Les suites de la manifestation du 16 octobre



Ne pas se laisser anesthésier par le PCF, oser être soi-même

Au lendemain de la manifestation du 16 octobre, la direction de Lutte Ouvrière, sous la signature d’Arlette Laguiller, a adressé à Robert Hue. une lettre dont la forme et le contenu sont significatifs. La direction de Lutte Ouvrière y évite soigneusement de formuler une quelconque critique des actes du PCF au gouvernement et à l’Assemblée. Il n’y a pas un mot sur la loi Aubry et sur le vote des députés du PCF en sa faveur à la veille de la manifestation. Par souci " unitaire " sans doute, la direction de LO évite même soigneusement d’employer à propos de la politique du gouvernement des formules que ne pourrait pas reprendre le PCF lui-même. Elle parle des travailleurs venus à la manifestation, heureux d’être enfin appelés à " agir contre le patronat et les politiques ne prenant pas en compte leurs intérêts vitaux, voire s’y opposant ". Que de précautions ! Pourquoi " les politiques ", alors qu’il s’agit de celle, au singulier, du gouvernement, et que signifie cet euphémisme " ne prenant pas en compte leurs intérêts vitaux, voire s’y opposant ". Pour beaucoup de travailleurs, c’est tout vu. la politique du gouvernement s’oppose à leurs intérêts

La direction de LO va plus loin encore dans cette lettre en faisant semblant de croire qu’elle n’a avec Robert Hue que des divergences tactiques : " vous dites que le gouvernement doit plus tenir compte des intérêts populaires et je dis qu’il faut contraindre Jospin à le faire. Votre politique est de participer à ce gouvernement pour le changer de l’intérieur, ce que je crois impossible, tandis que je pense qu’il ne changera que sur une pression extérieure du monde du travail ". Formuler ainsi les politiques respectives du PCF et de l’extrême-gauche, c’est laisser croire, comme Robert Hue s’échine à le faire, qu’on peut défendre les mêmes intérêts dans et hors du gouvernement. C’est laisser croire que ce gouvernement pourrait être un allié des travailleurs, c’est avaliser aux yeux des militants du PCF le discours mensonger de Robert Hue, auquel Arlette Laguiller adresse d’ailleurs ses " félicitations ".

La volonté de LO de taire toute critique nette du gouvernement et de la politique que le PCF y pratique a d’ailleurs été illustrée le 16 octobre. En effet la direction de LO y a contraint les militants de la fraction l’Etincelle de Lutte Ouvrière, à retirer une banderole dénonçant " patronat licencieur, gouvernement complice ".

La direction de Lutte Ouvrière s’en est expliquée en disant qu’elle ne voulait pas " polémiquer publiquement " et en affirmant que ses mots d’ordres " corres-pondaient à la façon dont nous voyons les objectifs communs de cette manifestation commune ".

Dire ce qu’on pense du gouvernement dans une manifestation de dizaines de milliers de travailleurs contre le chômage c’est " polémiquer " ? Avancer ses propres mots d’ordre quand on manifeste avec un parti qui est au gouvernement et vient de voter une loi néfaste pour les travailleurs, c’est rompre le caractère " commun " de la manifestation ? La direction de LO avance là une bien curieuse conception de l’unité d’action ou du " front unique ". Bien loin des conceptions historiques du trotskysme, bien loin de ses propres analyses et pratiques passées.

Il était parfaitement possible pour l’extrême-gauche d’appeler et de participer à cette manifestation tout en y défendant l’intégralité de sa politique et surtout une position clairement anti-gouvernementale. Il n’était pas nécessaire qu’Arlette Laguiller et Alain Krivine y défilent en tête de la manifestation au coude à coude avec les représentants de la gauche plurielle.

De ce point de vue la LCR, à notre sens, n’a pas non plus défendu assez nettement la nécessité pour les travailleurs de se battre contre la politique gouvernementale. Certes il y avait dans le cortège de la LCR des banderoles dénonçant la loi Aubry. Certes dans ses tracts d’appel à cette manifestation le double jeu de Robert Hue et la politique du gouvernement étaient dénoncés, critique reprise publiquement par Alain Krivine. Mais dans l’ensemble du cortège, de même que dans le matériel diffusé par la LCR et les éditos de Rouge de ces dernières semaines l’axe essentiel était résumé par la formule " il faut obliger le gouvernement à changer de politique ".

