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Le gouvernement turc, incapable de venir en aide à la population, a recours à la falsification et à la répression et, en fidèle serviteur du FMI et des intérêts impérialistes, s’apprête à imposer de nouveaux sacrifices à la population

Malgré la dictature, les critiques s’expriment publiquement : des témoignages d’habitants des quartiers dévastés accusent le gouvernement et l’armée d’être restés sans réaction devant l’ampleur de la catastrophe et aujourd’hui de laisser les rescapés survivre dans des conditions inacceptables.

Des journaux et chaînes de télé se font le relais de cette colère. Incapable d’empêcher les critiques, le gouvernement, dans sa fuite en avant, s’en prend au peu de liberté d’expression existant : il a interdit une chaîne de télé pour une semaine sous prétexte d’émission " provocatrice " sur le manque de coordination des secours et la mise en cause des entreprises de travaux publics et six autres sont menacées. Il a aussi à faire face à la campagne de certains journaux qui demandent la démission du ministre de la Santé, Osman Durmus, membre du MHP, parti d’extrême-droite, qui a pris publiquement position contre la venue de médecins étrangers, les dons de sang de la population grecque et l’aide arménienne, au nom de soi-disant " différences culturelles ".

La complicité du gouvernement avec les industriels de la construction qui ont bâti leur fortune en faisant consciemment prendre des risques à la population pauvre est critiquée ouvertement. " 95 % de la population turque vit dans des zones sismiques actives " selon l’union turque des chambres d’ingénieurs et d’architectes, et 65 % des constructions sont bâties sans permis et sans respecter les normes en vigueur, selon la Chambre de commerce. Cette solidarité du gouvernement et des classes riches est responsable du nombre très élevé de morts qui n’était pas inévitable comme le proclament les responsables gouvernementaux. A Izmit, par exemple, à côté des habitations effondrées, l’usine Goodyear, elle, est restée debout et c’est le cas dans de nombreuses villes où les usines ont été épargnées. Elles n’étaient pas construites à faible coût comme ces habitations où le sable entrant dans la composition du ciment avait été remplacé par du sable de mer, riche en sel et minant les constructions. " C’est un assassin, le béton s’effrite facilement. Il n’a pas pensé aux habitants des constructions qu’il a vendues, il a leur sang sur les mains ", a témoigné, dans un journal, un survivant à propos d’un promoteur. Quelques promoteurs ont été inculpés, d’autres sont en fuite, plus par crainte des réactions de la population que des menaces gouvernementales : sur la dizaine de promoteurs inculpés pour " négligence " lors du précédent séisme de 1998 dans le sud du pays, à Adana, qui avait fait 140 morts, seulement deux sont encore en prison !

Les responsables du gouvernement craignent les réactions de la population. Le président turc, Suleiman Demirel, venu faire la morale aux habitants d’un quartier et dont le cortège de voitures avait bloqué l’accès aux ambulances, s’est fait huer. Plus de 500 000 personnes seraient sans abri, selon les déclarations du gouvernement lui-même, survivant dans des camps de toile ou dans la rue, campant sous des bâches tendues sur des morceaux de bois devant les ruines des maisons.

Pour camoufler son incurie et son irresponsabilité, le gouvernement s’est dépêché de reprendre en main la situation par la répression et en mentant sur le nombre des victimes. La semaine dernière, un responsable du gouvernement a annoncé qu’une erreur informatique avait gonflé le bilan des victimes qui ne serait plus de 18 000 morts mais de 12 514 ! L’armée est autorisée à tirer sur ceux qui viendraient piller les maisons détruites ; mais comme les habitants ont perdu dans le tremblement de terre tous leurs papiers comme preuve qu'ils sont bien locataires ou propriétaires, cela ouvre la voie au contrôle militaire de toute la population et à la répression. Ce qui est bien le rôle de l’armée turque, forte de 800 000 hommes et qui, depuis 1984, mène une sale guerre contre la population kurde qui a fait 30 000 morts, des millions de déplacés et détruit plus de 3000 villages.

L’image que les soi-disant démocraties occidentales veulent donner de la Turquie est celle d’un pays moderne, laïc, se tournant vers la démocratie et ayant toute sa place dans l’Union européenne. La situation créée par le séisme remet en cause ces mensonges : le modernisme est du côté des salariés et de la population pauvre qui ont pris en main les secours et l’organisation de la vie sociale ; l’arriération, la réaction, du côté des classes riches, de la dictature et de l’armée à leur service.

