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Pour des listes unitaires LCR-LO aux Municipales

Le monde politicien s’agite depuis des mois dans la perspective des élections municipales de 2001. Des rivalités affichées au sein de la droite et du PS aux " accords " PS-PC ou au non-accord PS-Verts, les appétits pour les places s’aiguisent.

Pour les révolutionnaires, étrangers à toute préoccupation électoraliste ou politicienne, les élections municipales sont l’occasion que s’expriment largement les idées révolutionnaires, la voix du monde du travail et de ses luttes.

Elles sont l’occasion de rassembler et de permettre l’expression collective de cette force d’extrême-gauche qui, dans les luttes et dans les élections, s’élargit et prend conscience d’elle-même. A travers la constitution des listes, la campagne, puis autour de l’activité des élus s’il y en a, elles vont être l’occasion d’associer, de regrouper et de commencer à constituer des noyaux locaux du parti des luttes.

Les conseillers municipaux révolutionnaires qui seront élus seront les porte-parole de la population laborieuse et des jeunes et ils seront des points d’appui, sur la commune, pour les luttes et l’organisation de la population.

Des candidats révolutionnaires sans aucune ambiguïté vis-à-vis de la gauche plurielle

La fraction de la classe ouvrière qui est en train de rompre ou a rompu avec les partis de la gauche plurielle, qui a imposé à Jospin le gel des réformes et la démission de quatre de ses ministres et qui s’est souvent trouvée dans la lutte aux côtés de militants d’extrême-gauche, doit pouvoir se retrouver dans des listes révolutionnaires faisant la critique radicale du gouvernement, sans aucune ambiguïté vis-à-vis des partis de la gauche plurielle.

On ne peut que militer pour que ces listes soient des listes unitaires LCR-LO, dans la prolongation de la campagne des Européennes.

Une discussion est engagée entre les deux organisations dans l’objectif de parvenir à un accord national pour des candidatures communes. Les divergences actuelles portent essentiellement sur les conditions d’association d’autres militants à ces listes et sur l’attitude à adopter au second tour. Libération a saisi l’occasion pour ironiser, voulant voir dans ces divergences des positions " antagonistes "…

La discussion de ces différentes positions a lieu, de fait, entre tous les militants d’extrême-gauche, mais ces divergences ne peuvent en rien justifier des listes séparées. Lorsque, en 1983, Lutte ouvrière et la Ligue ont présenté des candidatures communes aux Municipales, moins de deux ans après l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement PS-PC, les divergences n’avaient en rien empêché une campagne commune. Et Lutte ouvrière, qui militait alors pour une politique unitaire et offensive, écrivait dans la revue Lutte de Classe : " Partout ailleurs [où LO et la LCR ne présentaient pas de liste commune] et éventuellement au deuxième tour si nous sommes éliminés au premier, nos deux organisations défendront leur politique respective. Cela n’étonnera, ne surprendra ou ne choquera que ceux qui confondent le stalinisme et le mouvement révolutionnaire, tous ceux qui ignorent que le mouvement révolutionnaire, cela doit être l’affrontement des idées, la pluralité des opinions, le débat politique le plus large mais la mise en commun de toutes les forces à chaque fois que c’est nécessaire " (LdC n°100, février 1983).

Envisager les problèmes non sous forme de principes abstraits mais dans le cadre d’un combat politique

La discussion actuelle entre la LCR et LO achoppe en partie sur le deuxième tour. Dans le cas où les candidats révolutionnaires ne pourraient pas se maintenir, la LCR se prononce pour appeler à " battre la droite et à voter pour le candidat de gauche " mais, ne voulant pas faire de ce désaccord une condition, elle propose un compromis. Et là où, bien qu’ayant fait plus de 5 % des voix, les révolutionnaires ne pourront pas se maintenir au second tour mais auront la possibilité de fusionner avec d’autres listes, elle propose qu’ils passent alors un " accord technique dans le cadre d’une fusion " avec une liste de gauche, sans aucun engagement politique, afin de permettre l’élection de conseillers municipaux révolutionnaires ; proposition à laquelle LO répond " ce serait nous renier que de faire une telle proposition de façon généralisée ".

Le problème de cette discussion, c’est qu’elle ne pose pas le problème de l’attitude à adopter au second tour comme découlant de la politique défendue au premier tour et du rapport de force qui en résulte.

