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Dans les hôpitaux, le mouvement converge et s’amplifie : l’organisation démocratique est nécessaire à son unité

Dans les hôpitaux, le mouvement de lutte s’amplifie et est en train de franchir une étape avec la journée nationale de grève de vendredi 28 janvier. Le mécontentement général qui s’exprime depuis le mois de novembre, touchant toutes les catégories de personnel, est en train de converger et de s’amplifier.

Le mouvement, parti des hôpitaux parisiens, a progressivement gagné de nombreuses villes de province. Partout, les revendications sont les mêmes : l’embauche de personnel, l’arrêt des fermetures de lits et de services programmées, l’augmentation des budgets des hôpitaux, la titularisation des précaires et, pour certains, dont les infirmières anesthésistes, l’exigence de reclassements, c’est-à-dire des augmentations de salaire.

La politique menée depuis des années par les différents gouvernements a entraîné la fermeture de dizaines de milliers de lits et la suppression de dizaines de milliers d’emplois, aggravant les conditions de travail de tous, faisant qu’aujourd’hui une simple épidémie de grippe provoque la saturation de tous les services hospitaliers. C’est au nom de la " nécessaire évolution de l’hôpital " et de la " réduction des inégalités d’accès aux soins " que Jospin et Aubry ont entrepris de réduire les budgets hospitaliers de nombreuses régions. A tel point que plusieurs Conseils d’administration, dont celui de l’Assistance publique de Paris, ont refusé de voter le budget 2000, budget qu’Aubry a fait passer de force à l’Assistance publique. En même temps, le gouvernement a programmé 24 000 suppressions de lits supplémentaires et le directeur de la CNAM demande un plan de 32 milliards d’économies dans les hôpitaux publics.

Face au mouvement qui s’amplifie et qui a l’assentiment d’une large fraction de la population, le gouvernement tente de calmer le jeu : Aubry a annoncé qu’elle allait recevoir les organisations syndicales et elle vient de promettre que l’instauration des 35 heures dans les hôpitaux se fera avec embauches, alors que Zucarelli, ministre de la Fonction publique, avait, lui, annoncé qu’il n’y en aurait aucune. Les paroles d’Aubry ne dupent personne, bien au contraire, elles reflètent la pression que le mouvement exerce sur le gouvernement et sont un encouragement à la poursuite de la lutte.

Tout cela se discute dans les assemblées générales qui se tiennent depuis des semaines dans de nombreux hôpitaux. Ces assemblées permettent d’échanger, de mettre en commun et de confronter les informations et les expériences et redonnent confiance. Nous sommes ainsi des milliers dans le pays à nous réunir, à retrouver ou découvrir, suivant les générations, le chemin de la lutte et le besoin de s’organiser. Et ce qui s’exprime à travers les assemblées générales, c’est le besoin de s’organiser de la façon la plus démocratique possible.

L’ensemble des syndicats est pour le moment partie prenante du mouvement. L’unité qu’ils affichent – toutes les organisations syndicales hospitalières appellent à la grève, ce qui ne s’était pas produit depuis 1974 - encourage et a aidé au démarrage du mouvement. Mais la fraction la plus combative est méfiante à l’égard des directions syndicales dont le souci majeur est de " négocier ". Gibelin, secrétaire général de la fédération santé de la CGT, l’a dit : " depuis 97, notre fédération n’a rencontré qu’une seule fois Martine Aubry… ce que nous souhaitons, c’est qu’il y ait une réelle concertation avec le gouverne-ment ".

Aujourd’hui, beaucoup ressentent plus ou moins confusément que la garantie pour que notre mouvement aille le plus loin possible, c’est notre organisation démocratique. C’est ce sentiment qu’il faut conforter, en aidant à ce que les formes d’organisation soient les plus démocratiques possibles afin d’entraîner le plus grand nombre, de renforcer l’unité du mouvement et d’aider à faire que la semaine qui vient soit le départ d’un mouvement national pour faire reculer le gouvernement et imposer l’embauche dans les hôpitaux.

