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L’enlisement dans la violence au Kosovo : la responsabilité des grandes puissances

Vendredi 23 juillet, 14 paysans serbes ont été tués dans le village de Gracko, à 20 kms de la capitale, Pristina. Au Kosovo, les moissons vont bientôt démarrer et certains paysans qui auraient demandé aux militaires de la Kfor de les protéger pour qu’ils puissent travailler sans risquer leur vie - ce qui a été démenti par le général Jackson responsable de la Kfor -, se sont heurtés à un refus. La semaine dernière, ce sont 4 Albanais qui ont été tués à la frontière avec la Serbie. La population tsigane, une des minorités du Kosovo, fuit à son tour le pays et se retrouve entassée dans des camps de toile. Les destructions des maisons appartenant aux Albanais, aux Serbes, comme aux Tziganes sont permanentes. 160 000 Serbes ont déjà quitté le Kosovo sur les 200 000 qui y vivaient avant la guerre. L’insécurité est totale pour toutes les populations du fait des conditions qui leur sont imposées par la situation créée par les grandes puissances. La présence massive des troupes d’occupation contribue à agrandir le fossé qui a déjà été creusé entre elles et le rôle de la Kfor qui n’est pas de garantir le retour à la paix se révèle, de jour en jour.

Pour Kouchner qui occupe son poste de gouverneur depuis 12 jours, " on ne peut pas mettre une personne derrière tout le monde ". Nommé pour faire respecter l’ordre, il n’a que mépris pour la population et le seul remède qu’il connaisse, ce sont les leçons de morale qu’il prodigue largement. Il a ainsi déclaré : " je demande aux Serbes de ne pas partir. Leur départ serait la victoire des salauds. Le monde n’est pas intervenu ici pour faire du Kosovo une zone sûre pour la revanche. Nous devons protéger toutes les minorités ". Et comme derrière le moraliste, il y a toujours le gendarme, il accuse les populations d’être responsables de leur situation. Selon lui, si la coexistence est devenue impossible entre elles, c’est parce que, de tout temps, les rivalités ethniques ont dominé dans cette partie de l’Europe et que le poids de l’héritage du soi-disant communisme est directement en cause. Les bombardements de l’OTAN, leurs conséquences qui ont rendu toute vie normale impossible dans l’un des pays les plus pauvres d’Europe, sont purement et simplement occultés.

Responsables et coupables, telle est la devise du docteur Kouchner qui désigne les victimes comme les seules responsables pour camoufler la responsabilité de l’ordre impérialiste qu’il sert. En conséquence, il réclame plus de policiers, plus de moyens de contrôle de la population. L’intervention de la Kfor sur le terrain contribue à empêcher toute cohabitation entre les différentes populations parce qu’elle ne peut être imposée par en haut, de façon autoritaire. La ville de Mitrovica est toujours séparée en deux et les Albanais n’osent pas se risquer dans la partie serbe. La tentative de mettre en place une police mixte a pour le moment échoué. Et depuis lundi dernier, un couvre-feu a été instauré pour le personnel de l’ONU qui ne peut plus circuler sur les routes à partir de 17 heures et ne doit plus sortir à partir de 19 heures. Le véritable rôle de la Kfor, de l’Onu, de Kouchner, apparaît de plus en plus ouvertement au grand jour à travers l’instauration d’un régime policier qui vise à imposer l’ordre au profit des grandes puissances, pour que les sociétés capitalistes qui sont déjà sur place puissent engranger des profits qui seront réalisés sur un champ de ruines.

Valérie Héas

Baisse du taux des livrets A : le gouvernement, complice des banquiers, pour drainer l’épargne populaire vers la finance et les spéculations

Le gouvernement a annoncé, jeudi 22, la baisse de 0,75 % du taux de rémunération des livrets A, qui passera de 3 % à 2,25 % au 1er août, ainsi que des Codevi, du Livret bleu du Crédit Mutuel, du Livret d’épargne populaire, des comptes et des Plans épargne logement. Cela fait plusieurs mois que le livret A était dans le collimateur du gouvernement, mais le ministre de l’Economie, Strauss-Kahn, avait bloqué la décision impopulaire d’en baisser une nouvelle fois le taux, la repoussant au lendemain des élections, qui coïncide opportunément avec la période des vacances. S’étant à l’époque déclaré soucieux de " préserver la rémunération de l’épargne populaire ", le gouvernement justifie aujourd’hui cette attaque contre le revenu de l’épargne des ménages modestes par un taux d’inflation des plus bas (0,3 % selon les chiffres officiels), un taux actuel de rémunération du livret A qui dépasserait largement celui des Sicav et autres produits financiers, et la nécessité de redonner une bouffée d’oxygène au financement des logements sociaux qu’alimentent les fonds du livret A. Une série d’excellentes raisons pour annoncer aujourd’hui cette " bonne nouvelle " qui n’a pas nécessité moins de 4 ministres, dont le ministre communiste Gayssot, pour la présenter et tenter de la faire passer auprès des 46 millions de détenteurs de livrets A, pour l’essentiel les ménages modestes dont les livrets A et le plan d’épargne logement constituent l’essentiel de l’épargne, et dont le revenu se retrouvera fortement amputé.

