DOSSIER "NOUVELLE ECONOMIE"
ou l'actualité d'une nouvelle révolution

"Ce n’est pas dans la tête des hommes, dans leur compréhension croissante de la vérité et de la justice éternelles, mais dans les modifications du mode de production et d’échange qu’il faut chercher les causes dernières de toutes les modifications sociales et de tous les bouleversements politiques ; il faut les chercher non dans la philosophie, mais dans l’économie de l’époque intéressée.
Si l’on s’éveille à la compréhension que les institutions sociales existantes sont déraisonnables et injustes, que la raison est devenue sottise et le bienfait fléau, ce n’est là qu’un indice qu’il s’est opéré en secret dans les méthodes de production et les formes d’échange des transformations avec lesquelles ne cadre plus le régime social adapté à des conditions économiques plus anciennes. Cela signifie, en même temps, que les moyens d’éliminer les anomalies découvertes existent forcément, eux aussi, à l’état plus ou moins développé, dans les rapports de production modifiés. Il faut donc non pas inventer ces moyens dans son cerveau, mais les découvrir à l’aide de son cerveau dans les faits matériels de production qui sont là."

Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1882



Les bouleversements liés aux nouvelles technologies et à la " nouvelle économie " donnent toute son actualité à la nécessité de la transformation révolutionnaire de la société

Au mois d’avril, le mouvement de Yoyo des actions de la nouvelle économie qui durait depuis février a laissé la place à un véritable krach.

L’indice Nasdaq (celui de la Bourse américaine où sont cotées principalement les sociétés liées à l’informatique, aux médias et à la télécommunication) qui était en hausse continuelle depuis des années, (doublant sur la seule dernière année) avait atteint son maximum, 4 800 points, fin mars, avant de s’effondrer aux environs des 3 200 points à la mi-avril, soit une perte de valeur de l’ordre de 30 % en quelques jours. Puis l’indice est un peu remonté fin avril.

La frayeur passée, les économistes ont parlé de correction nécessaire : les cours avaient trop monté par rapport aux bénéfices qui seraient réellement distribués par ces sociétés. Les boursicoteurs conditionnés par l’euphorie ambiante avaient massivement placé leurs capitaux sur les valeurs de la " nouvelle technologie " faisant grimper vertigineusement les cours. Avec les premiers mouvements de revente de ces titres, l’effet boule de neige a commencé et, comme un seul homme, les actionnaires ont revendu pour revenir alors vers les valeurs plus traditionnelles, vers le Dow Jones qui, lui, a suivi une courbe à peu près inverse : baissant ces derniers mois quand le Nasdaq était au plus haut, il est remonté en avril quand le Nasdaq chutait.

Le Yoyo continue au gré des spéculations que provoquent les grandes manœuvres du capital.

Paradoxe, l’économie mondiale traverse ces tempêtes boursières en gardant le cap d’une relative croissance, comme au lendemain de la crise financière qui avait touché l’Asie en 1997 et plongé dans la récession nombre des pays de cette zone.

Mais ce ne sont ni les moyens de régulation des Bourses ou des Etats, ni les avertissements des autorités de l’économie qui ont assuré cette très relative stabilité mais, plus profondément, le fait que l’économie est engagée dans une période de mutation durable : depuis dix ans, l’économie américaine affiche une progression continue de la quantité de richesses produites et vendues. En Europe, les taux de croissance sont là aussi positifs.

Les énormes bénéfices dégagés par les bourgeoisies des pays riches pendant les 25 années d’offensive pour redresser les profits qui ont suivi la crise des années 70, ont trouvé à s’investir dans les nouvelles technologies, stimulés par le faible coût du travail mais aussi par les débouchés créés par l’enrichissement des classes moyennes et les commandes d’Etat qui restent toujours la principale béquille d’un système faussement libéral. Aussi les investissements sont repartis à la hausse, et on voit dans nombre d’entreprises un renouvellement des moyens de production avec l’intégration de l’informatique et des nouvelles technologies.

Dans ce cadre, la politique des gouvernements consiste à aider les capitalistes, à mettre à leur disposition tous les moyens pour qu’ils raccrochent leur wagon aux transformations en cours.

Ainsi, lors de la dernière comédie du Parti socialiste, le " débat " sur les stock-options, qui s’est traduit par la victoire sans surprise de Fabius, le vrai problème était d’aider au développement de ces titres particuliers qui permettent aux grandes entreprises de faire des cadeaux royaux à leurs hauts cadres, et à celles qui démarrent d’embaucher sans payer de forts salaires, en promettant la fortune. Que le taux d’imposition des stock-options soit fixé finalement à 50 % au lieu de 40 % pour les plus-value supérieures à 1 million, n’est qu’un vernis de gauche, du même ordre que l’impôt sur la fortune qui n’a jamais rien changé à la situation économique du pays.

C’est la même hypocrisie que recouvre le débat sur la régulation de l’économie envisagée par le gouvernement, qui se donne pour objectif de " moraliser les pratiques commerciales ", quand toute la politique du gouvernement est de se mettre à leur service.

Cette hypocrisie en cache une autre, la croissance actuelle permettrait le plein emploi !

Ce que les économistes de la bourgeoisie appellent la croissance c’est en fait un renforcement de l’exploitation. Derrière les chiffres statistiques de la hausse de la consommation, se cache l’explosion de la misère dans les pays les plus riches. Derrière la baisse du chômage, c’est la généralisation des petits boulots, de l’intérim, de la précarité, le nombre de travailleurs pauvres n’a jamais été aussi important. Quant aux investissements dans la production, ils sont loin d’approcher les mouvements financiers, qui représentent maintenant près de 2000 milliards de dollars chaque jour, et dont la principale activité consiste dans les rachats, les fusions, les concentrations, c’est-à-dire le repartage du capital existant.

