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Espagne : l’attentat de l’ETA fait le jeu du gouvernement et désarme les travailleurs de tout le pays

En assassinant un lieutenant-colonel de la Garde civile à Madrid, les dirigeants d’ETA ont mis à exécution les menaces proférées lors de la rupture de la trêve. A Madrid, s’est déroulée une manifestation d’un million de personnes à la tête de laquelle se trouvaient le premier ministre Aznar, le chef de l’opposition, le socialiste Almunia, les dirigeants syndicaux et les anciens premiers ministres Suarez, Calvo Sotelo et Gonzalez. Tous les leaders politiques étaient présents à l’exception des dirigeants du Parti nationaliste basque, le parti conservateur et nationaliste à la tête du gouvernement basque.

Aznar, Almunia et tous les autres ont condamné ETA et appelé à l’union de toutes les forces démocratiques. Ils essaient ainsi de récupérer à leur compte le sentiment de répulsion exprimé par la population devant ces méthodes qui témoignent du mépris de la vie humaine et de la totale indifférence des dirigeants d’ETA aux sentiments de la population. Pire, ces réactions entrent dans un calcul conscient : celui de créer un fossé entre la population vivant au Pays basque et ses fractions les plus radicales, proches des partis et des syndicats nationalistes et le reste de la population espagnole.

Ce qui préoccupe les dirigeants d’ETA, c’est leur bras de fer avec l’Etat espagnol. En décrétant la trêve unilatéralement, ils avaient fait un geste politique en direction du gouvernement espagnol et des forces politiques basques. Au Pays basque, cela s’était traduit par des alliances électorales avec les autres partis nationalistes basques sur le plan électoral et par la signature du Pacte de Lizarra, rassemblant tous les partis nationalistes basques et le PC, en faveur de l’amnistie politique. Au niveau du gouvernement espagnol, aucun geste n’avait été fait pour tenter de débloquer la situation politique. Et l’ETA, en reprenant ses attentats, tente de faire pression pour que l’Etat espagnol change de position.

Ce que veulent les dirigeants d’ETA, c’est remettre en question la Constitution de 1978 qui inclut le Pays basque dans l’Etat espagnol. Ils veulent reprendre aussi l’initiative et garder sous leur contrôle Herri Batasuna, la formation politique considérée comme le bras politique d’ETA et sa coalition électorale Euskal Herritarok qui a obtenu 15 % en moyenne aux dernières élections régionales. Les dirigeants d’ETA craignent en effet que les alliances électorales passées avec les autres partis nationalistes basques -Herri Batasuna et Euskal Herritarok soutiennent pour la première fois le gouvernement basque en place- ne les détournent de la lutte armée. Cela s’était vérifié lors de l’annonce de la rupture de la trêve où pour la première fois HB avait participé aux manifestations aux côtés des autres partis politiques.

La politique des dirigeants d’ETA débouche dans une impasse. L’Etat espagnol a fait le choix, que les gouvernements soient socialistes ou de droite, de ne pas entamer de véritables négociations avec eux. Tout au contraire, en maintenant une position de fermeté, le gouvernement Aznar essaie de capitaliser les sentiments de rejet de la population espagnole et d’une grande partie de la population vivant au Pays basque contre la politique et les méthodes d’ETA. Et son calcul est d’autant plus cynique qu’il a annoncé les élections législatives pour le 12 mars prochain et qu’il mise sur le fait que d’autres attentats de l’ETA renforceront la soutien de la population à ceux qui condamnent les terroristes basques et en premier lieu à ceux qui sont à la tête de l’Etat.

Bien sûr, ce n’est pas parce qu’Aznar et les leaders politiques espagnols se mettent à la tête d’une manifestation d’un million de personnes qu’elles sont forcément derrière eux et d’accord avec leur politique. Beaucoup de manifestants n’étaient pas dupes de la politique du gouvernement et de ces calculs et un sondage indiquant que 55 % des Espagnols sont malgré tout favorables à des négociations avec ETA, montre que les choses ne sont pas si tranchées. Mais faute d’une perspective politique qui place leurs intérêts au premier plan, les travailleurs de toute l’Espagne sont prisonniers des calculs politiques, tant d’ETA que de l’Etat espagnol, qui manifestent les uns et les autres le même mépris pour les sentiments et les intérêts du peuple espagnol.

