Mexique : transition en douceur pour sauvegarder les intérêts impérialistes
Après 71 ans de pouvoir, le Parti Révolutionnaire Institutionnel doit céder la place, triplement défait aux législatives, aux sénatoriales et aux présidentielles. Lélection de Vicente Fox est bien plus quune simple alternance, elle marque une rupture dans lhistoire du Mexique. Dans le même temps, cette rupture a ses limites, tant par les conditions de sa réalisation que par la personnalité et le programme du vainqueur. La démocratie nest pas à lordre du jour, et moins encore légalité sociale, dans ce pays pauvre de cent millions dhabitants dont léconomie est toujours plus dépendante du puissant voisin du nord.
Le régime mexicain nétait démocratique quen façade. Le pluripartisme existait, mais dans les faits la Présidence de la République concentre la totalité des pouvoirs réels, le Président exerçant également la fonction de chef du gouvernement. Octavio Paz décrivait ainsi cette personnalisation extrême du pouvoir : " Par une incarnation provisoire, une caste de prêtres et de bonzes exerce le pouvoir. Le Président est lui-même le Parti ". Il en choisissait les dirigeants, les candidats aux postes de sénateur, de député, de gouverneur, et jusquà ces toutes dernières années, son investiture était un gage de succès. Ceux qui aliénaient leur propre souveraineté à son profit recevaient ainsi lautorisation officielle de se remplir les poches. Elu pour six ans, non renouvelables, le Président désignait lui-même son successeur, suivant un cérémonial unique au monde, en le montrant du doigt !
Pourtant ce mécanisme si bien rodé a fini par se gripper. La défaite historique du 2 juillet 2000 nest dailleurs que laboutissement dun processus qui avait vu le P.R.I. devoir concéder à lopposition plusieurs gouvernements dEtats (le Mexique est une fédération) puis perdre en juillet 1997 sa majorité au Parlement. Cette érosion traduisait un phénomène plus profond de désagrégation du contrôle hégémonique que le parti au pouvoir avait exercé pendant des décennies sur lensemble de la société, à travers le syndicalisme officiel des " charros " et un réseau très dense de dépendances et de clientélisme, grâce à la fraude électorale institutionnalisée, à la corruption et à la violence contre les opposants.
Parti bourgeois entièrement au service des privilégiés, le P.R.I. ne cultivait pas moins des traits nationalistes et populistes, se référant aux glorieux ancêtres : quand le Président voyageait en province, on ressortait les portraits de Villa et Zapata ! Le verbiage anti-impérialiste resurgissait également dans les grandes occasions, contre les prétentions des Etats-Unis à régenter lensemble du continent. Cependant tous ces traits se sont estompés sous la présidence de Miguel de la Madrid (1982-1988) puis sous son successeur Salinas de Gortari. Ils ont fait place à la mise en uvre des plans daustérité dictés par le Fonds Monétaire International. Le Mexique navait plus les moyens dun minimum de politique sociale, même sous sa forme traditionnelle de distribution de subsides par des réseaux clientélistes.
A partir de 1988, le Mexique a connu dimportantes luttes qui ont partiellement échappé au contrôle des bureaucrates de la C.T.M., en particulier dans lenseignement où sest constitué un important courant syndical indépendant. Le régime a été incapable de venir à bout de linsurrection zapatiste du Chiapas, qui a bénéficié dun large soutien populaire, comme des nouveaux foyers de guérilla dans lOaxaca et le Guerrero. La longue grève de lUniversité de Mexico a dressé la jeunesse étudiante contre sa volonté de mettre fin à la gratuité des études. La crise financière lui a également aliéné la petite bourgeoisie urbaine, qui a vu fondre ses économies. La première défaite du P.R.I. lors des législatives de juillet 1997 avait exprimé cette perte de base sociale, sans toutefois mettre son pouvoir en péril, du fait de la prééminence absolue de la présidence sur le Parlement. Dès lors cependant, ce régime bonapartiste sénile et corrompu était en sursis, les multinationales et ladministration Clinton étaient à la recherche dune alternative à la fois démocratiquement présentable et capable de mener à bien les privatisations.
Vicente Fox, ancien patron de Coca Cola au Mexique, a su se montrer lhomme de cette situation. Successeur de Manuel Clouthier à la tête du Parti dAction Nationale, une formation catholique ultra-conservatrice dont linfluence est longtemps restée limitée à quelques états du nord du pays, il a gommé les traits les plus grossiers du programme de son parti (hostile à lavortement, à la contraception et à la mini-jupe !) pour se présenter comme le mieux à même dassurer une transition en douceur. Il a ainsi capitalisé à son profit la volonté majoritaire de mettre fin au malgobierno (la mauvaise façon de gouverner). Une opération réussie, saluée comme il se doit par les milieux daffaires et par les grandes puissances.
Événement secondaire mais non dénué dimportance dans ces élections, la sévère défaite du Parti Révolutionnaire Démocratique et de son candidat à la présidence, Cuauhtémoc Cardenàs. Ce dernier, battu de justesse en 1988 par Salinas de Gortari au moyen dune fraude électorale gigantesque, se retrouve loin derrière Vicente Fox et le candidat du P.R.I., Francisco Labastida. Un charisme et une crédibilité moindres que ceux de son rival du P.A.N. ne peuvent suffire à expliquer un tel revers. Après la défaite du P.R.I. aux législatives de 1997, Cardenàs sest gardé de toute initiative qui aurait pu mettre en péril le régime chancelant. A linverse, il sest fait le meilleur soutien du président Zédillo en affirmant quil fallait respecter linstitution présidentielle et les échéances électorales. Cette attitude ne peut surprendre que ceux qui, à gauche et même à lextrême-gauche, avaient quel-ques illusions dans le person-nage : Cardenàs est un pur produit du système du P.R.I., parti quil na quitté quen 1987 et dont il revendique toujours la tradition nationaliste et populiste. Son attentisme lui a aliéné les secteurs populaires qui voulaient en finir au plus vite avec le régime. Ensuite, il a laissé entendre quune alliance était possible avec Vicente Fox, avant de dénoncer ce dernier comme partisan de la privatisation des industries pétrolières. On ne saurait mieux préparer sa propre défaite. Labsence de prise de position du sous-commandant Marcos face à léchéance des présidentielles est significative : en 1997, larmée zapatiste de libération nationale (E.Z.L.N.) avait publié un communiqué qui était une véritable apologie de Cardenàs.
