative ouvrière suffisamment crédible face à la politique défendue par l’ensemble de la gauche institutionnelle, l’argument selon lequel l’ouverture des frontières “ fait le jeu du FN ” a cependant un certain impact. On ne peut le combattre qu’en mettant en avant une logique anticapitaliste, révolutionnaire, basée sur l’unité de la classe ouvrière. Unité pour faire rendre gorge aux patrons et aux financiers dont c’est exclusivement le système, avec sa concurrence acharnée et sa course permanente aux profits, qui secrète le chômage et la misère. Unité contre le FN, en un combat dans lequel les travailleurs immigrés, cible des attaques racistes, seront de précieux alliés pour les travailleurs français et européens. Unité contre les accords de Shengen au travers desquels se met en place une “ Europe forteresse ”, hostile aux peuples du monde comme aux classes ouvrières d’Europe. Unité contre la politique du gouvernement et pour une autre politique, pour un programme de défense des intérêts de tous les travailleurs.

Derrière l’annonce de la baisse du déficit de la sécurité sociale, des restrictions payées par le monde du travail

Le gouvernement Jospin, s’appuyant sur l’avis des experts économiques, annonce que le “ trou de la Sécurité Sociale ” est en train de se combler : le déficit du régime des salariés, de 37,6 milliards en 1997, serait de 12 milliards pour 98, cela grâce à des restrictions de dépenses s’élevant à 21 milliards. Le “ trou de la Sécurité Sociale ” avait servi au gouvernement Juppé à justifier de nouvelles attaques contre les salariés, attaques qui avaient entraîné le mouvement de novembre-décembre 1995. Ayant continué à appliquer le plan Juppé, le gouvernement de la “ gauche plurielle ” tente de justifier sa politique antiouvrière en mettant en avant les bons résultats de l’économie française. Toute la presse se fait l’écho du retour de la croissance et il s’agit maintenant de faire croire qu’elle aura des retombées pour tous puisque même les dépenses sociales retrouveraient la santé. L’OCDE, organisme économique officiel, annonce que le chômage ayant cessé d’augmenter, la masse salariale pourrait progresser de 4 % en 1998 permettant une progression des recettes de la Sécurité Sociale de 3,8 %. La politique consistant à faire baisser le coût du travail, à faire pression sur les salaires, notamment par le développement du travail à temps partiel qui engendre des baisses de salaires correspondantes, à restreindre les dépenses de santé pour la collectivité, porte ses fruits pour le monde patronal. Oui, les affaires des patrons vont bien et le ministre de l’Economie, Strauss-Kahn, peut leur rendre des comptes en déclarant : “ la consommation est présente, l’investissement est annoncé, le chômage décroît, les comptes publics sont équilibrés, l’inflation est terrassée, les taux d’intérêt sont faibles : cela fait peut-être trente ans que personne n’avait pu, en France, réunir autant de facteurs positifs pour la croissance ”.

Mais ce n’est pas la croissance qui réduit le déficit, mais la réduction des dépenses au détriment des soins. Se soigner correctement est pourtant bien le strict minimum. Et les conditions de remboursement ne cessent de se dégrader pour les chômeurs, les précaires ou tous ceux qui ne peuvent se payer une mutuelle .

Sans compter que des chiffres annoncés à la réalité, il y a un certain flou. Sur un total de 1200 milliards de francs de dépenses pour le régime général des salariés, l’opacité la plus complète existe concernant la part qui sert à soutenir financièrement d’autres régimes ou à subventionner des dépenses qui devraient être assurées directement par l’Etat. Dans ces conditions, le déficit a servi à tous les gouvernements à justifier de nouvelles restrictions et le gouvernement actuel annonce qu’il est nécessaire de dégager pour 99 8 milliards d’excédent  de l’ensemble des dépenses sociales. Les patrons savent bien que derrière les discours, la politique du gouvernement consiste à ne rien leur refuser : ils ont d’ores et déjà revendiqué une baisse des cotisations pour les accidents du travail, suite à l’excédent de 1,4 milliard pour 98.