Il est exclu, pour les révolutionnaires, d’avoir la moindre solidarité avec les partis gouvernementaux et il n’est pas envisageable, au second tour, d’appeler à voter pour la gauche plurielle, sauf exception dans des cas bien particuliers. Mais si des listes révolutionnaires recueillent une fraction conséquente des suffrages sans pouvoir, à cause de la forme anti-démocratique du scrutin, se maintenir au second tour, les révolutionnaires devraient être capables de s’appuyer sur leurs électeurs pour faire en sorte qu’ils soient représentés au second tour en imposant la présence de candidats révolutionnaires éligibles sur des listes de gauche, tout en conservant l’entière liberté de leur politique tant durant la campagne qu’une fois élus.

Une telle politique doit être envisagée, elle dépend du rapport de force. En la refusant par avance, LO masque une timidité politique qui ne veut pas déranger le PC derrière des grands principes !

Mais si ces questions doivent être envisagées et discutées, elles ne peuvent en rien être utilisées pour s’opposer à des listes communes, l’essentiel étant que l’extrême-gauche apparaisse de façon unitaire à l’occasion des élections municipales, affirmant la continuité, après les Européennes, du pôle des révolutionnaires.

Carole Lucas

En 1983, Lutte Ouvrière et la
Ligue Communiste Révolutionnaire
présentaient des listes communes
"LA VOIX DES TRAVAILLEURS CONTRE L'AUSTERITE"
aux Municipales

Extrait du discours d’Arlette Laguiller à la fête commune LO-LCR de mai 1983, au lendemain de la campagne pour les Municipales :

Il faut que nos idées s’expriment dans ce qu’elles ont de commun et c’est déjà beaucoup. Et nous avons tous intérêt à mettre en commun tous les moyens qui permettent de les exprimer. Mais nous avons un intérêt commun aussi à ce qu’elles s’expriment lorsqu’elles sont différentes.
Nous avons pu mettre nos moyens en commun pour organiser ensemble cette fête, sans que ni la LCR ni LO aient à renier quoi que ce soit de leurs divergences. J’ai la conviction que nous avons la possibilité d’en faire autant dans bien d’autres domaines : organiser systématiquement en commun nos meetings même si nous exprimons à la tribune des positions différentes, éditer un journal commun, même si nous y défendons des politiques en partie différentes. Et que les sectaires se gaussent, libre à eux, mais notre diversité, fruit d’un long passé séparé, de choix politiques différents, peut être une richesse pour construire le parti révolutionnaire qui reste à construire. Un parti révolutionnaire est une nécessité. Il nous faut gagner des milliers de travailleurs pour qu’il puisse enfin naître […] Confronter fraternellement et publiquement nos idées et nos analyses, c’est à notre avis plus que jamais indispensable dans la période pour être aptes à créer un tel parti ".

N’est-ce pas toujours d’actualité ?

 

Livre : " Les prisons de la misère " de Loïc Wacquant

Ed. Raison d’agir – 40 F

On se souvient de la diatribe du ministre de l’Intérieur, Chevénement, demandant la réouverture des " bagnes pour enfants " de sinistre mémoire pour y enfermer les " sauvageons " afin de les remettre dans le droit chemin.

C’est, parmi beaucoup d’autres, une des " propositions " faites par les défenseurs de tout poil de l’ordre capitaliste que cite Loïc Wacquant dans son livre.

Loin de faire chorus avec eux, l’auteur entreprend de nous montrer les mécanismes de cette politique " sécuritaire " qui, sous prétexte de défense de l’ordre et de la tranquillité, n’est que l’envers de la politique ultra libérale qui condamne des millions de travailleurs à la misère et qui voudrait, en plus, rendre les pauvres responsables de la situation que le nouvel ordre capitaliste a créée.

Tolérance zéro : c’est de ce nom que les champions du libéralisme ont affublé la justification de leur politique répressive envers les pauvres.

Devant l’accroissement du nombre de chômeurs, de sans-abris, d’immigrés clandestins, les gouvernements en place, qu’ils soient de droite ou de gauche, mettent en pratique une politique répressive destinée à rendre toutes ces victimes du système coupables d’être pauvres. Le raisonnement est simple : si ces gens-là n’ont pas de travail, c’est de leur faute, s’ils n’ont pas de logement, c’est la même chose, ce n’est pas à l’Etat de les entretenir, ou comme ils disent de les assister ! A bas l’Etat- providence !

Le phénomène a commencé à apparaître aux USA dans les années 90. Giulani, le maire de New-York, s’est particulièrement fait remarquer dans sa lutte contre les pauvres. Le budget de la police a atteint 40 % du budget total (2,6 milliards de dollars : 4 fois plus que pour les hôpitaux publics), il a embauché 12 000 policiers supplémentaires, portant leur nombre à 38 600. Les principales victimes sont les travailleurs de couleur. Pendant ce temps, les effectifs des services sociaux ont baissé de 8 000 postes, se retrouvant à 13 400.

