Voici le premier numéro de "Voix des travailleurs". Ce premier numéro qui paraît quatre semaines après notre exclusion de Lutte Ouvrière, nous le voudrions riche d'espoir. Il est un premier pas et un tournant.
Il est un premier pas bien timide et hésitant par rapport aux tâches devant lesquelles nous nous trouvons après une dure rupture, difficile à surmonter de par les conclusions qu'elle nous oblige à tirer. Notre exclusion de LUTTE OUVRIERE est en soi un fait qui peut sembler minime et sans importance, mais de par ce qu'elle signifie, du point de vue des possibilités de construire l'organisation, le parti, nécessaire à la classe ouvrière, cette exclusion exprime le fait que Lutte Ouvrière ne peut plus réellement représenter l'organisation à partir de laquelle pourra naître un véritable parti des travailleurs. Loin de nous l'idée de dire que tous ceux qui comme nous ont apporté et continuent d'apporter leur dévouement à nos objectifs communs sont perdus, ce serait ridicule et stupide. Mais Lutte Ouvrière telle qu'elle est aujourd'hui, telle qu'elle conçoit sa politique en tant qu'organisation, ne peut plus avoir les initiatives qui permettraient à toutes les volontés qui veulent apporter leur pierre à la construction de ce parti de se retrouver, quels que soient leur passé politique, leur cheminement, les étapes de leur prise de conscience, leur niveau actuel de conscience, au coude à coude dans un cadre qui permette à chacun de donner le meilleur de lui-même.
Ces conclusions s'imposent à nous avec la force de l'évidence et d'elles se dégagent de nouvelles perspectives.
Ces questions doivent pouvoir se discuter publiquement sans laisser à ceux qui font leur mauvais coup le bénéfice de l'ombre et du silence. La transparence est une nécessité et c'est la transparence des actes et des idées devant les travailleurs, sans prendre prétexte de l'indifférence de la majorité d'entre eux, pour taire la vérité à la fraction la plus consciente qui regarde vers les révolutionnaires, même si elle n'est pas pleinement engagée.
S'expliquer publiquement n'est pas affaiblir l'ensemble du mouvement, nuire à son unité, ou alors, on a la même conception de l'unité que tous les gens d'appareil, les staliniens, les nationalistes ou les réformistes.
L'unité, elle est politique, et loin de rompre, nous agissons dans le sens de l'unité en nous donnant les moyens de continuer notre lutte pour donner à l'appel d'Arlette LAGUILLER un contenu vivant et concret. Ce que nous faisions dans notre organisation, nous continuerons à le faire contraints et forcés à l'extérieur.
La situation nouvelle ainsi créée n'affaiblit pas le mouvement, ce qui l'affaiblit ce sont les méthodes employées par la direction de Lutte Ouvrière, qui voudrait pouvoir écarter 10 % de ses militants sans s'expliquer et rendre des comptes, et qui paralyse l'organisation par des méthodes d'un centralisme administratif et formel qui ne peut qu'écarter les travailleurs.
Il y a un état de fait, la pire des choses serait de faire semblant de ne pas voir. Ce serait renoncer à transformer les choses.
Nous voudrions ce premier numéro riche d'espoir. Il représente bien sûr un tournant pour nous mais surtout nous pensons que la naissance de " Voix des travailleurs " s'inscrit dans un tournant social et politique riche de possibilités nouvelles pour la classe ouvrière et pour tous ceux qui veulent se battre dans son camp, cela bien évidemment au-delà de ce que nous sommes. Mais c'est dans les perspectives qu'ouvre ce tournant social et politique que s'inscrivent nos propres objectifs politiques, nos espoirs.
De fait une nouvelle période s'ouvre, n'en déplaise à tous les esprits chagrins qui voudraient que rien ne change, une nouvelle période qui exige de nouvelles initiatives, qui exige que l'ensemble de l'extrême-gauche, si elle veut jouer un rôle actif dans les événements et les luttes à venir, s'en donne les moyens.