Cette mesure était attendue depuis longtemps par les banquiers et les milieux financiers qui convoitent cette masse non négligeable de capitaux pour alimenter leurs spéculations et sont à la recherche de tous les capitaux disponibles susceptibles d’être injectés dans les circuits de la finance. Les banques estiment leur rentabilité par rapport à leurs concurrentes européennes entravée par l'existence en France de circuits d'épargne populaire qui échappent à leur contrôle, et elles voudraient bien faire main basse sur les 2670 milliards de cette épargne dite " administrée ", gérée aujourd’hui par les Caisses d’épargne et la Poste, à laquelle l’Etat garantit un taux fixe et qui est exonérée d’impôt. Un tiers de cette épargne serait inutilisé, " situation choquante, qu’il faut faire cesser ", selon un député socialiste, approuvé par Strauss-Kahn qui explique qu’" une épargne stérile, c’est moins d’investissement, moins d’activité et moins d’emplois "...

C’est pour libérer et drainer tout l’argent disponible vers la Bourse et la finance que les banquiers ont eux-mêmes baissé le taux des livrets bancaires en février dernier, et qu’ils pressaient le gouvernement de baisser le taux du livret A, voeu auquel Strauss-Kahn s’empresse de répondre. La baisse des taux par le gouvernement Juppé en 96, qui avait fait passer la rémunération des livrets A de 4,5 à 3,5 %, avait détourné 74,9 milliards des caisses d’épargne vers des placements plus rentables, actions, Sicav... C’est le choix que feront certainement doute les épargnants les plus aisés, les mieux informés, qui préfèreront sans doute les 7 % environ de rendement moyen d’une action ou les 4 % de certains placements bancaires aux 2,25 % du livret A. C’est en tout cas le calcul que font les financiers avec l’aide du gouvernement. Ce sera aussi une économie non négligeable qui sera réalisée sur le dos des petits épargnants, puisqu’en abaissant de 0,5 % le taux des livrets bancaires, les banques ont réalisé une économie de 675 millions de francs.

Strauss-Kahn a expliqué aux petits épargnants les raisons qu’ils ont de se consoler puisqu’ils sont censés recevoir " la rémunération réelle la plus élevée jamais servie sur le livret A ", rappelant à ceux qui douteraient de leur chance que cette rémunération était négative de 7 % en 1980, lorsque l’inflation dépassait les 13 %... Il oublie de préciser que c’est même depuis 1955 que les travailleurs ont eu leur épargne rongée par l’inflation et qu’ils ne bénéficient d’une rémunération positive du livret A que depuis 1985.

Pour faire passer son mauvais coup, le gouvernement a bénéficié de l’appui de toute la gauche plurielle, qui n’a fait entendre aucune voix discordante. Le Parti communiste, qui a, dans un premier temps, timidement critiqué cette attaque qui " porte un mauvais coup aux épargnants populaires " s’est félicité ensuite des décisions qui l’accompagnent et qu’il " réclamait depuis longtemps " comme le gel des loyers HLM. Quant au représentant de la CGT qui siège au Comité consultatif des taux réglementés, Le Duigou, il s’est réjoui du fait qu’elle " va beaucoup moins loin que celle qui était souhaitée par les milieux financiers "...

Le baratin du gouvernement et de ceux qui le soutiennent a bien du mal à masquer leur politique qui sert avant tout la finance au détriment des travailleurs.

Catherine Aulnay

Les hauts et les bas de l’euro ou la démarche chaotique de l’Europe

Après 7 mois de baisse, le cours de l’euro s’est brutalement redressé, en une semaine, passant de 1,012 dollar, très près de son plus bas niveau, le lundi 19 juillet, à 1,0720, le lundi 26 juillet. De quoi ranimer les rodomontades des politiciens européens, qui avaient dû mettre en berne leurs prétentions face au dollar américain et leur " europhorie " des débuts, alors que l'euro avait perdu depuis son lancement le 4 janvier dernier et jusqu'à ces derniers jours 15 % de sa valeur par rapport à sa première cotation, de 1,18 dollar.

Dès le mois d'avril, la valeur de l'euro avait chuté de plus de 11 % face au dollar, au fur et à mesure que se confirmait la vigueur de la croissance économique aux Etats-Unis, supérieure à 4 ou 5 %, et le ralentissement de l'économie des pays européens, inférieure dans l'ensemble de la zone à 2 %, et encore plus faible en Allemagne et en Italie, fortement touchées par la baisse de leurs exportations dues aux crises asiatique et russe, et à la guerre en Yougoslavie.

