page 7



En Allemagne comme en France, le monde du travail cherche un débouché politique pour combattre la politique du patronat et des politiciens à son service

Mardi 19 octobre, plus de 70 000 salariés des services publics et des transports ont manifesté à Berlin contre le budget du gouvernement Schröder, en réclamant " la fin de la politique anti-sociale ", mais aussi sur certaines pancartes " Schröder doit partir ". Dans ce budget, intitulé " souffrir pour gagner ", le gouvernement prévoit des économies de 30 milliards de marks, aux dépens de la population et des salariés des services publics. Pour les salariés du public, il a ainsi prévu de limiter les hausses de salaire en les indexant sur l’inflation, chiffre officiel qui est aussi éloigné de la réalité en Allemagne qu’en France. Le gouvernement donne ainsi le ton de la politique salariale, confortant le patronat allemand dans son refus des augmentations de salaire. Les employés des services publics qui manifestaient, rappelaient aussi que dans la fonction publique allemande, les anciens fonctionnaires d’Allemagne de l’Est touchent actuellement 86,5 % du salaire des fonctionnaires de l’ex-RFA, 10 ans après la réunification, et alors que les prix, sont eux, réellement unifiés.

Cette manifestation était appelée par les syndicats des services publics et des transports qui, comme tout le monde tirent les bilans de la succession de défaites du parti de Schröder aux élections régionales allemandes, les dernières à Berlin, le 10 octobre, ayant confirmé le rejet de la politique du gouvernement par les travailleurs qui votaient social-démocrate. Les directions des syndicats qui avaient été les principaux relais de la campagne de Schröder ont donc besoin de manifester une certaine indépendance par rapport à la politique du gouvernement. En même temps, les directions syndicales voudraient montrer leurs capacités à peser sur le gouvernement et à lui faire reprendre une partie des mesures qu’elles préconisent, car comme l’expliquait un des dirigeants d’IG Metall : "  nous voulons une autre politique, mais pas d'autre gouverne-ment ". Alors que le patronat, au nom de la mondialisation, tente de se débarrasser de tout ce que les syndicats avaient négocié, salaires les plus élevés d’Europe, limitation du temps de travail, caisses de retraites, et cela avec l’appui du gouvernement, les syndicats sont devant l’obligation de montrer qu’il faut compter avec eux.

C’est pour cela qu’ils ont appelé à cette manifestation, la semaine suivant ce que les journalistes ont appelé " le virage de Schröder ". En effet, la semaine dernière, après la dernière claque de son parti aux élections berlinoises, Schröder a annoncé qu’il comptait reprendre le projet du syndicat des métallurgistes, IG Metall, qui abaisserait les retraites à 60 ans au lieu de 63, d’abord dans la métallurgie, au nom de la lutte contre le chômage. Le même Schröder s’était fait chahuter, 10 jours auparavant par bon nombre des délégués d’IG Metall réunis en congrès auxquels il avait expliqué, que ce projet de retraite à 60 ans n’était pas " finançable ". Le gouvernement reprend ce projet mais sans vouloir payer " un seul mark ", en proposant qu’il soit financé par des accords patronat-syndicats. Bien évidemment, les patrons ont immédiatement hurlé que c’était impossible. " Quelques profiteurs vont tirer avantage aux dépens de la communauté. C’est socialement injuste " s’est révolté le président des patrons, expliquant que le régime de financement des retraites ne pourra pas payer. Le patronat crie d’autant plus fort que ce projet lui fournit une justification à son refus d’augmenter les salaires, l’occasion est trop belle. D’autant que le départ anticipé de salariés âgés et relativement mieux payés, pourrait devenir une aubaine pour le patronat, lui permettant de ne pas remplacer la totalité des départs, et d’embaucher des jeunes, bien moins payés.

Le nouveau " projet social " de Schröder ressemble donc beaucoup aux 35 heures de son comparse Jospin, avec lequel il a fêté la semaine dernière la fusion des deux principaux groupes d’aéronautiques privés Matra-Aérospatiale et DASA : présenter comme une avancée sociale une loi qui permet aux patronat de " réduire le coût du travail ". Dans cette nouvelle configuration de la lutte de classes, les directions des syndicats sont à la fois les alliés des politiciens " de gauche ", mais elles sont aussi contraintes d’exprimer la colère des salariés contre ce gouvernement, à commencer par la colère de leurs militants afin de continuer d’exister. Les manœuvres et calculs des uns et des autres se révèlent sous l’effet du ras le bol grandissant du monde du travail qui les oblige à faire tomber les masques. Le succès de la manifestation de Berlin des salariés de la fonction publique montre bien que la colère des travailleurs cherche les moyens de s’exprimer et a besoin de perspectives politiques.

Isabelle Cazaux

L’Europe de la liberté et de la démocratie reste à construire

Le Conseil européen qui s’est tenu les 15 et 16 octobre à Tampere en Finlande a été un nouveau sommet de cynisme pour les dirigeants européens. Afin de pallier à l’image de forteresse qui colle à l’espace de Schengen, il n’a été question que de " liberté et de justice ". Chirac, toujours modeste, a annoncé " le prochain grand chantier, celui de l’Europe des hommes ". Donc, ce n’est pas pour tout de suite. Pour l’instant, il y a déjà l’Europe des riches, espace de concurrence et de profits, sûrement ce que Chirac entend par " une Europe où la vie est simple "

Alors que les concentrations d’entreprises s’accélèrent depuis la création de l’Euro, les vieux Etats nationaux restent à la traîne, crispés sur leurs prérogatives. Créer les institutions équivalentes à un Etat européen et prenant en charge le fonctionnement de la société, les dirigeants de l’UE en sont bien incapables. Ils ont tout juste réussi à s’accorder sur ce qui est pour eux le minimum : coordonner les services de police.

