Vers une remontée des luttes...

en dépit de la dégénérescence continuelle des syndicats et de leur intégration progressive à l’Etat impérialiste, le travail au sein des syndicats non seulement n’a rien perdu de son importance, mais reste comme auparavant, et devient dans un certain sens même, révolutionnaire. Chaque organisation, chaque parti, chaque fraction qui prend une position ultimatiste à l’égard des syndicats, c’est-à-dire qui en fait tourne le dos à la classe ouvrière, simplement parce que ses organisations ne lui plaisent pas, est condamnée à périr. Et il faut dire qu’elle mérite son sort. "

Léon Trotsky, Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, août 1940


Un contexte économique favorable à une remontée des luttes et du mouvement ouvrier

Quand Chirac découvre avec une naïveté feinte qu’il y a disproportion entre la croissance d’un côté et la stagnation du pouvoir d’achat de l’autre, quand le gouvernement semble ne plus savoir comment gérer le problème de l’assurance-chômage au point de se laisser mettre en mauvaise position par le Medef auquel pourtant il cède tout, bref, quand le pouvoir laisse percevoir son inquiétude devant le mécontentement des classes populaires, c’est que le climat social change.

La croissance est là, l’argent s’étale partout, les entreprises annoncent des milliards de profits, gonflés par les gains de productivité de la " nouvelle économie ", c’est le boom de la consommation à crédit des classes moyennes dépensant les retombées boursières, les investissements reprennent, les carnets de commande de l’aéronautique, de l’informatique, du bâtiment sont pleins, les patrons cherchent des milliers de travailleurs. Et la Bourse, si elle s’est un peu calmée par rapport à l’euphorie du début d’année, continue sa progression.

Cette croissance se fait sur la base d’une guerre sans relâche contre le coût du travail, par des attaques continuelles contre les conditions d’existence des travailleurs que seules des décennies de luttes et de résistance avaient améliorées. Le chômage baisse mais c’est l’explosion de la précarité, des petits boulots, des CDD et de l’intérim, des temps partiels, dans le privé, mais aussi dans le secteur public, géré à la rentabilité, comme une entreprise, et privatisé pan après pan.

En appauvrissant les classes populaires, la bourgeoisie freine la consommation et rapproche l’échéance de la crise. Seule la classe ouvrière, en revendiquant pour ses droits, pour les salaires, les embauches, en imposant un repartage des richesses en sa faveur peut en retarder le délai, mais ce sera une lutte acharnée contre les intérêts des financiers, contre les actionnaires qui n’auront plus autant de carburant pour alimenter la Bourse.

Voilà la croissance actuelle, une croissance destructrice qui pousse les travailleurs à la lutte et met alors à l’ordre du jour la question des salaires, d’une autre répartition des richesses. Cette évolution entraîne aussi d’autres catégories sociales dans la lutte : luttes paysannes, mouvements antimondialisation, prises de positions d’intellectuels contre la finance et le libéralisme. Elle est aussi l’expression d’une confiance retrouvée, de la certitude d’être dans son droit.

Le cours des choses est en train de changer, les conditions d’une possible transformation du rapport de force sont réunis.

Depuis vingt ans, la bourgeoisie mène une offensive contre le monde du travail pour rétablir ses profits. Aujourd’hui, elle a atteint ses objectifs au-delà de ses espoirs, les investissements reprennent, la machine économique tourne à plein. Il est temps de nous organiser pour exiger notre dû.

Les batailles qui sont devant nous seront cependant dures car la bourgeoisie sait que la croissance est fragile, la concurrence mondiale acharnée. Elles porteront leurs fruits si nous sommes capables de les organiser en toute lucidité et conscience, sans craindre de faire de la politique, la politique de notre classe, sans craindre de remettre en cause l’ordre bourgeois et la propriété.

F.C.

  

La mondialisation ou les nouvelles conditions de la lutte révolutionnaire internationaliste

Les ravages provoqués par la mondialisation à l’échelle de la planète, misère, ruine de millions de petits producteurs dans le monde, aggravation du chômage, de la précarité et de la misère dans le monde du travail et la jeunesse, accroissement des inégalités, suscitent une contestation qui s’est exprimée à l’échelle mondiale au sommet de l’OMC à Seattle, en novembre dernier. En France, une fraction de la jeunesse et des militants syndicalistes ou associatifs se sont mobilisés à Millau, le " Seattle-sur-Tarn ", pour soutenir la lutte des petits paysans menacés de ruine par la dictature des trusts mondiaux de l’agro-alimentaire servie par les directives de l’OMC. Révoltés par les conséquences du libéralisme, ils se reconnaissent dans les perspectives de la lutte de José Bové et de la Confédération paysanne pour " une mondialisation citoyenne ", une " humanisation du marché ", pour parvenir à un " commerce équitable " dont les règles prendraient en compte les intérêts des peuples et pas seulement ceux du capital.

