page 3



Mouvements contre l’ARTT à la Poste : surmonter la division orchestrée par la direction

Il a suffi d’une augmentation du courrier des entreprises pour que ce début janvier tourne à la panique. En région parisienne, plus d’un million d’objets ont été traités avec du retard. Et la même chose s’est passée dans de nombreuses régions.

Pour cacher son talent de désorganisatrice du travail, la direction n’a pas trouvé mieux que d’évoquer l’épidémie de grippe, et donc de faire tomber la responsabilité des retards sur un prétendu absentéisme des facteurs. La vraie cause est évidemment dans la baisse continue des effectifs depuis des années, pour une charge de travail toujours plus importante, plus de 25 milliards de lettres en 1999 (dont la moitié de publicité !), avec une progression de 2,5 % par rapport à 1998.

La Poste se vante d’embaucher, mais les 20 000 créations d’emplois annoncées correspondent seulement au remplacement des 20 000 départs en retraite. Quant aux 3 500 facteurs recrutés cette année, un quart d’entre eux seulement ont été nommés sur des postes. Pour le syndicat SUD, si le temps de travail est diminué de 10 % avec les 35 heures, il faut que les embauches correspondent à 10 % de l’effectif, soit 30 000 créations d’emploi.

Mais pour la Poste, dans les 35 heures, qui sont nommées ARTT (Aménagement et Réduction du Temps de Travail)… c’est surtout le A qui est important. L’ARTT a été conçue pour être appliquée bureau par bureau pour diviser les postiers au maximum.

Dans de nombreux endroits, les directions font suivre les facteurs par des chronométreurs. Tout est calculé au plus juste : dans telle ville, la direction donne consigne de déduire l’attente à un feu rouge ! A Paris, le temps de distribution d’une lettre recommandée, qui était de trois minutes, est divisé par deux. Le chronométrage est un vrai trucage des tournées qui sert à la direction pour faire une RTT à la carte en décrétant qu’un tel ne fait que 36 heures par semaine, tel autre 37, et donc ne doit avoir son temps de travail réduit que d’une heure, ou de deux, etc.

Alors le ras-le-bol se généralise.

A Besançon, 150 facteurs et 40 agents des services généraux ont décidé d’appliquer eux-mêmes les 35 heures : ils réduisent le temps de tri du matin de 40 minutes et laissent de côté les publicités. Ils ont aussi porté plainte au commissariat pour " vol de temps libre ".... Bien sûr, la direction ne fait pas de cadeau, et elle compte chaque journée réduite comme une journée entière de grève, alors que le courrier est distribué normalement aux usagers.

En Gironde, CGT et SUD avaient appelé à une journée d’action lundi 24 suivie par près de 600 grévistes sur 54 bureaux, avec 29 bureaux comptant entre 60 et 100 % de grévistes. La grève a surtout été menée par les facteurs (1/3 d’entre eux étaient dans le mouvement). Mais pas seulement : au rassemblement devant la direction départementale, une employée du Service général dénonçait l’absence de personnel pour remplacer les jours de RTT et l’arnaque des commissions sur les ventes qui entraînent des baisses de salaires.

À Villeurbanne, les postiers ont obtenu la création de 13 emplois supplémentaires après 7 jours de grève.

A Nantes, il y a eu aussi plus d’une semaine de grève. Dans l’Hérault, 19 bureaux étaient en grève mardi, de nombreux autres mouvements existent et ne sont pas relayés par la presse. Dans d’autres endroits, les mouvements ont déjà eu lieu, comme en Corse, où après deux mois de conflit, les postiers ont imposé la création de 47 postes et empêché la fermeture de certains bureaux.

Mais tous ces mouvements qui expriment un mécontentement général semblent démarrer et s’arrêter indépendamment les uns des autres. Certains gagnent quelques postes, un peu de répit, d’autres reprennent sans rien.

La direction a joué la division en fixant un cadre général, négociable bureau par bureau. Pour ne pas être gênée par la date du 1er janvier à laquelle les 35 heures devaient être installées partout, elle promet que là où les négociations n’ont pas encore abouti, la RTT sera rétroactive sous forme de jours récupérables. Elle veut gagner du temps pour éviter un conflit généralisé. Il est hors de question pour elle de céder, à l’heure où toute sa préoccupation est de racheter des concurrents en Europe, et de préparer des secteurs très rentables (messagerie, petits colis…) pour les privatiser. Il faudra la ramener à une attitude plus raisonnable.