Conséquence de cette politique, on arrête à tour de bras, on traduit en justice, on condamne, on peuple les prisons. 

Et c’est cette politique qui se répand progressivement, en Angleterre, en France, en Europe, où elle trouve des défenseurs dans tous les partis et tous les milieux des nantis.

Dans un texte intitulé : " Républicains, n’ayons plus peur ! ", publié dans Le Monde en 1998, signé entre autres par Régis Debray, Max Gallo, Anicet Le Pors (ex-gauchiste, ex-socialiste, ex-communiste), les auteurs y fustigent " la loi de la jungle ", " la loi du milieu ", "  le laxisme judiciaire ". Pour eux, une seule solution : la répression !

Comme le souligne Loïc Wacquant, il n’est pas question pour eux de demander " la tolérance zéro " envers les violations patronales du droit du travail et du droit social. Un seul ennemi : le jeune des cités, le sans-abri, le sans-papier, tous ceux qui se révoltent !

Une des conséquences de cette politique, c’est l’accroissement du nombre de condamnés à la prison. En 1975, il y avait 380 000 prisonniers aux USA, 740 000 en 85, 1,5 million en 95, près de 2 millions en 98. La courbe est la même ailleurs : en France, le taux de progression est de 39 % entre 1983 et 1997.

Mais cette politique, si elle contribue à aggraver la misère des plus pauvres, si elle est un obstacle à leur réinsertion (un condamné a toujours du mal à trouver un emploi), fait par contre des heureux chez certains.

C’est ainsi que l’on voit se développer aux USA et en Grande Bretagne des entreprises de " prisons privées ", destinées à faire face au manque de places dans les prisons d’Etat.

Ces entreprises sont cotées en Bourse, même si régulièrement elles défraient la chronique pour leurs mauvais traitements comme la semaine dernière encore aux USA.

Des entreprises telles que Microsoft, TWA, Boeïng ou Konica font régulièrement appel au travail des condamnés et des voix s’élèvent pour obtenir encore plus de facilités pour les exploiter étant donné les profits juteux attendus de l’exploitation de ces travailleurs sous-payés.

Le livre de Loïc Wacquant, bourré de faits et de chiffres, est un bon document pour mieux connaître cet aspect de la guerre que mène le patronat contre la classe ouvrière.

Pour avoir le champ libre dans ses attaques contre les droits conquis par les travailleurs, il utilise toutes les armes et tous les larbins à son service. Et cela montre aussi qu’il craint avec force toutes les révoltes qu’une telle politique porte en elle.

Gilles Luca

Fait divers

Thierry S. a été emprisonné à la prison du Val de Reuil, dans l’Eure, en 1996. Dès son arrivée, il est victime de viols répétés par son compagnon de cellule. Thierry S. porte plainte. Le procès a eu lieu les 7 et 8 mars 2000. Entre-temps, il est de plus en plus malade nerveusement et suit un traitement psychiatrique. Deux jours avant son procès, il perd les pédales, saccage sa cellule. Son violeur est condamné et changé de prison. Thierry revient au Val de Reuil. La " justice carcérale " l’attend. Il doit être puni du saccage de sa cellule : 45 jours de mitard ! L’administration l’y envoie aussitôt sans égard pour son état psychologique.

Thierry a sur lui une boite d’allumettes. Il met le feu aux draps. L’administration le retrouve mort lundi 27 mars. Il avait 35 ans.

 

En Serbie et au Kosovo : un an après les bombardements de l’Otan, les grandes puissances sont incapables de stabiliser une situation qu’elles ont elles-mêmes contribué à créer

Il y a un an, dans la nuit du 24 au 25 mars 1999, les forces militaires de l’Otan bombardaient la Serbie et le Kosovo pendant 78 jours, pour soi-disant chasser le dictateur Milosevic du pouvoir et défendre la " démocratie ". Le bilan en est que Milosevic est toujours au pouvoir en Serbie, que le Kosovo connaît une exacerbation des tensions nationalistes qui ont poussé à la fuite 200 000 Serbes et Tziganes et que la situation économique des deux régions est catastrophique.