Reprise par des intellectuels et journalistes de gauche et des organisations comme ATTAC, cette idée de régulation des marchés s’exprime dans un nouvel internationalisme, nouveau tiers-mondisme qui prône la nécessité de combattre les excès d’un capitalisme qui condamne des millions d’hommes, en le régulant pour réduire les inégalités. Ces idées trouvent aujourd’hui un large écho dans la petite-bourgeoisie de gauche, qui voudrait donner au système un visage plus acceptable, faire disparaître les aspects les plus révoltants de l’exploitation, du pillage des peuples, sans voir que cela signifie remettre fondamentalement en cause le système lui-même, c’est-à-dire la propriété et les frontières.

C’est ce " protectionnisme altruiste " que prône un des responsables d’ATTAC, Bernard Cassen qui explique que " rapprocher les lieux de production des lieux de consommation... est une exigence démocratique. Chaque pays doit pouvoir définir lui-même ses choix de société... ". Qu’elles se parent des meilleures intentions démocratiques et solidaires, ces idées n’en sont pas moins réactionnaires, au sens où elles laissent croire qu’un retour au protectionnisme pourrait régler les problèmes de famine et de misère dans les pays pillés, ravagés par des dizaines d’années de colonialisme et de domination impérialiste. La révolte de la petite-bourgeoisie des pays riches qui cherche à combattre l’ouverture sans entrave des marchés, a d’autre voie que celle d’un retour en arrière, un protectionnisme réactionnaire, même s’il se pare " d’altruisme " et de vertus démocratiques.

L’anti-américanisme, vieil alibi du nationalisme

Dans la lutte contre l’OMC et la mondialisation sous l’égide des Etats-Unis, s’est aussi exprimé un anti américanisme, d’apparence unanime, rejetant les Mac’Do, symboles de la malbouffe, la dictature de Coca Cola ou de tout ce qui représente l’hégémonie libérale américaine. S’il exprime l’aspiration légitime de certains à une meilleure qualité d’alimentation et de vie, il ne manque pas d’être repris par la démagogie de politiciens comme Pasqua, qui agitent le danger américain, qui battrait en brèche les " valeurs françaises ", flattant les préjugés chauvins. Les politiciens de la gauche plurielle ne sont pas en reste, quand il s’agit d’utiliser le vieux sentiment anti-américain pour tenter de faire croire aux travailleurs que, face à la concurrence américaine, il faudrait être solidaire de la politique qu’ils mènent au service des patrons français contre les trusts américains. Ils voudraient nous faire croire qu’on ne peut pas empêcher la déréglementation des marchés et la mondialisation orchestrées par les Etats-Unis, tentant de justifier leur impuissance face aux licenciements, et que mieux vaut se placer dans les meilleures conditions pour faire face à la concurrence, c’est-à-dire être solidaires de leur politique qui sert le patronat. Ils opposent une économie organisée à l’échelle internationale à une économie nationale : " l’OMC ou le parti du repli " déclarait Sautter à la veille du sommet de Seattle. Mais leur guerre économique n’est pas la nôtre. Ils la mènent au nom du profit, des trusts et actionnaires français ou européens contre leurs concurrents américains. Ils se prétendent solidaires des inquiétudes des petits agriculteurs ruinés par les trusts de l’agro-alimentaire, pour tenter de masquer, derrière l’anti-américanisme, leurs propres responsabilités dans la logique libérale qu’ils défendent et qu’ils servent.

Seule alternative à la mondialisation capitaliste, l’internationalisme des travailleurs et des peuples opprimés

Les idées d’apparence radicales des opposants à la mondialisation trouvent leurs limites dans leur refus de remettre en cause la propriété privée et l’ordre social bourgeois, et c’est d’ailleurs au nom des intérêts des grandes puissances elles-mêmes que les tenants de l’aide aux pays pauvres voudraient convaincre les dirigeants des pays riches que des mesures aussi ridiculement minimes qu’une taxe du type Tobin, reversée aux pays pauvres, pourraient même être favorables au capital en relançant la consommation dans ces pays, lui offrant de nouvelles perspectives de débouchés. Ils se défendent de ceux qui voudraient leur attribuer des idées révolutionnaires, en transformant leurs textes en " prise de position radicale, extrémiste, facile à condamner ", selon les propos du sociologue Bourdieu, et craignent que la contestation des jeunes et des travailleurs trouve un débouché révolutionnaire. Toujours selon Bourdieu, " les faux-semblants de la gauche plurielle déçoivent les électeurs de gauche, démobilisent les militants, renvoient vers l’extrême-gauche les plus exaspérés ". 