Derrière la mise en place de cette " Europol " qui voit son budget passer de 19 à 28 millions d’euros pour l’an 2000, se pose la nécessité pour la bourgeoisie de gérer les mouvements de migration à l’échelle européenne, tout en défendant son propre intérêt national. Déjà depuis 1991, la législation européenne prévoit de renvoyer la majorité des réfugiés vers les pays d’Europe centrale ou orientale considérés comme sûrs et qui servent en fait d’États-tampons pour les pays les plus riches.

Actuellement, l’Allemagne qui attire le plus de réfugiés, voudrait imposer une répartition autoritaire entre les Etats européens en cas de crises graves, comme pendant la guerre au Kosovo. Jospin, lui, s’y est opposé car l’immigration reste une question sensible pour le gouvernement français. La mobilisation des sans-papiers empêche le gouvernement de procéder à une régularisation massive pour des raisons politiques. Ce serait céder face à une revendication de travailleurs exploités et cela, Jospin ne peut se le permettre. Ce serait un symbole qui pourrait susciter d’autres revendications.

Ainsi, chaque Etat doit gérer une main d’œuvre immigrée destinée à l’esclavage du travail clandestin suivant les besoins du patronat. Pour les capitalistes, l’immigration n’est que le mouvement d’une marchandise parmi d’autres, dont l’offre doit toujours être supérieure à la demande. Les Etats jouent leur rôle de " régulation " d’autant plus nécessaire qu’une telle main d’œuvre sous-payée permet de faire pression pour baisser les salaires minimum. Derrière les phrases pompeuses des dirigeants européens, c’est une politique de répression qui s’accentue. Chaque année, des milliers de réfugiés sont expulsés sans même que leurs demandes ne soit examinées avec des méthodes de plus en plus violentes et cela en toute impunité.

Benoît Franca

BENJAMIN PÉRET ( 1899-1959) " Je ne mange pas de ce pain-là "

Bien que dans ce pays on soit friand de commémorations à l’occasion de centenaires divers, les médias ont été plus que discrets sur celui du grand poète que fut Benjamin Péret.

Venu très jeune au surréalisme d’André Breton, (ce mouvement d’artistes, d’écrivains qui après la première guerre mondiale rejetait avec violence la société bourgeoise), Benjamin Péret fut un des premiers à s’intéresser aux idées communistes. Il sera chroniqueur à L’Humanité, puis rejoindra dès 1929 l’opposition de gauche antistalinienne. Il ira la même année au Brésil fonder " La Ligue Communiste du Brésil ", et en sera expulsé comme " agita-teur communiste " en 1931. On le retrouve militant trotskiste durant la révolution espagnole.

Arrêté en 1940 pour ses activités, il parvient à s’échapper et à rejoindre le Mexique où il se lie d’amitié avec Natalia Sedova, la compagne de Trotsky. Revenu en France après la guerre, il continue à militer dans les groupes trotskistes et à la CGT.

Péret s’est ainsi fait beaucoup d’ennemis qui ne lui ont jamais pardonné d’avoir été toute sa vie active non seulement poète mais aussi militant révolutionnaire jusqu’à sa mort.

Lors de la publication d’un de ses recueils de poèmes en 1936, où il s’attaque avec violence à la religion, à la guerre, au patriotisme et aux militaires, des membres des Ligues patriotiques d’extrême-droite voulurent le faire interner.

Les staliniens et les " hommes de lettres " lui en ont toujours voulu d’avoir publié : Le Déshonneur des Poètes " en 1945. Dans une période où les Aragon, Eluard et autres s’aplatissaient servilement devant le stalinisme et le patriotisme de tous bords, Péret fustige ces " patriotes professionnels ", qui bien qu’ayant sans cesse le mot de liberté à la bouche sont en fait des justificateurs de l’ordre établi : " tout " poème " qui exalte une " liberté " volontairement indéfinie quand elle n’est pas décorée d’attributs religieux ou nationalistes, cesse d’abord d’être un poème et par suite constitue un obstacle à la libération totale de l’homme, car il le trompe en lui montrant une " liberté " qui dissimule de nouvelles chaînes ".

Un livre de Péret vient de paraître : " La Commune des Palma-rès ". Il y raconte l’histoire des esclaves évadés au Brésil au 17e siècle : les nègres marrons. Pendant plusieurs dizaines d’années, ces anciens esclaves constituèrent des communautés libres dans la forêt résistant aux expéditions montées par les Portugais. Même si cette révolte fut finalement réduite par les esclavagistes et leurs hommes de main, elle reste une des premières étapes de la lutte contre l’esclavage qui ne fut aboli au Brésil qu’en 1888.

Benjamin Péret avait fait un choix, celui d’être un poète qui : " lutte contre toute oppression : celle de l’homme par l’homme d’abord et l’oppression de sa pensée par les dogmes religieux, philosophiques ou sociaux ".

Sur sa tombe, une seule phrase : " Je ne mange pas de ce pain-là ".

Gilles Luca  

Le Déshonneur des Poètes (Mille et Une nuits -10 F) - La Commune des Palmares (Syllepse - 60 F) - Benjamin Péret : textes et poèmes (Poésie 1 Septembre - 28 F)

" De tous les sentiments qui s’agitent dans le coeur de l’homme, le désir de liberté est certainement l’un des plus impérieux et sa satisfaction l’une des conditions essentielles de l’existence. C’est pourquoi lorsqu’il s’en voit privé, il n’a de repos qu’il ne l’ait reconquise ; si bien que l’histoire pourrait se limiter à l’étude des attentats contre cette liberté et aux efforts des opprimés pour secouer le joug qui leur a été imposé ".

Benjamin Péret La Commune des Palmares