éditorial 



Un tournant dans la situation politique, à nous de préparer la suite

Les résultats de ces élections ont confirmé un tournant qui s'est amorcé depuis deux ans. La droite est en passe de s'effondrer. L'extrême-droite reste une grave menace pour l'avenir. Mais la remontée de la gauche et la consolidation des résultats de l'extrême-gauche sont aussi un gage pour l'avenir car de nombreux travailleurs n'ont pas les illusions qu'ils avaient en 1981. La situation sociale s'est considérablement dégradée et la conviction que seules des luttes d'ampleur peuvent inverser le cours des choses s'impose de plus en plus parmi les travailleurs conscients.

Chirac au secours de la défaite

La dernière prestation télévisée de Chirac n'a pas dû rassurer les députés de droite dont le siège est menacé. Son discours donnait l'impression de quelqu'un inaugurant le salon de l'Agriculture ou briguant un siège en Corrèze ou à la mairie de Paris. En fait Chirac a entériné par avance la débandade de la droite au deuxième tour. L'opération dissolution de l'Assemblée se transforme en opération dissolution de la majorité présidentielle, c'est-à-dire le négatif du plébiscite programmé.

La position piteuse de Chirac, Juppé et des politiciens de droite est révélatrice d'une situation politique et sociale qui leur échappe des mains. Aucune argutie sur les "réformes" ou la "modernisation", aucune manoeuvre politicienne ne peuvent faire illusion ni diversion bien longtemps. Rien ne pourrait cacher aux yeux de qui que ce soit la réalité d'une politique supprimant des emplois et des crédits dans les services publics, réduisant la protection sociale et facilitant par tous les moyens l'offensive du patronat contre la population travailleuse. Même une partie de la petite bourgeoisie s'est sentie flouée par la droite et a préféré voter pour la gauche ou le Front national.

Comme fidèle serviteur des patrons et des milieux d'affaires, Juppé ne pouvait faire rien d'autre que ce qu'il a fait, à savoir selon ses propres termes, "du sale boulot". La bourgeoisie ne peut donner la moindre marge de manoeuvre aux politiciens à son service pour leur épargner un discrédit rapide. Elle est elle-même prisonnière d'un système économique qui ne lui donne pas le choix des moyens. L'aiguillon d'une concurrence nationale et internationale effrénée l'oblige à attaquer tous azimuts la classe ouvrière et à puiser dans les caisses de l'Etat le complément nécessaire pour maintenir ses profits.

La gauche dans une position inconfortable

Les dirigeants du parti Socialiste et du Parti Communiste savent pertinemment que la bourgeoisie exigera d'eux la même chose que de la droite s'ils doivent se retrouver au gouvernement dans quelques jours. Chacun son tour de faire "le sale boulot" contre le monde du travail. C'est l'alternance.

Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, on peut pronostiquer que Jospin comme premier ministre sera aussi vite impopulaire que Juppé. Peut-être même plus rapidement si la pression des actionnaires, des patrons et des banquiers s'exerce encore plus brutalement sur le futur gouvernement Les dirigeants de gauche n'ont donc pas de quoi pavoiser à la perspective de l'emporter dimanche soir d'autant plus que leur position sera beaucoup plus inconfortable qu'en 1981 par rapport à leur électorat. Ils ne peuvent pas s'imaginer bénéficier d'un "état de grâce". Il ne sera pas possible à Jospin et à Hue de lanterner les travailleurs, de leur prêcher efficacement la patience et la résignation afin de les dissuader de se mobiliser et de faire grève. Cette fois même si de nombreux travailleurs et chômeurs ont sanctionné la droite en votant pour la gauche c'est avec méfiance à l'égard du PS et du PC qui sont en quelque sorte attendus au virage.

La menace de l'extrême droite

Le Front National continue à se nourrir du discrédit des partis de droite et de gauche qui se sont succédé au gouvernement depuis plus de quinze ans. Pour l'instant ses ambitions sont avant tout parlementaires. L'extrême-droite reste néanmoins une menace qui pèse sur l'avenir de la classe ouvrière et de toute la société. Car pour l'instant elle se contente de drainer des voix et des sympathies sans chercher à organiser des troupes de choc pour briser les organisations de la classe ouvrière. Le Front National ne prendra le visage d'un parti fasciste du type de Hitler ou Mussolini que si les circonstances dans l'avenir s'y prêtent et si la bourgeoisie estime avoir besoin d'utiliser de tels moyens contre les travailleurs. En fait l'extrême-droite ne deviendrait un danger mortel que si les travailleurs renonçaient à s'organiser pour peser de tout leur poids sur la scène politique et sociale. Dès qu'ils s'engageront dans des combats collectifs avec des objectifs fondamentaux, on s'apercevra que le score de Le Pen ne pèsera pas lourd face à leur puissance politique et sociale.