Cette formulation est ambiguë. D’une part elle reprend, même si c’est dans des termes plus énergiques, des formules équivalentes utilisées par le PCF quand il veut signifier que ce gouvernement n’a besoin que d’une bonne poussée à gauche pour faire une politique favorable aux travailleurs. D’une certaine manière c’est, par un souci unitaire mal placé ou par un faux " réalisme ", entretenir la confusion entre la politique du PCF et celle que doit défendre l’extrême-gauche. D’autre part parce qu’elle n’exprime pas clairement que pour imposer des mesures anticapitalistes d’urgence (telles que " l’interdiction des licenciements " qui était le thème de la banderole commune de LO et de la LCR) il faudra à la fois lutter contre le patronat et contre le gouvernement.

Ces concessions et ces confusions ont brouillé le message dont l’extrême-gauche était porteuse dans cette manifestation. Elles n’ont heureusement pas empêché que l’extrême-gauche apparaisse pour ce qu’elle est et doit rester. Pour les milliers de manifestants qui ont défilé dans son cortège, pour des milliers d’autres qui, après avoir manifesté derrière les banderoles du PCF, ont tenu à rester sur le parcours de la manifestation pour la voir défiler, et pour tous les travailleurs et militants auprès desquels les militants d’extrême-gauche ont milité pour le succès de cette manifestation, l’extrême-gauche incarne une autre politique que celle des partis de la gauche plurielle. C’est à son crédit et à celui de ses militants qui depuis des années et plus récemment au cours de la campagne des élections européennes défendent la perspective des mobilisations pour imposer au patronat comme au gouvernement des mesures radicalement anti-capitalistes.

Une démarche unitaire vis à vis des militants du PCF et de tous les autres militants de la classe ouvrière est indispensable. Elle doit se faire en toute clarté, car il s’agit d’entraîner ces camarades dans la lutte en rompant toute solidarité avec le gouvernement comme avec la politique du PCF.

Fabrice Isidro

Après la manifestation du 16 octobre, la direction du Parti communiste voudrait ne pas laisser le terrain libre à l’extrême-gauche

Après l’initiative prise par le Parti communiste d’appeler à la manifestation du 16 octobre contre le chômage, se pose à sa direction et tout particulièrement à Robert Hue qui joue sa crédibilité politique à " refonder " le PC, le problème de quelle suite donner à la manifestation nationale. Le Parti communiste est placé dans l’obligation de ne pas rester l’arme aux pieds sous peine que le mécontentement profond qui existe parmi ses militants et de nombreux travailleurs s’exprime par une rupture qui est déjà en route avec la politique de la gauche gouvernementale, au profit de l’extrême-gauche antigouvernementale. Dans ces conditions, la marge de manœuvre de la direction est faible.

Robert Hue, dans une conférence de presse mardi dernier, s’est à nouveau félicité de la manifestation du 16 qui selon lui, " a changé la donne " et il a annoncé pour début décembre, une nouvelle initiative qu’il veut exclusivement sur le thème du refus du chômage. Enfonçant le clou sur le caractère du 16 octobre qui aurait été seulement une manifestation anti-patronale, et pas un désaveu de la politique du gouvernement, il souhaite élargir cette initiative à d’autres organisations : " nous pourrions aller début décembre vers une série d’initiatives décentralisées dans le cadre d’une journée nationale d’action, à nouveau sur cette question (lutter contre les licenciements) avec à la fois ceux qui ont participé à la réussite du 16 octobre mais aussi d’autres qui regardent certainement aujourd’hui avec moins d’appréhension ". Pour Hue, il s’agit de montrer que son parti peut assumer des responsabilités gouvernementales et offrir des perspectives aux travailleurs et pour cela, il a besoin de justifier le fait que la présence de ministres communistes permet d’infléchir la politique de Jospin tout en cherchant le soutien du Parti socialiste et de la direction de la CGT dans cette voie.

Toute nouvelle manifestation ne pourrait se tenir qu’à condition qu’elle ne puisse pas apparaître comme un soutien à la politique du PC au gouvernement. C’est de cela qu’il s’agit de débattre entre militants et sympathisants du Parti communiste, du Parti socialiste, des syndicats, et ceux d’extrême-gauche, de façon à ce qu’une nouvelle force, libre de tout soutien au gouvernement, prenne conscience d’elle-même et se renforce. D’autant qu’en voulant occuper le terrain, le Parti communiste entretient lui-même le débat autour de sa politique et l’évolution, voire l’avenir de son parti. Robert Hue, invité dimanche dernier au Forum-RMC, a affirmé que le PC " ne deviendra pas social-démocrate " en réponse au député Vert, Noël Mamère, qui pronostiquait la fin du PC " digéré par la social-démocratie ". Pour les militants du Parti communiste, inquiets de l’évolution de leur parti, Hue n’est pas crédible quand il se récrie pour affirmer ses convictions révolutionnaires ou plutôt transformatrices… Et plus il affirme sa place spécifique, plus il convainc qu’il n’a pas de perspectives à offrir aux travailleurs parce que le PC est déjà devenu ce qu’il prétend ne pas être.