Les révolutionnaires sont solidaires et partie prenante des mobilisations du mouvement de contestation contre la mondialisation, mais dans ces mobilisations, plus largement que l’évolution libérale du capitalisme, ils combattent le capitalisme lui-même, qui ne connaît aucune limite à sa soif de profit, qu’il accroît au prix d’une exploitation toujours plus forcenée des travailleurs et des peuples opprimés, en creusant le fossé des inégalités, en concentrant toujours plus la richesse aux mains de la minorité possédante qui parasite le travail de l’ensemble des producteurs.

Aujourd’hui, la nouvelle offensive du capital à l’échelle du monde est en train de détruire toutes les digues érigées par les luttes des peuples pauvres comme des salariés des pays riches. L’évolution libérale actuelle n’est pas un choix de système sur lequel il serait possible que des esprits raisonnables et de bonne volonté fassent revenir les dirigeants de l’économie mondiale. Il ne s’agit pas de " résister " à la vague libérale, dans le sens que prônent des organisations comme ATTAC qui expliquent que " l’horizon du mouvement social est une internationale de la résistance au néolibéralisme et à toutes les formes de conservatisme ", accréditant l’idée qu’il pourrait exister un autre capitalisme, humain, domestiqué, régulé. Toute l’évolution du capitalisme des dernières décennies le dément : le fossé ne cesse de se creuser entre pays riches et pays pauvres. Les 100 plus grands groupes capitalistes qui dirigent aujourd’hui l’économie mondiale, les " nouveaux maîtres du monde ", ont réduit de façon drastique leurs investissements dans les pays les plus touchés par la crise, comme la Russie, et pratiquement abandonné le continent africain qui ne bénéficie plus que de 1,3 % des investissements mondiaux. La machine à faire du profit ne s’alimente dans sa course folle que du pillage du travail, de l’aggravation de l’exploitation des producteurs à l’échelle mondiale.

La seule alternative à la mondialisation capitaliste est l’internationalisme des travailleurs et des peuples opprimés, producteurs de l’ensemble des richesses, l’union de leur force au niveau qu’impose l’évolution actuelle du capital, c’est-à-dire l’arène mondiale, pour exercer leur contrôle sur le capital et sur les marchés, dans l’intérêt de la collectivité.

Face aux évolutions en cours, il ne s’agit pas de regarder le passé d’un oeil nostalgique, en l’idéalisant, mais de s’appuyer sur les profondes transformations sociales et économiques qu’impose la mondialisation, sur l’aggravation des antagonismes de classe qui préparent les prochaines crises révolutionnaires.

Catherine Aulnay

  

Syndicalisme de " proposition " ou de lutte de classe ?

Au cours de la " discussion paritaire " sur la question de l’assurance-chômage, les centrales syndicales ont participé complaisamment aux négociations, se prêtant au jeu du Medef.

La CFDT est apparue comme le fidèle relais de la politique patronale, plus clairement encore qu’en 95, quand elle soutenait le plan Juppé. Quant à la CGT, plus que jamais syndicat de " proposition ", elle est restée placidement à la table des négociations, pour dire, à la fin, qu’elle ne signait pas, n’envisageant à aucun moment d’organiser la moindre mobilisation. FO, tout en jouant son propre rôle, n’avait pas d’autre politique.

Si les principales centrales ont des politiques différentes, elles partagent ouvertement la même ambition, être des syndicats " de proposition ", reconnus comme des " partenaires sociaux " responsables.

Des appareils intégrés à l’appareil d’État…

D’ailleurs, la CGT et la CFDT se rapprochent, notamment au sein de la Confédération syndicale européenne, sur les cendres froides de décembre 95, et plus profondément sur la base d’un rôle identique dans la société, celui d’avocats du monde du travail auprès du patronat et de l’Etat. Gestionnaires de nombreuses caisses sociales, les centrales syndicales sont des organisations institutionnelles, en grande partie intégrées à l’appareil d’Etat, fonctionnant sur un plan matériel et financier en partie grâce à lui.

Les dernières affaires de financements plus ou moins légaux de permanents par des caisses de retraite ou par les caisses d’assurance maladie ont contribué à révéler que ce ne sont pas les cotisations qui payent les permanents, les locaux. Comme le dit le président de la CGC : " à raison de 1 000 francs par an et par adhérent, ce n'est pas avec ça que les confédérations peuvent exister ". La CGT avait d’ailleurs exposé ouvertement dans un rapport financier qu’elle ne pourrait vivre que 4 mois sur 12 si elle ne comptait que sur les cotisations. La politique actuelle de la direction de Renault de financer directement les syndicats (voir VDT n°134) participe de la même logique d’intégration des syndicats au système.