Rompre avec le gauchisme pour construire le parti dont la classe ouvrière a besoin

Depuis 1995 il fallait faire preuve de myopie politique pour se refuser à voir que des changements dans la situation étaient à l'œuvre. Le ras-le-bol de la population commençait à se percevoir entre autres dans le fait qu'Arlette Laguiller recueillait plus de 5% des voix et dans la mobilisation de novembre-décembre 1995 contre le plan Juppé.

Il fallait avoir une bien piètre opinion des travailleurs pour persister à affirmer qu’au sein de la classe ouvrière tout n'était que recul, démoralisation aggravée et renoncement aux idées communistes pour une longue période. Mais les faits sont plus têtus que les sceptiques qui ne perçoivent pas les changements parce qu’ils les craignent.

Oui, les conditions d'une remontée des luttes sociales sont en train de se réunir et il faut s'y préparer. Des travailleurs et des militants du PC et du PS déçus par leurs dirigeants sont particulièrement attentifs quand nous défendons la perspective de construire ensemble une grande organisation démocratique pour mener les luttes du monde du travail.

Tous les militants qui se réclament des idées communistes et révolutionnaires ont évidemment un grand rôle à jouer dans la construction d'un tel parti. A condition qu'ils soient capables de se débarrasser de l'héritage du gauchisme. Ils ont eu le mérite de défendre coûte que coûte les idées de la lutte de classe pendant toute une période de recul qui a correspondu à l'expérience de la gauche au gouvernement et à l'effondrement de l'URSS et du bloc de l'Est. D'un autre côté cette période a renforcé d'une part la tendance opportuniste à courtiser les partis réformistes, d'autre part les tendances sectaires au repli sur soi avec l'illusion ridicule d'être membres d'un corps d'élite seul capable de construire un parti digne de ce nom.

Les militants révolutionnaires doivent s'émanciper de cet opportunisme et de ce sectarisme qui les condamnent dans le meilleur des cas à ne jouer aucun rôle et dans le pire à tourner le dos aux travailleurs et aux jeunes qui aspirent à changer cette société. Toutes ces barrières doivent tomber afin que les militants révolutionnaires entament des discussions entre eux, définissent ensemble des objectifs et créent un cadre d'intervention commun. Il nous faut discuter dès maintenant de nos tâches et des perspectives de la classe ouvrière. C'est ainsi que nous serons à la hauteur de ce qu'exigent de nous à la fois nos idées et les grandes luttes qui ne manqueront pas d'éclater dans l'avenir.

La progression du Front national et les moyens de combattre l'extrême-droite

Le Front National a encore augmenté ses scores au cours du premier tour de ces élections : il fait plus de 15 % des voix, mieux que Le Pen aux présidentielles, et presque 3 % de plus qu’aux dernières législatives de 93.

Cela ne peut évidemment que susciter notre inquiétude, car ces scores expriment l’existence d’un courant réactionnaire, ouvertement raciste et dont les dirigeants sont prêts, s’ils en voient l’intérêt et la possibilité, à s’engager dans la voie d’un parti fasciste, organisant des commandos voire des troupes paramilitaires s’attaquant aux travailleurs en grève, aux militants ouvriers et communistes et à tous ceux qui contesteraient l’ordre social.

Ceci dit, rien aujourd’hui ne montre que Le Pen ou ses lieutenants ont fait ce choix. D’après la presse, même dans les endroits où le Front National a gagné de l’influence dans des couches populaires pauvres, il a très peu fait campagne sur le terrain, autrement que par les moyens utilisés par les partis de droite traditionnels, en particulier le clientélisme dans les municipalités qu’il détient.

Mais cette possibilité, Le Pen l’évoquait dans un meeting à la fin septembre, invitant ses militants à se préparer pour une " révolution ", ce qui dans le cas de l’extrême-droite, signifie le choix d’une perspective extra-parlementaire, l’utilisation de la violence pour s’imposer à la tête de l’état et imposer à toute la population une dictature dont l’objectif serait de s’attaquer à la classe ouvrière en brisant toutes ses organisations.

