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Pays basque : la réaction de la population et des travailleurs déjoue les calculs du gouvernement d’Aznar

Après l’annonce faite par la direction d’ETA de rompre la trêve instaurée depuis 14 mois, le gouvernement d’Aznar espérait profiter du rejet de la violence et de la reprise des attentats pour se poser en défenseur de l’ensemble de la population espagnole. Il en a été tout autrement. Si la menace de la reprise des attentats a été très largement rejetée par la population vivant au Pays basque, le gouvernement s’est trouvé mis en accusation pour n’avoir à aucun moment favorisé les négociations et avoir présenté le résultat de la trêve comme le résultat de sa politique de fermeté.

Vendredi, dans l’ensemble des provinces basques et dans d’autres villes d’Espagne, avaient été organisées des manifestations silencieuses. Pour la première fois, Herri Batasuna, parti nationaliste basque radical, considéré comme le bras politique d’ETA, avait accepté de participer à ces manifestations, désavouant ainsi implicitement la décision d’ETA de reprendre les attentats. Et si des dizaines de milliers de personnes ont participé à ces manifestations, elles n’ont pas eu le caractère de soutien au gouvernement de celles qui avaient suivi l’assassinat du conseiller municipal du Parti populaire, Miguel Angel Blanco, par l’organisation terroriste. Le mot d’ordre officiel de la manifestation était " nous avons besoin de la paix ", mais les militants et les élus d’Herri Batasuna ont manifesté avec des pancartes portant les photos des prisonniers politiques - toujours incarcérés à l’autre bout du pays- et réclamant l’indépendance du Pays basque.

La veille des manifestations, le PNV, parti conservateur à la tête du gouvernement basque a signé un document avec Herri Batasuna et les autres forces du pacte de Lizarra qui regroupe l’ensemble des forces nationalistes basques et la Fédération basque de la Gauche unie, réaffirmant sa volonté de continuer " le processus démocratique pour aboutir à la souveraineté du Pays basque ", défiant ainsi le gouvernement d’Aznar.

Samedi à Bilbao, Herri Batasuna a appelé seul à une manifestation qui a rassemblé 10 000 personnes revendiquant l’indépendance du Pays basque et la libération des prisonniers politiques et dénonçant la politique de répression des gouvernements français et espagnol.

Désavoué au Pays basque, le gouvernement espagnol n’a pas non plus reçu l’appui massif auquel il s’attendait dans le reste du pays. La manifestation organisée à Madrid contre la menace de reprise des attentats n’a réuni que 2 000 personnes et un sondage indiquait qu’une majorité écrasante souhaitait que le gouvernement reprenne les négociations avec ETA - lui qui en quatorze mois de trêve n’a organisé qu’une seule entrevue de 4 heures -, lui attribuant ainsi une part de responsabilité dans la reprise éventuelle des attentats.

Le premier ministre espagnol, Aznar, a réagi en durcissant le ton contre les nationalistes basques, accusant le PNV d’avoir cédé au chantage d’ETA, critiquant les nationalistes basques en disant qu’ils étaient plus proches " du nettoyage ethnique et du Kosovo que de l’euro " et en comparant le Pacte de Lizarra aux accords de Munich et à la capitulation des gouvernements français et anglais devant Hitler !

Il reste que si cette politique réactionnaire du gouvernement espagnol a été largement condamnée par la population vivant au Pays basque, la politique des partis nationalistes, et celle d’Herri Batasuna sont incapables d’offrir une issue politique au mécontentement qui se manifeste dans la population du Pays basque et du reste de l’Espagne. En offrant le nationalisme comme seul débouché à la colère des travailleurs et de la jeunesse du Pays basque, Herri Batasuna contribue à diviser les travailleurs vivant au Pays basque et ceux du reste de l’Espagne et à dévoyer le mécontentement social en lui offrant comme seul débouché politique la collaboration avec des forces politiques défendant les intérêts de la bourgeoisie qui, elle, a depuis longtemps dépassé les frontières de la province et même du pays !

L’absence d’une force politique défendant clairement les intérêts de tous les travailleurs et se donnant comme but leur unité dans un combat commun, désignant clairement les capitalistes, qu’ils soient d’origine basque ou pas, comme leurs ennemis, laisse une marge de manœuvre à tous les chantages : ceux du gouvernement d’Aznar à l’égard de la population espagnole et ceux d’ETA vis-à-vis de la population et des travailleurs basques. En l’absence d’une telle force politique, toutes les victoires politiques de la population, tous ses efforts pour déjouer tous les chantages, sont toujours remis en cause.

J.K.

