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Maroc : la monarchie annonce des réformes qui sont un aveu de ses crimes et de ses lois réactionnaires, et un encouragement aux luttes pour de réelles transformations sociales

Le successeur du dictateur marocain Hassan II, son fils Mohammed VI, n’a pas attendu la fin du deuil national officiel de 40 jours pour présenter sa politique. C’est dire l’inquiétude du régime et sa volonté de ne pas prolonger plus longtemps un vide politique lourd de menaces. Héritier de cette dictature d’un autre âge, Mohammed VI joue la carte des réformes et de la modernisation du régime. Dans son discours, il s’est démarqué du long règne sanglant de son père, essayant de paraître soucieux des " souffrances de son peuple ", et " des carences du pays ". Il joue au monarque " social " soucieux de ses sujets, des déshérités, des fellahs démunis, ces milliers de paysans qui fuient la misère de leur condition en grossissant le nombre des chômeurs dans les villes, des chômeurs diplômés, et enfin des femmes, victimes de conditions moyenâgeuses, qui " constituent la moitié de la société et voient leurs intérêts bafoués ".

Il a été contraint d’aborder un des points sensibles de la dictature marocaine, celui des droits de l’homme. Durant les 38 ans de la dictature sanglante d’Hassan, des milliers d’opposants ou simplement d’hommes et de femmes dont le seul crime avait été d’avoir émis des critiques sur " Sa Majesté ", ont connu les geôles de la dictature, la torture, sont morts ou ont disparu, sans que leur famille n’entende jamais plus parler d’eux. La monarchie, qui se vantait cyniquement devant les régimes occidentaux de son profond respect des droits de l’homme et masquait ses crimes derrière un silence imposé par la terreur, propose aujourd’hui " d’indemniser les victimes et les familles des disparus, ainsi que de tous ceux qui ont eu à subir un emprisonnement arbitraire ". Elle en compterait un peu plus d’une centaine...

En cherchant ainsi à désamorcer la révolte et la contestation, la monarchie est contrainte d’avouer ses crimes.

Toute la presse occidentale s’interroge sur les moyens réels du nouveau monarque de mener à bien les réformes annoncées, alors qu’il devra affronter les islamistes intégristes et tout ce que le pays compte de plus réactionnaire derrière le ministre de l’intérieur Basri, fidèle d’Hassan et chef de la police et de l’armée, opposés à toute réforme, et elle se félicite des premiers pas dans " la voie de la démocratisation ". Au lendemain de la mort d’Hassan, le nouveau monarque, qui reste " de droit divin ", a maintenu le gouvernement dirigé par le socialiste Youssoufi que, contraint de céder à la pression des travailleurs et de la population, Hassan avait nommé en février dernier au lendemain d’élections remportées par l’opposition. Youssoufi, le chef de cette opposition domestiquée qui accepte de jouer le rôle de vitrine démocratique sous l’autorité du roi, expliquant que " tout changement est générateur de conflit " et qu’il fallait donc jusque-là " ne toucher à rien ", est en train de mettre en place une politique d’austérité draconienne imposée par le FMI pour payer la dette qui étrangle le Maroc. 30 % des revenus de l’exportation servent au paiement de ses intérêts. Près de 21 % de la population est au chômage et le revenu par habitant est le plus bas de tous les pays du Maghreb. Le pays est pillé par une minorité de riches, moins de 10 %, qui s’est accaparé 80 % des richesses du pays, Hassan II s’étant constitué sur le dos de son peuple une des plus grosses fortunes de la planète, pendant que la moitié de la population vit avec moins de 300 F par mois. Alors que le taux d’analphabétisme officiel est de 46,7 %, le gouvernement Youssoufi prévoit une réforme de l’enseignement qui supprimera la gratuité après le primaire. Une politique de privatisation est en cours, qui a commencé par la vente récente du réseau de téléphonie mobile de l’Etat, et le gouvernement prévoit la diminution des dépenses de l’Etat, en désignant comme responsables les " 30 000 fonctionnaires qui ne travaillent pas ". La condition des femmes, dictée par les lois religieuses, reste moyenâgeuse. La polygamie, le mariage à partir de 14 ans leur sont encore imposés de même que le refus de leur reconnaître le moindre droit civique qui les laisse sous la domination des pères et des maris.

