éditorial



Chirac et Jospin parlent d’une seule voix, celle des patrons

Faisons entendre la voix des travailleurs !

Au Congrès d’Amsterdam, "la France a bien parlé d’une seule voix" selon l’expression de Chirac. Jospin qui avait trouvé le pacte de stabilité "absurde" pendant la campagne électorale n’a pas vu d’inconvénient à le signer. Il a obtenu en contrepartie quelques phrases creuses sur l’emploi et la croissance, chaudement approuvées par Chirac.

Ce congrès a été l’occasion pour Jospin et Chirac de montrer aux patrons français et "aux marchés", c’est-à-dire aux financiers que selon l’expression de Chirac, "les valeurs qui nous dépassent et qui nous unissent, les valeurs de la République", c’est-à-dire les intérêts de la bourgeoisie française, prenaient bien le pas sur leurs querelles politiciennes. Ce dont personne ne doutait dans ces milieux-là, les cours de la Bourse depuis l’arrivée de Jospin au pouvoir en font foi !

Nous ne savons pas au moment où nous écrivons cet article ce que Jospin aura dit lors de son discours de politique générale. Se sera-t-il prononcé pour le "coup de pouce" de Notat, pour les 400 à 500 F de Blondel ou les 8 % de Viannet ? A quand aura-t-il fixé la conférence de négociation sur les salaires ? Quelles précisions aura-t-il données sur l’application des 35 heures ? Nous ne savons pas, mais nous pouvons être sûrs qu’il aura situé son action dans le cadre "du réalisme et de la durée", c’est-à-dire ne rien faire et ne rien bouger qui puisse gêner le patronat.

Si nous ne connaissons pas le détail des paroles, la musique, elle, nous la connaissons : Jospin ne touchera pas aux intérêts des patrons. Quelle que soit l’augmentation du SMIC, elle sera assortie de mesures équivalentes de dégrèvement de charges sociales comme l’a demandé Gandois. Quant à l’application des 35 heures, elle sera laissée à la négociation, c’est-à-dire au bon vouloir du patronat.

Mais ce qu’il ne dira pas, nous le savons déjà !

Un gouvernement qui défendrait les intérêts des travailleurs, aurait annoncé son intention immédiate de réduire le travail à 35 heures sans réduction de salaire ! Et ce ne serait rien d’exceptionnel : par combien la productivité a-t-elle été multipliée depuis 1936 où les travailleurs avaient arraché les quarante heures ? Les salaires - et notamment le SMIC - auraient été augmentés de 1 000 à 1 500 F, comme les travailleurs ne cessent de le réclamer depuis des années lorsqu’ils font grève. Et le SMIC aurait été porté à 8 500 F comme le réclamait la CGT.

Cela, nous savons que Jospin ne le dira pas.

Et les ministres communistes par leur silence ou leurs phrases creuses d’approbation "critique" se rallient à la politique de Jospin et de Chirac à Amsterdam comme à Paris. Il a suffi de deux ministres et une secrétaire d’Etat au tourisme pour que le parti communiste devienne un parti gouvernemental, prêt à soutenir et à mener une politique qui s’en prendra aux intérêts des travailleurs.

Alors, face à ces hommes et à ces partis qui défendent les intérêts de la bourgeoisie, il faut que nous défendions les intérêts de l’ensemble du monde du travail. Car la situation politique et sociale actuelle nous menace des plus graves dangers.

Il y a urgence. Car si nous ne sommes pas capables de créer une force politique nouvelle, une force d’opposition ouvrière radicale à ce gouvernement, c’est Le Pen et l’extrême droite qui profiteront de la dégradation de la situation sociale et du discrédit du Parti socialiste et du Parti communiste et des syndicats pour rallier tous les mécontentements.

Il faut nous préparer dès aujourd’hui à mener des luttes sur le plan social et politique, en toute conscience, en sachant que nous aurons pour cela à affronter le patronat mais aussi ce gouvernement qui est à son service.

Pour mener ces luttes, nous devons nous donner l’outil nécessaire, un parti de militants profondément attachés à leur camp. Et cela passe aujourd’hui par la constitution d’un pôle qui rassemble tous ceux qui n’ont aucune confiance dans ce gouvernement et le considèrent comme leur adversaire.

C’est évidemment un problème qui se pose aux militants syndicalistes et surtout aux militants communistes dans les entreprises, parce que leurs dirigeants vont leur demander de cautionner la politique antiouvrière que mène et mènera de plus en plus ouvertement le gouvernement. Il leur sera demandé d’accepter ou de s’en aller, et s’ils refusent ce chantage, ils ne pourront continuer à mener leur combat de militant ouvrier qu’en rompant avec ces organisations faillies.

Mais c’est un problème qui se pose aussi à l’ensemble de l’extrême-gauche qui aujourd’hui ne cautionne pas la politique du gouvernement et dénonce sa politique. Ce sont les militants d’extrême-gauche qui peuvent dans l’immédiat, jouer un rôle décisif pour planter les jalons d’un tel rassemblement, car ils n’ont pas, eux, à faire face au chantage imposé aux travailleurs et militants qui se sentent encore liés aux partis socialiste et communiste.