C’est tout le caractère parasitaire du capitalisme actuel qui exacerbe la concurrence, faute de possibilité de développement à la mesure des capitaux disponibles et des moyens techniques. Trouvant sa source dans l’appauvrissement des masses pendant la crise, la croissance actuelle n’annonce aucun progrès pour les populations.

Et il serait vain d’espérer ou de militer pour un retour aux années 80 avant que la bourgeoisie ne remette en cause les acquis des luttes précédentes. C’est durant ces années qu’ont mûri les conditions de la mutation actuelle, et la bourgeoisie ne peut pas se permettre de retour en arrière.

Une expansion du capitalisme sans relèvement général du niveau de vie des masses atteindra bien plus rapidement les limites du marché, préparant une nouvelle crise, mondialisée, à travers laquelle les classes opprimées seront amenées à poser la question de la nécessité d’imposer leur contrôle sur la vie économique, d’une démocratie révolutionnaire visant l’abolition de la propriété capitaliste.

 

Le libéralisme, ce n’est pas une idéologie, mais le résultat de 25 ans d’attaques du capital contre les travailleurs et les peuples

Bien des économistes sérieux affirment que la vague de libéralisme que connaît l’impérialisme aujourd’hui serait la conséquence de la " révolution conservatrice " mise en œuvre au début des années 80 aux USA par Reagan et en Angleterre par Thatcher. Ce raisonnement prête à ces piètres politiques bien des pouvoirs alors que leur seul mérite, si l’on peut dire, est de n’avoir eu aucun scrupule à se plier aux volontés de leur bourgeoisie. Leur politique n’a été que l’expression des besoins des capitalistes dans leur lutte contre le monde du travail pour restaurer le taux de profit et, en conséquence, briser les acquis de la période antérieure. Ils le firent avec le zèle borné des réactionnaires qu’ils étaient.

Les " trente glorieuses ", produit de l’intervention des Etats sous la pression des travailleurs et de la crainte des peuples

La croissance économique qu’a connue le capitalisme, de 1945 à 1973, avait amené ces apologistes à dire que le capitalisme avait résolu ses contradictions. Mais elle n’avait pu se faire que sur la base des destructions de la Seconde Guerre Mondiale et sur les milliards de dollars prêtés à l’Europe par l’Etat américain (plan Marshall) pour contrebalancer la pression de l’URSS. Ce sont les Etats qui ont fait les investissements pour reconstruire les pays en faisant marcher la planche à billets.

Le développement gigantesque du crédit et les gains importants de productivité (4,6 % par an en moyenne en France, de 1949 à 1973), grâce à la généralisation du travail à la chaîne et du taylorisme, ont permis de créer une consommation de masse. Cela a été pour un pays comme la France, la généralisation des éléments de la deuxième révolution industrielle, avec l’électricité, le pétrole, et les progrès dans la chimie et la santé.

L’amélioration du niveau de vie des travailleurs ne s’est faite, dans cette période de plein emploi, que parce qu’ils se sont fait craindre. La Sécurité sociale et les conventions collectives ont été des concessions de la bourgeoisie dans sa crainte d’une explosion sociale après-guerre. Les grèves, comme celles de 68, ont imposé les augmentations de salaires. Tandis que les luttes anticoloniales faisaient reculer l’impérialisme.

Mais, malgré cela, la part des salariés et des pays pauvres dans le partage des richesses a diminué. L’augmentation de la production, bien plus importante que le marché solvable, la consommation, provoquait un engorgement du marché. Parallèlement le redémarrage des pays d’Europe et du Japon concurrençait les Etats-Unis et l’économie mondiale entrait dans une longue crise dont la crise financière (crise du dollar de 1968 et 1971) fut la première manifestation alarmante.

Il fallait rétablir des taux de profits élevés, seuls moteurs de l’économie, pour cela liquider les endettements, trouver de l’argent par la Bourse et remettre en cause les acquis des travailleurs et des peuples.

La bourgeoisie utilise sa propre crise pour redémarrer son économie sur le dos des peuples et des travailleurs

Les vagues de licenciements de la fin des années 70 permettent de baisser les coûts de production et d’augmenter la rentabilité du capital.

Parallèlement, les Etats et les banques financent la reprise par des prêts aux pays du Tiers Monde et aux pays de l’Est. Loin de servir à leur développement, ces prêts ont aggravé le pillage de ces pays, essentiellement par le remboursement de la dette et le paiement des intérêts à des taux usuraires (15 %). Le Mexique se déclarera en 1982 dans l’incapacité de payer et entraînera la faillite de la troisième banque américaine. Ces expédients sont impuissants à relancer l’économie.

Dans les années 80, la bourgeoisie accentue son offensive, c’est ce que l’on a appelé la " révolution libérale ", dont les symboles sont Reagan et Thatcher : destruction des acquis sociaux et des services publics, baisse des budgets sociaux, vagues de licenciements, baisse des salaires grâce au chômage, précarisation du travail, introduction du flux tendu et aggravation des conditions de travail, écrasement des travailleurs qui résistent (en 1985, aux USA, 11 000 contrôleurs aériens sont licenciés pour fait de grève).

