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Budget 2000 : le gouvernement intervient dans l’économie, pour faire des cadeaux aux riches et racketter les plus pauvres !

Lors de son intervention télévisée consécutive à l’annonce des licenciements chez Michelin, Jospin avait affirmé que l’Etat ne pouvait rien faire et qu’il n’était pas question d’instituer " une économie administrée ". La discussion sur le Budget 2000 montre à quel point l’Etat peut peser dans l’activité économique : le budget de l’Etat porte sur 1 681 milliards de dépenses et sur 1 463 milliards de francs de recettes. Qui bénéfice de ces milliards ? Qui paie l’impôt ? C’est assurément un moyen de peser sur l’économie et le gouvernement montre à travers ses choix que ce sont les intérêts des capitalistes qu’il défend.

Car si les possédants crient à l’assassinat fiscal pour pouvoir s’accaparer une part toujours plus grande des richesses produites, ce sont les plus pauvres qui paient le plus d’impôts. L’impôt sur le revenu ne représentait en 1998 que 17,2 % des recettes fiscales ; elles étaient de 21,7 % en 1993. Les plus grosses rentrées fiscales sont la TVA et les taxes sur les carburants : elles représentent plus de la moitié des rentrées de l’Etat et elles sont payées au même taux par tous, les Rmistes comme les milliardaires !

Le gouvernement a bien diminué un taux de TVA, celui portant sur les travaux à domicile qui est passé de 20,6 % à 5,5 %. Mais ce sont les plus riches des propriétaires, ceux qui ont les moyens de faire de gros travaux qui bénéficieront le plus des 17 milliards de francs d’exonérations fiscales.

Strauss-Kahn a prétendu que ce budget permettrait de développer l’emploi. Un gouvernement défendant les intérêts des salariés se servirait des milliards d’excédent de recettes fiscales pour embaucher des centaines de milliers de salariés dans la Fonction publique. Le gouvernement Jospin a fait un choix inverse : il consacre des milliards à recruter des emplois-jeunes, précaires et payés au SMIC, pour boucher les trous dans le secteur public et il distribue des milliards aux patrons sous prétexte de leur permettre d’embaucher. Le budget qui augmente le plus cette année, est celui qui est chargé de la répartition de ces subventions, celui du ministère de l’Emploi et de la solidarité, qui augmente de 4,3 %, avec 253 milliards. Les parasites de la finance ne sont pas oubliés : le deuxième poste de l’Etat après celui de l’Education nationale, c’est celui des " Charges communes " (360 milliards de francs dont 250 milliards de paiement des intérêts de la dette publique).

Si les riches bénéficient largement de la manne publique, ils paient de moins en moins d’impôts. L’impôt de solidarité sur la fortune reste une mesure dérisoire : le gouvernement a confirmé que seul serait pris en compte le patrimoine immobilier alors que l’essentiel des fortunes porte sur les biens professionnels et sur les valeurs mobilières, actions et obligations. Mais là encore le gouvernement a soigné les détails : les œuvres d’art ont été une nouvelle fois exonérées de l’impôt sur la fortune. Il faut donc être un imbécile ou un snob pour payer cet impôt !

Quant aux impôts qui affectent les patrons, ils sont en baisse : baisse de la taxe professionnelle qui représente plusieurs dizaines de milliards sur les années à venir, disparition de la surtaxe de 10 % sur l’impôt sur les sociétés. Et promesses que les taux d’imposition les plus élevés, notamment celui de 54 % sur la part des revenus imposables dépassant 293 600 F par an, serait prochainement abaissé, c’est en tout cas ce que réclame Fabius avec insistance depuis plusieurs mois.

Pour les plus pauvres, il n’y a rien : malgré les milliards d’excédent fiscal annoncés, aucune revalorisation des minima sociaux et six millions de personnes vont continuer à vivre avec moins de 3 000 F par mois. Et lorsque le gouvernement prétend prendre des " mesures sociales ", sa mesquinerie ne fait que mettre en exergue les largesses accordées aux privilégiés. Le gouvernement a ainsi proposé que pour les ménages dont le revenu n’excède pas 25 200 F par an, le montant maximum de la taxe d’habitation soit réduit de 1 500 F à 1 200 F. Ceux qui n’ont même pas le minimum pour vivre continueront à être taxés, tandis qu’Hollande propose que les indemnités des PDG licenciés ne soient imposables qu’à hauteur de 235 millions de centimes ! Les chômeurs en fin de droits qui ne touchent plus que l’Allocation Spécifique de Solidarité, ceux qui sont au plancher de l’Allocation unique dégressive, 2 200 F par mois ou les Contrats emplois solidarité, continueront à payer la taxe d’habitation !

