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A Seattle, le sommet cible de l’hostilité à la mondialisation

Seuls les travailleurs du monde entier en s’unissant imposeront une Organisation mondiale fondée sur la coopération des peuples

La rencontre au sommet de Seattle des représentants de 135 pays dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce a soulevé une vague de protestation légitime et bienvenue au point que le maire de Seattle a dû décréter le couvre-feu. Personne n’est dupe des objectifs de ce sommet : favoriser encore plus le commerce dans le monde, c’est-à-dire les profits.

Et parce que tout le système économique mondial est fondé sur la concurrence, nul ne sait à quoi aboutira cette réunion. A part sur le fait d’engranger le maximum de profits dans le minimum de temps, et de le faire sur le dos des travailleurs et des peuples, les bourgeoisies sont souvent en désaccord entre elles. Certaines veulent baisser les droits de douane dans certains secteurs, d’autres préfèreraient que ce soit ailleurs. Et en même temps il n’est pas question de toucher à certaines formes de protectionnisme. Certains pays, les plus pauvres, voudraient que ne soient pas discutés les conditions de travail et l’environnement, qu’ils considèrent comme des barrières protectionnistes non avouées. Tout le monde parle de " libéraliser " les échanges, mais chacun ne vise qu’une seule chose : exporter plus que les autres.

Ces contradictions expliquent que l’ordre du jour de cette grand-messe de l’OMC est très flou et que le calendrier de la mise en place de ce " round du millénaire " est pour l’instant vide. Il n’est donc pas sûr qu’il sorte grand chose de cette réunion de Seattle, tant les intérêts de ses protagonistes sont opposés.

De plus, si les discussions doivent porter sur la " régulation " du commerce mondial, il ne sera question ni des mouvements de capitaux, la fameuse " globalisation financière ", ni du pouvoir des firmes multinationales, c’est-à-dire deux piliers fondamentaux du système capitaliste mondial.

Mais malgré ces divisions étalées, il est clair que cette réunion de Seattle témoigne de l’arrogance de la bourgeoisie qui entend, au vu et au su de toute la planète, s’organiser pour continuer à s’enrichir toujours plus.

Face à elle, la classe ouvrière n’a pas encore retrouvé la force de s’organiser politiquement à l’échelle internationale pour discuter de son côté des moyens de mettre un terme à cette dictature du capital. Les travailleurs n’en sont pas encore à envoyer leurs députés dans des réunions mondiales, où seraient discutés leurs idées, leurs intérêts, et où ils pourraient préparer leur offensive contre la bourgeoisie. De telles réunions ont eu lieu, dans le passé, lorsque la classe ouvrière s’était donné des Internationales afin de diriger et coordonner ses luttes à l’échelle du monde. De ce point de vue, il est évident que notre classe est aujourd’hui moins bien organisée politiquement que celle des patrons.

En revanche, notre supériorité face aux patrons, c’est que nous ne sommes pas en concurrence avec les autres travailleurs du monde, et qu’au contraire, nous savons que nous avons des alliés sur tous les continents. Il y a une vingtaine d’années, les politiques et les patrons avaient bien essayé de faire peur aux travailleurs d’Europe en leur montrant les ouvriers japonais ou coréens comme des concurrents, les entreprises d’Asie du Sud-est comme des machines de guerre contre les travailleurs européens. Mais ici on a suivi au début de l’année 1997 les grèves ouvrières en Corée du sud, on a vu le mécontentement populaire exploser là-bas, et on a appris à quoi s’en tenir sur la prétendue " docilité " des travailleurs de cette région du monde. On a vu aussi tout récemment une entreprise française, Renault, ne pas hésiter à racheter au Japon Nissan et licencier plusieurs milliers de ses salariés. Les travailleurs de Renault savent qu’ils ne gagneront rien à ces saignées dans les effectifs ouvriers de Nissan, et qu’au contraire, elles peuvent annoncer de nouvelles attaques ici en Europe.

Cette conscience, enrichie par l’expérience quotidienne de la mondialisation, la classe ouvrière mondiale devra continuer à la rendre plus forte de manière à ce qu’elle se donne les moyens de s’organiser et que ce soient ses réunions et ses congrès à elle qui donnent le ton.