Pour la population rescapée, ses conditions de vie déjà difficiles, avec une inflation de 81 % en 98 vont s’aggraver : plus de 45 % de l’industrie du pays est située dans les régions victimes du tremblement de terre où vivaient 45 % de la population. A Izmit, la raffinerie endommagée par un incendie produisait 86 % de l’ensemble de la consommation pétrolière. Les bâtiments des nombreuses petites entreprises turques se sont effondrés, à la différence des bâtiments des trusts turcs ou étrangers. L’Union européenne a chichement débloqué 4 millions d’euros sur les 25 promis alors que les besoins seraient de 25 milliards de dollars. Le Fonds monétaire international, qui impose sa politique en faveur des intérêts des financiers mondiaux et des classes privilégiées turques, a annoncé qu’il allait débloquer des fonds à condition qu’il y ait encore plus d’austérité et de sacrifices pour les salariés et la population pauvre. Il a toute confiance dans le gouvernement turc, un de ses fidèles serviteurs, qui a engagé depuis 98 une politique de privatisations. La Bourse d’Istanbul a réouvert ses portes après 9 jours de fermeture et le gouvernement a annoncé qu’une " taxe de solidarité " serait imposée pour les secours aux rescapés qui touchera… les rescapés comme les entreprises.

Valérie Héas

Timor-Oriental : la population brave la terreur en votant massivement pour l'indépendance

Après plusieurs reports successifs, le vote sur l’autodétermination du Timor-Oriental en Indonésie a eu lieu le 30 août sous le contrôle de l’ONU. Dans les jours précédents le scrutin, des miliciens anti-indépendantistes avaient encore tué cinq personnes dans les rues de Dili, la capitale.

Le Timor-Oriental est une ancienne colonie portugaise annexée de force par le régime militaire du dictateur Suharto en 1976. Dans les mois qui avaient suivi la chute, en avril 74, de la dictature au Portugal, les anciennes colonies d’Afrique (Mozambique, Angola, Cap-Vert) avaient accédé à l’indépendance. En 1976, en prenant de vitesse les nationalistes du Timor-Oriental, les militaires indonésiens ont instauré un régime de terreur qui dure sans discontinuer depuis 23 ans. La partie ouest de l’île de Timor est une province de l’Indonésie depuis l’indépendance de l’ex-colonie hollandaise en 1949. Le scrutin du 30 août ne concerne donc que la partie est de Timor soit 50 % du territoire.

Pour participer à ce scrutin, les 450 000 électeurs avaient dû s’inscrire sur les registres de vote malgré les menaces de mort. Les assassinats de militants et de sympathisants du parti indépendantiste, le CNRT (Conseil National de la Résistance Timoraise) dont le principal dirigeant, Xanana Gusmao, en prison depuis 1992, serait libéré à la mi-septembre, sont monnaie courante. Les escadrons de la mort armés et financés par les généraux indonésiens ont incendié villages et écoles. La population vit cachée depuis des années sur les collines et dans les forêts, sous la menace permanente des milices d’extrême droite. En 23 ans, 200 000 personnes ont été tuées au Timor Oriental sur une population estimée à 800 000 habitants, soit 25 % des habitants. Les militaires indonésiens ont été durant les années 70 jusqu’à bombarder les villages au napalm, employant les mêmes méthodes de terreur systématique que l’armée américaine au Vietnam.

Depuis 1976, les puissances impérialistes ont laissé faire les massacres. Elles ont soutenu, financé et armé le régime de l’ex-dictateur Suharto au pouvoir de 1966 à 1998. Son successeur Habibie a certes concédé, après la révolte de la jeunesse et des habitants des bidonvilles de Jakarta qui avaient conduit à la chute de Suharto en mai 98, l’organisation d’élections libres qui viennent d’avoir lieu le 7 juin dernier ainsi que le référendum au Timor. Mais il a laissé les militaires continuer jusqu’au bout les exactions contre la population timoraise visant à empêcher la tenue de celui-ci.

