Toute la gauche approuve la loi Aubry contre les salariés. Mais la pression des travailleurs impose à lAssemblée de discuter de la condition de salarié
Les députés ont voté en seconde lecture mardi 7, la seconde loi Aubry sur les 35 heures, après en avoir rétabli le contenu à la suite de son passage au Sénat. La loi devra refaire une navette par le Sénat pour être définitivement adoptée à la fin du mois, mais dores et déjà son application a été votée au plus tard un mois à partir de son adoption, cest-à-dire du 1er février. Pour cette deuxième lecture, de nouveaux amendements ont été proposés dont plusieurs, à linitiative de certains députés communistes ou Verts, ont obligé lensemble des députés à discuter des conditions de travail dans les entreprises, du quotidien des millions de salariés du pays, qui ont su, ces dernières semaines, partout dans le pays, se faire entendre. La pression des salariés impose à tous, aujourdhui, députés ou sénateurs, de discuter du quotidien des millions de travailleurs dans les entreprises.
Les socialistes avec la droite contre " lamendement Wolber "
Mercredi, une délégation de travailleurs de lusine Wolber de Soissons, une filiale de Michelin qui a annoncé 451 licenciements, sest imposée dans lhémicycle lors de la discussion sur un " amendement Wolber " présenté par les Communistes, les Verts et le MDC, demandant quun juge de tribunal dinstance puisse interdire tout licenciement économique " dont les motifs ne seraient pas établis ". Alors que plusieurs manifestants étaient refoulés par les gendarmes, députés socialistes et de droite ont fait front commun pour repousser cet amendement. Aubry elle-même et plusieurs députés socialistes se sont succédé pour tenter de convaincre que le vote de cet amendement serait " inconstitutionnel ", relevant du droit du travail et non de la loi sur les 35 heures, Le Garrec ajoutant que ce nétait pas la loi qui pouvait " empêcher une entreprise de fermer un site ". En plein accord avec les députés de droite, ils ont voté le rejet de lamendement.
" Amendement Mickey ", Aubry recule sur le temps de travail " effectif "
Cest avec larticle de la loi portant sur les temps dhabillage et de déshabillage dans le travail " effectif " que les députés ont été ramenés à la discussion sur les conditions de travail des salariés. Un des articles de la loi excluait les temps dhabillage et déshabillage du travail effectif, sauf dans les cas particuliers où les tenues sont obligatoires et demandent un long temps dhabillage, comme dans le nucléaire, le secteur alimentaire ou pour les salariés dEuro-Disney dont le revêtement dun costume peut prendre jusquà une demi-heure. En imposant que tout ce temps soit exclu du temps de travail effectif, cest jusquà 114 heures, soit près de trois semaines, qui sont volées aux salariés. Lors de la deuxième lecture de sa loi, la gauche plurielle a dû faire machine arrière et réécrire entièrement un " amendement Mickey ", qui ne reconnaît pas les temps dhabillage et de déshabillage dans le temps de travail effectif, mais impose quils soient compensés financièrement ou en jours de repos. Aucun accord ne devra remettre en question des conventions collectives ou usages qui incluent les temps nécessaires dhabillage dans le travail effectif.
Des milliards de subventions à fonds perdus pour les patrons
Pour les cadres, qui sont eux aussi descendus dans la rue en revendiquant le droit légitime de tout salarié dune limite horaire à sa journée et à son temps de travail, Aubry, qui na pas voulu déplaire à un patronat hostile à la réduction du temps de travail des cadres, na rien cédé.
La loi que les députés viennent de voter et qui sera confirmée avant le 26 décembre, est une loi antiouvrière qui légitime les attaques du patronat et prépare une nouvelle offensive denvergure contre les conditions et le coût du travail, dont la baisse est déjà estimée par Aubry à plus de 5 %. Elle va permettre au patronat dempocher près de 110 milliards de francs de subventions et soi-disant aides au financement du coût des 35 heures sous forme dallégements de charges. Aubry avait fait semblant de reculer en déclarant quelle ne mettrait pas à contribution les caisses de lUNEDIC et de la Sécurité sociale. Si elle a reculé en partie, devant la pression et le chantage du patronat, un tour de passe-passe lui permet de financer sa loi à hauteur de 5,6 milliards, en lui consacrant cette somme, à partir dune taxe sur lalcool, qui était jusque-là versée à un fonds vieillesse géré par la Sécu. Pour les patrons, le passage au 35 heures donne droit, en plus des allégements, à des abattements dégressifs de charges sur les salaires jusquà 1,8 fois le SMIC, pouvant aller jusquà 12 600 F pour les plus bas salaires. Au-delà, lentreprise touchera dans tous les cas une prime de 4 000 F par salarié. 7 milliards seront prélevés sur les 10 % du taux des heures supplémentaires, initialement prévus pour être versés sur un fonds pour lemploi, pour contribuer à payer ces allégements. Au bout du compte les patrons, en récupérant dun côté ce quils auront versé de lautre, se contenteront dempocher les milliards de cadeaux que leur fait le gouvernement de la gauche plurielle.