Au niveau des marchés, c’est la déréglementation, la suppression des barrières qui empêchent la circulation des capitaux et des marchandises, qui entraînent la globalisation de l’économie. Cette lutte contre le " trop d’Etat " est menée par les Etats impérialistes au service de leur bourgeoisie et des multinationales. Le FMI impose des plans d’austérité au Tiers Monde. C’est la vente des services publics, l’ouverture des marchés qui échappaient aux trusts occidentaux, l’aggravation des conditions de vie des peuples et du pillage, tout cela pour payer les intérêts des dettes, dont le montant de départ a été payé au moins quatre fois. Les Etats qui résistent sont remis au pas (guerre du Golfe). Tout ce qui avait été concédé au rapport de force des travailleurs et des peuples dans la période précédente, est remis en cause.

Les effets de la crise, la menace du chômage, servent à la bourgeoise et aux Etats pour imposer d’autres reculs au nom d’une illusoire reprise

Cette politique va permettre aux entreprises d’afficher des profits à la hauteur de ceux de la période d’expansion alors que la production stagne, voire régresse. C’est à ce moment que les gouvernements vont inciter la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie à investir en Bourse, pour fournir de l’argent frais aux trusts.

En France, cette politique anti-ouvrière va être menée par le PS et le PC, puis le PS seul, avec l’assentiment ou la complicité passive des syndicats. La gauche se convertit au libéralisme. Elle aussi, au gouvernement, se plie aux intérêts de la classe qu’elle sert.

Pas plus Reagan que Mitterrand ne décident quoi que ce soit si ce n’est de se faire les exécutants des volontés de l’oligarchie financière.

François Laner

La marche cyclique du capitalisme engendre crises et révolutions

" La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production et donc les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux " écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste. Sous le fouet de la concurrence qui les oppose, les capitalistes sont entraînés dans une course en avant incontrôlée pour conquérir de nouveaux marchés, baisser les coûts… Obligés d’investir pour cela, ils cherchent à compenser ces dépenses en renforçant l’exploitation. Les progrès de productivité sont accompagnés d’une stagnation de la consommation, voire d’un recul, d’où les crises.

La période qui a vu se terminer l’époque du capitalisme de libre concurrence pour voir se développer l’impérialisme, c’est-à-dire l’âge des monopoles, produits de la fusion des banques et de l’industrie, enfants d’une nouvelle révolution industrielle engendrée par le développement de l’électricité, de l’acier, des alliages et de la chimie dans de grandes concentrations industrielles, a succédé, d’une certaine façon comme aujourd’hui, à une longue période de marasme.

En 1873, c’est le début de la " grande dépression ", qui va durer pendant plus de 20 ans. En Allemagne comme aux Etats-Unis, l’industrie lourde marque un recul après la forte progression des chemins de fer de la période précédente. Le capital cherchant à maintenir son taux de profit se lance alors dans la spéculation effrénée… jusqu’au krach de 1873 entraînant l’effondrement boursier en Allemagne, ainsi que faillites de banques et de sociétés de chemin de fer. L’Angleterre, qui était jusqu’alors " l’atelier du monde ", est entraînée dans la tourmente faute de débouchés pour ses marchandises du fait de la concurrence de la France et de l’Allemagne. Ses exportations chutent de 25 % entre 1872 et 1875.

Dans tous les pays capitalistes, les conséquences sont identiques : chute des prix et réduction de la production industrielle. Profitant du rapport de force en sa faveur avec l’augmentation du chômage, la bourgeoisie fait payer sa crise à la classe ouvrière et impose des baisses générales de salaires.

Durant ces 20 ans, la crise a été un moyen de concentration formidable de l’industrie comme de la banque. Les trusts se constituent, comme la Standard Oil de Rockefeller en 1900, ou l’US Steel qui produit à lui seul 66,3 % de la production totale d’acier aux Etats-Unis en 1901. Les banques suivent le même parcours, les plus grosses s’affiliant les plus petites, comme en Allemagne où 9 banques berlinoises géreront avec les banques qui leur sont rattachées, 83 % de l’ensemble du capital bancaire allemand en 1909. Quant aux Etats-Unis, deux trusts bancaires occupent la place : Morgan et Rockefeller.

Sur la base de cette concentration et de l’abaissement du " coût du travail ", les banques vont fusionner avec le capital industriel, et pouvoir investir massivement dans la production pour faire tourner à plein régime la machine à profit. C’est la naissance du capital financier, qui va s’appuyer sur les découvertes technologiques pour développer les secteurs industriels.

Ces nouvelles industries se développent avec une productivité accrue, en appliquant par exemple les méthodes de l’organisation scientifique du travail de Taylor qui consistent à décomposer le travail en tâches élémentaires. Le même Taylor qui expliquait : " Flâner, c’est-à-dire travailler lentement d’une façon délibérée afin de s’épargner d’accomplir une journée normale de travail, (…) c’est une façon universelle d’agir dans les établissements industriels. L’auteur affirme, sans crainte d’être contredit, que cette flânerie constitue le mal le plus aigu dont sont atteints les ouvriers d’Angleterre et d’Amérique ".

Toujours dans le but de gagner en productivité, les trusts utilisent les machines les plus modernes. D’après un rapport de la commission gouvernementale américaine sur les trusts : " la supériorité des trusts sur leurs concurrents réside dans les grandes proportions de leurs entreprises et dans leur remarquable équipement technique ". En Allemagne, le nombre de brevets d’inventions techniques délivrés chaque année passe de 9 000 en 1900 à 12 000 en 1910. Aux Etats-Unis, il passe de 14 000 en 1880 à 36 000 en 1907.