André Lepic

L’OMC et quelques chiffres

L’Organisation Mondiale du Commerce existe depuis 1995, elle remplace le GATT, organisme qui régissait les relations commerciales depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Elle se présente officiellement comme une sorte de Parlement des relations commerciales, censé représenter les intérêts des 134 pays qui la composent et qui ont chacun une voix. Mais l’OMC n’est qu’une apparence d’honnêteté et de régulation, mise en place par les états et les trusts, quand les rapports commerciaux internationaux ne sont que brigandage et rapports de force.

Si l’OMC régit les rapports commerciaux entre 134 pays, paraît-il soumis aux mêmes règles, près de 40 % de l’économie mondiale sont contrôlés par 200 multinationales, venant des huit ou dix pays les plus riches.

Si tous les pays, même les plus pauvres, frappent à la porte de l’OMC pour participer aux négociations comme celles de Seattle, pour la première fois les richesses produites dans les pays pauvres, essentiellement des matières premières, agricoles ou minières, ne représentent même plus 20 % de la valeur des transactions mondiales de marchandises. Les pays pauvres viennent à la table de l’OMC, en espérant se faire dépouiller le moins possible et pour ne pas être exclus du jeu, mais les cartes resteront entre les mains des USA, de l’Europe et du Japon.

Si, en 1998, l’OMC a surveillé les transactions entre les pays membres à hauteur de 5 200 milliards de dollars de marchandises et de 1 300 milliards de dollars de services, soit 6 500 milliards, pendant ce temps, les fonds de pensions privés, eux, contrôlaient 34 000 milliards de dollars de capitaux et le total des actions cotées dans le monde s’élevait à environ 130 000 milliards de dollars en février 1999 (d’après Challenges).

La différence d’échelle est énorme. Les pays représentés ont prévu au moins trois ans de négociations pour mettre en place quelques règles sur le commerce des marchandises et des services. Mais le commerce du capital, qui dépasse largement tous les autres, est hors de tout contrôle, et c’est lui qui fixe les vrais règles.

F.C.

Hausse des taux d’intérêt : l’objectif de la stabilité des prix, prétexte pour les capitalistes afin d’imposer la stabilité voire le recul des salaires

La banque centrale européenne (BCE) a augmenté ses taux d’intérêt directeurs de 0,5 point, le taux se situant désormais à 3 %. Augmenter les taux d’intérêt, politique de rigueur monétaire par l’augmentation du " loyer " de l’argent, vise, entre autres, à contrôler l’augmentation du niveau général des prix, c’est-à-dire l’inflation. Car l’objectif prioritaire de la BCE est avant tout la stabilité monétaire. W. Duisenberg, son président, a d’ailleurs rappelé son souhait de " maintenir l’inflation en-deçà de 2 % " au sein de la zone Euro. Notons que les résultats du gouvernement Jospin en la matière sont excellents au yeux du patronat (0,4 % d’après l’OCDE).

Pourquoi la BCE a-t-elle pour objectif prioritaire la lutte contre l’inflation ?

L’inflation est, aujourd’hui, la bête noire des capitalistes car elle constitue pour eux une " taxe inflationniste " : les revenus financiers sont fixés en fonction des taux d’intérêt nominaux, ces derniers ne prennent pas en compte la variation du niveau général des prix ni les variations de valeur des monnaies. Lorsque l’inflation augmente, les monnaies se déprécient et les revenus financiers diminuent. La lutte contre l’inflation permet donc de garantir des taux d’intérêt réels positifs. Cette menace d’inflation résulte de la pression à la hausse des salaires du fait de la croissance économique. Elle signifierait une redistribution du revenu et de la richesse entre les classes moins favorable aux financiers.

Il s’agit de faire pression sur les salaires en faisant pression sur les prix de l’ensemble des marchandises, y compris celui de l’argent, les taux d’intérêt.

Les banques centrales ont les moyens en " manipulant " les monnaies d’essayer d’encadrer les prix. Depuis le 1er janvier 1999, les banques centrales des différents pays européens n’ont plus ce rôle. C’est désormais la BCE qui joue ce rôle au sein de l’union économique et monétaire (UEM). Quels sont les moyens dont dispose la BCE en la matière ? Tout d’abord, dans une logique monétariste, selon laquelle une création monétaire laxiste est au centre de l’inflation, une politique monétaire restrictive (réduction de la masse monétaire, une hausse des taux d’intérêt) permet de lutter contre l’inflation. C’est ce qu’a fait la BCE. D’autre part, pour stabiliser le niveau général des prix, le maintien du chômage est un instrument particulièrement efficace. Dans le journal patronal Les Echos du 5-6 novembre 1999, il était mis en évidence, à propos de l’inflation, que " ...le chômage reste a de tels niveaux que nul ne prévoit [son] escalade dans l’avenir proche ". l’OCDE appelle cette politique le NAIRU (" Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment ") qui représente le taux de chômage nécessaire pour maîtriser l’inflation. Le rapport Charpin qui prévoit la mise en place des fonds de pension " à la française " fait l’hypothèse d’un taux de chômage incompressible de 9 % en France pour les années à venir. L’économie française ne pouvant pas réduire le chômage en deçà de ce taux sans créer de l’inflation.