Catherine Aulnay
Loi Aubry : les luttes des travailleurs mettent bas les masques !
Les luttes qui depuis quelques semaines se sont engagées dans lensemble du pays et dans des entreprises de branches très diverses portent sur le refus de laggravation des conditions de travail et notamment de la flexibilité, sur la nécessité dembaucher ou daugmenter les salaires - quand ce nest pas sur tous ces aspects à la fois !- et elles montrent clairement que la seule façon de se défendre contre la loi Aubry, cest de la combattre.
Il y a dans la réaction des salariés en lutte une part de colère qui ne tient pas seulement à la gravité des attaques qui sont portées contre eux, mais aussi au sentiment de sêtre faits berner. Car lannonce de cette loi présentée comme la mesure sociale la plus importante du gouvernement de la gauche plurielle, qui devait diminuer la peine au travail et permettre des embauches, avait suscité dautant plus dillusions que lensemble des forces politiques de gauche et les directions syndicales avaient contribué à alimenter et à couvrir le mensonge. Les unes et les autres avaient présenté la loi comme une " avancée sociale " jouant sur la confusion qui pouvait être entretenue du fait que les attaques quelles contenaient se masquaient derrière la référence à une revendication longtemps défendue en vain, celle des 35 heures, et sur un thème la réduction du temps de travail qui a été au cur de toutes les luttes du mouvement ouvrier depuis des décennies.
Devant les réactions méfiantes ou franchement négatives suscitées par la première loi que les partis de la gauche plurielle avaient votée comme un seul homme, les directions syndicales avaient adopté des positions différentes. Tandis que la CFDT se félicitait de " lesprit déquilibre " de la loi Aubry, la CGT maintenait que cette loi avait des aspects positifs et quelle était un point dappui, mais que cétait aux travailleurs de lui donner en se mobilisant un contenu qui réponde à leurs attentes. Si elle mettait en avant la nécessité pour les travailleurs de se mobiliser pour défendre leurs revendications, ce qui était une évidence pour tous les militants combatifs, cette argumentation nen était pas moins mensongère : elle laissait croire que cette loi était en quelque sorte une coquille vide que les travailleurs pourraient remplir à leur gré, comme si Aubry et Strauss-Kahn ny avaient pas mis un contenu, eux qui depuis le début avaient annoncé clairement la couleur en annonçant les contreparties nécessaires à la " réduction du temps de travail " : la flexibilité, baptisée " réorganisation de la production " et les attaques contre les salaires, camouflée sous le vocable de " modération salariale " ! Cétait une façon de blanchir le gouvernement et de masquer ses attaques en faisant reporter la responsabilité de ce qui se passait sur les travailleurs et sur leur manque supposé de réactions.
Cest toujours dans le même ordre didées que partis de gauche, syndicats ou des militants dextrême- gauche ont mené campagne sur la possibilité de faire pression sur les élus de la gauche plurielle pour quils " se reprennent et votent une bonne seconde loi ". Là encore, plutôt que darmer les travailleurs en leur révélant les arrière-pensées et les calculs avoués de ces politiciens, une telle attitude maintenait lambiguïté et contribuait à entretenir des illusions au moment où les travailleurs prenaient conscience des effets de cette loi.
Le vote de la deuxième loi a mis fin à toutes ces impostures et à toutes ces illusions : la deuxième loi est encore pire que la première et ceux qui avaient laissé la moindre illusion sur la possibilité que les politiciens de la gauche plurielle pourraient agir autrement sont désavoués. Dautant que les luttes actuelles engagées par les salariés montrent bien que la loi Aubry na rien à voir avec les 35 heures, cest une loi au service des patrons, il ny avait aucune possibilité de lamender. Une telle loi, ça se dénonce, ça se rejette et ça se combat !