La situation nouvelle devant laquelle se trouve toute la classe ouvrière ne peut manquer de provoquer une large discussion qui entraîne pour l'ensemble de ceux qui se posent le problème de l'avenir de la société et du mouvement ouvrier dont il dépend, bien des remises en cause. Personne ne pourra rester à l'écart. C'est toute l'extrême-gauche qui doit faire son bilan, tirer les leçons du passé pour se donner les moyens de jouer un rôle demain, se préparer à la remontée des luttes ouvrières.
A l'heure où se pose le problème de se donner les moyens de gagner, entraîner, éduquer une nouvelle génération de militants ouvriers, il est nécessaire que l'ancienne génération se dégage de toutes les scories de la social-démocratie et du stalinisme, du gauchisme, en rompant avec les méthodes d'appareil de ceux qui se protègent des masses et de leur contrôle. Ces scories, c'est l'esprit petit-bourgeois qui ne va pas jusqu'au bout de ses idées, qui fait la leçon à la classe ouvrière ou n'imagine pas qu'elle puisse se battre sans ses appareils parasites, en un mot le gauchisme .
Chacun est face à lui-même, ses choix, face à l'exigence d'aller jusqu'au bout de ses idées, de ses conceptions. Il n'y a là aucun "formidable culot", simplement l'impossibilité d'échapper à sa vérité, à la logique des idées. Non seulement nous ne nous y dérobons pas, mais nous voulons aller au devant.
Parce que nous voulons aller de l'avant, aider les jeunes à trouver leur voie comme à parler de leur voix au lieu de bégayer en répétant le passé et les limites des générations qui les ont précédés. Au lieu d'étouffer la jeunesse au nom des traditions et du conservatisme, il faut lui donner la force d'être elle-même, c'est-à-dire la force de l'avenir pour donner au combat des générations précédentes une dimension plus large et plus profonde.
Notre espoir est de pouvoir contribuer à ce que la classe ouvrière puisse se donner à travers les luttes futures, une direction politique qui représente et exprime réellement ses intérêts et qui ait la force et la puissance de permettre à ces luttes de converger vers la contestation de la propriété privée capitaliste.
" Projet de cohésion sociale ", une mascarade parlementaire
Le projet de loi sur la "cohésion sociale " présenté par le gouvernement a permis de mettre en évidence la dégradation de la situation sociale : 5 millions de personnes vivant avec 2500 F par mois, 12 millions n'ayant que des ressources proches de 3300 F par mois , seuil de pauvreté officiel, c'est une véritable catastrophe sociale qui frappe les couches populaires .
Face à cela, le gouvernement ne propose que des mesures dérisoires. Il suffit de dire que la disposition essentielle du projet est la création de 300 000 CIL (Contrat d'Initiative locale) payés à 75 % du SMIC. C'est une nouvelle mouture de ces petits boulots que gouvernement de gauche et de droite ont créés en faisant mine de prendre des mesures contre le chômage et en fournissant une main d'oeuvre bon marché aux patrons et à l'Etat.
Le débat a été aussi l'occasion pour Juppé de montrer tout son mépris pour les plus pauvres. Justifiant les ressources dérisoires allouées pour lutter contre la misère, il s'en est pris aux "zélateurs de l'assistance, qui ne voient de solutions que dans la multiplication des allocations. "
Quant aux députés socialistes et communistes, leurs mises en cause du plan du gouvernement ne sont guère convaincantes: par le passé , ils ont eux-mêmes mené ou soutenu une telle politique et ils se gardent bien de s'en prendre dans leurs déclarations aux seuls vrais responsables de cette situation : les capitalistes .
Car c'est la défense des intérêts de ces derniers, les licenciements et les attaques contre le pouvoir d'achat pour augmenter les profits des bourgeois qui sont les véritables causes de l'exclusion.