Le besoin de réformes s’impose à ce régime d’un autre âge, un besoin que tous les dirigeants font semblant de découvrir parce qu’ils ne peuvent plus s’y opposer, comme ce dirigeant de l’opposition expliquant que pendant trop longtemps son parti avait " oublié qu’il y avait un peuple avec des attentes ". Les lois réactionnaires, la corruption des classes dirigeantes qui affichent un luxe tapageur pèsent lourd sur la classe ouvrière et la jeunesse qui représente 30 % de la population. Les discours réformateurs expliquant que tout change alors que le chômage et la misère font des ravages, ont peu de chance de faire longtemps illusion et l’état de grâce du nouveau monarque risque bien de faire long feu. Si la classe ouvrière ne prenait pas son sort en main pour offrir une issue à l’ensemble de la population pauvre du pays, le risque existe de voir se développer les partis religieux et forces intégristes qui progressent en se nourrissant de la misère et du désespoir et qui ramèneraient brutalement la société en arrière. Mais les discours actuels des dirigeants, en cherchant à sauver leurs privilèges, révèlent leurs crimes et leurs mensonges passés et les promesses de réformes pourraient bien être un encouragement aux travailleurs et à la jeunesse marocaine pour les imposer par leurs luttes.

Catherine Aulnay

 

Angleterre : les enseignants face à l'offensive libérale contre l'école

En Angleterre, on assiste à une véritable offensive contre l'éducation. Le gouvernement travailliste britannique et son ministre de l'Education, David Blunkett, blairisme oblige, ont une longueur d'avance sur Allègre. Cette année, les dépenses éducatives seront inférieures à celles du précédent gouvernement conservateur en 1995 et le gouvernement multiplie ses attaques contre les travailleurs de l'éducation.

La culpabilisation et la mise au pas du monde enseignant

Le gouvernement a d'abord lancé une campagne en règle contre le corps enseignant accusé d'être responsable de tous les maux de l'éducation et de l'échec des enfants. Il tente ainsi de dresser les parents d'élèves contre les professeurs. Austérité oblige, il s'agit d'accréditer par tous les moyens l'idée que l'on peut faire mieux avec moins de moyens. Qu'un enfant sur trois vive dans la pauvreté, que le chômage et la misère privent de toute réelle culture les élèves issus des classes populaires, peu importe. Pour le gouvernement travailliste, le problème de l'éducation est avant tout d'un problème de qualité, pas de quantité, rengaine que nous connaissons bien ici et qui est destinée à rendre les enseignants responsables de l'échec de l'école. La crise de l'éducation ne découle pas d'un manque de moyens, elle n'est pas non plus le produit de la misère. Non, c’est d'abord la faute aux enseignants.

Pour le gouvernement, il y aurait de " bons " et de " mauvais " profs. Et pour bien enfoncer le clou, les enseignants seront désormais rémunérés en fonction du résultat de leurs élèves qui seront donc évalués tous les ans.

Dès l'école primaire, les enfants devront subir des tests répétés, tests d'autant plus aliénants qu'ils ne prennent en compte ni les besoins des élèves, ni leur rythme propre.

Outre le fait de renforcer la caporalisation dans les établissements et de diviser davantage le monde enseignant (les " supers profs " se verront même remettre des oscars !), l'enseignement se réduira de plus en plus à un bachottage aussi stupide que stérile.

Adapter les élèves au marché ou l'éducation au rabais

En fait, il s'agit d'adapter toujours un peu plus l'enseignement aux seules exigences du marché. Les buts assignés à l'école sont de plus en plus étroits. Les nouveaux programmes ne mettent plus l'accent que sur les compétences de base, lire, écrire, compter et l'enseignement se réduit de plus en plus à réaliser des séries de tâches aussi ennuyeuses que monotones qui ne mettent en jeu ni l'esprit critique ni la créativité, ou même l'imagination des élèves.