Le contrôle des capitaux en Malaisie, un protectionnisme dont la population fait les frais

Après avoir été frappé par la crise boursière de 1997, le gouvernement de Malaisie a décidé de mettre en place un contrôle des changes et des mouvements de capitaux. Contrôle de la monnaie, taxe sur les investissements boursiers à court terme. Tout investissement de capitaux étrangers devait rester au minimum un an sur le territoire malaysien. Le prétexte invoqué par la classe politique malaysienne était de se protéger contre d’éventuelles attaques spéculatives qui ruineraient son économie.

Dans les faits, de telles mesures protectionnistes n’ont rien à voir avec la résistance d’une " souveraineté démocratique " de l’Etat face aux marchés financiers. Bien au contraire, c’est un moyen pour la bourgeoisie malaysienne de se maintenir dans l’arène de la guerre économique mondiale en en faisant payer le prix à la population. Cela va dans le sens d’une plus grande concentration des richesses entre les mains d’une minorité au sein de l’espace national, notamment de la compagnie pétrolière Petronas qui a racheté un paquet d’entreprises en faillite (et qui par ailleurs exploite aussi des gisements au Soudan, en Birmanie) et d’éviter une trop grande pénétration des investisseurs étrangers.

Le blocage de la monnaie nationale, le ringgit, à la parité de 3,8 ringgits pour un dollar a pour seul but de favoriser les exportations vers les Etats-Unis et le reste de l’Asie, qui constituent les débouchés principaux de l’économie malaysienne. Face à un dollar qui ne cesse de baisser, le ringgit s’en trouve sous-évalué et c’est le niveau de vie de la population qui se dégrade. Ce sont les salariés les premiers à payer le prix de la politique des Etats. Mais très vite ce blocage de la monnaie s’est révélé un frein pour toute reprise des profits. Car il a entraîné une augmentation du prix des importations, dont celui des matières premières, élément vital aux... exportations.

On nous répète que l’économie est devenue mondiale. C’est-à-dire que chaque marchandise produite sur n’importe quel coin de la planète est le résultat d’un travail collectif auquel participent des salariés de plusieurs continents. La division du travail à l’échelle internationale est tellement développée que tout retour à une " économie nationale " serait une régression inimaginable. Mais ce progrès énorme de l’organisation du travail à l’échelle mondiale est freiné par la concurrence entre les multinationales et entre les Etats-nations.

Dans le cadre de la mondialisation de l’économie, une " croissance économique " ne peut être qu’une croissance des profits réalisés sur le dos des autres peuples, en se taillant une place sur le marché mondial, en écrasant les autres à moins de se faire écraser. Les mesures protectionnistes que le gouvernement malaysien a décrétées n’ont pas apporté la moindre indépendance et en aucune façon n’ont empêché d’être soumis à la domination du capital étranger. Un économiste local était amené à constater : " l’économie reste sous perfusion ".

Avec un PIB négatif au 1er semestre 99, la Malaisie ne survit qu’à l’aide de prêts de la Banque mondiale par-ci, de coups de pouce du Japon par-là... En juillet 99, le groupe franco-britannique Alstom a signé un contrat d’une valeur de 1 milliard d’euros pour une centrale électrique de charbon. La Malaisie n’a guère les moyens de s’imposer face à la concurrence mondiale et a dû lever le 1er septembre 99, l’obligation pour tout investissement étranger de rester au minimum un an sur le territoire malaysien.

Les capitalistes du monde entier s’appuient sur les Etats pour s’emparer de marchés. Ils favorisent ici le protectionnisme, là le libre-échange, suivant les rapports de force entre eux. Mais il n’y a jamais de libre-échange pur, ni de protectionnisme total.

Pour s’opposer à l’anarchie de la concurrence mondiale et des marchés financiers, nous ne pouvons nous en remettre aux institutions et aux Etats qui les servent et contribuent à préparer les attaques contre les travailleurs. Seuls les peuples du monde entier ont les moyens d’imposer un contrôle sur les marchés et d’autres priorités que celle du profit maximum. C’est ce que les mobilisations de Seattle contre l’OMC préfigurent, l’union internationale des travailleurs et des jeunes pour construire par nous-mêmes une autre société.

