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Millerandisme, Il y a près de cent ans… le premier socialiste dans un gouvernement de la bourgeoisie

A la fin du XIXème siècle, s’il revint à un allemand, Bernstein, de faire la théorie de la révision du marxisme, le réformisme, c’est à un socialiste français, Millerand, qu’il revint d’en réaliser l’application pratique.

Alexandre Millerand était un avocat d’affaires. Elu en 1889, il faisait partie des socialistes indépendants, c’est-à-dire indépen-dants du contrôle des travailleurs socialistes. En fait, il était républicain et son objectif politique était de rallier le socialisme à la république de la bourgeoisie, cette république qui s’était érigée sur l’écrasement de la Commune de Paris en 1871. Réformiste, il disait : " La substitution de la propriété sociale à la propriété capitaliste ne sera que progressive ". Conséquent, il accepta la proposition de devenir ministre du Commerce et de l’Industrie, de 1899 à 1902, et il gouverna aux côtés du général de Galliffet, bourreau de la Commune devenu ministre de la Guerre.

Le mouvement socialiste international avait déjà imposé à la bourgeoisie par ses luttes, d’avoir ses propres représentants au parlement qu’il s’agissait d’utiliser comme une tribune pour s’adresser à l’ensemble du monde du travail. Pour les fondateurs du marxisme, il ne pouvait être question d’aller au gouvernement gérer les affaires de la bourgeoisie. Ainsi, lorsqu’en 1899, le prétendu socialiste Millerand entra au gouvernement, cela provoqua une vive polémique.

Les révolutionnaires du mouvement socialiste combattaient cette participation qui était l’aboutissement logique des théories réformistes. Rosa Luxembourg écrivait alors, en 1899 : " Lorsque, au parlement, les élus ouvriers ne réussissent pas à faire triompher leurs revendications, ils peuvent, tout au moins, continuer la lutte en persistant dans une attitude d’opposition. Le gouvernement, par contre, qui a pour tâche l’exécution des lois, l’action, n’a pas de place, dans ses cadres, pour une opposition de principes ; il doit agir constamment et par chacun de ses organes ; il doit, par conséquent, même lorsqu’il est formé de membres de différents partis, comme le sont en France depuis quelques années les ministères mixtes, avoir constamment une base de principes communs qui lui donne la possibilité d’agir, c’est-à-dire la base de l’ordre existant, autrement dit, la base de l’Etat bourgeois ".

Mais d’autres dirigeants socialistes, comme Jaurès, soutenaient la démarche de Millerand. Pour eux, les réformes sociales que pouvait obtenir un ministre "ami des ouvriers" étaient un pas vers le socialisme. Rosa Luxembourg leur répondait : " L’entrée des socialistes dans un gouvernement bourgeois n’est donc pas, comme on le croit, une conquête partielle de l’Etat bourgeois par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’Etat bourgeois ".

La suite des événements lui donna raison. Très vite, le gouvernement de Millerand montra sa nature de classe en réprimant les grèves ouvrières dans le sang, comme en Martinique en février 1900 où il y eut 9 ouvriers tués, et à Châlons-sur-Marne en juin où il y eut aussi des morts.

Par la suite Millerand deviendra ministre de la Guerre en 1912 et 1913, puis en 1914 et 1915. Il déclarait alors : " Il n’y a plus de droits ouvriers, plus de lois sociales : il n’y a plus que la guerre ". Puis, il gagnera de nouveaux galons contre les cheminots, lors de la grande grève de 1920, pour devenir président de la république de 1920 à 1924.

La rupture dans le mouvement socialiste fut inévitable et nécessaire. C’est de cette rupture commencée dans la lutte contre le millerrandisme puis la guerre impérialiste, et achevée par la révolution russe de 1917, qu’est né le parti communiste qui, aujourd’hui, comme il l’a déjà fait au lendemain de la deuxième guerre mondiale, renie ses origines.

Il s’agissait alors que la classe ouvrière retrouve un drapeau et un programme pour construire un parti qui n’avait plus aucun lien avec les "socialistes" de gouvernement, un parti ouvrier qui combatte tous les gouvernements de la bourgeoisie, et qui prépare le monde du travail à imposer son contrôle démocratique sur l’économie, par les luttes, en s’émancipant de toute solidarité politique avec les partis de gauche. Militant pour cette rupture entre politique bourgeoise et politique socialiste, Rosa écrivait en 1912 : "Une alliance entre les deux ne peut avoir qu’un seul résultat : paralyser la puissance de la classe ouvrière et jeter la confusion dans la conscience de classe du prolétariat".

Des paroles pour aujourd’hui.

Telecom : Jospin élargit l'autoroute des profits…

Lionel Jospin n'a vraiment pas promis grand chose pendant sa campagne. Certains avaient pourtant cru comprendre que, dans un moment d'égarement il se serait prononcé contre la privatisation de France-Télécom. Mais à ce sujet nous avons assisté, durant les élections à bien des variations. Oubliant son écart de langage, il ne parlait plus que d'un référendum organisé auprès des employés de France-Télécom au sujet de la privatisation. Mais il faut croire que ce semblant de consultation bidon était encore trop téméraire car il a été précisé aussitôt après qu'elle ne serait organisée qu'à titre indicatif ! On n'est jamais trop prudent...