Le président du groupe communiste à l’Assemblée, Alain Bocquet, faisant mine de critiquer le gouvernement a trouvé ce budget " un peu mièvre ". Il ne l’est ni pour les plus riches à qui il multiplie les cadeaux, ni pour les plus pauvres qu’il continue à détrousser !

J.K.

A propos de la " taxe Tobin " : contre la domination des marchés, taxer la spéculation ou imposer le contrôle des travailleurs ?

Passée la vague des crises financières asiatique, russe et mexicaine, la croissance est retrouvée, nous dit-on, avec cependant des menaces liées à l’envol des places boursières (un " rééquilibrage " de Wall Street pourrait avoir des conséquences très brutales) et, dans l’immédiat, les annonces de fusions alternent avec celles des plans de licenciements : croissance ou pas, cela ne concerne que les profits, et l’ensemble des peuples paye le prix de la domination mondiale du capital par un chômage de masse, une pauvreté grandissante, une flexibilité et une précarité généralisées du travail. A un mois de l’ouverture de nouvelles négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle, dont l’objet n’est ni plus ni moins que la coordination des attaques du capital financier contre les peuples, le rejet du libéralisme économique et de ses effets dévastateurs est grandissant : en témoignent la popularité des actions de José Bové et de la Confédération paysanne, ou encore l’affluence aux assises d’Attac (Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens) les 23 et 24 octobre dernier à la Ciotat.

En écho il est devenu de bon ton, au sein de la gauche plurielle, de dénoncer le " néolibéralisme ", la mondialisation et le règne absolu de la finance. A l’Assemblée ce sont même une centaine de députés membres d’Attac qui, au cours des débats sur le budget, ont proposé un amendement visant à taxer les transactions monétaires à 0,05 %, la fameuse " taxe Tobin ". Cet amendement, tout comme celui sur les stocks-options, a fait long feu – offrant tout juste à ces députés une occasion de se donner une éphémère image de gauche, avant de voter un budget de droite. La prétention de la gauche gouvernementale à s’opposer à " la société de marché " tout en acceptant " l’économie de marché " – alors que " l’économie de marché " est en train d’absorber tout ce qui est susceptible d’être rentable, justement épaulée par le gouvernement – apparaît très clairement pour ce qu’elle est : un simple artifice de discours, visant à camoufler sa plate adhésion au libéralisme.

Mesure " réformiste par excellence ", la taxe Tobin – du nom de son inventeur – promet selon l’un de ses défenseurs " de réduire la dimension du marché, de diminuer la volatilité des transactions et de pénaliser les opérations les plus étroitement spéculatives ", sans compter ses recettes attendues qui " pourraient servir à financer des politiques de relance et de lutte contre la pauvreté à l’échelle nationale et internationale ". On comprend que l’idée séduise, et que des milliers de personnes aspirent à l’imposer. Mais peut-elle être véritablement une arme pour endiguer la domination du capital financier et de la spéculation sur la planète ?

Les intérêts sont contradictoires entre ceux qui, comme Jospin, aimeraient " réguler " le capitalisme pour qu’il fonctionne mieux et ceux qui, à l’opposé, voudraient s’opposer à la logique des multinationales et défendre les droits des travailleurs et des peuples contre la loi du profit. Le FMI et les économistes à la botte du capitalisme ne sont pas avares de propositions de " réformes ", comme l’exigence de " transparence " qui ne remet pas en cause le secret bancaire, ou encore une mise sous tutelle accrue des économies des pays pauvres par le FMI – des propositions qui confirment, s’il en est, leur orientation tout entière au service des " investisseurs " et à l’encontre des intérêts des peuples. L’économiste Tobin, lorsqu’il a lancé son idée d’une taxation très faible des échanges monétaires, se situait précisément dans la même perspective : non pas s’opposer au capitalisme, mais introduire un peu de " frottement " dans la machine spéculative pour éviter qu’elle ne s’emballe, et par là en garantir le bon fonctionnement.

Aujourd'hui, les réformistes par excellence que sont les sociaux-démocrates et leurs alliés pluriels ne sont pourtant pas prêts à l’imposer. Aussi " rationnelle " et modérée qu’elle puisse paraître, la taxe Tobin constituerait en effet une contrainte que le capitalisme et ses défenseurs ne sont pour l’instant pas prêts à admettre, puisque les financiers ont au contraire besoin d’une totale liberté de mouvement pour poursuivre leur chasse aux profits dans un contexte de concurrence généralisée. Et si un jour le capital financier, sous l’effet de la récession, en venait à prendre des mesures protectionnistes pour limiter les transactions, on peut être assuré qu’il ne le fera pas pour lutter contre la pauvreté mais pour sauver son système de la crise, en aggravant les attaques anti-ouvrières pour préserver ses profits.