Benoît Franca

Ex-Yougoslavie : Sous couvert de pression contre Milosevic la guerre contre les peuples continue

L’intervention des grandes puissances contre la Serbie et le Kosovo a été justifiée par la nécessité de défendre la démocratie, de mettre fin au régime de Milosevic, d’assurer des conditions de vie meilleures pour les populations. Cinq mois après, les populations serbe comme albanaise ou rom, connaissent, avec l’entrée dans l’hiver, des conditions de plus en plus difficiles. L’Union européenne approvisionne au compte-gouttes en mazout les seules villes dirigées par l’opposition, livraison pompeusement baptisée " énergie pour la démocratie ". Si la presse et la télé dénoncent le retard pris dans les livraisons dû aux tracasseries occasionnées par le régime de Milosevic, elles sont plus discrètes sur le fait que, pour le moment, seule la ville de Nis a été approvisionnée sur les dix grandes villes gérées par l’opposition et que la population des autres villes et des campagnes va être laissée à elle-même alors que les bombardements de l’OTAN ont détruit quasiment toutes les centrales électriques. Comme en Irak, les pays riches qui se targuent d’être démocratiques, prennent la population serbe en otage et cyniquement lui font payer le prix fort. Soi-disant parce qu’aider la population serbe, ce serait aider Milosevic à se maintenir au pouvoir.

Milosevic, leur ancien allié privilégié, devenu l’homme à abattre par tous les moyens, est toujours en place parce que les grandes puissances n’ont toujours pas de solution de rechange. L’opposition divisée et rivale suscite la méfiance de la population, parce que, longtemps compromise avec Milosevic, elle est maintenant soutenue par les Etats-Unis et l’Union européenne. Les travailleurs et la population sont prisonniers du chantage exercé par les privilégiés regroupés autour de Milosevic : être contre Milosevic, c’est être du côté des grandes puissances. Or les travailleurs ne peuvent que ressentir de la haine pour les pays impérialistes qui ont noyé leur pays sous un déluge de bombes, épargnant le plus souvent les cibles militaires pour détruire les infrastructures dans l’objectif de mettre la population à genoux.

Ne pouvant dans l’immédiat se débarrasser de Milosevic légalement, le choix aurait-il été fait de le faire disparaître en le liquidant ? On ne le saura sans doute jamais mais toujours est-il que le ministre serbe de l’Information a accusé les services secrets français d’avoir préparé l’assassinat de Milosevic et le 11 novembre dernier, cinq paramilitaires ayant la double nationalité serbe et française ont été arrêtés.

Les informations données par le ministre serbe sur l’itinéraire des paramilitaires arrêtés, éclairent ce qui se cache derrière les discours hypocrites sur la démocratie. Malgré leurs dénégations, les gouvernements, pour défendre leurs intérêts, n’hésitent pas à enrôler des mercenaires prêts à se vendre au plus offrant. Les cinq paramilitaires arrêtés appartenant à un réseau baptisé " l’araignée " auraient été en relation avec une société française, Géolink, couverture servant à l’organisation de trafics en tout genre dont celui des armes. Ils ont d’abord sévi dans l’ex-Zaïre au service du dictateur Mobutu, protégé à l’époque du gouvernement français, ils ont participé en 1995 au massacre de Musulmans-Bosniaques à Srebrenica ; au moment des bombardements de l’OTAN sur le Kosovo, ils ont fourni des renseignements sur les cibles possibles à l’armée française et perpétré des massacres. La guerre terminée, comme d’autres paramilitaires qui se sont enrôlés dans l’armée et la police, ils se sont réfugiés au Monténégro, continuant leurs trafics.

Le ministre de la Défense, Alain Richard, s’est récrié : " ces allégations sont totalement sans fondement… Il y a six mois les mêmes personnes, y compris la même personnalité gouvernementale, expliquaient que si les Kosovars quittaient le Kosovo, c’était à cause des bombardements de l’OTAN ". Le mensonge du ministre n’est pas une preuve en soi que le gouvernement serbe peut aussi mentir. Le gouvernement français, si l’accusation est véridique, ne peut que couvrir ses services secrets et nier ses responsabilités. Le journal Le Monde du 27 novembre citait les réactions de milieux militaires avançant l’explication d’une tentative du gouvernement serbe pour viser le french doctor Kouchner dans l’objectif de détourner l’attention des problèmes internes de la Serbie. D’autres commentateurs évoquent des rivalités entre les services de sécurité de l’armée et ceux de l’Etat en Serbie. Le Monde du 2 décembre, sous le titre " France-Serbie, le mystère ", expliquait que ce qui n’était pas mystérieux, c’était le soutien inconditionnel de tout temps de la France à la Serbie, pour s’indigner qu’aujourd’hui, la même soit mise sur la sellette à propos de Milosevic.

Quoi qu’il en soit, la sale guerre menée contre l’ex-Yougoslavie n’a jamais été une guerre propre. Même s’il est difficile, voire impossible que la vérité se fasse jour, il est sûr que pour mener la guerre contre les peuples, les gouvernements des grandes puissances ont su trouver les hommes prêts à toutes les basses œuvres contre la population et à tous les coups tordus. Qui se ressemble, s’assemble.

Valérie Héas