Nous n’en sommes pas encore là, le Front National reste encore un parti parlementaire.

Mais ces dernières années, il a pesé de plus en plus fortement sur la vie politique, infléchissant la politique de tous les partis, gauche comprise, au gouvernement, les amenant à durcir leur politique contre les immigrés, sous prétexte de "tenir compte" des souhaits de son électorat.

Il faut rappeler comment l’extrême-droite a pu devenir une telle force politique.

En 1981, Le Pen n’avait même pas pu réunir les 500 signatures d’élus nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle, et jusque là, les scores de l’extrême-droite dépassaient rarement 1 %. Mais en 1983, à l’élection municipale de Dreux, il réalisait 10 %.

C’est l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche, socialiste et communiste qui est à l’origine de son renforcement : non seulement les partis socialiste et communiste ont assumé la responsabilité d’accentuer, au service de la bourgeoisie, l’offensive contre la classe ouvrière, mais ils l’ont fait au nom de celle-ci, dans le même temps où leurs appareils ainsi que les appareils syndicaux mettaient tout leur poids pour paralyser la classe ouvrière, étouffer ou faire avorter ses réactions et ses luttes, allant jusqu'à faire la chasse à ceux des militants ouvriers qui contestaient la politique du gouvernement, et donc du patronat.

C’est dans ce contexte, alors que la classe ouvrière non seulement subissait les coups du patronat et du gouvernement, mais était paralysée par les appareils de ses propres organisations, que l’extrême-droite s’est renforcée, bénéficiant d’une radicalisation de l’électorat de la droite classique, de l’opinion réactionnaire, enhardie par l’absence de riposte de la classe ouvrière et sa démobilisation.

Alors que la bourgeoisie s’attaquait à toutes les couches populaires pour leur faire payer les frais de la crise, une partie de l’électorat de la droite se détournait des partis qui le représentaient tradition-nellement.

Depuis, le nouvel électorat d’extrême-droite n’a pas cessé de peser sur le cours de la politique du gouvernement, et chaque capitulation de la gauche devant l’opinion réactionnaire, chaque tentative de la droite pour séduire l’électorat du Front National, n’ont fait que le renforcer, en démontrant en quelque sorte son efficacité. Au point qu’aujourd’hui, l’extrême-droite gagne même, dans le sud-est, l’est et même le Nord, sur des couches de la population pauvre, voire ouvrière.

Si on compare les scores obtenus par le Parti Communiste et l’extrême-gauche aux scores du Front National, ils se tiennent à quelque chose près. Mais est-ce à dire pour autant, que nous pourrions compter sur des scores plus importants pour contrebalancer son influence, ce qui signifierait infléchir la politique des partis au pouvoir ?

Si le Front National a les moyens de peser par ses seuls scores électoraux, c’est parce que toute sa politique, comme les idées qu’il défend, s’appuient sur l’ordre établi d’une société dont le fonctionnement normal est l’exploitation d’une majorité de la population par une poignée de privilégiés, et qui secrète, à cause de cela même, des préjugés et des idées réactionnaires dont les idées d’extrême-droite, ne sont qu’une continuation : le mépris des faibles, des pauvres, des femmes, l’individualisme, la loi du plus fort. C’est aussi que la xénophobie et même le racisme qu’il affiche peuvent trouver dans la propagande nationaliste défendue par tous les grands partis, y compris le Parti Communiste, une base et un terrain communs.

Il n’en est pas de même pour les idées du camp de la classe ouvrière : elles vont à l’encontre de l’ordre établi et ne peuvent avoir d’influence que si elles s’appuient sur sa mobilisation et son organisation pour contester la politique de la bourgeoisie. Ainsi l’électorat du PC, paralysé par les dirigeants de ce parti en 1981, n’a pu, malgré les 15 % de Marchais aux présidentielles, peser d’aucune façon sur la politique de Mitterrand. Les scores électoraux en eux-mêmes n’ont pas de signification ni ne pèsent de quelque poids que ce soit. Ils n’ont la signification que de ce qu’ils expriment, le degré de conscience et de mobilisation des travailleurs.