Alors c’est à ceux qui se réclament des idées révolutionnaires, et notamment du mouvement trotskyste, de prendre les initiatives, de créer le cadre qui permette la création d’une telle force. Car c’est de son existence que dépend la possibilité pour le monde du travail de pouvoir mener les luttes vitales auxquelles il sera confronté dans les mois et les années qui viennent. Et tous ceux qui par sectarisme ou par opportunisme s’y refuseraient, ne feraient que masquer leur dérobade et leur couardise derrière de vains prétextes. Pour notre part et dans la mesure de nos faibles forces, nous ferons tout, nous prendrons toutes les initiatives possibles, pour qu’une telle force puisse se constituer.

Les militants du Parti communiste vont avoir à choisir leur camp rapidement

Sans rechigner, la direction du parti communiste occupe discrètement sa place au côté du Parti Socialiste pour servir les intérêts de la bourgeoisie française. André Lajoinie a récupéré la présidence d'une commission parlementaire chargée de "la production et des échanges". Le ministre des Transports, Gayssot, a constamment le mot "concertation" à la bouche. Il espère que la "concertation" entre les "partenaires sociaux" permettra d'éviter les grèves. Il est favorable à ce que les entreprises publiques dans le secteur des transports soient "rentables". Gayssot, en souriant beaucoup et en transpirant davantage, a donc déjà dit l'essentiel, à savoir qu'il serait un serviteur loyal des intérêts de l'Etat, des financiers et du patronat.

Les journalistes de "l'Humanité" expriment quotidiennement leur solidarité avec le gouvernement Jospin, avec les petites réserves mentales qui s'imposent. Ils félicitent Jospin d'avoir une position plus à gauche que Blair sur l'Europe, de se préoccuper d'un "volet social" à Amsterdam et de régulariser les sans-papiers. Jusqu'où ira la solidarité du PCF avec la politique du gouvernement ? Il semble que les responsables qui ont pesé dans le sens de la participation gouvernementale soient prêts à aller très loin, tout en sachant qu'ils risquent de provoquer des remous ou des protestations à la base du Parti.

Pour obtenir la caution des militants, la direction du PCF a cherché en fait à les intimider en faisant valoir que "ne pas y aller" (au gouvernement), cela provoquerait une grande déception chez les électeurs communistes et tous ceux qui espèrent le changement. Ils ont aussi fait valoir que la présence de ministres communistes constituait une garantie "pour que la gauche soit bien à gauche".

Dans peu de temps, les militants du PCF constateront par eux-mêmes que les ministres communistes sont une garantie ... pour Jospin, une garantie que le Parti Communiste pèsera dans le sens de la paix sociale et de l'attentisme. Evidemment, la direction du PCF a tout intérêt à endormir la méfiance des militants. Il semble que certains, qui étaient très hostiles à la participation gouvernementale, y soient davantage résignés maintenant. Mais c'est sans doute parce que le gouvernement n’en est qu’à son préambule où tout le monde joue les faux modestes qui veulent sincèrement mener une politique de gauche mais qui ne sont pas sûrs d'y parvenir.

Les dirigeants et les journalistes du PC s'adaptent à ce registre en demi teinte où il s'agit de prouver à la bourgeoisie qu'ils sont très responsables vis-à-vis de ses intérêts, tout en prenant des airs soucieux que les "vrais changements" interviennent pour les travailleurs et les chômeurs.

Dans les semaines et les mois qui viennent, il est probable qu'une crise va mûrir au sein du PCF. Suffisamment de militants ont clamé qu'ils ne voulaient pas qu'on leur refasse "le coup de 1981". En effet, bien des militants ne voudront pas avoir à justifier les attaques anti-ouvrières de ce nouveau gouvernement de gauche au nom d'on ne sait quels intérêts supérieurs du parti. D'autant plus que la participation de ministres communistes au gouvernement va conduire immanquablement à un nouveau discrédit grave du PC dans la classe ouvrière.

Mais les militants communistes ne sont pas condamnés pour autant à suivre en "râlant" une direction qui tourne le dos aux intérêts des travailleurs. Il y a une autre voie que celle de la protestation sans suite ou de l'écœurement qui conduit au découragement. Tous les membres du PC qui veulent rester fidèles au camp des travailleurs et aux idées qui les ont amenés à militer peuvent discuter et se regrouper avec les travailleurs et les militants d'extrême-gauche, les syndicalistes et les jeunes qui veulent changer cette société en profondeur.

C'est cela la voie d'avenir, celle qui permettra à tous les militants honnêtes du mouvement ouvrier de constituer une force déterminante face à la bourgeoisie.

