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Fuite des capitaux, détournements de fonds, blanchiment d’argent sale : la Russie au cœur du capital financier et de la mondialisation

Le problème n’est ni nouveau, ni propre à la Russie ". C’est le directeur du FMI, Michel Camdessus qui le dit, dans un interview à Libération, en réponse au journaliste qui lui avait demandé s’il n’y avait pas " un problème à financer ce que The Economist [un hebdomadaire anglais] qualifie de plus grande kleptocracie du monde ".

Les révélations qui se sont multipliées depuis une semaine mettent en évidence plusieurs réseaux financiers ayant servi à faire sortir des fonds de Russie, provenant aussi bien d’affaires légales que des prêts du FMI, ou de l’argent sale des mafias russes. Sont établies les connexions entre dirigeants politiques, dont l’entourage d’Eltsine, oligarques et parrains de la mafia russes et au moins cinq banques américaines et européennes, par le biais de sociétés-écrans basées dans des paradis fiscaux. 138 milliards de dollars auraient ainsi quitté le pays entre 93 et 98, selon les estimations d’une agence de notation financière, pour atterrir sur des comptes privés en Suisse ou ailleurs. Dont 10 milliards de dollars du FMI, la moitié des prêts accordés à la Russie par celui-ci depuis 1992.

Le FMI s’est seulement dit " fortement préoccupé par les informations qui avancent que le blanchiment d’argent impliquerait des crédits du FMI ", tout le reste, fuite des capitaux, utilisation de paradis fiscaux, création de filiales à l’étranger, n’ayant rien d’illégal. Plus de 3000 milliards de dollars, 15 % du PNB mondial, seraient gérés, selon une enquête qu’avait réalisée la société financière Merril Lynch il y a quelques années, depuis les paradis fiscaux que sont une multitude d’îles du Pacifique, des Antilles ou de l’Océan Indien, mais aussi la Suisse, le Luxembourg, Monaco ou les îles anglo-normandes. Quasiment toutes les grandes banques y ont des filiales, sociétés-écrans qui leur permettent d’y recevoir tous les capitaux quelle que soit leur origine.

Le secret bancaire, comme la liberté complète de circulation des capitaux en font le réseau privilégié de blanchiment de l’argent provenant des trafics des mafias, estimé à environ 1000 milliards de dollars, ainsi recyclé dans les circuits de l’économie capitaliste mondiale, et réinvesti aussi bien sur les marchés financiers que dans le capital des trusts.

Pots de vins distribués sous forme de cartes de crédit, comme celles des membres de la famille d’Eltsine, ou de postes de complaisance avec salaires fictifs, corruption de hauts fonctionnaires de l'Etat pour en obtenir de juteux marchés, liens entre politiciens et trusts, voilà bien qui fait partie du fonctionnement normal de l’économie de marché, capitaliste, comme l’ont montré la multitude des affaires ces derniers mois, de la Commission européenne à Elf, en passant par la Mairie de Paris.

Hervé de Charrette, ancien ministre des Affaires étrangères en France, des politiciens Républicains aux Etats-Unis, réclament une réunion extraordinaire du FMI ou du G7, en s'indignant du détournement de " l'argent de la communauté internationale ". L'administration Clinton elle-même vient de faire savoir qu'elle demandait la suspension des versements des nouveaux crédits accordés fin juillet par le FMI à la Russie, tant qu'il n'y aurait pas une clarté complète sur l'utilisation des prêts passés. Tentative d'éviter le discrédit auprès de leur opinion publique, d'autant plus aux Etats-Unis, déjà en pleine campagne pour les élections présidentielles.

De même, plus fondamentalement, la tentative de rejeter la responsabilité de cette corruption sur l'ancien régime soviétique, afin d'en dédouaner le capitalisme, en s'appuyant sur le fait que l'enrichissement des bureaucrates soviétiques reposait en grande partie sur le développement d'une économie parallèle et les trafics en tout genre.