 

Préparation de la journée d’action du 28 janvier à l’hôpital du Havre

A l’hôpital Jacques Monod (environ 1500 employés), où il y a eu, depuis le 15 novembre, 107 suppressions de postes, le mécontentement s’exprime dans tous les services. Nous travaillons à flux tendu et les changements de quart et les déplacements continuels de nos repos hebdomadaires deviennent insupportables. L’annonce d’une journée nationale d’action à l’appel des fédérations syndicales pour le 28 janvier a semblé susciter beaucoup d’intérêt. Pourtant, nous ne nous sommes retrouvés qu’à 40 en AG de préparation à cette journée, le jeudi 20 janvier. Ceci n’est pas, selon l’ensemble des militants qui sont passés dans les services, le reflet du mécontentement rencontré, ni celui de l’intérêt porté à la journée du 28 janvier. Le frein essentiel à la mobilisation est le sentiment qu’ont les agents hospitaliers d’être dans l’impossibilité de faire reculer la politique du gouvernement, le sentiment d’être le pot de terre contre le pot de fer. Mais la nécessité d’une bagarre dure et longue fait son chemin dans les consciences. Lundi 24 et mardi 25, nous avons distribué un tract rédigé en commun par les militants LCR et VDT des sites de l’hôpital psychiatrique Pierre Janet et de Jacques Monod. Nous espérons que ce tract contribuera au succès de la journée du 28, et au-delà à ce que de plus en plus d’employés se sentent dans leur bon droit pour demander de la rallonge en matière budgétaire et en matière d’effectifs, et s’organisent pour préparer ici le futur " tous ensemble " des travailleurs de la Santé.

 

Le mouvement des hôpitaux parisiens - par une mobilisation unitaire, démocratique et déterminée, nous pouvons faire céder le gouvernement !

Lancé il y a deux mois et demi dans les services des urgences des hôpitaux Saint-Louis et Saint-Antoine, le mouvement des salariés de l'AP-HP (Assistance publique des hôpitaux de Paris) ne faiblit pas. La manifestation du 13 janvier, très combative, a rassemblé 6 000 participants, soit le double de ceux réunis dans les deux manifestations d'avant les fêtes. La mobilisation touche à des degrés divers, et variables selon les périodes, la quasi totalité des 52 hôpitaux de l'AP-HP. Vendredi 21 janvier, 6 établissements étaient en grève générale reconductible : Pitié-Salpêtrière, Tenon et Saint-Louis à Paris, René Muret-Bigottini et Avicenne en Seine-Saint-Denis, Henri Mondor dans le Val-de-Marne.

Les travailleurs de la Santé réagissent face aux conséquences désastreuses du plan d'austérité du gouvernement, qui a imposé un budget 2000 en baisse par rapport à 1999 (+ 1,08 % alors que l'inflation a été de 1,2 %). Ils exigent des moyens afin de pouvoir assurer des soins de qualité, en terme de personnels (embauche et titularisation des précaires) et d'équipements.

Au niveau des établissements, la lutte est auto-organisée dans les assemblées générales souveraines. Certaines d'entre elles ont élu des comités de grève ou commissions permanentes de l'AG, intégrant syndiqués et non syndiqués ; dans d'autres cas, c'est l'intersyndicale de l'hôpital qui structure la grève entre deux assemblées. Depuis la rentrée, la tendance à la coordination à partir des AG d'établissement s'accentue : on se rencontre, on tient des assemblées et des initiatives communes, notamment entre hôpitaux proches géographiquement ; par exemple, en Seine-Saint-Denis, entre René Muret-Bigottini (Sevran/Aulnay), Avicenne (Bobigny) et Jean Verdier (Bondy).

Les problèmes de contrôle, de démocratie et de centralisation

Mais au niveau de l'ensemble de l'AP-HP, seule l'intersyndicale (qui regroupe les directions de tous les syndicats dont les quatre principaux : CGT, SUD-CRC, CFDT et FO) représente le mouvement et convoque les initiatives centrales, journées de grève et manifestations. L'intersyndicale de l'AP-HP " gère " le mouvement, mais sans en référer aux AG, ni même souvent aux syndiqués ; pour un syndicat CGT " de base ", savoir ce qui peut bien se discuter dans les " hautes sphères " relève de l'impossible exploit ! En outre, rien de concret n'est fait là-haut pour aider les travailleurs, les militants de la grève à échanger leurs expériences, à coordonner et ainsi renforcer leur action. Après le succès du 13, l'intersyndicale a appelé à une journée de grève et de manifestation pour le… 28 janvier (et encore a-t-il fallu que SUD-CRC pèse de tout son poids pour qu'une date soit donnée). Entre-temps, les salariés de plusieurs hôpitaux ont reconduit ou engagé sur leur établissement la grève générale… mais jusqu'au 28, il leur faut tenir et se débrouiller pratiquement seuls !

Autre problème, l'absence de revendication précise unifiant le mouvement sur un objectif commun. L'intersyndicale demande à juste titre une augmentation du budget de l'AP-HP, mais sans dire de combien - ce dont personne n'a d'ailleurs une idée claire.

