Page 4



La santé animale et la sécurité alimentaire, prétextes à des restructurations massives pour les industriels de l’agriculture en quête de nouveaux marchés

Le 37e Salon international de l’agriculture a été inauguré dimanche dernier par Chirac, qui l’a placé sous le signe de la sécurité alimentaire. Surfant sur l’inquiétude légitime de la population devant la multiplication des problèmes liés à l’alimentation (vache folle, poulet à la dioxine, listériose), Chirac s’est promu le nouveau pourfendeur de la " malbouffe ", se payant le luxe d’aller serrer la main de José Bové et François Dufour au stand de la Confédération Paysanne, et de se faire dédicacer leur livre Le monde n’est pas une marchandise.   Démagogie facile ? Pas seulement. D’après le ministre de l’Agriculture, Jean Glavany, si la sécurité alimentaire est au centre des questions du Salon de l’agriculture, ce n’est pas que pour des raisons d’actualité. Pour lui, " il y a derrière cette préoccupation des enjeux de société " mais aussi et surtout, " des enjeux écono-miques : l’industrie agro-alimentaire française est fortement exportatrice. " Et dans la bataille pour l’exportation, les normes de sécurité alimentaire constituent avant tout une arme bien commode. Rien d’étonnant à ce que différentes entreprises se découvrent une vocation pour la santé animale.

Le 4 janvier à Lyon, Aventis, numéro 3 mondial de l’industrie pharmaceutique, s’était déjà doté d’une filiale spécialisée, Aventis Agriculture, en associant à sa propre filiale agrochimique Aventis Crop Science le numéro un mondial de la santé animale Mérial. Et le lendemain de l’ouverture du Salon de l’agriculture, le journal Les Echos annonçait la prise de contrôle par Guyomarc’h, numéro 2 français de la nutrition animale, du laboratoire de santé animale Franvet. Le PDG de Guyomarc’h, Alain Decrop, expliquait ainsi sa stratégie : " Il y a une attente de plus en plus forte des consommateurs en matière de diététique animale (…), et le marché des suppléments nutritionnels pour ‘‘gros animaux’’ va donc se développer ". Mais comme ce nouveau marché est encore très atomisé, Decrop précise que son entreprise " devra probablement procéder à d’autres acquisitions dans ce domaine ".

En s’appuyant sur les inquiétudes de la population face aux problèmes de sécurité alimentaire, les industriels de l’agriculture cherchent à développer un nouveau marché, à l’heure où les profits dans l’industrie agricole traditionnelle marquent le pas. Pour eux, les problèmes liés à la santé sont une opportunité à saisir car, comme le disait un chimiste de Rhône-Poulenc, dans ce domaine " la rentabilité sur le capital investi s’avère bien supérieure à celle de l’agrochimie ".

Mais il est bien évident que la mise en place de cette nouvelle industrie agricole, baptisée cyniquement " agrobusiness ", va passer par des restructurations et des concentrations massives, dont les salariés paieront le prix. Ainsi, lors de la fusion entre Rhône-Poulenc et l’entreprise allemande Hoechst, à l’origine d’Aventis, la branche agrochimie du nouveau groupe avait vu supprimés 1 400 postes sur 7 400 en Europe, et fermés de nombreux sièges de filiales et sites de production. Ces suppressions d’emplois ne sont qu’un prélude à des attaques massives contre les salariés de l’industrie agricole, afin que l’" agrobusiness " puisse " séduire durablement les marchés ", comme le déclarait le journal Le Monde.

Si le développement d’une activité dédiée à la sécurité alimentaire est un progrès évident, la population ne pourra en bénéficier que si elle exerce son contrôle démocratique sur les entreprises de ce secteur, en liaison avec les salariés qui y travaillent.

Frédéric Martin

Un cas d’EBS en Charente-Maritime : vache folle et folie du système. " Selon que vous serez puissant ou misérable "…

Un nouveau cas de vache folle a été révélé le 15 février par la presse régionale en Charente-Maritime. L’éleveur concerné détenait un troupeau de 83 vaches laitières de race normande qui ont toutes été abattues. Cela porte à 86 le nombre de cas déclarés en France dont 6 depuis le début de l’année.