De nouveaux secteurs d’activité se développent comme l’industrie chimique avec les dérivés du pétrole. L’électricité représente aussi un juteux marché avec toutes les infrastructures à mettre en place, les réseaux, les transports comme les premiers métros, le tout mis en coupe réglée par quelques cartels s’assurant des positions avec les commandes d’Etat et leur lot de spéculations immobilières. Ainsi, deux cartels vont dominer le marché mondial de l’électricité : l’allemand AEG et l’américain General Electric. C’est aussi l’apparition de l’industrie automobile, avec en particulier le trust Ford, qui va généraliser le taylorisme, le travail à la chaîne et produire en masse.

Alors aujourd’hui, à la fin de cette longue période historique de l’impérialisme, connaissons-nous une nouvelle révolution industrielle ?

Oui, mais les différences sont grandes surtout du fait que le capitalisme n’a plus aujourd’hui les mêmes possibilités d’expansion tant géographique que par la nature des nouvelles techniques mises en œuvre. Les progrès techniques actuels permettent surtout une intensification du travail plus qu’elles ne révolutionnent les moyens de produire dans le même temps que la planète entièrement colonisée par le capital financier oppose ses limites à l’expansion capitaliste.

Si l’impérialisme a pu jadis donner une crédibilité et une base sociale aux idées réformistes, aujourd’hui, les soi-disant progrès de la nouvelle économie, ne seront, pour l’essentiel, profitables qu’au patronat et aux financiers. Elles représentent pour de larges fractions des populations à l’échelle du monde un recul. C’est de cette confrontation entre les prodiges de la technique et le désarroi des salariés et des peuples que naîtront les luttes qui mettront un terme au règne du profit.

Denis Seillat

 

Lectures : Retour sur la condition ouvrière

Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbeliard - Edition Fayard - 140F

Stéphane Beaud et Michel Pialoux, sociologues proches de Bourdieux, nous livrent le fruit d’une enquête de dix ans auprès des ouvriers des usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard. Les véritables auteurs de cet ouvrage sont les nombreux travailleurs de l’usine, jeunes de la ville auxquels il donne la parole grâce à la sympathie des enquêteurs qui trouvent en eux la richesse du monde du travail, " solidarité, dévouement, sens du concret ". Ils témoignent du recul, des dégâts provoqués par l’offensive de la bourgeoisie depuis vingt ans, de la dégradation des conditions de travail et de vie. Dans leur introduction, Stéphane Beaud et Michel Pialoux écrivent : " Les ouvriers qui avaient pour eux la force du nombre, ont peu à peu cessé d’être craints et ne font plus peur aux dirigeants. Il s’agit là d’une rupture importante dans l’histoire des rapports de classes. Elle signifie que les digues construites au fil du temps par le mouvement ouvrier pour s’opposer à l’exploitation, doter le groupe d’une conscience de classe et mieux résister à la domination symbolique ont très largement cédé. Résultat la morgue, l’arrogance et les diverses formes de mépris des " dominants ", longtemps bridées par l’existence d’une culture politique ouvrière (institutionnalisée), se sont libérées et s’étalent parfois sans complexes ".

Le livre décrit bien le lien entre l’évolution du travail et la dégradation du rapport de forces, comme les mille façons dont cette dégradation atteint la vie des travailleurs, à tous les niveaux. " Le détour par l’école " illustre très clairement les enchaînements qui s’opèrent au niveau de toute la vie sociale à partir des transformations qui ont lieu au cœur de la société, là où tout se noue, l’usine, le lieu de production des richesses.

Il décrit aussi très bien " les diverses tentatives pour reconvertir mentalement les ouvriers de l’usine ", c’est-à-dire leur imposer la dégradation de leur condition de travail sous l’effet des progrès technologiques. " Ils changent aussi les mots, ironise un ouvrier, c’est plus des chaînes, c’est des lignes ; c’est plus des équipes, c’est des modules, maintenant ce sera plus finition de châssis, ce sera habillage-voiture… Enfin on se sent mieux là, on n’est plus des OS, on est des agents de fabrication, non, mais on se sent tout de suite mieux !… "

Il décrit aussi cette " défense de soi " qui " passe par un combat quotidien pour construire un rapport de forces qui marque au moins les limites de l’emprise de l’usine ". Il donne la parole à de " vieux " OS de chaîne que l’encadrement enferme dans l’image " inconvertibles ", " il ne reste souvent comme manière de l’assumer, qu’une espèce de conformisme craintif, parfois vécu dans la honte ou la mauvaise conscience ", comme il sait exprimer le désarroi des parents " à la fois inquiets et désarmés " devant leur propres enfants entraînés dans " la fuite en avant " dans un monde sans repères.

Une génération ouvrière se découvre ce jour-là orpheline de ses successeurs, en deuil d’espoir, avec le sentiment d’être " lâchée " par la jeunesse " écrivent les auteurs à propos de la manifestation du 17 mars 94 lors du mouvement contre les CIP (contrat d’insertion professionnelle) quand les jeunes des lycées refusèrent de manifester avec les syndicats. Ils ne voient cependant pas comment cette rupture ne peut être qu’une crise passagère entre les vieux appareils et la jeunesse, conflit qui recoupe celui de deux générations de travailleurs, dont un nouveau mouvement ouvrier doit naître. C’est la faiblesse générale du livre. La description du recul qui atteint le monde du travail s’accompagne d’une idéalisation, même si les auteurs s’en défendent, du passé, idéalisation qui quitte le terrain objectif pour devenir politique quand elle idéalise les appareils syndicaux, le PCF et " la culture ouvrière " qu’ils représentaient. Si ces derniers représentaient des formes de résistance ouvrière, ils étaient aussi profondément marqués par les limites du réformisme, intégrés à l’ordre bourgeois et en conséquence sans moyen de résistance quand les effets de la crise ont conduit la bourgeoisie à engager la bataille pour moderniser la production au détriment des travailleurs.