C'est pourquoi, dans le numéro du 10 janvier de leur bulletin " Travailleurs de la santé ! ", les militants et sympathisants de Voix des Travailleurs à l'AP-HP proposaient notamment que, comme des AG l'ont déjà décidé ou demandé , " dans chaque hôpital et dans chaque service, les salariés eux-mêmes établissent les besoins, en personnels comme en matériels " et " que les réunions de l'intersyndicale soient élargies à des représentants élus de chaque assemblée générale d'établissement ". Cela permettrait de définir les revendications et de décider, le plus démocratiquement et efficacement possible, de la conduite de la lutte. Il s'agit donc de " renforcer les liens entre établissements en grève ou en lutte, ainsi que la prise en charge directe de la mobilisation par l'ensemble des personnels, garantie de sa continuité, de sa détermination et de sa massivité ".

Quelles perspectives ?

A la rentrée des congés, le gouvernement tablait sur un essoufflement, en jouant sur le fait que souvent, les personnels travaillent déjà quasiment en service minimum, et en comptant sur leur évident attachement au service public (pas question de différer les soins indispensables !) Les assignations touchent des services entiers, ce qui rend la mobilisation plus difficile. Cependant, des AG de grève ont réagi en contrôlant, service par service et poste par poste, ainsi qu'en imposant à leur direction d'établissement leurs propres listes de service minimum.

Apparemment prise de court par le maintien et même le développement de la mobilisation, Martine Aubry tente maintenant une nouvelle manœuvre : à l'issue de la manifestation du 13, elle a proposé aux syndicats l'engagement d'une négociation sur la mise en place des 35 heures à l'AP-HP, en assurant que cela déboucherait sur des postes et des moyens. En fait, dans les hôpitaux comme ailleurs, sous prétexte de RTT, le plan gouvernemental est de " redéployer " et " rationaliser " les services dans le cadre du maintien de l'austérité budgétaire tournée contre les personnels et les usagers.

Pour l'instant, l'intersyndicale a unanimement refusé cette fausse " ouverture ", et réaffirmé les revendications des salariés en lutte. Mais qu'en sera-t-il demain ?

Le seul moyen véritablement fiable afin de préserver l'unité et de construire le rapport de forces qui permettra de faire reculer le gouvernement, dans une grève générale reconductible de toute l'AP-HP, de tous les personnels de la santé, est de développer la démocratie, la coordination et la centralisation de la lutte par en bas, à partir des assemblées générales souveraines et des délégués mandatés et responsables devant elles.

Correspondants AP-HP

 

Échos du mouvement sur Bordeaux

Pour la journée de grève du jeudi 20, nous nous sommes retrouvés environ 200, venus des trois sites du CHU, devant la Direction Générale. Les syndicats ont d’abord proposé d’aller rencontrer la direction accompagnés d’une délégation… mais beaucoup parmi nous ont dit que nous n’étions pas venus pour attendre en bas les " résultats " de l’entrevue. Tout le monde est donc monté dans la bonne humeur, les syndicats se rangeant à l’évidence.

Le Directeur a alors essayé de nous faire avaler les couleuvres. Se disant d’accord avec nous, il a invoqué son impuissance, expliquant qu’il ne pouvait rien faire car il n’a pas les moyens budgétaires, ne lésinant pas sur la pommade, expliquant qu’il comprenait nos difficultés… Face aux interventions de nombreux camarades qui dénonçaient la situation dramatique due au manque de personnel, il n’avait qu’une réponse : c’est la faute de l’Agence régionale d’hospitalisation (ARH) et du ministère.

Et quand nous lui avons demandé des comptes sur ce qui se passe sur l’hôpital, il s’est courageusement défaussé sur l’encadrement. Si, dans un service d’urgences par exemple, on essaie d’imposer trois week-end de travail sur quatre ou des journées de douze heures " en échange " des 14 postes que l’ARH a dû céder face à la grève, la direction n’y est pour rien : ce ne peut être, d’après ce directeur, qu’une initiative malheureuse de l’encadrement ! Personne n’étant dupe, nous n’avons pas manqué de le lui dire…

Après son départ, profitant de la vaste salle de réunion des directeurs, nous avons organisé notre assemblée générale sur place afin de décider et de préparer la journée de grève du 28. Nous avons décidé et voté de partir en convois de chaque établissement pour nous retrouver devant l’ARH où les syndicats ont rendez-vous. Puis, laissant les dirigeants syndicaux qui doivent être reçus, il a été décidé de pique-niquer et de repartir, toujours en convoi pour participer à la manifestation départementale dans le centre de Bordeaux.

Depuis, dans les services, la grève se discute et se prépare. Tout le monde commente les informations de la radio ou de la télé qui parle de la grève intercatégorielle et nationale, content de la publicité que cela fait à notre grève. Quant aux malades, ils approuvent et nous encouragent.