Jean Kersau

 

Sursis à la pendaison d’Öcalan : le gouvernement turc joue avec sa vie comme moyen de pression sur le peuple kurde

Après avoir confirmé de façon définitive, le 30 décembre, sa condamnation à mort par pendaison, le gouvernement turc vient finalement " d’accorder un sursis " à Öcalan, le leader kurde dirigeant du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).

Cette annonce a bien sûr provoqué un soulagement parmi la population kurde et tous ceux que révolte la condamnation à mort d’Öcalan. Mais elle provoque en même temps l’écœurement et la colère. Car ce " sursis " ne vise en fait qu’à transformer Öcalan en otage et à en faire, pour le gouvernement turc, un moyen de pression contre les Kurdes. Le Premier ministre, Ecevit, l’a clairement annoncé : " si l’organisation rebelle et ses partisans tentent d’utiliser ce processus contre les intérêts élevés de l’Etat, alors le processus de suspension sera interrompu et le processus d’exécution commencera immédiatement ".

Cette décision a été " saluée " par nombre de juristes et un certain nombre de démocrates. La presse occidentale a présenté ce sursis comme un recul du gouvernement turc subissant la pression de l’Europe. La Cour européenne des droits de l’Homme avait en effet demandé le 30 novembre à la Turquie de surseoir à l’exécution d’Öcalan " jusqu’à ce qu’elle ait pris une décision sur le fond ", ce qui devrait prendre… deux ans.

La décision de la Turquie donne ainsi des excuses aux soi-disant démocraties occidentales, complices du gouvernement turc qui joue avec la vie d’un homme, espérant museler la révolte du peuple kurde opprimé et une nouvelle fois humilié.

C.L.

 

Indonésie : l’impérialisme fait mine de s’opposer aux militaires indonésiens pour mieux faire passer le pays sous les fourches caudines de la mondialisation

En Indonésie, le risque d’embrasement généralisé des différentes provinces, devient de plus en plus une réalité depuis l’accession à l’indépendance du Timor Oriental. Depuis le début novembre, dans l’archipel des Moluques, des émeutes entre la population locale à majorité chrétienne et la minorité musulmane ( déplacée des îles surpeuplées dans le cadre de la politique de l’Etat indonésien dite de " transmigration " ), ont déjà fait plus de 2000 morts s’ajoutant aux 700 des précédentes émeutes du début 99. Depuis des années, à intervalles réguliers, ces émeutes intercommunautaires sont le fait de milices et de provocateurs qui agissent pour le compte des militaires. L’armée a toujours pu ainsi justifier tout recours à la force. Fin décembre, elle a reçu les pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre. Les forces de police ont été mises directement sous le contrôle des militaires. Tout l’archipel est soumis à un véritable blocus naval. Sur place, des scènes identiques à celles survenues au Timor : des militaires tirent sur la foule sous prétexte de séparer les émeutiers. La capitale Ambon est en partie détruite. Dans la majorité des îles des Moluques, des centaines de villages ont été incendiés ainsi que des édifices publics ou religieux. La semaine dernière, sur la petite île de Lombok située en face de Bali, des émeutes provoquées par les groupes religieux musulmans ont fait une dizaine de morts poussant les minorités chinoise, chrétienne et hindouiste à fuir vers Bali. Un touriste cité par Libération raconte : " Je n'ai jamais vu les policiers blesser qui que ce soit ni aucun policier être blessé. C'est très organisé. Les manifestants arrivent par camions. Le camion s'arrête et ils débarquent. Ils versent du pétrole sur la route, puis l'enflamment ". Le président Wahid a donné cette fois-ci l’ordre à l’armée de réprimer violemment les émeutiers car c’est directement toute l’industrie touristique, une des premières sources de devises du pays, qui est menacée.