Franck Coleman

Les enseignants des SEGPA (enseignement adapté dans les collèges) en ont ras-le-bol !

Jeudi 20 janvier, nous avons été nombreux dans les SEGPA à nous mettre en grève à l’appel des syndicats SE (FEN), SNUipp (FSU) et SNETAA (FSU). Nous avons profité du colloque sur les SEGPA, organisé à Paris par Ségolène Royal qui a annoncé qu’elle voulait " rénover " ce secteur honteux de l’Education nationale, ces parents pauvres installés dans les collèges qui recueillent les " inadaptés " du système scolaire traditionnel, des jeunes en grande difficulté, donc difficiles, pour la plupart (près de 68 %) issus de milieux défavorisés.

Sur tout le département de la Gironde, qui compte une trentaine de SEGPA, soit 2 400 élèves, la moitié des instituteurs, professeurs des écoles et professeurs d’enseignement professionnel ont exprimé leur ras-le-bol, car la situation devient intolérable par manque de moyens.

A la rentrée 99, près de la moitié des SEGPA n’ont pas reçu le volume d’heures nécessaires pour assurer l’enseignement de toutes les disciplines et les moyens pour préparer les CAP dans des conditions normales. Alors que le minimum d’heures officiel est de 231 heures, beaucoup ont dû se contenter de 224 ou 225 heures. Des élèves, par exemple, ne reçoivent pas du tout de cours d’arts appliqués, pourtant au programme de certains CAP. Pour l’anglais ou la physique, les SEGPA sont tributaires des heures et des enseignants que veulent bien leur céder les collèges. Le manque de moyens est tel que certaines classes sont à double ou triple niveau, 40 % environ des postes ne sont pas assurés par des enseignants spécialisés.

Malgré les belles paroles des ministres sur l’intégration des SEGPA dans les collèges, elles restent des secteurs à part, sans moyens, et un élève sur deux quitte la SEGPA et avec elle le système scolaire, sans aucune qualification. Ces classes poubelles de l’Education nationale qui recrutaient dans le passé des jeunes étiquetés comme " débiles légers " accueillent aujourd’hui des jeunes de milieux très défavorisés, en échec scolaire, ou des jeunes d’origine immigrée, parlant mal le français et auxquels le système scolaire n’a rien d’autre à proposer pour les aider à s’intégrer. La supposée rénovation des SEGPA inquiète les enseignants : la ministre envisage la réorganisation des formations professionnelles qui risque d’entraîner à terme les jeunes vers l’exploitation directe par les patrons à travers l’apprentissage.

L’inquiétude pour l’avenir des jeunes et le manque criant de moyens ont poussé beaucoup d’entre nous à dire jeudi, notre ras-le-bol.

 

Solectron : premier débrayage pour les salaires

Solectron est un groupe qui possède environ 25 usines partout dans le monde. Et depuis 7 ans, sur le site de Canéjan, l’entreprise est passée de 250 salariés à 850 aujourd’hui, sans compter les quelques centaines d’intérimaires qui travaillent dans l’usine en permanence. Les profits n’ont cessé d’augmenter au prix d’une augmentation constante des cadences. Et depuis le mois de juin dernier, avec l’application des 35 heures, nos conditions de travail se sont encore dégradées : seulement 5 minutes de pause pour 6 heures de travail, diminution des salaires. Alors, quand la direction a annoncé qu’il n’y aurait que 0,4 % d’augmentation de salaire, avec pour seulement quelques-uns la possibilité d’aller jusque 1,7 % sous forme d’augmentation individuelle, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. D’autant plus qu’on venait aussi d’apprendre que le montant de la PQP (une prime de production trimestrielle ) serait de 200 F… brut… et qu’à côté de cela, le groupe vient d’acheter une usine Ericsson qui se trouve à Longuenesse dans le Nord de la France, où les salaires en production sont de 3000 F plus élevés qu’à Solectron.