Le problème est posé clairement pour les militants : ou accepter l’intégration de leur parti et le reniement des idées du communisme pour persister dans une politique contraire aux intérêts des travailleurs, ce que la direction s’apprête à faire entériner lors de son prochain congrès en mars, ou se dégager du soutien au gouvernement et remettre en cause le choix de la direction pour se tourner vers les idées de la lutte des classes et retrouver le goût de la lutte sociale. C’est pour affirmer cette perspective que nous étions au coude à coude dans la rue. Ce front unique, il nous faut l’organiser sur les lieux de travail et d’habitation, lui donner une réalité en tissant des liens de discussions entre tous les militants fidèles au camp des travailleurs. Liens de discussion, mais aussi d’action contre la politique du patronat et du gouvernement et de ceux qui la soutiennent.

Valérie Héas

Chevènement relance la chasse aux sans-papiers et exige l’augmentation du nombre d’expulsions

Libération a rendu publique une circulaire de Chevènement aux préfets du 11 octobre. Il y écrit : " la politique en matière d’immigration est désormais équilibrée. La loi de 1998 a ouvert de nouveaux droits aux étrangers, elle facilite le séjour de personnes ayant des liens avec notre pays " en conséquence de quoi " … les étrangers qui désormais ne remplissent pas les conditions d’obtention d’un titre de séjour doivent être effectivement éloignés ". Autrement dit expulsés.

Pour que les choses soient bien claires, le ministre de l’Intérieur reproche aux préfets " le niveau anormalement bas " des expulsions, et leur intime : " vous devez motiver et mobiliser les services de police compétents pour procéder aux interpellations, qui sont actuellement en nombre insuffisant ", en effet " il a été fait montre d’une grande circonspection durant la régularisation. Il convient d’y mettre fin car elle n’est plus justifiée ". Et Chevènement d’exiger, en vrai jésuite, la chasse au faciès : " tout en évitant le risque de contrôles systématiquement sélectifs, vous rappellerez aux services de police et de gendarmerie la nécessité d’effectuer des vérifications répétées dans les endroits qu’ils vous auront indiqués comme étant ceux où se concentrent les irréguliers ". Décidément Chevènement est mécontent, son quota de 12 000 expulsions par an, qu’il avait fixé en mai 1998, ne sera pas atteint cette année, sauf si les préfets font du zèle, ce qui leur est vivement recommandé.

Cette circulaire est bien à l’image de la politique du gouvernement Jospin qui voudrait surtout ne pas paraître céder à la mobilisation des manifestants qui réclamaient la régularisation de tous les sans-papiers.

Les procédures de régularisation au cas par cas, ont dévoré une quantité d’énergie militante pour défendre chaque dossier face à l’arbitraire des préfets, car bien évidemment aucun critère objectif n’était appliqué pour déterminer l’acceptation ou le rejet. La plupart des sans-papiers régularisés l’ont été pour un an, et se trouvent pour nombre d’entre eux de nouveau confrontés au problème. Tandis que d’autres, comme les 49 qui occupent depuis 29 jours l’ancienne trésorerie de Saint-Denis, n’ont jamais pu obtenir de papiers alors même qu’ils ne sont pas expulsables. Ce qu’ils dénoncent, par la grève de la faim. Ils ne veulent plus être livrés à l’exploitation des requins qui leur imposent, avec l’aide de la loi Chevènement, le travail au noir, la vie dans des taudis insalubres et la menace permanente d’incarcération. Le gouvernement espérait par ces régularisations au cas par cas épuiser la mobilisation des sans-papiers et de ceux qui les soutiennent, et Chevènement tente aujourd’hui de reprendre l’offensive. Sans tambour ni trompette, il voudrait discrètement continuer la politique de ses prédécesseurs Debré et Pasqua, en s’appuyant sur les bons vieux réflexes racistes de l’appareil policier.

Isabelle Cazaux