La baisse de la monnaie unique européenne s'est encore accentuée les mois suivants, aggravée par la cacophonie des propos tenus par les dirigeants politiques et les autorités monétaires des différents pays d'Europe. Les financiers à l'affût de toutes les déclarations qui peuvent indiquer quelle sera la politique monétaire décidée - resserrement ou non du loyer de l'argent et du crédit, interventions de la Banque centrale sur le marché monétaire -, pour spéculer sur le cours d'une monnaie en anticipant sa baisse ou sa hausse, ne savent plus, s'il y a des déclarations différentes et même contradictoires, à qui se fier, et préfèrent se détourner de l'euro.

Au point qu'au sommet européen de Cologne, début juin, les ministres des Finances des onze pays de l'Euroland, discutaient de s'interdire toute déclaration publique sur la politique monétaire et de n'autoriser que les président et vice-président de la Banque centrale européenne, Duysenberg et Noyer, à faire de telles déclarations. Mais Duysenberg s'est montré prudent sur ces déclarations d'intention : " nous essayons de parler d'une seule voix car nous chantons la même chanson. Mais il nous faudra sans doute répéter davantage avant d'atteindre une belle harmonie ".

Les commentaires sur la baisse de l'euro n'ont pas cessé, loin de là, certains la déplorant tandis que d'autres, plus nombreux, s'en réjouissaient, dont les dirigeants politiques allemands, italiens et français pour qui cette dépréciation de la monnaie européenne était une bonne nouvelle puisqu'elle allait relancer les exportations en rendant les productions de ces pays plus concurrentielles face aux produits américains ou asiatiques. Etant donné que ce sont les trois pays à l'économie la plus forte dans l'Euroland, les financiers en ont conclu que rien ne serait fait pour enrayer la baisse de l'euro et ont donc vendu de l'euro ou des actifs en euros.

Fin juin, des propos du nouveau président de la Commission européenne, Romano Prodi, qui avait déclaré qu'il se pouvait que l'Italie quitte la zone euro, ont provoqué une nouvelle baisse de la monnaie unique, même après démenti.

Il serait trop long de faire la liste de toutes les déclarations contradictoires, réelles, de toutes les rumeurs de telles déclarations, qui ont agité les marchés monétaires et financiers, elles n'ont pas cessé et ne sont pas près de cesser. Car cette cacophonie ne fait que refléter la réalité politique d'une Europe qui n'existe qu'au niveau de sa monnaie et de ses autorités monétaires, alors que les économies des pays qui la composent ne sont en rien coordonnées, même si leurs dirigeants ont la même volonté pour satisfaire les actionnaires des trusts et les financiers, de s'attaquer aux revenus de la classe ouvrière.

Seul un Etat européen pourrait limiter les disparités qui existent entre les économies des pays qui composent l'Euroland. Le gouverneur de la Banque centrale française, Trichet, disait il n'y a pas longtemps dans un article du journal Le Monde qu'il n'y a pas plus de différences entre l'Espagne, l'Allemagne, la France et le Portugal qu'entre le Missouri, la Californie et le New Jersey. Peut-être, excepté que l'Etat fédéral américain a les moyens d'agir par son budget dans tel ou tel Etat américain, et qu'on n'a pas vu jusqu'à maintenant de gouverneur d'un de ces Etats critiquer publiquement la politique de Greenspan, le chef de la Banque centrale américaine, ou du secrétaire d'Etat au Trésor.

Tout le personnel politique de l'Etat américain, au niveau fédéral comme local, toutes ses institutions, sont étroitement liées aux intérêts de la bourgeoisie et des trusts américains qui se sont développés en même temps que cet Etat. Il en va différemment en Europe, où les Etats sont liés à des bourgeoisies concurrentes, qui ne se sont résolues à développer leur coopération que sous le fouet de la concurrence des autres continents et de la mondialisation. Engagés dans la fuite en avant qu'a été la création de l'euro, les Etats européens sont incapables de renoncer à leurs prérogatives autrement que sous la férule imposée par celui qui s'avérera le plus puissant, sans doute l'Allemagne.

Aujourd'hui, l'euro remonte à cause surtout de la baisse récente du dollar, également parce que des chiffres semblant indiquer un début de reprise économique sont parus en Allemagne. Mais déjà certains s'en inquiètent parce que cette hausse de la monnaie rendra moins facile les exportations.

Ce qui est sûr c'est que la monnaie européenne comme d'ailleurs le yen ou le dollar, et parallèlement à ce dernier qui continue à régner sur les marchés, n'a pas fini de jouer au yoyo, tant ce sont les mouvements de capitaux de l'oligarchie financière, sa quête des profits les plus importants et les plus rapides, sa liberté d'action complète, qui décident en fin de compte de la marche de l'économie du monde entier.

G.T.