Pourquoi le rapport Charpin fait-il l’hypothèse d’un taux de chômage de 9 % ? Cette question se pose légitimement d’autant plus que le taux de chômage " officiel " d’après l’ANPE est aujourd’hui de 11,5 %. La différence entre ces deux taux (soit 2 points et demi) correspond à ce que les économistes appellent le " chômage structurel ". Ce dernier trouverait son origine dans le fait que le marché du travail est trop " rigide " pour le patronat ; il faut entendre par " rigidité " l’ensemble des règles autour du travail, c’est-à-dire le Code du travail, le SMIC, en bref tous les maigres acquis sociaux issus des luttes passées du monde du travail. Pour combattre ce chômage " structurel ", l’arme dont le patronat et le gouvernement disposent est la flexibilité du travail, ce qui se traduit empiriquement par la loi Aubry qui prévoit notamment l’annualisation du temps de travail, par le recours à l’intérim, au travail à temps partiel... Bref, autant de possibilités pour les entreprises de disposer d’un travail à la carte, en fonction de la conjoncture. Egalement, en mettant en œuvre une politique monétaire plus restrictive, la BCE permet aux différents gouvernements européens de justifier leurs politiques de réductions des dépenses publiques. Si la " planche à billets " ne fonctionne pas, c’est-à-dire si la création monétaire est restrictive, toute dépense publique engendre un déficit. Les privatisations et le projet de retraites par fonds s’inscrivent dans cette logique.

Le geste de la BCE, en augmentant ses taux, montre clairement que les différents gouvernements européens sont disposés à aggraver les conditions d’exploitation du monde du travail par le biais de la flexibilité, du chômage, et des réductions des dépenses publiques.

Jean Coupeur

À voir : The Big One de Michael Moore

Le souhait le plus cher du réalisateur américain Michael Moore, c’est que " les gens ressortiront de ce film en colère ". En colère contre le capitalisme, contre la logique des actionnaires qui licencient et qui font des profits.

Tout le film est une dénonciation drôle et au vitriol de ce système. Une tournée de promotion pour son livre Dégraissez-moi ça dans une quarantaine de villes américaines, et Michael Moore rencontre la population, apporte son soutien aux travailleurs qui s’organisent, et démonte, dans ses one-man-show, la logique des actionnaires.

Il multiplie aussi les traquenards à PDG, pour les mettre devant leurs responsabilités, comme avec celui de Nike, se voulant cool et moderne, qui invite Moore pour discuter. Le patron déchante vite quand Moore l’invite à aller en Indonésie voir les enfants qui travaillent dans ses usines, voir aussi de plus près les liens de son trust et de la dictature indonésienne.

La colère, elle, a touché Michael en 1967 lorsque, jeune adolescent, il assiste aux émeutes de Detroit, grande ville industrielle du Nord des Etats-Unis. Pendant cinq jours, l’armée américaine réprime et fait 43 morts parmi la population noire révoltée. Lui est un fils d’ouvrier de Flint, la ville voisine, cœur de l’industrie automobile et de General Motors. Tout jeune, il lance un journal : " Dans une ville où il n'existait qu'un seul quotidien, on voulait avant tout dire la vérité sur General Motors. On faisait aussi des papiers sur le racisme ou les groupes de rock, tout ce qui nous passait par la tête. Et, bien sûr, on allait embêter les chefs d'entreprise et les politiciens... sans grand succès ". Le journal dure quand même dix ans, et atteint les 20 000 exemplaires.

Fidèle à ses idées de jeunesse, Moore est devenu une célébrité aux Etats-Unis depuis 1989, avec son film Roger et moi.

The Big One déborde de l’énergie et de la vitalité de la classe ouvrière américaine dont Moore se réclame. Il nous convainc que " la politique n'est pas un match auquel on assiste, c'est une activité à laquelle on participe ".

Franck Coleman