Et toute politique qui ne s'en prend pas à ces intérêts est dérisoire. Deux chiffres l'illustrent : le coût des mesures du plan de "cohésion sociale" pour venir en aide à plus de 12 millions de personnes est de 3 milliards de francs. C'est 500 millions de francs de moins que les 3 milliards et demi de francs de "superdividende" que vont toucher quelques dizaines d'actionnaires de Suez à l'occasion de la fusion de leur banque avec la Lyonnaise des Eaux.
La police contre les peuples !
Mardi 14 avril ont commencé à débarquer en Albanie, les troupes de l'opération "Alba" : 6000 soldats de 8 pays dont 1000 envoyés par l'Etat français.
Ce sont des prétextes humanitaires, comme à chaque fois qu'il y a ce genre d'interventions dans des pays pauvres, qui ont été invoqués pour justifier ce déploiement de forces militaires. Des officiers français ont précisé aux journalistes : "Nous assurons uniquement l'acheminement et la distribution des aides humanitaires". Le premier ministre italien a même affirmé que "ce pourrait être une aube ("Alba" signifie "aube" en italien) dans l'histoire de l'Albanie, la renaissance de l'Albanie".
Des mensonges plus ou moins grandiloquents pour essayer de nous rendre solidaires de cette opération de police contre le peuple albanais.
Seulement même la Croix Rouge affirme qu'il n'y a pas de disette dans le pays et qu'elle parvient à acheminer des vivres sans protection militaire.
Alors, on nous parle aussi de gangsters qui auraient réussi à s'emparer d'armes lors de l'insurrection de la population, s'en serviraient pour rançonner et piller, et pourraient s'emparer des aides humanitaires. Il y en a sans aucun doute. Mais une chose est sûre, c'est que ces troupes militaires n'interviendront pas contre les gangsters très bien placés qui ont ruiné et dépouillé de tous leurs maigres biens une grande partie de la population dans la spéculation sur les plans d'épargne. Entre autres, le président-dictateur Berisha dont la population avait réclamé la destitution, est toujours là, déclarant lui que l'opération Alba avait comme objectif en premier lieu de "rétablir l'ordre".
Quand il y a une révolte populaire, c'est toujours les pauvres qu'on accuse d'anarchie et de brigandage, et jamais les gouvernements et les exploiteurs contre qui ils se sont révoltés.
Quelle que soit la direction qu'elle a trouvée, qui ne représente pas les intérêts des travailleurs et de la population pauvre, et qui semble d'ailleurs, en plusieurs endroits, pactiser avec les troupes d'intervention, cette insurrection gêne les états impérialistes, parce que la population s'est emparée d'armes.
Pour la bourgeoisie, seules ont ce droit l'armée et la police, parce qu'elles sont sous le commandement et au service des classes privilégiées. Mais qu'est-ce d'autre que des bandes armées qui font respecter le droit des riches à exploiter les pauvres ?
Les chefs de l'état-major français craignent d'ailleurs que la population albanaise n'accepte pas cette intervention.
Ils ont donné des consignes de "courtoisie" à leurs officiers. Interviewé par un journaliste du Monde, le chef du bataillon français, le colonel Roisin a déclaré : "A nous de répéter que nous sommes là pour une mission humanitaire, pas pour une guerre".
La méthode Coué en somme mais il sera bien difficile de le faire croire lorsqu'on sait que cette mission soi-disant humanitaire est appuyée par 12 chars de combat, plus de 70 véhicules blindés et une vingtaine de canons sans compter les fusils d'assaut et les mitrailleuses. D'autant plus que ce bataillon, composé d'unités de choc, est celui qui intervient régulièrement en Afrique pour soutenir les dictatures contre la population.
Les travailleurs ne peuvent être solidaires de cette opération dont le seul objectif est de rétablir l'ordre nécessaire à l'exploitation des peuples.