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Le rapport sur l’épargne salariale : pour répartir les fruits de la croissance au profit… des patrons

Vendredi dernier, a atterri sur le bureau de Jospin le rapport qu’il avait commandité concernant l’épargne salariale, baptisé par ses rédacteurs, un député PS et un inspecteur des finances, " L’épargne salariale au cœur du contrat social ". Disons le tout de suite, il ne s’agit pas d’envisager des augmentations de salaires généralisées pour permettre aux salariés d’épargner… mais d’étudier comment les rendre actionnaires des entreprises.

Le contexte dans lequel a été commandé ce rapport est éclairant : c’était en octobre dernier, alors que l’annonce des licenciements à Michelin au nom des intérêts des actionnaires, suscitait la révolte des salariés, et que dans le même temps on apprenait que Jaffré, PDG d’Elf Aquitaine quittait son poste avec 250 millions de stock-options en remerciement de ses bons et loyaux services de licencieur qui avaient ainsi fait grimper l’action Elf. Jospin, après s’être complètement dénudé en disant que le gouvernement ne pouvait pas " réguler le marché ", prenait un virage à 180 degrés et se lançait, quelle audace, dans un projet de " nouvelles régulations économiques ". Il cadrait ainsi le rapport attendu : " dans le mouvement actuel de restructuration et de concentration de nos entreprises, l’existence d’un actionnariat salarié peut permettre un infléchissement de certaines décisions dans un sens plus respectueux de l’emploi et de la localisation des centres de décision en France ". Pas de doute voilà un homme convaincu qu’il est possible de peser sur les choix des capitalistes ! Dans le même temps Strauss-Kahn, encore ministre de l’Economie et des finances avant de trébucher sur son propre financement, et conséquent, par la MNEF, expliquait aux députés en quoi la généralisation des stock-options et de l’épargne salariale est une mesure de gauche : " La redistribution est très importante, et c’est un combat que la gauche a toujours mené (…) Notre rôle ne peut se limiter à laisser fonctionner l’économie de marché et le capitalisme pour n’intervenir qu’ensuite, afin de panser les plaies. (…) Devrions-nous accepter une fois pour toutes que le salarié ne perçoive que le salaire qu’on veut bien lui accorder, sans référence à la richesse qu’il crée ? (…) le salaire versé ne reflète pas, à priori, la productivité du travail (…) Bref, il faut réformer l’épargne salariale et permettre aux salariés de récupérer une partie des produits de l’entreprise, c’est-à-dire modifier après coup le partage salaires-profits. L’épargne salariale est donc au cœur de notre projet. "

