" L'émancipation des ouvriers ne peut être l'oeuvre
que des ouvriers eux-mêmes. Il n'y a donc pas de plus grand crime que
de tromper les masses, de faire passer des défaites pour des victoires,
des amis pour des ennemis, d'acheter des chefs, de fabriquer des légendes,
de monter des procès d'imposture, de faire en un mot ce que font les
staliniens. Ces moyens ne peuvent servir qu'à une fin : prolonger
la domination d'une coterie déjà condamnée par l'histoire.
Ils ne peuvent pas servir à l'émancipation des masses. Voilà
pourquoi la IVe Internationale soutient contre le stalinisme une lutte à
mort. " Trotsky, Leur morale et la nôtre, 1938 |
Le trotskysme, continuité de la démocratie révolutionnaire
Même après leffondrement du stalinisme, reste lodieuse caricature quil a faite du communisme et du bolchevisme. Mais le combat de Trotsky a permis que soit assurée la continuité de ce quils ont toujours été, le combat pour lémancipation des travailleurs par eux-mêmes, condition nécessaire dune véritable démocratie.
Il y a 10 ans, la chute des dictatures en Europe de lEst, la désintégration de lURSS et son retour, avec la restauration de la propriété privée, dans le monde capitaliste, ont clos la longue période, commencée au début des années 1930, pendant laquelle le stalinisme a exercé son emprise sur le mouvement ouvrier.
La terrible contre-offensive de la réaction bourgeoise, qui rallia à elle tous les partis dont la social-démocratie, à lexception des jeunes Partis communistes, ne put venir à bout de la révolution russe, mais réussit à lisoler. La classe ouvrière russe était dans lincapacité - trop faible et qui plus est exsangue au sortir de la guerre civile - de diriger elle-même son propre Etat. Dinstrument nécessaire au fonctionnement de celui-ci, la bureaucratie devint une caste farouchement attachée à ses privilèges et à leur consolidation, intéressée à faire rentrer les travailleurs dans le rang. Elle sortit victorieuse, à la faveur du recul politique de la classe ouvrière internationale, de cette guerre civile à rebours. Mais elle ne pouvait exercer son pouvoir que dans le cadre social établi par la révolution doctobre 17 et lexpropriation des capitalistes qui sen était suivie ; cest au nom du communisme et du soi-disant héritage de Lénine, que Staline élimina physiquement une génération entière de révolutionnaires.
Il fallait ces crimes, ce fossé de sang, pour masquer lusurpation et les mensonges de la bureaucratie. Sous létiquette du communisme furent réintroduits et légitimés les privilèges et les moeurs de la société bourgeoise que la révolution avait prohibés. Les idées marxistes furent défigurées, transformées, à lopposé de ce quelles étaient, en instrument de soumission, en dogme consacrant la toute puissance du " petit père des peuples " et son infaillibilité. La conception matérialiste, scientifique, de lhistoire, qui permet aux individus dagir consciemment dans une évolution déterminée en dernier ressort par les forces inconscientes de léconomie, fut ravalée au rang soit dun déterminisme absolu ne laissant aucune liberté daction aux hommes, soit dune vision policière attribuant aux individus un pouvoir démesuré de faire le bien ou le mal. Une entreprise de corruption, de destruction, qui faisait dire à Trotsky que le " stalinisme est la syphilis du mouvement ouvrier ".
Non seulement la domination de la bureaucratie stalinienne devint, pour étouffer toute possibilité pour la classe ouvrière de reprendre lavantage, un des totalitarismes les plus féroces de la planète, mais cette dictature fut justifiée au nom des idées communistes par ceux qui les avaient usurpées, et célébrée par tous les partis communistes et leurs compagnons de route, comme lavènement du socialisme.
