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Chirac-Jospin, les rivaux consensuels, redécouvrent les vertus de l’Etat et des services publics. Des vœux pieux !

Unis et rivaux par la vertu de la cohabitation, le président de la République et le premier ministre continuent de mener leur gué-guerre en vue des élections présidentielles en toutes circonstances. Les cérémonie des vœux qui se voulaient d’une hauteur de vue digne de ce début de siècle, devaient en être une nouvelle occasion. Les deux rivaux ont dit finalement à peu près la même chose, l’un dans la langue de bois de la droite, l’autre dans celle de la gauche… Centre droit ou centre gauche, la logique de la concentration des pouvoirs confond le chef de l’Etat et son premier ministre qui n’ont rien de différent à dire, même quand il s’agit de jeter de la poudre aux yeux pour flatter les esprits en évitant que la colère ne s’exprime trop fortement.

Le premier à ouvrir le feu a entamé la chanson de la " solidarité " et de la " fraternité " souhaitant une mondialisation " maîtrisée " pour s’élever jusqu’à vouloir un XIXème siècle " éthique " pour vanter pêle-mêle " le désir d’être utile ", " le sens de l’intérêt général ", " l’importance du rôle de l’Etat dans notre société " et, la belle bleue du feu d’artifice, " le nouveau siècle est à inventer, plus fraternel, plus volontaire ". Ouf, quelle pensée ! le siècle sera ce que nous le ferons !

Et Jospin, le rang oblige, se déplaçant chez le premier, y est allé à son tour de son petit compliment, " Monsieur le Président de la République… ". Pour tenter de reprendre l’avantage, il a tout de suite haussé le menton d’un cran, " la France est d’autant plus généreuse et fraternelle qu’elle se sent plus forte ". Que reste-t-il à dire ? Eh bien qu’il faut " garantir la sécurité des français, maîtriser les forces du marché, combattre les excès du libéralisme ", et encore mieux, dénoncer " les dangers d’une mondialisation débridée mue par un capitalisme sauvage ", " l’appétit excessif des intérêts marchands ", puis, ne craignant aucune audace, affirmer : " le monde n’est pas qu’un marché ". Ah bon ! On se demande bien qui aurait pu croire l’inverse.

Après tant d’envolées éthiques, les salariés qui assument les conséquences des intempéries comme les bénévoles qui aident à lutter contre la marée noire, sont convaincus d’avoir une place au paradis de la République. En attendant, il vaut mieux nous préparer à nous battre pour rappeler par notre mobilisation leurs belles paroles aux hommes politiques et faire en sorte qu’elles ne restent pas… des vœux pieux.

Y.L.

 

EDF : l’Etat saborde le service public, les travailleurs et les usagers écopent

Le réseau d’électricité est certainement l’infrastructure qui a été la plus fortement touchée par la tempête. Au plus dur moment, 3,5 millions de foyers ont été privés d’électricité, soit un foyer sur sept. 18 000 ouvrages, pylônes, lignes, postes-sources, au total ont été détruits. Parmi eux, 35 lignes à très haute tension, soit un quart du réseau à 400 000 volts. Chaque poteau à très haute tension demande trois jours de travail : 200 sont tombés par terre. Roussely, le PDG d’EDF, a déclaré mardi que la reconstruction prendrait plusieurs années.

Pour remettre le réseau en état de marche, ou installer des groupes électrogènes là où il n’est pas possible de reconstruire rapidement, près de 100 000 personnes travaillent, dont 50 000 agents EDF. Les médias ont beaucoup parlé des retraités rappelés, des agents venant d’autres pays (Espagne, Maroc, Angleterre, Allemagne, Italie…), mais beaucoup moins des sous-traitants d’EDF qui seraient 45 000 à intervenir en ce moment ! Ils ont peu parlé aussi des dangers liés à la fatigue et aux journées sans fin, et des accidents survenus, comme dans la Marne, où trois agents sont tombés, un étant blessé gravement.