Presque tous les commentaires parlent de " l'héritage " de cette période, que le FMI n'aurait pas réussi à éradiquer à cause de la résistance que les responsables de l'Etat russe aurait opposée à ses réformes destinées à mener le pays vers la prospérité capitaliste.

Que la Russie soit aujourd'hui un des pays où les affaires mafieuses sont les plus prospères est dû, bien plus qu'à son passé, au fait que l'économie y a été ramenée à celle d'un pays sous-développé, après que l'oligarchie financière internationale et russe se soit partagé les dépouilles de l'ancienne économie planifiée. De la même façon que, par exemple, la Colombie est devenue le premier producteur mondial de cocaïne, une fois saignée à blanc par les créanciers du FMI, dans les années 80.

La grande misère du peuple russe " dont Hervé de Charrette n'a parlé que pour exprimer son indignation sur le fait que l'Etat français n'a pas encore fait rembourser, et à un prix assez fort, les détenteurs de l'emprunt franco-russe, expropriés en 1917, date précisément de la fin du régime soviétique, du rétablissement de la propriété privée dans l'ex-URSS, et de l'application des réformes préconisées par le FMI. En quelques années, l'espérance moyenne de vie a chuté de plus de 15 ans, elle est actuellement de 55 ans pour les hommes, au niveau de celle des pays du Sahel. 83,5 millions de Russes, 65 % de la population, vivent actuellement avec moins de 830 roubles par mois, environ 250 F.

C'est là le crime social perpétré en Russie d'un commun accord par les anciens bureaucrates reconvertis au capitalisme et leurs nouveaux maîtres des banques et des trusts du monde occidental.

Galia Trépère

La " reprise " en Asie, c’est l’aggravation du pillage par les capitalistes des pays riches et de l’exploitation des travailleurs et de la population

Depuis plusieurs mois, dirigeants de la Banque mondiale et du FMI ne cessent d’afficher leur satisfaction sur l’évolution de la situation économique en Asie du sud-est. Après la " tourmente financière " de 97, l’économie de ces pays redémarrerait : les bourses et la production sont à la hausse.

Les défenseurs du régime capitaliste veulent y voir un signe de la vitalité de leur système : non seulement l’économie repart après une véritable catastrophe, mais elle redémarre même sur des bases " assainies ". En fait, derrière cet " assainissement " de l’économie, ce qui se cache, c’est une mainmise croissante des capitaux des pays riches sur l’économie de pays qui s’en étaient jusqu’alors protégés.

C’est notamment le cas de la Corée du Sud dont le mode de développement avait été tant vanté à l’époque des " dragons ". Aujourd’hui, le secteur financier coréen est en voie " d’assainissement " : l’Etat a pris en charge une partie des dettes des banques et des conglomérats industriels, les " chaebols " et il s’est ouvert aux capitalistes occidentaux. Ceux-ci " font leur marché " parmi les entreprises qui, étranglées par leurs dettes, se sont vendues au plus offrant.

Dans toute l’Asie, le secteur bancaire et financier a été le plus convoité : il a fait l’objet de 19 % des acquisitions réalisées ces deux dernières années. Et les affaires y ont été bonnes : un représentant de la Société Générale qui a profité de la faillite d’une des plus importantes entreprises financières japonaises, Yamaichi, pour racheter un de ses secteurs les plus rentables, déclarait : " les conditions sont tellement favorables qu’on nous interdit d’en dire le montant ".

Voilà en quoi consiste " l’assainissement financier " : faire prendre en charge les dettes des banques et des entreprises par l’Etat et mettre en vente à des " prix cassés " les branches les plus juteuses des entreprises. Le signe de la reprise pour les capitalistes des pays riches, c’est qu’ils peuvent reprendre leurs affaires, que les conditions sont de nouveau créées pour qu'ils fassent du profit.