Cette situation montre toute la valeur des discours sur " l’indépendance syndicale " ressortis au moment de la manifestation du 16 octobre. Indépendants ? oui, mais des travailleurs qui sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Pour recevoir l’argent de l’Etat et des patrons, l’indépendance n’est pas leur problème !

… tournant le dos aux intérêts des travailleurs

Tant que le capitalisme était en expansion, durant les Trente glorieuses, les luttes des salariés, grèves partielles ou générales, résistance quotidienne, ont arraché à la bourgeoisie des augmentations de salaires, des améliorations des conditions de travail. Et les directions syndicales, encadrant les luttes et négociant avec le patronat, pouvaient s’approprier le mérite de ce qui revenait au rapport de forces créé par la classe ouvrière. A partir de la crise des années 70, il n’y a plus eu de " grain à moudre " comme l’avait dit Bergeron, dirigeant de FO de l’époque, et sous le coup des attaques patronale, la classe ouvrière subit un recul profond. Le rapport de forces monnayable auprès de l’Etat et du patronat étant de moins en moins favorable, les centrales se sont éloignées des intérêts des travailleurs : de plus en plus gestionnaires, de moins en moins organisations de lutte.

Se faisant ensuite le relais direct des intérêts gouvernementaux dans la période Mitterrand, alors que les vagues de licenciements se succédaient, continuant à partir de 86 quand les privatisations se sont multipliées, les centrales syndicales ont montré un visage repoussant pour les travailleurs, et décourageant pour les militants, le nombre d’adhérents chutant de 21,5 % en 78, à 12,3 % en 88, et 8 % aujourd’hui.

Cette faiblesse du taux de syndicalisation, c’est l’argument préféré des directions syndicales qui veulent justifier leur collaboration avec les gouvernements, leur faiblesse devant les patrons. Si les travailleurs étaient organisés en nombre, alors là, on verrait… les lions ! En réalité, les directions syndicales dédaignent les travailleurs qui se tournent vers les syndicats, comme elles écartent les travailleurs non organisés, craignant que leur capacité de mobilisation ne vienne troubler les routines bureaucratiques.

Mais malgré la politique des directions syndicales, ce sont leurs propres militants qui sont les animateurs des luttes.

Pas de syndicalisme sans lutte de classe

Aujourd’hui les luttes reprennent, et faute d’organisation, ou par défiance, les travailleurs se réunissent le plus souvent en AG ou en coordination pour les mener. Mais bien souvent, après, il n’en reste pas grand chose, sinon les liens tissés entre quelques uns, pendant la lutte. Le besoin d’une organisation qui garde la mémoire des luttes menées, et qui soit un réseau pour collectiviser les expériences ne peut que renaître.

Les syndicats peuvent redevenir, localement, très vite cet instrument. Il s’agit de mettre en avant un programme de contre-attaque de la classe ouvrière, pour qu’il soit discuté, évalué, approprié par les équipes militantes dans les entreprises. Il faut que ce programme soit celui de l’offensive des travailleurs, exprimant leurs droits, leurs dûs, et que les revendications n’apparaissent ni en retard par rapport aux besoins, ni coupées de ce que les travailleurs pensent possible. Pour cela, la discussion la plus large est nécessaire avec l’ensemble des salariés, syndiqués ou non, pour que la politique syndicale en soit l’émanation. Il ne peut y avoir de réel syndicalisme sans cette démocratie la plus large.

En renouant avec la lutte de classe et la démocratie, par lesquelles les travailleurs avaient créé les syndicats et les avaient imposés à la bourgeoisie, les salariés reprendront confiance en eux-mêmes et renoueront avec leurs organisations. Le syndicat pourra redevenir ce qu’il était à l’origine : une organisation de lutte, dans laquelle les travailleurs prenaient en main leurs intérêts, une école pour le contrôle de toute la société.

Franck Coleman

  

Les révolutionnaires et la taxe Tobin - pour un contrôle démocratique sur les banques, les entreprises et l’Etat, et non une régulation des marchés !