L'armée française protège les intérêts d’Elf

Le 5 juin ont commencé des affrontements sanglants à Brazzaville au Congo. Ils ont débuté lorsque la maison de l’ancien président, Sassou Nguesso, leader d’une des tendances de l’opposition - les Forces Démocratiques Unies - a été encerclée et bombardée par les troupes de l’actuel président Pascal Lissouba.

Tout le pays part à la dérive, l’Etat congolais est surendetté, la corruption la plus totale gangrène tout le milieu du pouvoir présidentiel alors que le Congo possède une richesse importante : le pétrole. Ce sont les compagnies pétrolières occidentales qui en tirent depuis des années des profits. Elles se livrent une concurrence acharnée pour avoir la main mise sur le pétrole. Ce qui entraîne comme conséquence directe des relations privilégiées avec le pouvoir en place, pour ne pas dire d’avoir le pouvoir à sa botte. ELF a longtemps régné en maître au Congo, et reste au premier rang mais une compagnie italienne, AGIP, a gagné le quart de la production, la compagnie américaine OXY s’implante et grignote cette position privilégiée d’Elf. Les capitalistes et gouvernants français tout comme les Américains ont soutenu ou soutiennent les différents pouvoirs en place, prêts à financer leurs bandes armées. Les royalties que le pouvoir congolais reçoit des compagnies pétrolières, sont cependant en grande partie accaparées par le FMI (Fonds Monétaire International), qui a établi un plan de remboursement des dettes de l’état congolais draconien. Mais bien sûr, le pouvoir congolais en détourne aussi une bonne partie à son profit. Une chose est sûre, c’est que les millions déversés par les trusts n’ont jamais profité à la population.

ELF, qui a largement arrosé les anciens milieux présidentiels, a obtenu en contrepartie que soit gagée la production pétrolière à son seul bénéfice jusqu’en l’an 2000. Le président était alors Sassou-Nguesso, l’un des belligérants actuels. Quand Lissouba est arrivé au pouvoir en 1992, pour obtenir des subsides - 150 millions de dollars - à la veille d’élections législatives très disputées, il s’est tourné vers une compagnie pétrolière concurrente américaine, OXY, en lui offrant la possibilité d’explorer de nouveaux sites.

Des affrontements d’une extrême violence ont fait suite à ces élections, pour le moins controversées quant à leur régularité. Il y eut au moins 2000 morts et c’est à partir de 1993 que se sont développées les milices dans chaque camp qui se sont affrontées régulièrement malgré tous les accords de désarmement qui ont pu être décrétés par le passé. Et cette situation chaotique d’affrontement n’a fait que s’aggraver depuis peu, d’autant plus durement que l’on s’approche de la date du 27 juillet, jour de l’élection présidentielle. Sassou-Nguesso tout comme Lissouba se présentent comme candidats à cette élection, ils cherchent à régler cette rivalité par les armes. C’est la population qui en est directement victime puisqu’il y aurait des milliers de morts dus à ces combats, au pilonnage des quartiers populaires par l’artillerie. Dans ces quartiers se trouve également la troisième force politique, les membres de l’opposition regroupés autour du maire de Brazzaville, Bernard Kolelas, qui, lui aussi, dispose de milices armées, mais qui se veut neutre pour le moment, et se présente comme médiateur entre les deux fractions. Il est d’autant plus intéressé de camper dans ce rôle qu‘il est lui aussi candidat aux présidentielles et veut apparaître comme une troisième voie.

Ces affrontements entre milices armées à Brazzaville ne gênent pas trop les compagnies pétrolières qui continuent à exploiter le pétrole, comme dans le passé. Mais leur concurrence devient d’autant plus aiguë que de nouvelles réserves viennent d’être découvertes en pleine mer.

Si la France est intervenue à Brazzaville, c’est officiellement pour faciliter le rapatriement des Français mais avant même début de ces événements il y avait déjà 500 militaires à Brazzaville auxquels se sont ajoutés 750 autres ce qui fait environ 1 soldat pour deux ressortissants français ! C’est donc bien plus pour défendre ses intérêts sur place ou plutôt les intérêts de la compagnie ELF et du chef de bande qu’ils soutiennent que le gouvernement français s’est empressé d’intervenir à Brazzaville, même s’il avance toujours le prétexte de la sauvegarde des Français au Congo. Et même si les deux factions en présence ont ouvert des négociations de cessez-lefeu sous l’égide du président gabonais (qui n’est autre que le gendre de Sassou-Nguesso, mais se présente aussi comme l’ami de Lissouba), de l’ambassadeur de France et de quelques autres, il n’est guère étonnant que la France avance ses pions en déclarant "ne pas exclure une participation à une éventuelle force internationale d’interposition."

En attendant, quels que soient les ronds de jambes diplomatiques de la France ou des belligérants, les oubliés de ces tractations sont les Congolais qui subissent les massacres depuis des années, la pauvreté. Ils n’ont rien à attendre des futures élections, qui ne pourront mettre en selle qu’un des politiciens à la solde des pays riches.