Par contre, le potentiel militant qu’il y a dans la classe ouvrière, et que les scores du PC et de l’extrême-gauche reflètent, est bien plus considérable aujourd’hui que celui du Front National. Mais encore faut-il que les militants de la classe ouvrière soient armés d’une politique se fixant consciemment l’objectif d’une contre-offensive contre la bourgeoisie, destinée à faire payer les véritables responsables d’une crise qui touche des couches toujours plus larges de la population, et empêchent ainsi l’extrême-droite de s’implanter dans les milieux populaires et ouvriers. Ce qui veut dire rompre toute solidarité avec la politique des partis de gauche. C’est dès aujourd’hui qu’il faut s’y atteler, et porter cette discussion dans toutes les entreprises et les quartiers. Demain, si le Front National quitte le terrain parlementaire, cela ne sera pas trop tard, mais beaucoup plus difficile.

Une nouvelle dictature en place au Congo

Laurent Désiré Kabila s'est auto-proclamé président du Congo le samedi 17 mai et son pouvoir a été reconnu dans les plus brefs délais par les Etats-Unis et les puissances occidentales, la France y compris, qui se sont chargés de lui donner une légitimité. Même s'il a pu apparaître comme un libérateur face au dictateur Mobutu, son avancée s'est faite au prix de milliers de morts, de massacres de réfugiés qui fuyaient les zones de combat. Il y aurait plus de 85 000 disparus.

Le secrétaire des Nations Unies a beau se dire "choqué et effrayé par l'inhumanité" des troupes rebelles, cela n'empêche pas les gouvernements dits démocrates -tels les USA, la France, la Belgique etc... de jouer aujourd'hui la carte Kabila et de lui donner leur appui. Pour eux le problème n'est pas de défendre la démocratie mais c'est de défendre les profits que les trusts peuvent tirer là-bas.

Et ce n'est pas étonnant que Kabila soit devenu un interlocuteur incontournable quand il a occupé avec ses troupes, début avril, le sud du pays qui renferme les plus grandes richesses minières : mines de diamant, cuivre, cobalt, uranium, argent, etc. Ce sont les trusts qui ont reconnu en premier le chef rebelle en engageant avec lui des discussions. La compagnie sud-africaine De BEERS -trust du diamant- est passée à l'étape supérieure en devenant le principal bailleur de fonds de la rébellion. En contrepartie, ils ont obtenu des droits d'exploitation et d'exploration dans cette région. C'est pour cette raison que Nelson Mandela - président sud-africain- a utilisé son prestige pour permettre une passation du pouvoir sans rupture des mains du dictateur Mobutu à celles du dictateur Kabila.

Mobutu ou Kabila, cela ne peut que convenir aux puissances impérialistes. Leur seule peur était que le pouvoir en déconfiture de Mobutu laisse la place vide et que les populations spoliées, surexploitées depuis des décennies par la dictature mobutiste ne surgissent sur la scène politique pour demander des comptes. En particulier, la classe ouvrière nombreuse dans les mines et les plantations et qui pourrait renouer avec le long passé de luttes qu'elle a su mener contre les colonialistes et les différents pouvoirs en place. Les différentes manifestations indiquent qu'une partie de la jeunesse ne veut pas subir une nouvelle dictature.

Kabila qui s'auréole du titre de démocrate, s'est contenté de débaptiser le Zaïre en République démocratique du Congo. Il envisage bien que des élections auront lieu ... mais pas avant 2 ans, vient-il de préciser. Dans le même temps, il institue le parti unique et interdit tous les partis d'opposition. Quant à Mobutu et aux gens de son clan, ils s'en tirent sans problème avec la complicité des gouvernements impérialistes, en premier lieu de l’Etat français qui s’est appuyé sur lui et l’a soutenu tout au long de sa sinistre carrière. Cela permettait aux trusts d'exploiter le sous-sol tout en laissant Mobutu accumuler une fortune faramineuse, évaluée à près de 4 milliards de dollars dans les années 80. Les banques suisses, belges et autres en ont largement profité. Et ses alliés d'hier l'ont laissé partir, lui et son clan de parasites sans que d'une quelconque façon, il ne lui soit demandé de restituer cette richesse volée au dépens de la population zaïroise. Ce tyran a rendu trop de services aux puissances occidentales et à leurs trusts qui ont fait main basse sur les ressources de ce pays pour qu'il ait des comptes à rendre. Entre pillards, la solidarité demeure même si les circonstances changent.