Jean Kersau
Droit de vote des immigrés : la " gauche plurielle " est pour parce quil lui est bien difficile de faire différemment à lapproche des municipales
Depuis une semaine, lensemble des partis politiques est contraint de se positionner sur la question du droit de vote des travailleurs immigrés, suite à une proposition de loi déposée par le PCF. Le PC sappuyait sur un sondage qui montrait que 52 % des gens interrogés y sont favorables, alors que seulement 17 % sy déclarent très opposés. 73 % des jeunes affirment être révoltés par cette injustice et favorables au droit de vote. Le 1er décembre, le PS a donc déposé un projet de loi proposant le droit de vote aux immigrés pour les élections municipales. Mais cest de manière timorée quils lont défendue : " Nous avons voulu corriger une inégalité qui existe ", faisant référence au fait que les Européens résidant en France pourront voter lors des prochaines municipales. " Cela nous paraît aller en direction des familles étrangères qui souhaitent être intégrées dans la société française " a également déclaré le président du groupe socialiste à lAssemblée Nationale, Fabius ; un droit, ça se mérite, il faut donner des preuves de sa bonne volonté et compter sur les socialistes pour, un jour, être reconnus, car ils sont vraiment devenus des spécialistes pour identifier les familles méritantes, et pointer du doigt les familles qui ne remplissent pas leur rôle, " démis-sionnaires " comme se plaisent à les dénoncer Chevènement ou Jospin.
Enfin, si le PS ne sest pas soucié de cette question plus tôt, eh bien, cest à cause de " lopinion ". " Nous avons voulu faire avancer cette idée, qui, au fond, est celle de lintégration républicaine. Je crois que la société française, qui était réticente, est aujourdhui en train dévoluer ", a déclaré J.M. Ayrault en rappelant que le droit de vote pour les immigrés figurait dans le programme de Mitterrand en 1981, chose que le PS sétait empressé doublier depuis, sadaptant, non pas à lopinion des salariés que personne na sollicitée, mais aux coups de gueule du Front National qui a exercé sa pression sur les positions de lensemble des partis politiques avec ses 16 % obtenus nationalement au maximum de sa percée électorale. Les Verts, autre composante de la gauche plurielle, partagent les mêmes positions : " Cest une possibilité dintégration et donc une possibilité dexpression sociale tout à fait obligatoire et normale. Il faut en outre, prendre acte dune évolution dans lopinion et cest heureux ". Prenons acte que, si nous voulons peser sur ces politiciens si prompts à nous faire la morale, un coup accusateurs visant à nous culpabiliser, un coup distributeurs de bons points, il ne nous faut compter que sur nous-mêmes. Contrairement à ce quils prétendent ce ne peut être que la pression de lopinion qui imposa aux politiciens la mise en uvre de ce droit.
F. Hollande, le secrétaire général du PS, a expliqué que son parti nest pas pressé, quil nest pas question den discuter pour les prochaines municipales en 2001, puisque la gauche plurielle na pas la majorité nécessaire pour modifier la constitution : " si on ne peut pas faire la majorité des trois cinquièmes, cest le Président de la république qui décide. Donc je crois quil faut peut-être changer le Président de la république le moment venu ", soit en 2002, donc pour le droit de vote des immigrés " ce nest pas une question dactualité, ça sera posé pour les municipales de 2007 ". Pour le PS, le droit de vote des immigrés peut ainsi devenir une position le démarquant de la droite qui a réaffirmé sa volonté de sarc-bouter sur ses positions : " démagogie ", " fumis-terie " sont quelques uns des qualificatifs employés par les Pasqua et autres Madelin. Bayrou, qui a affaire à des partisans du droit de vote des immigrés dans son parti, a été obligé dargumenter un peu plus : " Le vote est lié à la citoyenneté, qui, elle-même, en France, est liée à la nationalité. On ne peut découper la citoyenneté, et si on donne le vote aux immigrés, quel intérêt auront-ils encore à demander la nationalité française ? ". Enfin certains dirigeants du PS, comme Bartolone, ministre à la Ville, estiment que finalement il y aurait une revendication bien plus pressante que de donner le droit de vote aux immigrés, cest douvrir les listes du PS à leurs enfants pour les prochaines municipales. Il faut selon lui " des listes à limage de toute la population ", faisant le parallèle avec Chevènement qui cherche à recruter des jeunes dorigine immigrée afin que la police soit elle aussi, " à limage de toute la population ". Cest la vieille ficelle : donner quelques places à quelques individus, leur faire assumer les responsabilités politiques, afin de dire aux autres, si vous voulez vous pouvez, tout dépend de vous. Alors effectivement tout dépend de nous. Mais pas au sens de Bartolone de lintégration à la gestion de la société capitaliste, tout dépend de nos capacités à défendre nos droits.
I.C.