En rachetant cette usine, la direction de Solectron a essayé de remettre en cause les quelques avantages de ces salariés, les salaires et le 13ème mois entre autres. Mais les salariés d’Ericsson ont répondu par la grève et au bout de 4 jours d'arrêt complet de la production ont obtenu satisfaction, avec une prime de 56 000 F de transfert par salarié. Alors ici, nous avons suivi l’exemple de nos camarades de Longuenesse, et à l’appel de la CGT, CFDT et FO, nous avons été une centaine environ à débrayer vendredi dernier, pour exprimer notre ras-le-bol. Nous voulons une augmentation des salaires de 500 F pour tous, une prime de 3 000 F, un 13ème mois. Pendant le débrayage, nous avons eu la visite du directeur de production venu justifier les non augmentations de salaires. Il s’est fait huer. La direction a aussi fait des réunions par secteur pour nous demander pourquoi on avait fait grève, elle voulait nous faire la morale. Suite à ce débrayage, la direction a avancé les négociations salariales qui démarreront mercredi 26 janvier. Nous, c’est la première fois qu’on débrayait, on est très content de l’avoir fait et on est prêt à remettre ça.

 

La SNCF et la Deutsche Bahn louvoient " entre coopération et concurrence " pour construire une Europe ferroviaire sur le dos des travailleurs

Le 20 janvier, la dernière en date des filiales de la SNCF en Europe vient d’ouvrir ses portes à Francfort. Si cette filiale, SNCF Fret Deutschland, est de taille fort modeste, sa création est symbolique de la volonté de la SNCF de s’implanter aux points névralgiques de l’Europe ferroviaire. Dans le secteur fret, la SNCF vient quasiment de doubler sa capacité de transport en entrant à hauteur de 45 % dans le capital de la société de wagons suisse Ermewa. La création de SNCF Fret Deutschland, pour gérer le trafic fret en Allemagne, constitue la suite logique de l’opération.

Il y a un an, l’entreprise française avait créé une structure, SNCF international, pour coordonner l’activité de ses filiales dans le monde. Elle compte aujourd’hui en ouvrir le capital et trouver des partenaires dans le secteur bancaire. Son objectif est clairement affiché. : La Tribune expliquait que la SNCF " compte sur ses filiales pour participer à la privatisation des chemins de fer dans le monde ". C’est principalement la privatisation de la compagnie des chemins de fer polonais (PKP) qui est à l’ordre du jour, privatisation pour laquelle la société allemande Deutsche Bahn est également en lice.

La SNCF et la DB se retrouvent donc en concurrence. Mais les deux sociétés ne semblent pas décidées à se faire la guerre. Au contraire, elles multiplient les coopérations, comme l’a illustré récemment leur décision de développer ensemble le nouveau TGV européen, afin de faire face à l’importance des investissements nécessaires. De même en ce qui concerne les chemins de fer polonais, la SNCF espère s’associer à la DB, plutôt que d’entrer en compétition franche avec elle, afin de dépecer la PKP.

Ainsi, bon gré, mal gré, les deux géants ferroviaires sont obligés de s’entendre. La Deutsche Bahn ne voit évidemment pas d’un bon œil la généralisation des " délégations fret " de la SNCF dans les pays d’Europe centrale et orientale dont elle dominait les marchés. Mais ne voulant pas provoquer sa rivale, la SNCF avance à pas feutrés. Commentant les relations futures de SNCF Fret Deutschland avec la filiale fret allemande DB-Cargo, le directeur de la filiale SNCF parlait d’une " voie étroite entre coopération et concurrence "…

Quelles que soient les stratégies précises des différentes compagnies ferroviaires européennes, ce qui est à l’ordre du jour, c’est bien la mise en place d’un vaste réseau ferroviaire intégré à l’échelle du continent, que les récentes directives européennes sur la libéralisation du fret visent à favoriser. Dans le secteur ferroviaire aussi, l’heure est aux concentrations.

Que ces regroupements prennent la forme de la coopération chère à Gayssot ou d’une concurrence sauvage, ce sont de toute façon les travailleurs qui devront payer l’addition. Ainsi, la privatisation des chemins de fer polonais doit entraîner la suppression de 60 000 emplois, sur un effectif total de 193 000 personnes. Et en début de semaine, les syndicats allemands ont annoncé que la Deutsche Bahn prévoyait de supprimer 70 000 postes sur 250 000, afin de réduire ses coûts pour entrer en Bourse en 2003.

Ces concentrations et restructurations en cours préparent le terrain pour développer la coopération des travailleurs du rail afin de préparer une riposte générale à l’échelle du continent. Le succès de l’Eurogrève du 23 novembre 1998 a montré qu’une telle mobilisation était possible. C’est seulement au travers de ces luttes d’ensemble, et non par la mise en place d’une quelconque législation " sociale " européenne, que les travailleurs mettront un coup d’arrêt aux attaques que leur mènent les capitalistes et les gouvernements de tous les pays.

Frédéric Martin