Le rapport se situe donc dans un cadre clair : pour continuer à faire baisser le coût salarial, chercher des moyens de transformer les salariés en actionnaires. Les " experts " partent d’un constat qui les révolte : les salariés des PME sont les " laissés pour compte de l’épargne salariale ", puisque seuls 3 % d’entre eux y ont accès, et le montant total de l’épargne salariale ne représente que 45 milliards de francs par an alors que les capitaux étrangers investis dans les entreprises françaises se montent à 2000 milliards. Au passage, on peut rappeler que l’Expansion du mois de septembre montrait que 28 000 hauts dirigeants de société en France se sont partagés en 99, des stock-options pour une valeur qui était passée en 8 mois de 27 à 45 milliards de francs. Ces stock-options représentent 100 voire 200 % en plus du salaire. Mais ils sont silencieux là-dessus, un des rares à rendre public ses gains, Bébéar, le PDG d’AXA a perçu pour un milliard de stock-options, son salaire annuel étant de 15 millions. Mais les stock-options ne sont pas prises en compte dans le rapport qui estime qu’elles sont " à la limite de l’épargne salariale ", les capitalistes pourront donc continuer à motiver leurs cadres supérieurs, en dehors de tout contrôle. La seule chose que préconise le rapport c’est de ne pas augmenter les impôts sur les stock-options (actuellement taxés à 40 % alors que le taux d’imposition sur les revenus du travail est de 54 %) au nom, bien évidemment de la concurrence internationale. Donc afin d’offrir aux salariés " des possibilités de rétribution complémentaires liées à la performance des entreprises, sans pour autant fragiliser celles-ci ", le rapport propose de créer un Plan d’épargne inter-entreprise régional pour que les salariés des PME puissent devenir actionnaires de ces fonds sans trop risquer de se voir complètement dépouillés en cas de faillite de certaines entreprises. La nouveauté de ce plan c’est une plan à long terme (12 ou 15 ans) qui garantirait aux entreprises la disposition de ces capitaux sur une longue période. Le tout étant financé en partie par des fonds publics pour inciter les patrons à créer ces PEER. A titre d’exemple, en 97, les 45 milliards d’épargne salariale ont coûté à l’Etat 20 milliards d’exonérations de charges sociales et 5 milliards d’exonérations fiscales ! L’autre volet de ce plan c’est l’augmentation de la participation des représentants des salariés actionnaires au Conseil d’Administration des entreprises, avec un appel du pied appuyé aux syndicats auxquels on fait miroiter des postes de co-gestionnaires des PEER. C’est pourquoi la CFDT a immédiatement porté " une appréciation positive " sur ce rapport dont " les propositions tendent à réduire les inégalités d’accès à une épargne salariale pour l’ensemble des salariés et qui veulent faire des mécanismes d’épargne salariale un véritable enjeu de la négociation sociale ". Tandis que FO disait : " Nous sommes soulagés par ce rapport qui présente des orientations beaucoup plus prudentes que ce que pouvaient laisser présager les discours de ces derniers mois " ; et Thibaut pour la CGT : " Nous ne voulons pas lier le droit des salariés à intervenir sur la marche des entreprises, à être informés, à être consultés, au fait de détenir des actions ".

Ce rapport prévoit des dispositions qui permettront aux patrons, petits et gros, de disposer de capitaux tout en accentuant la pression sur les salaires, au nom des intérêts des salariés-actionnaires. C’est aussi une étape pour préparer l’introduction des fonds de pension.

Isabelle Cazaux

 

Forum de Davos - le bunker des libéraux contesté par la mobilisation citoyenne

La station de ski de Davos a rassemblé le week-end dernier la plus grosse concentration mondiale au mètre carré, de patrons, de gourous de la finance et de politiciens libéraux comme Tony Blair ou Clinton venus pour soi-disant échanger des vues sur l’état du monde. Ce qui est très " tendance " cette année dans ce club privé, c’est de faire du " social ". L’organisateur du forum Klaus Schwab sait bien que le meilleur " social " commence par soi-même et empoche des millions en organisant ce forum. Mais il a généreusement annoncé que l’argent des inscriptions des participants servira à planter des arbres au Mexique. Et si tout cela ne suffisait pas, la création d’un prix d’un million de dollars sera décerné à l’entreprise agissant dans le domaine " humain ". Pour peu que ce soit Total qui l’emporte...

Dans la foule des grands humanistes présents à Davos, l’incontournable Louis Schweitzer s’est fendu d’une déclaration qui touchera tous le salariés surexploités des usines Renault : " Je peux accepter qu’une entreprise meure si elle n’est pas adaptée, mais je refuse qu’un homme disparaisse pour cette raison. ". Plus fort que les clauses sociales ou écologiques, c’est le capitalisme " responsable " et " éthique " qui est à l’ordre du jour. Responsable par rapport à qui ? Evidemment on ne le dit pas tellement ce sont les intérêts des actionnaires qui s’imposent dans les faits.

La " nouvelle économie " du libéralisme acharné

Derrière les discours sur la gentille course au profit, il s’agissait surtout d’envisager les nouveaux problèmes nés des 10 dernières années de libéralisme. La performance de plus de neuf années de croissance continue aux Etats Unis, ce qui détrône le record des années 60, cache surtout une performance réalisée sur l’exploitation des salariés, qui travaillent plus que dans les années 80. L’offensive libérale a entraîné une déréglementation massive du marché du travail, pour baisser les coûts de production. Le chômage est remplacé en partie par des emplois précaires et flexibles.

