éditorial


Baisse du livret A, campagne pour les fonds de pension, OPE, OPA, rachats, fusions : grandes manœuvres des financiers, des industriels et du gouvernement contre les travailleurs

Après que Chirac se soit prononcé, à l'occasion du 14 juillet, une nouvelle fois, en faveur de la formation de fonds de pension bien français, le gouvernement vient de décider la baisse des rémunérations des livrets de caisse d'épargne, des codevi ainsi que du compte d'épargne logement. Cette attaque brutale contre les revenus des milieux les plus populaires, vise à faire des économies et aussi à détourner l'épargne populaire vers les mille et une forme d'investissements financiers dont la Poste elle-même s'est faite la championne.

Il s'agit de drainer toujours plus d'argent vers la Bourse pour alimenter les spéculations et autres batailles financières qui alimentent la chronique en particulier dans les banques et le pétrole.

Elf aura mis moins de trois semaines pour réagir à l’OPE (offre publique d’échange d’actions) lancée par son rival TotalFina qui vise à l’absorber pour devenir le 4ème groupe pétrolier mondial, inaugurant en France pour la première fois, d’après la presse, la méthode anglo-saxonne du tir croisé, selon laquelle la " proie " riposte en lançant à son tour une OPE contre son " prédateur ".

C'est pour investir toujours plus d'argent dans ces rachats et fusions, ces grandes manœuvres des financiers et des industriels que l'Etat veut attirer nos économies vers la Bourse. Ils veulent que nous financions cette fuite en avant vers la concentration, vers la constitution de groupes de taille internationale capables de prétendre à prélever leur part dans le partage des profits à l’échelle mondiale dans des batailles dont nous sommes déjà les fantassins, premières victimes, en tant que salariés.

Le mouvement de concentration et les grandes manœuvres dans le secteur bancaire se poursuivent depuis des mois avec l’OPA lancée par la BNP pour absorber la Société générale-Paribas. Les groupes pétroliers français, Elf et TotalFina, sont à leur tour poussés à fusionner, sous peine d’être écartés du partage des profits par les 3 géants, les nouveaux " majors " du pétrole, Exxon-Mobil, Shell et BP-Amoco-Arco, produits des récentes mégafusions opé-rées dans ce secteur.

Poussés par la nécessité de concentrer leurs forces, de se restructurer, les deux groupes pétroliers français sont en train de se livrer à une bataille financière à coups de milliards, dans la concurrence acharnée qui les oppose pour déterminer lequel absorbera l’autre. TotalFina a lancé son OPE contre Elf en alignant 42 milliards pour racheter Elf. Ce dernier vient de répondre en lançant une contre-OPE contre son prédateur, en lançant sur la table 60 milliards de francs, après avoir décroché auprès de plusieurs banques d’affaires parmi lesquelles la BNP, le plus gros emprunt européen pour ce genre d’opération. Dans le bras de fer qui oppose Jaffré, le président d’Elf à Desmarest, celui de Total, les objectifs sont les mêmes, augmenter l’efficacité et la rentabilité des capitaux pour satisfaire les actionnaires, atteindre la " taille critique " pour pouvoir prétendre au partage des profits, sur le dos des travailleurs. Les deux stratégies soi-disant différentes avancées par les deux concurrents sont sur le fond exactement les mêmes : concentrer les moyens, éliminer les activités qui font " doublon " et les secteurs les moins rentables, en jetant à la rue des milliers de travailleurs.

Jaffré, le président d’Elf, voudrait créer, à partir de la fusion avec Total, deux entreprises indépendantes, l’une pétrolière, qui deviendrait le 4ème groupe mondial, et l'autre chimique, qui deviendrait le 5ème mondial, opération qui, selon lui, permettrait en trois ans, de réaliser une économie largement supérieure à celle envisagée par la proposition de son rival, soit plus de 8 milliards de francs. Quelle solution sera retenue ? Desmarest vaincra-t-il son rival Jaffré ou Jaffré réussira-t-il sa contre-offensive ? Il n'y aura pas de vaincu à l'issue de cette bataille financière, mais à coup sûr des gagnants, les gros actionnaires, dont les Jaffré ou Desmarest et l’Etat ne sont que les serviteurs. " Les marchés décideront " a déclaré le président de TotalFina, tandis que son rival d’Elf expliquait : " ce n'est pas aux présidents de décider. Il appartient surtout aux actionnaires des deux sociétés de dire quel est le projet qui leur paraît le plus porteur d’avenir et le plus créateur de valeur pour les actionnaires. C’est à eux de décider ". Les actionnaires majoritaires des deux groupes, ceux qui possèdent les pouvoirs de décision, le pouvoir que leur donne la propriété des capitaux, ce sont les fonds de pension et autres groupes d'assurances anglo-saxons qui imposent le diktat du profit, au détriment des milliers de travailleurs des deux groupes.

Car c’est les travailleurs d’Elf et de Total qui feront les frais de ces grandes manœuvres financières, par la suppression annoncée de 6 000 ou 4 000 emplois selon le plan qui sera adopté, dont 2 000 en France, sans compter le plan de 1320 suppressions d’emplois en cours dans le secteur exploration-production d’Elf contre lequel les travailleurs de Pau, de Lacq et de Paris sont en grève depuis trois mois. Des milliers de travailleurs seront jetés à la rue pour gonfler les profits des actionnaires au nom de la rentabilité, alors que les deux groupes brassent des milliards dans la bataille financière qui les oppose et qu’ils ont réalisé de substantiels profits en 1998, 8,7 milliards pour Total et 3,5 milliards pour Elf. De l’argent, aucun des deux groupes n’en manque. Après avoir été privatisée, Elf a triplé le cours de ses actions en quatre ans et n’a pas cessé depuis d’augmenter ses profits ; à peine lancé son dernier plan de suppression d’emplois, le groupe lançait une OPA de 15 milliards de francs pour tenter de prendre le contrôle du groupe pétrolier norvégien Saga.

L’Etat et le gouvernement de la gauche plurielle se réjouissent de ces opérations, preuves de " la vitalité du marché boursier ". Strauss-Kahn a approuvé l’OPE de Total, décla-rant qu’" avoir un groupe pétrolier français qui soit presque du niveau des trois premiers mondiaux et donc vraiment à l'abri de toute tentative de récupération par un anglo-saxon ou un américain (...) c'est plutôt une bonne chose " et... correspondait à l’intérêt national. Mais l’intérêt national pour la gauche plurielle, ce n’est pas l’intérêt de la collectivité ni le partage des richesses entre tous, c’est l’intérêt du capital et de la poignée d’actionnaires qui parasitent le travail, au prix de milliers de travailleurs jetés à la rue, du chômage et de la misère grandissante, " dommages collatéraux " de la course aux profits.