Les dirigeants impérialistes, après avoir eu recours à la force contre les populations serbe et albanaise, sont aujourd’hui dans l’incapacité de régler la situation dans cette région des Balkans, quand bien même le voudraient-ils. Ils ont eux-mêmes contribué à la dégradation de la situation en exacerbant les nationalismes, serbe comme albanais. Et ils ne peuvent que constater eux-mêmes l’impasse de leur politique comme il ressort d’un rapport de la PESC (politique extérieure et de sécurité commune) et du commissaire chargé des relations extérieures, discuté à Lisbonne, fin mars, par les dirigeants de l’Union européenne qui dit : " il n’y aura pas de stabilité durable dans les Balkans tant que le régime de Milosevic restera au pouvoir ". Le ministre français des Affaires étrangères, Védrine, y déclarait à propos du Kosovo : " je ne connais personne parmi les dirigeants européens qui accepte la perspective de l’indépendance ".

Milosevic, une marionnette dont les impérialistes ont perdu le contrôle

Les dirigeants impérialistes ont soutenu Milosevic pendant des années croyant avoir affaire à une marionnette docile capable de défendre leurs intérêts dans les Balkans. Elles ont de fait encouragé ses aspirations nationalistes et sa volonté de construire une " Grande Serbie ", politique qu’il a menée sachant qu’il bénéficiait du soutien ou au moins de la neutralité des principaux pays européens. Mais la marionnette a échappé à ses créateurs et a joué pour son propre compte.

La dictature qu’il fait peser sur la population serbe comme les exactions contre d’autres populations commises en Bosnie n’ont pas justifié aux yeux des soi-disant démocraties le retrait de leur soutien. Ce n’est que lorsque la guerre menée par Milosevic au Kosovo a menacé de remettre en cause la fragile stabilité dans la région qu’il a perdu le soutien des puissances européennes. Il est alors devenu l’homme à abattre et la purification ethnique déclenchée par l’armée et les para-militaires serbes contre les Albanais du Kosovo est devenue la raison officielle justifiant la guerre contre la Serbie.

Aujourd’hui, ce sont la population et les salariés qui sont les principales victimes du choix de l’impérialisme. En isolant la Serbie, les pays riches contribuent à la dégradation de la situation économique et à enfermer le régime dans sa fuite en avant, lui permettant de se livrer au chantage comme quoi être contre Milosevic, c’est être dans le camp des pays qui ont bombardé la Serbie. Il a pu ainsi museler son opposition qui, elle-même, est nationaliste puisqu’elle revendique que le Kosovo reste une province serbe, et en partie la discréditer aux yeux de la population.

Les seules perspectives pour la population ne peuvent venir que d’elle-même, de sa mobilisation consciente pour défendre ses droits démocratiques.

Au Kosovo, la flambée nationaliste est alimentée par l’occupation de fait

Pour les grandes puissances, il n’est pas question d’un Kosovo indépendant. C’est la raison pour laquelle elles envisagent un déploiement des forces de la KFOR à long terme. Mais quand leur représentant, Kouchner, prétend que les 37 200 soldats et les 3 000 policiers sont les garants de la paix et d’une possibilité d’un Kosovo multi-ethnique, il ment. Comme il ment lorsqu’il prétend que les populations albanaise et serbe ont toujours entretenu des relations de haine.

Pour justifier l’occupation du Kosovo et tenter de trouver des relais sur place, les responsables européens et américains de la KFOR ont joué les différentes nationalités les unes contre les autres et flatté les nationalismes, affichant des solidarités en fonction de celles qui existaient avant la guerre. C’est le rapport de forces existant sur le terrain qui s’est imposé, créant une situation qui échappe de fait au contrôle de la Minuk et de la KFOR.

Il a été imposé à l’UCK, l’armée de libération du Kosovo, de se dissoudre mais vis-à-vis de milices paramilitaires serbes toujours présentes, il n’y a pas eu la même exigence et leur existence se manifeste souvent dans les affrontements fréquents entre Albanais et Serbes, comme à Mitrovica.

L’arme de l’argent joue aussi un rôle considérable quand les structures mises en place par la Minuk (Mission des nations unies au Kosovo) et les différents organismes qui gravitent autour, représentent souvent la seule façon d’avoir un revenu stable pour ceux qui y participent ou qui acceptent de collaborer.

L’un des responsables de l’UCK, Hashim Thaci, a joué la carte des grandes puissances avec lesquelles il espère négocier une forme d’indépendance : il a créé son parti, le parti de la Prospérité Démocratique, et se veut l’interlocuteur privilégié de la Minuk. De nombreux anciens responsables de l’UCK ont aussi créé leurs propres partis dans la perspective des élections municipales qui sont annoncées pour l’automne. 20 000 anciens combattants de l’UCK sont actuellement sans emploi et ils représentent une possibilité de recrutement pour ceux qui, comme les dissidents de l’UCK, ont mis sur pied une nouvelle Armée de Libération, l’OVPMB, qui combat les forces serbes à la frontière orientale de la Serbie.