Il est vrai que " la généralisation des flux tendus et la présence massive de l’électronique ont eu pour conséquence d’enlever aux militants les moyens de " contrer " les chefs au travail ", il est vrai que les conditions du militantisme se sont dégradées, sont devenues encore plus dures. Il est vrai que les évolutions techniques sont venues servir, y compris sur ce plan-là, les objectifs du patronat, mais il est tout aussi vrai que les vieux appareils ont été désarmés devant ces transformations par leur propre politique. Et qu’ils ont désarmé les travailleurs.

Au cours de ces quinze dernières années, c’est l’idée même d’une avancée collective du groupe ouvrier qui s’est perdue " écrivent les auteurs. Non, c’est une certaine idée, une certaine conception, celle du réformisme, qui a fait faillite, crise inévitable et nécessaire pour que le mouvement ouvrier renaisse sur des bases de lutte de classe.

Ces transformations sont en cours, ce livre les décrit pour une large part avec beaucoup de justesse mais tout en restant prisonnier de la vision de ses auteurs qui ne conçoivent pas une issue révolutionnaire. " Quel est l’avenir du militantisme ouvrier ? " questionnent-ils sans autre réponse qu’évasive. Ils abordent le vote des travailleurs aux élections européennes en expliquant le recul du PCF par un certain traditionalisme des militants, notent " le succès des Verts auprès des jeunes ouvriers " , et oublient tout simplement le vote de nombreux travailleurs et de jeunes pour la liste LO-LCR.

Aveuglement sociologique ou politique ? Nos enquêteurs n’ont pas rencontré de militants révolutionnaires ! Dommage, cet aveuglement prive ce livre, malgré le travail et le talent de leurs auteurs, de la capacité de se hisser au niveau de son sujet, la classe révolutionnaire porteuse de l’avenir de l’humanité. Révolutionnaire, c’est-à-dire qui ne craint aucune vérité.

Yvan Lemaître

 

Ceux qui créent les valeurs, ce sont les travailleurs, la finance subventionnée par l’Etat, n’est qu’un moyen de se les approprier

Fournir de l’argent aux " personnes audacieuses qui osent prendre le risque de créer des entreprises, car celles-ci produisent des richesses et finiront par créer des emplois ", tel est, en substance, le leitmotiv de la propagande actuelle de Jospin, Aubry et Fabius. Et de prendre pour preuve la baisse des chiffres du chômage, la croissance actuelle et les perspectives ouvertes par les nouvelles technologies.

Ces " personnes audacieuses " ne créeraient des emplois que comme une conséquence généreuse de leur propre " esprit d’entreprise ". Ils oublient de dire que la source bien concrète des fortunes qu’ils dilapident en produits de luxe et en spéculations boursières, c’est justement le travail des salariés qui occupent ces emplois. Ils présentent la réalité économique cul par-dessus tête pour masquer le fait qu’ils se nourrissent de l’exploitation du travail.

A l’heure où la croissance est revenue, cette politique de subventions au patronat est la poursuite de celle menée dans l’Europe en crise, ces vingt dernières années, quand les gouvernements abreuvaient les capitalistes en aides directes ou indirectes, sous prétexte de " lutte contre le chômage ", tandis que des centaines de milliers de travailleurs étaient jetés à la rue.

En France, cela s’était traduit, entre autres, par la remise à niveau, en trois temps et une dizaine d’années, de la grosse industrie aux frais de l’Etat. D’abord nationalisation par achat des entreprises obsolètes ; puis restructuration et mise à niveau des équipements (par le gouvernement du socialiste Mauroy, pour la sidérurgie, avec comme résultat des régions entières sinistrées) ; enfin privatisation par revente pour trois sous au privé d’un secteur entièrement rénové, " dégraissé " des soi-disant sureffectifs et désormais compétitif.

Les gouvernements qui se sont succédé pendant cette période ont également tout fait, en s’appuyant sur la pression du chômage, pour permettre aux patrons de baisser le coût de la force de travail et d’augmenter sa productivité. Tous les ans, des centaines de milliards ont été injectés dans l’économie sous forme de subventions à l’embauche, de réductions de charges, tandis que se poursuivait une politique systématique de dérèglementation du travail, de blocage, voire de diminution des salaires, de substitution de contrats précaires aux emplois à temps plein.

Le bilan est qu’en France, ces 20 dernières années, la productivité a augmenté de 50 %, tandis que les investissements privés ont progressé de quelques pour cent seulement, et que la part des salaires dans le prix des produits a diminué. Sur la base de cette augmentation de productivité, obtenue sur le dos des travailleurs pressurés au double titre d’exploités et de contribuables, il est de nouveau devenu rentable pour les capitalistes d’investir dans la production.

Nos gouvernants s’en glorifient et s’en servent pour justifier la poursuite d’une politique qui réussit si bien au patronat. Mais la " multiplication " des capitaux dont l’Etat arrose les capitalistes ne doit rien à l’opération du Saint Esprit. Elle se fait, quotidiennement, au cœur même de la production, par le travail de millions de salariés, pour qui les " retombées " les plus tangibles de la " croissance " sont la dégradation continue des conditions de travail, des salaires, des prestations sociales et des services publics, quand ce n’est pas le chômage.

E.L.