La célébration de la " Nouvelle économie ", c’est surtout celle des " nouveaux profits " qu’ils comptent gagner. Cette étape a pu être assurée en l’absence de ripostes organisées du monde du travail. D’où leur crainte réelle face aux mobilisations citoyennes, de la Confédération Paysanne, Droits Devants et tout le réseau des associations anti-OMC. Depuis Seattle, ces mobilisations ont pris une force nouvelle par l’écho qu’elles ont rencontré dans la population.

Une mobilisation démocratique désormais incontournable

Tout le gotha libéral de Davos sait qu’il leur faut enrober par un vernis de dialogue et de démocratie le rapport de force permanent de l’exploitation. La venue de Clinton cette année n’est en ce sens pas anecdotique. Elle marque la volonté des leaders libéraux de se trouver des interlocuteurs pour amener cette opposition grandissante au libéralisme, à eux, sur le terrain du consensus et de la négociation. C’est ce que José Bové a dénoncé en refusant d’être reçu, en manifestant avec tous ses camarades. Il a affirmé clairement : " Désormais, chaque fois que les compagnies transnationales se réuniront, il y aura face à elle, des gens pour leur dire " on n’accepte plus vos lois, on n’accepte plus la marchandisation du monde ". Pas question de cautionner une mascarade de débats où tout est joué d’avance. Il ne s’agit pas de demander aux capitalistes d’être plus gentils, mais de contester leur place et leur pouvoir. La réponse officielle a été instantanée : gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc tirées à bout portant sur les manifestants.

D’autres préfèrent jouer le jeu, comme ce représentant d’un syndicat britannique de la communication qui affirme : " C’est très ouvert, nous rencontrons tout le monde. Il y a même des gens contre lesquels nous avons fait grève récemment... Nous parlons aux hommes d’affaires. C’est indispensable pour nous et aussi pour eux. Ils feraient une erreur s’ils nous ignoraient. " C’est surtout indispensable pour garder sa place de bureaucrate syndical. De toute façon, aux rythmes des confrontations et des luttes à venir, les camps et les choix politiques ne peuvent que s’affirmer de façon de plus en plus tranchée.

Le combat pour la démocratie ne peut se mener qu’à l’échelle mondiale

Les luttes citoyennes et démocratiques qui cherchent à combattre la dictature des marchés financiers, ne peuvent être opposées ou disjointes des combats des salariés pour défendre leurs droits face aux capitalistes. Comment réglementer l’économie dans l’intérêt des populations ? Ce sont ceux qui possèdent les richesses qui édictent les lois à leur avantage. Comment pourraient-elles être équitables dans un système qui oppose une majorité de la population privée de droits aux quelques grandes entreprises qui accaparent toutes les richesses ? Le seul moyen efficace pour construire une démocratie mondiale passe par l’expropriation des trusts et la réquisition des richesses. Sans cela, les mobilisations citoyennes sont condamnées à rester sur la défensive, et à jouer les trouble-fêtes à chaque réunion au sommet entre capitalistes.

Les capitalistes sont obsédés par leur " nouvelle économie ", alors que c’est un monde nouveau que nous voulons construire. Les mobilisations citoyennes montrent clairement que c’est à l’échelle mondiale qu’une telle perspective peut prendre corps par l’action commune des peuples du monde entier. Ne pas s’appuyer sur les capacités des populations elles-mêmes à exercer le pouvoir collectivement revient à subir le poids de l’idéologie dominante qui empêche d’envisager l’avenir hors du système actuel. C’est la position de Bernard Cassen, le président d’Attac qui défend un repli nostalgique sur l’économie et la production nationales et regrette le keynesianisme du siècle passé. Cela explique aussi les réticences d’Attac à se lancer pleinement dans la mobilisation et qui était absente à Davos (certains comités locaux ayant quand même fait le déplacement) : " la manifestation semble être strictement oppositionnelle et non porteuse de perspective et d’alternative. "

Toutes les mobilisations qui combattent la domination libérale sont porteuses de l’exigence d’une autre société qui renverse l’exploitation des hommes et des femmes. Cette exigence ne se forgera pas en un jour, mais le plus court chemin se trouve dans l’engagement de tous dans toutes les mobilisations.

Benoît Franca