Dans la province d’Aceh, après avoir annoncé son intention d’organiser un référendum dans cette riche province pétrolifère de l’île de Sumatra, le nouveau président indonésien Wahid, lui-même un ex-dignitaire religieux musulman, a fait marche arrière sous la pression de ses alliés religieux hostiles à toute idée d’indépendance. Le référendum prévu ne porterait que sur la mise en place de la Charia, la loi islamique. Début janvier, l’armée a repris son offensive contre les indépendantistes dans une guerre larvée qui dure depuis les années 60. Le but recherché par les dirigeants indonésiens est de maintenir par tous les moyens un semblant de cadre fédéral au pays. Chaque province pourrait ainsi accéder à un statut d’autonomie large mais surtout permettre aux dirigeants nationalistes locaux d’avoir une part des richesses produites. Cette politique se heurte à celle des puissants clans maffieux autour des militaires qui se livrent depuis 1966 au pillage de l’Indonésie : bois des forêts de Bornéo, pétrole et gaz d’Aceh, or et cuivre en Papouasie, épices des Moluques dont les propres enfants de l’ancien dictateur Suharto encaissaient directement les royalties. Les généraux-rentiers indonésiens contrôlent aussi le lucratif secteur du tourisme et ont ainsi mis sous leur coupe des secteurs entiers de l’économie. Le risque de voir le pays se disloquer en plusieurs micro états, comme dernièrement le Timor Oriental, est une menace directe envers leurs sources d’enrichissement personnel.

Sur le terrain du nationalisme virulent, les militaires ont trouvé d’autres alliés. Début janvier, des manifestations ont eu lieu dans les rues des principales villes de Java. Le 5 janvier, plusieurs centaines d’étudiants convoqués par le Front uni des étudiants musulmans, ont défilé dans les rues en scandant des mots d’ordre comme " Dieu est grand ", " Guerre sainte " et " Brûlez les églises " dénonçant selon eux, le génocide perpétré contre les musulmans des Moluques. Le 7 janvier, à Jakarta, 100 000 manifestants ont réclamé la création d’un état islamique et dénoncé la " christianisation " de l’Indonésie pourtant à 90 % musulmane. Le meeting était présidé par Amien Rais, le président de l’Assemblée Consultative du peuple et plusieurs dirigeants connus de partis religieux ayant des ministres au gouvernement. La volonté des intégristes religieux est de récupérer à leur profit le mécontentent populaire dû à la crise (le seuil de pauvreté est passé de 11 à 44 % de la population en l’espace de 2 ans) et faire dévier celui-ci sur le terrain du nationalisme et de la religion. De leur coté, les militaires défient ouvertement le nouveau président. C’est ainsi que l’ex-chef de l’armée et actuel ministre, le général Wiranto, a refusé de se rendre à une commission d’enquête locale sur les crimes de l’armée au Timor et a déclaré qu’il fixerait lui-même la date de sa prochaine comparution. Un autre général avait déjà déclaré qu’il était hors de question de toucher à l’armée et de lui réclamer des comptes, en évoquant des réactions de " colère incontrôlable si les militaires étaient humiliés ".

Devant les rumeurs de coup d’état militaire suite à la destitution du porte-parole de l’armée, un proche de Wiranto, les États-Unis se sont empressés d’apporter leur soutien à Wahid. L’ambassadeur américain à l’ONU, s’est même payé le luxe oratoire de mettre en garde " les officiers tentés par l’aventurisme qui ont oublié que nous sommes maintenant au 21ème siècle et que le passé ne peut plus se répéter ". C’est que l’impérialisme occidental a choisi de miser pour le moment sur Wahid car il apparaît être le mieux placé pour imposer les " réformes économiques " à la population. L’autre but visé est une ouverture plus grande du pays aux capitaux occidentaux en mettant un frein aux appétits financiers des généraux indonésiens, sommés de retourner dans leurs casernes. Mais l’impérialisme et la bourgeoisie indonésienne savent aussi qu’ils doivent ménager leurs " chiens de garde " en cas d’explosion sociale. Les exemples récents de l’ex-URSS et de la Yougoslavie démontrent que les dirigeants impérialistes prendraient acte sans sourciller d’une partition de l’Indonésie en plusieurs petits États. L’impérialisme pourrait en récolter directement les fruits, obligeant les nouveaux états qui surgiraient de ce redécoupage, à passer plus facilement sous les fourches caudines de la mondialisation.

Jean Narédo