En recevant, le 10 juillet, des représentants d’Attac, Fabius a déclaré que le succès de la taxe Tobin " venait de la rencontre entre deux idées parfaitement justes : d’un côté, la nécessité de lutter pour le développement, de l’autre, la nécessité d’une meilleure régulation ". C’est une reconnaissance qui réjouit les responsables d’Attac comme Bernard Cassen mais qui est significative de la portée d’une telle taxe. L’idée est reprise, aujourd’hui, par nombre de politiciens de gauche qui aimeraient bien profiter, à peu de frais, de la sympathie qu’Attac rencontre en dénonçant les effets de la mondialisation.

Mais c’est du point de vue des intérêts des groupes financiers qu’ils servent que politiciens et économistes reprennent cette idée. Pour eux, il s’agit de débarrasser l’économie de " ses excès ". Ils voudraient nous faire croire qu’on peut concilier le développement, profitable à tous, et la course aux profits si elle est " régulée " !

Réguler le capitalisme, c’est l’idée de départ de Tobin lui-même, cet économiste américain, devenu prix Nobel, dans les années 70. Il proposait de taxer les mouvements de capitaux spéculant sur le change des monnaies à raison de 0,1 %, un taux infime pour ne pas gêner la finance tout en la régulant ! Ce Tobin est d’ailleurs aujourd’hui le premier étonné par la campagne faite autour de son idée. " Le fait que l’on assimile mon système de taxation des opérations de change à une réforme de gauche demeure pour moi une énigme " a-t-il déclaré. Mais peu importe pour tout un milieu de gauche, fier de pouvoir se targuer d’une idée simple et radicale en apparence, émise par un prix Nobel !

La campagne que mène Attac se situe dans la même perspective : " Il s’agit de taxer, de manière modique, toutes les transactions sur les marchés des changes pour les stabiliser et, par la même occasion, pour procurer des recettes à la communauté internationale ". Mais de quelle communauté internationale s’agit-il ? De fait, les dirigeants d’Attac s’en remettent aux Etats nationaux qu’ils opposent à la dictature des marchés et des grands groupes financiers internationaux, c’est ce qu’ils appellent " reconquérir les espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière. " Mais ce sont justement ces Etats nationaux, tout aussi anti-démocratiques que les marchés, qui ont ouvert la voie à l’explosion de la sphère financière. Comment s’en remettre à eux ? " Les gouvernements ne le feront pas sans qu’on les y encourage " répond Attac.

La seule perspective que les dirigeants d’Attac donnent à ceux qui luttent contre les effets de la mondialisation c’est de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils régulent les marchés ! Ceux qui se battent contre le parasitisme de la finance ont bien d’autres aspirations que de faire confiance à la gauche plurielle. Ce qui fait dire à certains camarades de la LCR : " L’intérêt de la taxe Tobin est devenu politique du fait de son appropriation par le mouvement social ". Oui, et c’est pour cela qu’il ne s’agit pas de tourner le dos à ces mouvements anti-mondialisation comme le fait LO, au nom du réformisme de ses dirigeants. Mais il est impératif que les révolutionnaires aident tous ceux qui viennent à la politique à travers cette campagne à y voir clair. C’est une illusion de croire qu’une mesure technique permettra de réguler une économie qui repose avant tout sur un rapport de force entre les classes, sur la lutte menée par une minorité pour s’approprier les richesses sociales produites par le travail de millions de femmes et d’hommes.

Et c’est là que le geste des députés révolutionnaires au Parlement européen prend toute son importance. En refusant de voter en janvier dernier le projet qui, sous couvert de taxe Tobin, demandait une étude sur le meilleur moyen de réguler les spéculations, ils ont jeté un pavé dans la petite mare de la gauche. Cela a provoqué l’indignation hypocrite de tous les partis de la gauche gouvernementale qui ont dénoncé le " sectarisme " de l’extrême-gauche. Ne pas être complice d’une mascarade pour aider des partis compromis au gouvernement à se refaire une image radicale, ce n’est pas du sectarisme. Les révolutionnaires ne sont pas prisonniers d’un faux radicalisme, mais s’ils sont solidaires de tous ceux qui s’éveillent à la lutte, en étant partie prenante de leur combat, leur rôle, leur utilité pour le mouvement, c’est en disant la vérité pour que les masques tombent. Et la vérité c’est que la taxe Tobin en elle-même n’a pas d’autre objectif que d’aider au fonctionnement de la société d’exploitation et de pillage impérialiste. Taxer le capital pour freiner cette folle course au profit, cela voudra dire la mobilisation et l’intervention d’une large fraction de la population pour exercer directement son contrôle démocratique sur les entreprises, les banques et l’Etat, parce qu’il ne s’agit pas de lutter contre un dysfonctionnement de l’économie mais de se battre dans une guerre sociale, la guerre que mène une poignée de riches contre l’ensemble de la population.

Charles Meno