Ainsi apparaît la limite de la campagne pour la taxe Tobin : conçue comme une mesure applicable " d’en haut " par un économiste rêvant d’un capitalisme idéal et " régulé ", elle est en butte au capitalisme réel qui, lui, ne rêve pas. Taxer les capitaux pour endiguer la misère, contrôler les flux financiers et veiller à ce que les ressources soient employées en fonction des besoins les plus urgents de la population comme le revendiquent bien des membres d’Attac, cela ne se fera pas par la mise en œuvre de telle ou telle réforme sous le contrôle des Etats ou du FMI entièrement soumis au capital financier : cela se fera sous le contrôle direct des peuples, par leur mobilisation démocratique, contre ces Etats et contre le FMI.

Léo Picard.

Derrière " l’Europe de la défense " aujourd’hui, comme derrière la " défense de la patrie " hier, les intérêts et profits des marchands de canons modernes

Il y a quinze jours, les industriels et gouvernements français et allemands annonçaient la naissance prochaine, à partir de la fusion d’Aérospatiale-Matra avec DASA, de l’EADS (" European " Aeronautic Defense and Space Company), le troisième groupe mondial de l’aéronautique militaire. La semaine dernière, c’était l’annonce de la fusion par des trusts où sont impliqués quatre pays européens (Angleterre, France, Allemagne et Italie), de leurs activités missiles, créant ainsi le 2ème groupe mondial dans ce secteur, derrière l’Américain Raytheon. Avec le mouvement de concentration qui s’opère également entre industriels européens dans le domaine des satellites, " l’Europe de la défense avance à grands pas " comme titrait le journal La Tribune, même si c’est " en ordre dispersé ".

La " défense nationale ", son énorme budget, et le marché qu’elle offrait aux marchands de canons, était le moyen le plus sûr pour ces derniers de s’enrichir. Aujourd’hui, concurrence américaine oblige, les avionneurs et constructeurs de missiles et autres engins de mort high-tech européens ne peuvent défendre leurs marchés et leurs profits, qu’en concentrant leurs activités et leur capital, et en abritant leurs intérêts derrière une " défense européenne ". L’industrie américaine aéro-militaire concentrée en trois mastodontes (Boeing-Mac Donnell Douglas, Lockheed Martin et Raytheon), supplante de plus en plus ses concurrents européens sur tous les marchés, puissamment aidée par les pressions exercées sur les Etats acheteurs par l’Etat américain. Ainsi les Etats d’Europe de l’est avaient été priés de s’équiper en matériel militaire américain pour pouvoir entrer dans l’Otan et celle-ci exige des Etats d’Europe occidentale, la compatibilité de leurs équipements militaires, un argument de poids pour leur imposer d’acheter américain. Même dans les marchés autrefois privilégiés d’un Dassault, comme au Moyen-Orient, la concurrence est de plus en plus féroce, et un trust national de pays européen peut difficilement faire face seul aux énormes dépenses de recherche et d’investissement que nécessite la mise au point des engins de mort sophistiqués d’aujourd’hui.

Ce qui était autrefois l’obstacle essentiel à la constitution d’une Europe militaire, l’intérêt de chacun des trusts nationaux qui tirait ses profits du marché intérieur que lui offrait son Etat et des marchés que celui-ci lui négociait à l'exportation, devient aujourd’hui la raison essentielle de la constitution en marche d’une " Europe de la défense ". Il s’agit aujourd’hui pour chaque Etat de défendre les intérêts particuliers de ses trusts et de leur offrir une place de choix dans les restructurations en cours. Comme Lagardère qui s’est vu offrir 33 % d’Aérospatiale, et se retrouve actionnaire à 11 % de la future EADS ou Dassault, si jaloux de son indépendance parce que jusqu’à présent ses avions de combat avaient trouvé preneur sur le marché mondial. Le gouvernement Jospin l’a laissé actionnaire majoritaire de Dassault aviation, et lui a acheté 48 de ses Rafales, son dernier avion de combat qu’il a bien du mal à vendre à l’étranger. C’est pourquoi la constitution de cette Europe de la défense se fait de façon chaotique, en ordre dispersé, mais elle se fait, suivant la puissante tendance du capitalisme à un développement qui fait craquer les barrières nationales et impose la constitution d’ensembles continentaux.

Du moins aujourd’hui, après ces annonces de fusions où il n’est question que de partage des actions ouvrant droit aux profits, les choses sont-elles claires. Quand Jospin parle de la " construction d’une Europe forte, solidaire et maîtrisant pleinement son avenir ", c’est des intérêts des industriels qu’il s’agit. Il en est de " l’Europe " aujourd’hui, comme de la " France ", de la " souveraineté nationale " ou de la " patrie ", hier.

Galia Trépère