 

Nouvelles technologies : derrière la spéculation boursière, une profonde transformation des moyens de production

Depuis quelques temps, les boursicoteurs se précipitent sur tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à de la " nouvelle technologie ". Les secteurs économiques dans lesquels l’informatique et les nouveaux moyens de communication, comme Internet, ont pu s’implanter avec succès, connaissent d’importantes augmentations des profits et c’est ce qui explique que les capitaux cherchent à s’y investir. Ainsi, le jeu de yoyo boursier qui en résulte n’est pas dû à de simples lubies de spéculateurs. Il reflète, même si c’est de manière déformée, une véritable transformation de l’appareil de production et de distribution des biens et des services.

L’introduction de l’informatique dans l’industrie ne date pas d’aujourd’hui. Elle s’est effectuée progressivement, au cours des vingt dernières années. Les machines automatisées qu’elle a permis de développer sont une source d’importants gains de productivité, en particulier grâce à leur " flexibilité ", c’est-à-dire à leur capacité de changer très rapidement de type de production. Cette productivité s’est encore accrue avec le développement des moyens de communication entre les entreprises, et en leur sein, entre services, en permettant d’accélérer la circulation des consignes de production et de diminuer les intermédiaires. Internet fournit l’opportunité aux entreprises de gagner de l’argent sur le terrain de l’achat et de la vente de leurs produits, grâce au " commerce électronique ". Les frais fixes en sont très inférieurs à ceux du commerce traditionnel, ce qui permet de baisser les prix de vente et de gagner des parts de marché tout en augmentant les marges bénéficiaires.

L’informatique a également permis d’affiner les procédés de fabrication, en particulier des matériaux, et de faire des économies de matière et d’énergie. Elle a été la condition essentielle du développement de nouveaux secteurs industriels, comme la biotechnologie ou l’industrie aérospatiale, et a contribué à améliorer considérablement les équipements médicaux, ou encore les moyens de transports.

Parallèlement à la transformation de ces secteurs, on a vu naître et se développer une série de nouveaux produits, liés à la communication, et destinés à la grande consommation : consoles de jeux, ordinateurs, lecteurs de DVD, téléphones mobiles... Il en résulte une reprise de l’activité des entreprises d’électronique, ainsi qu’un développement de la production des équipements et des matières premières qu’elles utilisent. A la production de ces objets, il faut ajouter les produits " logiciels " : services Internet, logiciels destinés aux entreprises ou aux particuliers, jeux pour les consoles et les ordinateurs, CD-ROM divers et variés…. Il s’agit de véritables marchés, avec des chiffres d’affaires importants, mais surtout avec de très forts taux de profits, car la production de logiciels demande peu d’investissements. Un local, des ordinateurs et quelques informaticiens ont suffi aux " pionniers de l’informatique " des années 70 pour créer de véritables empires, comme Microsoft. Et c’est ce qui explique l’engouement actuel pour les " start-up ", sur lesquelles semblent se focaliser tous les espoirs de la " nouvelle économie ", alors qu’elles ne participent que pour une très faible part à l’augmentation des capacités réelles de production et que très peu d’entre elles ont une chance de se développer.

Et comme tous ces moyens de communication, qu’ils soient liés à l’activité industrielle et commerciale ou aux utilisateurs privés, ne sont exploitables que si les infrastructures, réseaux câblés, antennes, satellites, existent et sont opérationnels, il en résulte de fortes perspectives de développement des entreprises produisant les composants ou en assurant l’installation. Plus du tiers de l’activité de l’industrie aérospatiale est consacrée à la mise en orbite de satellites de communication. Les investissements sont très lourds et le retour sur investissement est loin d’être immédiat. Elle est pourtant l’objet de projets pharaoniques de réseaux de satellites, à la mesure des espoirs de profits futurs qu’y voient les grands trusts internationaux qui les soutiennent.

Les " nouvelles technologies " sont pour l’essentiel connues depuis les années 60. Si pendant les vingt dernières années, elles ont participé discrètement mais sûrement au renouvellement progressif de l’appareil de production, leur explosion actuelle est pour l’essentiel la conséquence des masses de capitaux qui, au décours des années de crise, ont vu dans leur introduction dans la production de vastes sources de profits. Elles entraînent une modification, profonde, irréversible, des moyens de production. Il reste que leur développement dans le cadre du système capitaliste ne peut que très rapidement se heurter aux limites du marché solvable. Après l’envolée, la chute !

Eric Lemel

 

Des progrès techniques, que le capitalisme transforme en aggravation de l’exploitation et en chômage

Les progrès introduits dans l’appareil de production et dans la distribution par l’informatique d’abord, puis par le développement des réseaux de communication, permettent de faire de réelles économies de travail, d’énergie et de matériaux. Les progrès réalisés dans la fabrication des machines sont tels qu’il devient possible de supprimer tous les travaux pénibles et fastidieux, pour les remplacer par de simples tâches de surveillance. La généralisation du " flux tendu " confirme qu’il est désormais possible de fabriquer, sans gaspiller, très rapidement, dès qu’un besoin s’exprime, même si c’est à l’autre bout du monde.

Mais, dans le contexte de l’exploitation capitaliste, ces progrès ont pour conséquence immédiate de jeter des milliers de travailleurs au chômage tandis que les autres voient s’aggraver leurs conditions de travail.