Pour les besoins de la cause, les inspecteurs de l'éducation ont choisi de s’en prendre à ce qui a longtemps été le symbole d'une école alternative, l'école de Summerhill. Fondée en 1921 par A. S. Neill, un professeur écossais, celle-ci n'a jamais été une école accessible aux enfants des classes populaires. Cette expérience éducative était en effet réservée aux familles capables de payer des frais d'inscription de plus de 60 000 francs par an. Mais Summerhill a longtemps été un modèle d'une pédagogie où les élèves étaient au centre, d'une école où ils étaient respectés en tant qu'individus et où les sanctions étaient bannies. Aujourd'hui, elle se voit menacée de fermeture puisqu'elle ne satisfait pas aux critères de rentabilité et d'efficacité définis par le gouvernement.

De nombreuses écoles sont menacées de fermeture ou se voient contraintes de rentrer dans une des zones d'action éducatives  nouvellement créées. Avec ces zones d'action éducatives, il ne s'agit même pas d'accorder quelques moyens supplémentaires aux élèves les plus défavorisés comme c'est le cas en France avec les Réseaux d'Education Prioritaires (REP) - moyens supplémentaires qui ne changent de toute façon pas grand chose aux handicaps provoqués par la misère et le chômage -, il s'agit surtout de supprimer purement et simplement les cours d'art, de théâtre et de musique en renforçant les horaires destinés à l'apprentissage de la lecture et du calcul.

Si le gouvernement semble être parvenu pour l'instant à diviser parents et enseignants, notamment parce que de nombreux parents pensent que leurs enfants bénéficieront du renforcement horaire dans les compétences de bases, il y a eu des réactions dans certaines écoles de la banlieue de Londres où les élèves qui refusent une éducation au rabais ont manifesté contre l'introduction de leur école dans une zone d'action éducative. Comme le disait des élèves : " On veut nous former pour travailler chez MacDonald's toute notre vie ".

Vincent Ryan

Le terrorisme de l’Etat italien contre des militants d'extrême-gauche révélé

Trois militants de l'organisation d’extrême-gauche italienne Lotta Continua, ont été libérés de prison la semaine dernière, en attendant la révision de leur procès. Leur histoire est symptomatique de la répression de l’Etat italien, gangrené par l’extrême-droite, contre les militants qui contestent la société capitaliste.

Ces trois militants (dont l’ancien porte-parole de mai 68 en Italie) avaient été condamnés à 22 ans de prison pour le meurtre, qu’ils ont toujours nié, d’un homme qu’ils avaient combattu et dénoncé, le commissaire Calebresi. En décembre 1969, un militant anarchiste G. Pinelli a été assassiné, défenestré du bureau de ce commissaire, alors qu’il était accusé d’un attentat qui avait fait à Milan, 16 morts et 84 blessés. Il s’est avéré que cet attentat avait été commis par un groupe d’extrême-droite, manipulé par les services secrets. Mais ni les commanditaires, ni les exécutants de cet attentat n’ont été poursuivis. Pas plus que le commissaire jusqu’à ce qu’il soit exécuté en mai 1972. Par contre la soi-disant justice italienne s’est acharnée contre les militants de Lotta Continua. Elle a patiemment attendu jusqu'en 1988, qu’un ex-militant de cette organisation accepte d’accuser ses anciens camarades pour leur intenter un procès ; les preuves étaient si convaincantes que la peine de 22 ans de prison n’a été prononcée qu’en 1995 et confirmée en 1997. Il n’y a aucun doute, la justice italienne est persévérante contre ceux dont les idées menacent l’ordre social qu’elle défend.

Les trois militants avaient refusé de demander une grâce : " notre condamnation est une vengeance pour punir une génération indocile " a dit l’un d’eux. En effet, ce sont au moins 200 personnes qui sont toujours emprisonnées en Italie, condamnées pour leur militantisme dans les années 70, et presqu’autant sont en exil. La répression de l’Etat italien est venue à bout de ceux qui voulaient combattre immédiatement l’injustice sociale du capitalisme, mais les méthodes de la violence d’Etat qui réprime la contestation en se servant du terrorisme de l’extrême-droite, du chantage sur les " repentis ", sont révélateurs de leur prétendue démocratie.