Tout cela est un reflet fidèle du fonctionnement d’EDF en temps normal, qui compte 114 000 salariés (contre 125 000 en 1985), et qui fait appel à près de 200 000 prestataires, qu’importent les risques. Un reflet aussi de la gestion d’EDF, de plus en plus gérée comme n’importe quelle entreprise privée, soucieuse d’afficher des bénéfices à son bilan. Et cette logique s’accentue depuis des années, avec le début de l’ouverture de la concurrence sur le marché français, avec la conquête de parts de marchés dans d’autres pays, une logique qui annonce une privatisation à terme. Bien conscients de cette menace, nombreux étaient les techniciens interviewés à la télé qui en profitaient, au passage, pour défendre le " service public ", c’est-à-dire une entreprise dont il resterait encore une part qui échapperait au marché, une entreprise pas encore livrée aux actionnaires.

Pour les dirigeants d’EDF, les inquiétudes sont à l’opposé, et bien loin des problèmes des usagers privés de courant. Ce qu’ils craignent, c’est que les frais exceptionnels ne ralentissent leur politique de rachat de concurrents qui les prépare à la privatisation. Ces deux dernières années, EDF a racheté London Electricity en Grande-Bretagne pour 13 milliards de francs, et un quart de EnBV, électricien allemand, pour 15 milliards, pour arriver aujourd’hui à 13 millions de clients à l’étranger.

Au regard de ces sommes, EDF a largement les moyens de payer les 17 milliards que devraient coûter les réparations (4 à 5 milliards de réparations immédiates, 12 milliards de reconstruction). Mais pour eux, ce sont 17 milliards de moins pour les rachats.

Comme un bourgeois en temps de guerre voyant arriver les contrats de la reconstruction, Kessler, le n°2 du Medef, peut se réjouir cyniquement, en déclarant : " ce sinistre est plutôt positif pour le PIB. 20 à 25 milliards de francs vont être injectés dans l’économie française ". Mais pour les dirigeants d’EDF, les comptes ne se font pas dans le même sens. Ils craignent que la reconstruction ne se fasse avec des exigences supérieures de solidité. Car de nombreux pays industrialisés sont soumis régulièrement à des tempêtes de cette ampleur et ont adapté leurs infrastructures en fonction : en enterrant les lignes basse et moyenne tensions, et en construisant des pylônes capables de résister plusieurs heures à des vents de 200 km/h, quand les pylônes français étaient prévus pour tenir un petit moment à des vents de 150 km/h. Un dirigeant d’EDF explique déjà que de tels pylônes coûteraient trois fois plus cher que les actuels à 500 000 F pièce. Le même explique que " assurer la résistance de l’ensemble du réseau à des phénomènes comme les ouragans que nous venons de subir rendrait le coût des équipements totalement prohibitif ". Comme si c’était son argent !

Cette logique est à l’opposé des intérêts de la collectivité qui a payé le réseau. EDF, qui a un chiffre d’affaires de 185 milliards de francs, devrait être mis sous le contrôle de ceux qui y travaillent et de la population, comme le reste de l’économie. C’est la population qui devrait décider s’il est plus rationnel de reconstruire " fragile " à moindre coût pour permettre à EDF de continuer à racheter ses concurrents, ou de prendre dans le trésor de guerre du groupe pour mettre les moyens nécessaires pour faire face aux accidents de la nature et éviter les drames connus ces dernières semaines.

Franck Coleman

Mise en place de la Couverture Maladie Universelle, pour panser la misère

La machine à propagande gouvernementale fonctionne à plein pour nous convaincre du progrès que représente la mise en place de la CMU. A la mi-décembre est paru un rapport Santé et protection sociale qui dresse un état des lieux de ce que nous connaissons bien : des dizaines de milliers de travailleurs, de chômeurs renoncent chaque année à se faire soigner, eux et leur famille, parce qu’ils ne peuvent pas payer les dépenses non remboursées par la Sécurité Sociale dont la part n’a pas cessé d’augmenter ces dernières années, sous prétexte de faire baisser le déficit de la Sécu, et cela parce que les mutuelles qui font le complément coûtent cher et ne remboursent pas la totalité des frais. En 1998, ce sont 14 % des assurés sociaux et 30 % des chômeurs qui se sont trouvés dans cette situation. Avec bien évidemment des inégalités que le rapport met en évidence : les femmes, les jeunes et les précaires qui sont les plus touchés par le chômage longue durée ainsi que les petits boulots à temps partiels, sont également les plus nombreux à ne pas pouvoir se soigner. Et parmi ces personnes, 99,8 % étaient couvertes par la Sécu, et 84 % avaient une mutuelle complémentaire, mais visiblement insuffisante. Autre inégalité justement de ces mutuelles : " les ouvriers bénéficient moins des contrats collectifs négociés par leur entreprise, souvent de meilleure qualité ", que les autres professions, le résultat étant que les ouvriers vont moins souvent chez les médecins spécialistes que les cadres et les professions intellectuelles. Enfin le rapport note que 19 % des allocataires du RMI ne se font pas soigner car ils ignorent leurs droits à l’aide médicale gratuite. On peut se demander par quel miracle ces personnes seront mieux informées de leurs droits concernant la CMU.