Pourtant, les conséquences de la crise sont là et bien là. Les économies de ces pays ont été ravagées par la crise qui a fait connaître à l’ensemble de la zone Asie sa première baisse du PIB par habitant depuis 1970. Les chiffres d’augmentation du PIB en 99, qui pour l’instant ne sont que des prévisions, ne font que mettre en évidence les reculs causés par la crise. En Corée, l’augmentation du PIB serait de 6 % mais le recul a été de 6 % en 98 ; en Thaïlande, il augmenterait de 2 % mais son recul a été de 7 % en 98 et en Indonésie, le retour à une croissance zéro est salué comme un succès après un effondrement du PIB de 15 % en 98.

Les capitalistes tirent parti de la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière et de l’ensemble de la population pour imposer une nouvelle baisse " des coûts de travail ". En Indonésie, 40 % des 200 millions d’habitants seraient en dessous du seuil de pauvreté contre 11 % en 97. Des millions de gosses se sont retrouvés dans la rue à mendier et n’ont plus la possibilité de poursuivre leur scolarité. Des dizaines de milliers de travailleurs immigrés ont été chassés violemment de leur pays d’accueil. Et partout, c’est au prix de licenciements massifs, de réductions drastiques des salaires que les entreprises ont maintenu leur activité. Partout, ils s’en servent pour entériner les reculs que la crise a imposés : " la législation du travail a été assouplie, une petite révolution dans un pays où l’emploi à vie était encore largement la règle " commente Les Echos à propos de la Corée du Sud.

Dépréciation massive de capitaux, exploitation aggravée des travailleurs, aggravation des conditions de vie de la population, voilà ce dont se réjouissent les capitalistes occidentaux. " La démocratie et le marché " rétablissent l’ordre économique voudrait-on nous faire croire. Mais pour les travailleurs et la population de ces pays, cela se traduit par un recul des conditions de vie et de travail et lorsque les travailleurs en Corée ont voulu se défendre, le gouvernement de Kim Dae Jung, le " Mandela asiatique ", a mobilisé contre eux les chars, les hélicop-tères et les troupes antiémeutes. Le capitalisme est incapable d’apporter, en Asie comme ailleurs, le respect des libertés élémentaires comme des conditions de vie dignes et la prospérité pour la population : c’est de cela que, malgré toute la propagande capitaliste, la population et les travailleurs de ces pays prennent conscience aujourd’hui.

J.K.

Maladies tropicales : le capitalisme est le plus grand fléau qui frappe l’humanité

La " maladie du sommeil " tue chaque année en Afrique 150 000 personnes. En 1960, elle était quasiment éradiquée. Mais le médicament utilisé a perdu de son efficacité. Des chercheurs américains ont trouvé en 1985 un autre médicament, le DFMO, dont les résultats ont été spectaculaires. Mais depuis 1995, ce médicament qui pourrait sauver des dizaines de milliers de vies n’est plus produit. Le groupe HMR (Hoescht-Marion-Roussel) a décidé que " ce produit n’était guère intéressant pour le groupe car il était vendu à l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) à prix coûtant ". La nouvelle fusion du groupe, avec Rhône-Poulenc cette fois, ne fait qu’aggraver la situation : " Hoescht se transforme de façon radicale pour occuper le premier rang dans les sciences de la vie, en se focalisant sur les marchés à haut potentiel ". L’Afrique tropicale, qui compte quelques-uns des pays les plus pauvres du monde, n’est pas " un marché à fort potentiel ".

Depuis 1975, il n’a été mis sur le marché que 11 médicaments pour lutter contre les maladies tropicales qui ont provoqué en 1998 13,3 millions de morts, le quart des décès survenus sur la planète en un an. La plupart de ces médicaments, contre la malaria, la maladie du sommeil ou les infections respiratoires ne sont plus produits parce qu’ils ne sont pas jugés assez rentables ou, lorsqu’ils le sont, ne peuvent être achetés par les pays africains.

Sciences de la vie, profit : dans ces deux termes, il y a un intrus meurtrier.