Les augmentations importantes de productivité créées par l’automatisation de l’appareil de production, parce qu’elles permettent d’avoir des systèmes facilement adaptables, " flexibles ", s’accompagnent d’une diminution des effectifs des travailleurs affectés à la conception et à la réalisation des outillages. Les possibilités de flexibilité des machines appellent la flexibilité de la main d’œuvre. Depuis quelques années, les patrons exercent une pression énorme pour disposer d’une main d’œuvre contrainte à s’adapter aux besoins de la production. Cette politique a entraîné des reculs successifs des conditions de travail, entérinés par les évolutions de la réglementation du travail : apparition des contrats de travail temporaire, suppression de l’autorisation préalable de licenciement, lois Aubry entérinant l’annualisation effective du temps de travail…

Dans le contexte du travail en " flux tendu ", les stocks sont réduits au minimum, des norias de camions assurent les approvisionnements, " juste à temps ", avec toutes les conséquences que cela implique pour les travailleurs des transports. Internet va encore aggraver cela en permettant d’étendre totalement la chaîne du " flux tendu " de la commande à la livraison en passant par la production des composants par les sous-traitants, comme sont en train de le faire actuellement les grands groupes automobiles et la grande distribution avec leurs systèmes de commerce électronique pour les prises de commande et les achats. A la production ou dans les transports, les travailleurs seront encore plus soumis à la pression. Quant aux vendeurs et représentants, un grand nombre seront mis à la rue. Et cette évolution, due au développement du commerce électronique va se généraliser à une multitude de secteurs du commerce, de la banque, de l’assurance, des services.

On pourrait développer à l’infini les conséquences néfastes de l’apparition des " nouvelles technologies " pour les travailleurs. Mais la technologie n'y est pour rien.

C'est elle, plus que jamais, qui relie des millions de travailleurs d'un bout à l'autre de la planète, et qui permet d'envisager une création massive de richesses pour satisfaire enfin tous les besoins de l'humanité. Mais pour cela, il faut libérer la technologie et les moyens de production de ce qui les transforme en machine à détruire, la propriété privée.

E.L.

 

Une nouvelle situation pour le monde du travail, qui force les exploités à combattre pour une démocratie révolutionnaire contre la propriété privée

C’est bien une nouvelle phase du capitalisme qui s’est mise en place. Une phase où la concurrence entre les capitaux s’est exacerbée dans des spéculations intensives, où la Bourse impose sa fuite en avant. Toutes les transformations se font à l’aune de la rentabilité exigée par les actionnaires, elles n’apportent pas de progrès suffisamment déterminants dans la vie des masses qui puissent rendre celles-ci solidaires de cette évolution.

Au contraire, le progrès, les transformations en cours, apparaissent dans la plupart de leurs aspects comme des attaques directes, exactement comme, pendant la 1ère Révolution industrielle, les machines à vapeur qui commandaient les premiers métiers à tisser mécaniques ont ruiné la vie de milliers d’artisans tisserands, les ont transformés en ouvriers salariés, dont la première forme de résistance fut de casser les machines.

Un retour en arrière est impossible. La nostalgie d’un capitalisme sans spéculation, sans domination des multinationales, d’une production sans informatisation, d’un Etat qui rendait plus de services à la collectivité, est vaine. C’est un mythe, nostalgie de l’expansion des années 60 qui s’est achevée dans la crise. Une nostalgie qui ne peut que ramener vers des solutions politiques dépassées : le courant réformiste qui pouvait avoir une base durant les années d’expansion d’après-guerre, mais qui aujourd’hui, tant sous sa forme social-démocrate qu’ex-stalinienne, est le meilleur gestionnaire du libéralisme.

Les derniers débats au sein des partis de la gauche plurielle sur les stock-options, l’actionnariat des salariés et la régulation de l’économie en sont une preuve supplémentaire. Le petit jeu gouvernemental des effets d’annonce, des protestations insignifiantes de Hue, des Verts ou de tels courants du PS, pour aboutir à des mesures libérales, est bien rodé. Les belles paroles de Fabius, à propos du projet de régulation de l’économie, expliquant que : " l’outil économique, l’exigence sociale, le projet (...) montrent que les mutations technologiques et économiques peuvent être mises au service du développement des entreprises et d'une croissance mieux partagée ", seront décodées par tout le monde comme étant une mesure de plus au service du patronat et de la finance.

A l’heure où la gauche plurielle assume parfaitement son libéralisme, les trois années de gouvernement Jospin ont bien avancé le travail de sape des illusions réformistes. Les yeux se dessillent, la réalité apparaît crûment, les rapports de classe sont sans fard, les idées de la révolte, de la contestation sociale font leur chemin, elles préparent l’émergence d’une conscience de classe nette, révolutionnaire.

Le capitalisme se révèle dans toute son inhumanité, soumettant la population à ses seuls besoins. Les ravages qu’il opère dans la jeunesse en particulier en sont la critique la plus révolutionnaire.

Qu’on le veuille ou non, la " nouvelle économie ", c’est bien plus que le harcèlement publicitaire pour faire de nous des internautes et des abonnés de tels ou tels services, ce qui n’est que la partie émergée de l’iceberg, la partie médiatique.

Les transformations et la croissance en cours font que les capitalistes investissent et ont besoin de travailleurs pour donner de la valeur à leurs capitaux. C’est ainsi que les dirigeants européens envisagent de faire appel à l’immigration dans les années à venir, que le gouvernement allemand a déjà fait appel ces derniers mois à 30 000 informaticiens d’origine indienne ou d’Europe de l’Est, et qu’aux Etats-Unis ce sont plus de 10 millions de travailleurs étrangers qui sont venus s’installer ces dernières années.

Cette situation met les travailleurs en position un peu plus favorables pour défendre leurs intérêts. D’ailleurs, les patrons savent que la question des salaires se profile, que des luttes ont déjà annoncé que le rapport de forces peut s’inverser dès que la classe ouvrière reprendra confiance en elle.

La nouvelle situation que le capitalisme est en train de faire naître pose plus que jamais le problème du renouveau du mouvement ouvrier, sous le drapeau de la lutte de classe, libéré de toute attache au courant réformiste, qui le soumettait au système capitaliste.