Face à ce constat, les mesures de la CMU correspondent à une volonté du gouvernement de soigner à moindre coût une image de " gauche ". Mais à part son image, c’est pas gagné que les travailleurs qui paient les conséquences de la politique des gouvernements successifs au service des patrons, puissent eux, se soigner.

La CMU prévoit que ce soit la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) qui prenne en charge l’aide médicale gratuite dont bénéficiaient les allocataires du RMI, et que, dans le cadre de la CPAM, les assurances et les mutuelles financent une mutuelle complémentaire pour les assurés sociaux qui n’en ont pas (avec la participation des fonds publics, et le tout étant géré par le personnel de la CPAM). Mais l’accès à cette complémentaire est soumis à des conditions de ressources. Or, le gouvernement a fixé le plafond des ressources à 3 500 F, soit 40 F de moins que le minimum vieillesse ou l’Allocation Adulte Handicapé, ce qui prive de cette possibilité deux catégories de personnes qui vivent pourtant en dessous du seuil de pauvreté, et qui ont besoin, le plus souvent, de suivis médicaux très coûteux. Autre mesure : le calcul des droits à la CMU se fait sur la base des ressources pendant les 12 derniers mois, autrement dit, il faut toucher moins de 3 500 F pendant 12 mois avant de pouvoir avoir une mutuelle, et donc de nombreux chômeurs qui avec l’Allocation Unique Dégressive touchent une misère pendant des mois devront encore attendre. Enfin, si la situation change, que le bénéficiaire de la CMU retrouve un emploi à temps partiel, il perd la CMU, mais s’il est assuré par une mutuelle, celle-ci lui proposera de continuer en contrepartie d’une cotisation. Les étrangers non régularisés restent pour le moment privés de tout droit à se soigner.

Le gouvernement veut donc faire un geste qui ne lui coûte pas cher ainsi qu’aux assurances et aux mutuelles privées qu’il introduit ainsi dans la Sécu. Le journal La Tribune expliquait " Pour les assurances, la CMU préfigure une recomposition du système. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les assureurs ont accepté d’être associés au dispositif. Ils y voyaient l’occasion de démontrer leur compétence en matière de gestion d’assurance maladie ".

D’autant plus que le gouvernement fait gérer le système par la CPAM et donc que le privé n’aura pas à débourser. Mais là aussi on retrouve la logique du gouvernement. Alors que la CPAM va voir sa charge de travail augmenter considérablement, puisque le ministère prévoit la gestion de 6 millions de dossiers relevant de la CMU, avec examen pour la constitution de chaque dossier, suivi de l’évolution des situations, transferts de données de la CAF (complètement débordée par le manque de personnel) vers la CPAM. Pour faire face à ce surcroît de travail, alors que les employés sont déjà débordés, la CPAM a embauché 1 400 personnes, dont 500 en CDD. En fait le ministère espère que les personnes qui s’adressaient aux associations humanitaires pour se soigner vont continuer et que celles-ci, qui reposent sur le dévouement et le bénévolat vont prendre en charge la constitution et la gestion des dossiers de CMU. " Chacun souhaite garder sa " clientèle ", tant mieux. Je souhaite que le travail se fasse en amont des CPAM ", a déclaré Aubry, en annonçant royalement une subvention exceptionnelle de 100 000 F pour ces associations.

Et pour financer cette généreuse politique, le gouvernement a demandé aux mutuelles d’augmenter de 1,75 % les cotisations.

Isabelle Cazaux