Cette caricature hideuse, dont sest évidemment servie la bourgeoisie pour discréditer les idées de révolte et démancipation sociales que sont les idées marxistes, subsiste encore aujourdhui, après leffondrement du stalinisme. Mais il ne faut pas surestimer ses effets : bien des faits, en particulier, ces dix dernières années, éclairent la nature réelle du stalinisme, et son cousinage avec lordre social bourgeois. Ainsi, la conversion de toute la couche dirigeante de lancienne URSS à " léconomie de marché ", à la loi du profit, à lindividualisme triomphant, et parallèlement, la transformation des Partis communistes en partis de gouvernement qui prennent leur part dans loffensive libérale menée contre les travailleurs montrent que dans leur religion de lEtat, il ny avait que limpossibilité pour leurs aspirations bourgeoises de se donner libre cours, quune duplicité imposée par les circonstances de leur naissance.
De même, lacharnement de la propagande anticommuniste de la bourgeoisie a révélé ses mensonges quand elle encensait le " champion de la démocratie " Eltsine ou aujourdhui lhomme fort du Kremlin, Poutine, dans le même temps quelle masque les ravages sociaux causés par la restauration de la propriété privée en Russie, et ferme les yeux sur la sale guerre de Tchétchénie.
Bien des travailleurs et des jeunes ne sont pas dupes, et ces bouleversements, comme leur conscience de la faillite du système capitaliste, les amènent à chercher des réponses sur les causes de " léchec " de la révolution russe, comme des perspectives de transformation sociale qui ne peut passer que par le renversement de la propriété privée capitaliste.
Quels que soient les ravages faits par le stalinisme, il na pu détruire, pas plus que ne peut le faire la propagande bourgeoise, les idées de révolte et de contestation, le marxisme révolutionnaire, qui décrit la réalité de la société capitaliste, de la lutte de classes, et est le produit des combats menés par la classe ouvrière.
Cest dans ce camp et de ce point de vue que Trotsky et ses camarades ont mené le combat contre le stalinisme. Ils ont ainsi mis en évidence la falsification que celui-ci a faite des idées marxistes, et transmis lexpérience précieuse des 20 ans qui ont suivi la révolution russe, lhistoire dune lutte extraordinairement aiguë entre la bourgeoisie, menacée dans son existence même, et la classe ouvrière, dont la défaite a conduit, dans le même temps quelle engendrait le stalinisme en Russie, au fascisme en Italie et en Allemagne, puis à la deuxième guerre mondiale.
En faisant la critique radicale du stalinisme, Trotsky a permis que parvienne plus facilement jusquà nous ce qui était à la base du bolchevisme et du combat de Lénine : la lutte pour la plus large démocratie qui soit, cest-à-dire lexercice du pouvoir par les opprimés eux-mêmes, " que lEtat - comme disait Lénine dans LEtat et la révolution -, soit dirigé par une ménagère ".
Mais les ouvriers de la Commune de Paris ou les travailleurs russes qui prirent le pouvoir 46 ans plus tard, ne pouvaient être que les précurseurs de la démocratie révolutionnaire, à une époque où une grande partie de la population, même dans les pays les plus industrialisés, vivait dans lisolement qui était alors celui des campagnes. Rares aujourdhui sont les travailleurs, même parmi ceux que lon dit " indépendants ", qui ne sont pas reliés à lorganisation collective du travail - pour son exploitation - qui est celle de la société capitaliste moderne. La classe des salariés est devenue limmense majorité de la population, elle est en mesure comme jamais de prendre effectivement le contrôle de léconomie afin de la mettre au service des besoins de tous. Ce qui soppose à cette démocratie, cest le privilège, lintérêt de quelques-uns, la propriété privée capitaliste - celle aujourdhui des actionnaires des quelques 300 trusts qui dirigent léconomie mondiale - qui engendre anarchie de la production, crises, chômage.
Cette contradiction qui a atteint un degré insupportable, est au cur de toutes les luttes sociales, de toutes les grèves ouvrières. En mettant en avant le programme de la démocratie révolutionnaire, le contrôle démocratique de la population sur léconomie qui détermine ses conditions dexistence, et le renversement de la propriété privée, les révolutionnaires en sont la fraction la plus radicale et la plus conséquente.
Gallia Trépère