Ce fait peut paraître extraordinaire puisque l’animal contaminé était né après l’interdiction d’utiliser des farines animales dans les aliments industriels destinés aux bovins. D’aucuns expliquent qu’il pourrait s’agir d’une contamination accidentelle liée à des " pollutions " issues d’aliments destinés aux volailles ou aux porcs…

Hélas, ce type d’accident se répète avec une telle régularité que tout porte à penser que nous sommes confrontés à l’usage frauduleux des fameuses " farines animales " provenant de Grande-Bretagne par les industriels de l’aliment du bétail. Course au profit oblige.

Mais autant on est prompt dans certains milieux à montrer du doigt les éleveurs qui, par manque de rigueur ou de scrupule, auraient fait consommer des aliments destinés à d’autres animaux que des bovins, autant la mise en cause des industriels de l’aliment du bétail fait l’objet d’un silence général !

Quand on sait que certains industriels sont allés jusqu’à intégrer des boues de station d’épuration dans l’aliment du bétail, on voudrait nous faire croire qu’ils sont au-dessus de tout soupçon. Que dire des services de l’Etat en charge de leur contrôle. Manifestement les industriels ne redoutent pas spécialement les contrôles !

Pour les éleveurs, ces cas de vaches folles font peser auprès du consommateur - et à juste titre - un doute sur l’innocuité de leur produit. Cela ne peut que contribuer à une diminution de la consommation… qui contribuera à faire baisser le prix à la production.

Cela s’inscrit dans un contexte déjà très difficile de baisse générale des prix à la production depuis plusieurs années. A titre d’exemple, les animaux de boucherie de qualité supérieure valaient régulièrement plus de 28 F le kg de carcasse il y a une dizaine d’années, aujourd’hui la même qualité vaut péniblement 25 F, soit une perte supérieure à 1200 F par animal… largement plus de la moitié du bénéfice. Situation insoutenable puisque les éleveurs n’ont aucune responsabilité dans le développement de la vache folle et qu’ils sont en premier lieu et les seuls pénalisés (aussi bien les éleveurs anglais que français…)

En effet, à l’origine des contaminations, on trouve une politique libérale en Angleterre qui a permis de déréglementer la fabrication des fameuses farines animales pour diminuer les coûts de production. On a fait manger les dites farines aux bovins anglais et… quand les choses ont mal tourné, les industriels anglais ont exporté vers l’Europe continentale, et en particulier la France où ils ont trouvé des partenaires à la dimension de leur irresponsabilité.

Aujourd’hui, ceux qui paient sont les consommateurs par le risque qu’on leur fait courir (même si ce dernier est particulièrement faible) et les producteurs de viande bovine qui voient leur revenu s’amenuiser régulièrement alors que vraiment ils n’y sont pour rien.

Il faut craindre que la mise en place de la filière - ou du label - VF " viande française ", n’aura été qu’une réaction corporatiste de protection des industriels de la filière qui auront cherché à protéger leur marché.

On a beaucoup mis en exergue la " traçabilité " du produit. Cela s’est traduit par un contrôle accru des élevages par l’administration, par un renforcement des dispositifs d’identification des animaux. Les éleveurs qui ne se soumettraient pas à ces obligations pourraient faire l’objet de poursuites et de sanctions…

Mais il faut craindre que la même rigueur ne prévale pas partout, notamment chez les industriels de l’aliment du bétail ou du côté des circuits d’importation.

Pierre Queneau

Carte scolaire… des luttes 

Mardi 22 février, Allègre a présenté une rallonge de 350 postes en supplément de la carte scolaire " à moyens constants " qu’il avait annoncée une dizaine de jours auparavant. C’est que loin de calmer les esprits des enseignants et des parents d’élèves en grève dans divers départements, comme le Gard ou l’Hérault, cette annonce n’avait fait qu’aggraver les choses, entraînant de nouveaux conflits. En commentant sur TF1 ces dotations supplémentaires, Allègre a dû reconnaître explicitement que des besoins existent qui n’ont pas été pris en compte, et que la lutte des enseignants et des parents a obligé le gouvernement à reculer.

Mais pour les grévistes, le compte n’y est toujours pas, et l’action continue.