La victoire de Vicente Fox ne signifie pas lentrée du Mexique dans une ère de démocratie et de prospérité. Comme en leur temps lélection de Fujimori au Pérou ou de F.H. Cardoso au Brésil, elle signifie que, sous la tutelle des multinationales et des grandes puissances, et avec la complicité de la " gauche ", un gouvernement à limage plus moderne succède à un système archaïque et corrompu, pour mener la politique néolibérale que le P.R.I. était incapable dimposer.
Gianni Panini
Torture en Algérie - Les crimes de la République française
" J'étais allongée nue, toujours nue. Ils pouvaient venir une, deux ou trois fois par jour. Dès que j'entendais le bruit de leurs bottes dans le couloir, je me mettais à trembler ". Louisette Ighilahriz, dont Le Monde a publié le témoignage dans son édition du 20 juin, a été torturée pendant trois mois sans interruption, dans les locaux de lEtat-major de la 10ème division parachutiste de Massu, à Alger, de septembre à décembre 1957. " Lila " (de son nom de combattante) na échappé à la mort que parce quun médecin militaire la soustraite à ses bourreaux.
Outre quil rappelle les exactions commises par larmée française pendant la guerre dAlgérie, ce témoignage atteste, pour la première fois, la présence du général Massu et de Bigeard, alors colonel, sur les lieux mêmes de linterrogatoire. Ils lui rendaient visite à intervalles réguliers, " Eux deux se contentaient de me lancer des insultes et des grossièretés avant de donner des ordres par gestes ".
Massu et Bigeard ont tous les deux été interviewés à ce propos par Le Monde. Bigeard, parlant de lui à la 3ème personne, a tout nié en bloc - " le témoignage de cette femme est un tissu de mensonges " -, exprimant sa haine de toute publicité démocratique " dites-vous bien que le vieux, à quatre-vingt-quatre ans, il est battant, et qu'il sait mordre encore... ".
Massu, qui avait dès 1971 reconnu et justifié lusage de la torture, aujourdhui " regrette ", avec toute lhypocrisie du genre de la repentance : " Je ne me souviens pas d'avoir donné cet ordre à Graziani. Il faut dire qu'elle était un cas au milieu de beaucoup d'autres ( ). Peut-être que son récit est un peu excessif, mais il ne l'est pas nécessairement et, dans ce cas, je le regrette vraiment. Tout cela faisait partie d'une certaine ambiance, à cette époque, à Alger. "
En 1957, la Bataille dAlger était déclenchée, quelques mois après le vote par le Parlement, sur la demande du gouvernement " socialiste " de Guy Mollet, de pouvoirs spéciaux aux unités de répression, et Massu, comme Papon la fait lors de son procès, na pas manqué de rappeler quil ne faisait quobéir aux ordres des hommes politiques alors au pouvoir.
Hypocrisie cynique de ces responsables au plus haut niveau de lEtat français, comme si eux-mêmes navaient été que de simples exécutants, en même temps que demi-vérité ayant pour fonction de masquer, derrière les politiques des gouvernements, les intérêts de la bourgeoisie française que ceux-ci servaient.
Ce terrorisme dEtat, porté à son comble lors de la guerre dAlgérie, est une constante de la politique de la bourgeoisie française pendant toute son histoire coloniale. Ce nest jamais autrement que par la violence quelle a imposé et maintenu sa domination aux peuples de son " empire ".
Mais cela appartient-il pour autant au passé ?
Claude Cabannes, dans léditorial de LHumanité du 22 juin sétonne : " Mais pourquoi faut-il que ce soit un ancien officier supérieur [Massu] qui en fasse l'aveu privé, en quelque sorte, et pourquoi faut-il que la République officielle - ses institutions, ses corps, ses responsables - obstinément se taise. " Léditorial du Monde du même jour rend le même hommage à celui qui présidait aux tortures : " le général Massu, à sa façon, ne veut pas tourner la page [ ] il participe au travail de mémoire. [ ] un message qui pèse lourd, venant de cet homme-là : Non, la torture n'est pas indispensable en temps de guerre (...), dit-il. Quand je repense à l'Algérie, on aurait pu faire les choses différemment. Ne serait-ce que pour entendre cette leçon, cette dernière phrase, il fallait revenir, en effet, sur la torture en Algérie ".
On nous parle souvent de " devoir de mémoire " comme si de tels crimes avaient été un accident et navaient plus cours. Mais larmée française, lEtat français, continuent à employer les mêmes méthodes contre les populations en Afrique noire. Les milices gouvernementales qui ont massacré des centaines de milliers de personnes au Rwanda en 1994, avaient été formées et équipées par des officiers de larmée française.
La République na jamais été synonyme de démocratie parce quelle na jamais défendu dautres intérêts que ceux de la bourgeoisie. Les droits démocratiques, ce sont les travailleurs qui les ont imposés par leurs luttes, et lappareil dEtat français, la République française, sont bien les mêmes, du Papon de lOccupation à celui dOctobre 1961, de De Gaulle à Chevènement.
G.T.