Les travailleurs et la jeunesse réactualiseront le programme de la révolution sociale dans ce qu’il a de plus radical : la contestation de la propriété privée, et des rapports sociaux qui en découlent : contestation de l’exploitation, de la concurrence, et du mépris des travailleurs, des femmes et de tous les opprimés, en y opposant la solidarité du monde du travail, la démocratie révolutionnaire de ceux qui luttent.

Franck Coleman

 

Défendre les acquis, ce n’est pas revenir en arrière mais remettre en cause le salariat

Au cours des trois décennies d’offensive de la bourgeoisie contre le monde du travail, tout ce qui avait été imposé par la classe ouvrière a été battu en brèche. Face à cette situation dramatique, bien des militants syndicalistes cherchent des solutions en défendant ce qui semble avoir été le plus progressif dans le cadre du capitalisme : les systèmes de protection sociale créés par l’Etat dans l’immédiat après-guerre, par une bourgeoisie qui en fait n’avait guère d’autre choix pour éviter l’explosion du mécontentement dû à la misère noire des années de guerre et d’après-guerre. Bernard Friot, un universitaire proche de l’extrême-gauche, donne à ce point de vue une forme achevée, contestataire.

Partant du constat que ce système social est lui aussi sur le point d’être démantelé par l’offensive libérale actuelle, il dénonce vigoureusement dans son livre Et la sécurité sociale créera l’emploi, comment la principale action des gouvernements a consisté à réduire continuellement la part payée par les patrons pour alimenter les caisses sociales.

Il dénonce aussi comment les représentants élus des syndicats qui géraient ces systèmes - pour Friot, ce sont " les intéressés eux-mêmes " - ont été peu à peu dépossédés de leur pouvoir, ne pouvant plus du coup assurer une protection sociale suffisante. Il explique enfin que le but du patronat est d’arriver à couper la classe ouvrière en deux : une majorité de pauvres, malades, smicards, retraités, handicapés, payés à minima par des impôts de type CSG... financés par l’autre partie, une minorité de salariés mieux payés, mais qui devront assurer par eux-mêmes leur propre protection sociale, leur retraite, auprès des assurances privées et des fonds de pension.

Un tableau qui décrit ce qui est en train de se passer

Contre le "déficit de citoyenneté ", la casse des acquis, la destruction de la " démocratie sociale ", Friot propose alors de revenir à ce qui assurait le bon fonctionnement de ces systèmes : des cotisations patronales fortes, et une gestion " démocratique " par les représentants élus des syndicats.

Il pousse la logique de son raisonnement jusqu’au bout, voyant dans la défense du salariat et des systèmes de protection sociale antérieures la voie de la contestation de l’offensive libérale.

Ce qui revient, pour le moins, à idéaliser un système qui, même s’il a permis des avancées importantes, est resté cependant un régime minimum pour la majorité des travailleurs, surtout les plus pauvres, les chômeurs, les femmes et les immigrés. Mais surtout, redisons-le, un système qui n’a été qu’une béquille étatique pour faire face à une situation de privation pour la population que le patronat était bien incapable de résoudre.

Mais le plus étonnant, c’est de parler de ces problèmes comme s’il s’agissait de choix politiques, sans mettre en valeur que se joue là un rapport de force entre les classes, entre les salariés et le patronat, autour de la répartition des richesses. C’est en fait la question du salaire, c’est-à-dire de l’exploitation capitaliste, qui est au centre du problème.

Friot l’évacue, la combat même, affirmant son désaccord avec Marx : " en s’obstinant à répéter que le salaire est le prix de la force de travail... le mouvement ouvrier n’est pas en mesure de se battre au niveau de ses conquêtes qui ont fait que le salaire, parce qu’il nous libère de notre destin de force de travail et rend caduque la propriété lucrative, nous permet d’entrer dans une histoire politique ". Ce qui se traduit par l’idée qu’il faudrait redistribuer les richesses sous la forme d’un salaire pour tous, sorte de bons sur les biens produits. Sa détermination relèverait d’une décision administrative, alors que le salaire représente en fait le prix que les patrons payent en fonction d’un rapport de force pour acheter le droit d’utiliser la force de travail des salariés pour produire des richesses.

Comment installer cette répartition plus juste ? Par quel rapport de forces ? Qu’est-ce qui enlèvera à la bourgeoisie sa domination économique et politique sur la société, si le salariat, la forme d’exploitation dont le patronat tire sa richesse, reste en place ? Tant que le salariat sera le mode de production dominant, le patronat tirera du travail une plus-value qui le mettra en situation de force.

Le cœur de toutes les injustices sociales est là. Ne pas remettre en cause le salariat, c’est finalement laisser le champ libre à l’adversaire.

C’est en menant la lutte pour de meilleurs salaires, de meilleures conditions de vie et de travail, que la classe ouvrière sera amenée à remettre en question le salariat lui-même, le rapport d’exploitation. Car elle sera confrontée, dans le développement de la lutte, à l’acharnement de la bourgeoisie à défendre son droit à exploiter, sa propriété privée, sa domination sur la société.

La situation actuelle met la classe ouvrière dans l’obligation de se battre pour une autre répartition des richesses, étape qui amènera à la prise de conscience de la nécessité de prendre en main toute l’économie. Voilà, pour reprendre un terme de B. Friot, la seule façon de sortir de la crise " par le haut " !

Comme le disait Marx, dans Salaire, prix et profit, Au lieu du mot d’ordre conservateur " Un salaire équitable pour une journée de travail équitable ", ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d’ordre révolutionnaire : " Abolition du salariat ".

Serge Constant