Les militaires au pouvoir depuis 1966 contrôlent l’essentiel de l’appareil d’Etat. Ils constituent l’essentiel des fonctionnaires des différents ministères (89 % des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, 60 % de celui des Affaires sociales ou de l’Information sont des officiers). Le poids de l’armée est tout aussi omniprésent dans l’économie indonésienne. Liés aux milieux d’affaires, à la bourgeoisie locale et aux multinationales américaines et japonaises, les généraux indonésiens contrôlent des sociétés dans l’exploitation du pétrole dans la province de l’Aceh (Nord de Sumatra) et le pillage des ressources naturelles comme le bois et le caoutchouc à Bornéo et dans la partie ouest de la Papouasie. Dans ces provinces de l’Aceh et de Bornéo, mais aussi dans l’archipel des Célèbes et des Moluques, l’armée soutient activement des milices paramilitaires qui se livrent à une répression tout aussi féroce qu’au Timor. La police tire sur les manifestations indépendantistes, incendie et pille les villages, provoque des heurts entre communautés chrétiennes et musulmanes comme sur l’île d’Amboine dans l’archipel des Moluques.

En participant massivement à 90 % au référendum, la population du Timor Oriental a bravé la terreur. Même si les résultats ne seront connus que dans une semaine, tout laisse à penser que les partisans de l’indépendance vont l’emporter. Habibie a déclaré qu’il respecterait le choix de la population de Timor. Mais il laisse dans le même temps les milices continuer à faire régner la terreur. Le lendemain des élections, les milices d’extrême droite ont défilé dans les rues de la capitale et tué plusieurs observateurs de l’ONU. Leurs dirigeants ont déclaré qu’ils feraient encore couler le sang si les votes en faveur de l’indépendance l’emportent. Habibie peut d’autant plus se donner un visage de démocrate que la décision finale reviendra au Parlement élu en juin dernier. Or, que ce soient les partisans de l’armée et de l’ex-parti de la dictature, le Golkar, ou le PDIP (Parti démocratique indonésien en lutte) qui vient de remporter les élections et dont la dirigeante Megawati Sukarnoputri est la fille de Sukarno, premier président du pays, tous sont nettement hostiles à l’indépendance du Timor Oriental. D’ailleurs, sur les listes du PDIP, figurait le général Théo Syafei qui a dirigé la répression au Timor en 1991.

L’Indonésie, présentée par les médias occidentaux depuis la chute de Suharto comme " la troisième démocratie du monde " est un pays où l’armée continue à exercer le pouvoir. Les généraux indonésiens restent le bras armé de l’impérialisme dans cette région pour que les multinationales américaines, japonaises ou françaises continuent à piller les richesses du pays.

Jean Naredo

Chiffres en bref

318 milliards de francs

C’est le montant des dépenses des " actions pour l’emploi " pour 1997 selon le ministère du Travail. Si l’on y ajoute les exonérations des cotisations patronales d’allocations familiales et la réduction des cotisations sur les bas salaires, cela fait même 365 milliards de francs. Si l’on retranche de ces chiffres la somme de 127 milliards qui a servi à l’indemnisation des chômeurs, cela fait 238 milliards qui ont essentiellement consisté en cadeaux aux patrons. Autant d’argent qui pourrait être utilisé à créer des centaines de milliers d’emplois utiles dans les services publics

300

C’est le nombre de banques de 46 pays différents installées aux Bahamas. Les opérations bancaires sont protégées par la confidentialité et dans ce " paradis fiscal ", il n’y a ni impôt sur le revenu ou la richesse ni taxe sur les importations. C’est là qu’entre autres se blanchit une partie de l’argent de la drogue quoi qu’en dise le gouverneur de la Banque centrale : " nous avons des lois très musclées contre le blanchissement de l’argent sale. Il est possible que cela se produise, mais très rarement et très difficilement ". Ben voyons…

400

C’est le nombre de quartiers privés pour riches qui ont fleuri autour de Buenos Aires, soit le tiers de la surface de la capitale. Ces lieux sont entourés par une enceinte de barbelés et surveillés par des gardiens. 500 nouveaux aménagements sont prévus dans les dix prochaines années.

Plus de 250 000 personnes vivent dans les bidonvilles de banlieue dans un pays, l’Argentine, qui était présenté il y a quelques années comme " l’Europe de l’Amérique latine ".