Etant intervenues militairement dans l’ex-Yougoslavie pour soi-disant imposer " le droit des peuples ", les grandes puissances se révèlent, un an après, avoir contribué à exacerber les rivalités nationalistes pour le pouvoir et avoir privé les populations albanaise, serbe et rom de tout droit démocratique, en leur imposant leur occupation.

Valérie Héas

 

Sommet Union Européenne / Afrique au Caire : les dirigeants de l’Europe libérale veulent préserver leurs chasses gardées à l’heure de la mondialisation

Les 3 et 4 avril a eu lieu au Caire, le premier " sommet " entre l’Union européenne des 15 et 52 Etats du continent africain. Tous les journalistes même les plus ardents défenseurs de la mondialisation capitaliste ont bien dû se résoudre à ironiser sur la déclaration des chefs d’Etat européens annonçant " l’éradication de la pauvreté " en Afrique… pour 2015 ! Surtout quand ce genre de sommet offre une tribune à la ministre des affaires étrangères d’extrême-droite autrichienne pour expliquer : " Les Africains ne peuvent pas tout demander à l’Europe […] aller dans le sens d’une annulation complète de la dette serait bien au-dessus de nos propres moyens ". Chirac, face à cette démagogie réactionnaire, n’a guère eu de mal à poser au moderniste en annonçant l’annulation par l’Etat français de toutes les dettes des Etats africains auprès de lui. Cette mesure ne coûte rien, puisqu’avec le paiement des intérêts, les pays débiteurs ont déjà remboursé plus d’une fois leurs emprunts. Mais les enjeux de ce sommet étaient autres : comment résister à la concurrence américaine qui pénètre de plus en plus leurs chasses gardées et dicte les règles du jeu de la mondialisation alors que les liens par lesquels les anciennes puissances coloniales, comme la France, continuaient à piller leurs anciennes colonies se dissolvent ?

Les puissances capitalistes européennes ont pillé les autres continents en particulier africain et asiatique, se livrant à la traite de 15 millions d’esclaves africains depuis le XVIème siècle. Puis au XIXème elles se sont partagé ces mêmes continents à travers des conflits qui ont abouti à la première guerre mondiale. L’émergence et l’affirmation de l’hégémonie américaine ont obligé ces puissances devenues de seconde zone à réaménager les conditions de leur domination sur leurs anciennes colonies qui avaient arraché leur indépendance par des guerres révolutionnaires d’émancipation nationale. Les gesticulations de l’Etat français en Afrique, les multiples interventions de l’armée française pour soutenir les dictateurs fantoches qui acceptaient de faire allégeance n’étaient que de faible poids face au développement accéléré des échanges commerciaux et de la montée en puissance de l’économie américaine. Cependant dans le contexte de la guerre froide, et la crainte de voir les Etats pauvres chercher le soutien de l’Union Soviétique, les Etats-Unis ont laissé aux Européens le soin de gérer les relations économiques permettant de conserver un contrôle politique sur ces Etats.

En 1963 à Yaoundé était signé un accord économique entre 18 anciennes colonies et les 6 pays de la communauté européenne. En fait, il s’agissait pour les Européens d’écouler leurs excédents agricoles au nom d’un programme d’aide alimentaire. Le résultat en a été la ruine de l’agriculture locale en Inde, au Bangladesh et en Afrique subsaharienne, devenus dépendants des importations européennes. En 1975, ces accords sont élargis à 71 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), leur garantissant des échanges libres de taxes avec les Etats de la communauté européenne. La mise en œuvre de ces accords a été au seul bénéfice des Européens, imposant aux pays ACP le développement d’une dette qui atteint aujourd’hui 2 400 milliards de francs.

Pour imposer le paiement des intérêts de ces dettes, les Etats européens et les institutions internationales, Banque Mondiale, Fonds Monétaire International mettent en œuvre des programmes " d’ajustements structurels ". Suppression des services publics, privatisations forcenées, économies budgétaires drastiques ont été dictées aux Etats endettés avec comme conséquence le développement de la misère. Résultat : en Afrique, la pauvreté touche 60 % de la population, le taux de scolarisation des enfants s’effondre, la situation sanitaire se détériore avec la propagation catastrophique du Sida ou de la tuberculose, l’Afrique est marginalisée dans les échanges commerciaux mondiaux.

Aujourd’hui à cet effondrement économique s’ajoute le tribut payé à l’exacerbation des rivalités impérialistes dans le cadre du libre-échange.

Isabelle Cazeaux