Dans les départements de l’Académie de Montpellier, dont le Gard et l’Hérault, la nouvelle mouture d’Allègre propose un apport de 262 postes, alors que la revendication porte sur 650. Pendant les vacances, enseignants et parents ne baissent pas la garde, et un préavis de grève est lancé pour le 6 mars, jour de la rentrée, et des AG programmées.

Lundi 28 février, les enseignants du Doubs rentrant de vacances et les parents d’élèves se sont à nouveau mobilisés. Une vingtaine d’écoles sont en grève, certaines avec occupation. D’après le secrétaire du SNU-ipp, il faudrait créer entre 200 et 300 postes pour compenser les besoins.

En Seine-Maritime, qui vient de se voir retirer 75 postes à l’occasion de la dernière carte scolaire, cinq écoles ont été occupées par des parents d’élèves pour s’opposer à des fermetures de classes.

Au collège Fauqueux de Beauvais, après quinze jours de vacances pendant lesquelles parents et enseignants se sont relayés pour assurer la permanence de l’occupation, les cours n’ont pas repris, lundi matin, au retour des congés.

La lutte contre la mise en place de la réforme Allègre dans les lycées professionnels se développe. Lundi matin, dans trois lycées professionnels des Yvelines, les enseignants ont voté la grève reconductible pour exiger le retrait du projet de réforme de leur statut, qui introduit l’annualisation du temps de travail, et celui des nouvelles grilles horaires des élèves, illustration concrète d’un enseignement au rabais. Dans l’Eure, pour la même revendication, une dizaine d’établissements a voté la grève reconductible…

Si Allègre comptait sur les vacances pour calmer le jeu, c’est raté !

Eric Lemel

Plus de 100 000 étudiants en-dessous du seuil de pauvreté face à la précarité dans la jeunesse étudiante, le gouvernement met en place une fac à deux vitesses

Il ressort d’un rapport récent commandé par Allègre sur la situation étudiante que les bourses d’étude ne sont pas assez nombreuses et que leur montant ne permet pas de vivre correctement. Plus de 100 000 étudiants seraient " potentiellement en-dessous du seuil de pauvreté ", c’est-à-dire vivant avec moins de 3750 F par mois. Ce même rapport préconise une augmentation des bourses de 25 % après bac + 2 et la mise en place d’une aide de 20 000 F par an pour tous les étudiants après bac + 3 qui ne vivent plus chez leurs parents.

Le ministère de l’Éducation nationale a réagi aussitôt contre son rapporteur, déclarant que le chiffre de 100 000 est " un chiffre fantaisiste ", et qu’il n’est pas question " de refaire un diagnostic établi il y a deux ans ". Il est surtout hors de question pour le gouvernement, dans le cadre de sa politique de démantèlement des services publics, de rallonger le budget pour mettre en place le plan préconisé, évalué à près de 4 milliards de francs.

Pourtant, le plan n’est pas bien audacieux au regard des besoins et le nombre de 100 000, s’il est alarmant, est bien en-dessous de la réalité. Pour l’année en cours, près de 450 000 étudiants touchent des bourses, c’est-à-dire entre 1200 et 2500 F par mois. Il faut rajouter les milliers d’étudiants étrangers qui, eux, n’y ont pas droit. Enfin, les étudiants dont les parents gagnent trop pour avoir une bourse mais pas suffisamment pour pouvoir financer des études sont de plus en plus nombreux. Résultat, enseignants et services sociaux constatent une augmentation de la précarité sur les campus : mauvaise alimentation, difficultés pour s’acheter les livres, pour payer loyer et factures. Alors ce sont plus de 700 000 étudiants qui sont obligés de se salarier pour se payer leurs études, acceptant des boulot à temps partiel, pénibles et mal payés.

Le problème n’est pas nouveau mais les politiciens et les gouvernements successifs n’ont rien fait. Allègre s’est contenté de mettre en place 7000 allocations d’étude pour toute la France, dont 1000 à peine ont été distribuées depuis la rentrée 99 ! Autre mesure : des bourses de mérite de 40 000 F attribuées aux bacheliers " mention très bien " issus des milieux défavorisés. Outre qu’il n’y a pas beaucoup de " mentions très bien ", cette mesure réactionnaire reflète bien la morale d’Allègre : on aide les plus forts ; les autres, s’ils sont pauvres, n’ont qu’à se battre.

Laurent Tomon