Maintenant, il faut passer aux choses sérieuses et sans traîner. Le ministre de l'Economie et des Finances, D. Strauss-Kahn, vient de déclarer qu'il n'est pas opposé à l'ouverture du capital. L'intention de vendre 49 % du capital de France-Télécom dès l'automne a été confirmée par Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'Industrie dans une interview au journal Libération du jeudi 26/06. Il précisait également : "Lionel Jospin a indiqué que le personnel serait consulté, ce qui ne signifie pas nécessairement qu'il y aura référendum".

Référendum ou pas, les travailleurs sont fixés. Jospin et son gouvernement vont faire ce qu'attendent d'eux les capitalistes. Et de toute évidence ceux-ci sont nombreux à vouloir une privatisation rapide de Télécom.

Bien sûr le statut d'entreprise publique ne protège pas en soi les travailleurs contre les restructurations et les suppressions d'emplois. A preuve ce qui se passe depuis des années aux Télécom. De 96 à 97, il y a eu 13 500 départs contre 6000 embauches dont seulement 800 avec le statut de fonctionnaires. Cette politique a permis à France-Télécom de réaliser 14,5 milliards de Francs de profits en 96, soit une augmentation de 2 milliards.

La séparation des PTT a eu lieu avec toutes ses conséquences sans que l'Etat ait eu besoin de privatiser les Télécom. Mais les travailleurs savent que la privatisation ne peut qu’aggraver les conséquences de cette politique : nouvelles restructurations, compressions d'effectifs et aggravation des conditions de travail. Tout le monde voit bien que l'ouverture du capital des Télécom est un enjeu de taille pour les industriels et les hommes d'affaires. C'est une étape dans la construction de groupes qui vont s'arracher le gâteau en pleine expansion des télécommunications. Et pour les capitalistes le gâteau sera d'autant plus juteux que la part des salariés sera la plus congrue possible.

En tout cas les choses sont claires. Jospin et son gouvernement sont prêts à dégager la piste pour que les capitalistes fassent le maximum de profits avec les Télécom.

Israël : travailleurs juifs et arabes ont des intérêts communs

Depuis 15 jours, la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza est à nouveau en révolte contre l’Etat israélien.

De jeunes Palestiniens affrontent à coups de pierre des soldats israéliens dont les tirs tendus de " balles en caoutchouc " (en réalité des billes d’acier enrobées de caoutchouc) et de grenades lacrymogènes ont déjà fait près de 200 blessés. Les manifestants ont le soutien de toute la population palestinienne, excédée par les provocations incessantes de colons intégristes juifs armés, assurés du soutien et de l’impunité de la part du gouvernement et de l’armée israéliens.

Depuis la signature des " accords de paix " en septembre 1993, la situation de la population palestinienne des territoires de Cisjordanie et de Gaza, censés ne plus être occupés, n’a fait qu’empirer. Ces accords, auxquels l’Etat israélien avait été contraint par la révolte généralisée de la population palestinienne dans les années précédentes, ne furent en réalité, pour la population, qu’un marché de dupes, dont les dirigeants des organisations palestiniennes se sont fait les complices. Les notables de l’OLP, Arafat, furent reconnus comme les dirigeants d’un " état palestinien ", à charge pour eux et leur nouvelle police de faire respecter l’ordre dans " leur territoire ".

Ces territoires, qui devaient théoriquement être libérés de la tutelle israélienne, n’ont qu’une existence fictive. Les Palestiniens n’en contrôlent que 2,5 % : quelques villes isolées, en Cisjordanie, et seulement 60 % des 300 km² du désert qu’est la bande de Gaza, où vivent un million de Palestiniens. Les 40 % restants sont occupés par 5000 colons juifs, et autant de militaires israéliens installés là pour les protéger.

Le gouvernement israélien n’a cessé d’y encourager les implantations de colonies juives : de 1993 à aujourd’hui, plus de 153 000 colons se sont installés dans ces territoires, les nouvelles colonies encerclant peu à peu toutes les maigres possessions palestiniennes. Ces colons sont le plus souvent des militants intégristes, auxquels l’armée israélienne permet de parader, armés, et de faire usage de leurs fusils contre les Palestiniens. Assurés qu’ils sont de l’impunité, ils multiplient les provocations contre la population arabe.

Ainsi, celle qui est à l’origine de la révolte actuelle : le 12 juin, les habitants d’une colonie juive, implantée entre deux villes palestiniennes surpeuplées de la bande de Gaza, ont érigé une clôture pour agrandir leur territoire, aux dépens d’un Palestinien. Mais lorsque les habitants de la région ont manifesté leur colère, les officiers israéliens leur ont répondu que le sol accaparé par les colons était " terre d’Israël ".

Au mois d’avril dernier, c’est à la suite de l’assassinat de deux Palestiniens par des colons intégristes juifs de Hébron, en Cisjordanie, que la révolte avait éclaté. A Hébron, 400 colons vivent au cœur de la ville palestinienne, sont armés de fusils mitrailleurs, et lorsque l’un d’entre eux, étudiant religieux, avait assassiné un marchand palestinien, prétextant avoir été menacé par celui-ci, le rabbin de son séminaire avait déclaré qu’il méritait " une médaille pour avoir réagi comme il l’a fait contre les assassins et les terroristes qui voulaient le tuer. "

Cette semaine, des affiches insultant les Musulmans ont été placardées sur les devantures de commerçants palestiniens.

Le gouvernement israélien dans lequel siègent des représentants de l’extrême-droite agit comme s’il voulait délibérément provoquer la population palestinienne, de façon à pouvoir l’écraser. Aujourd’hui, comme en avril dernier, l’armée renforce ses positions autour des enclaves palestiniennes, et y installe des chars d’assaut et de l’artillerie lourde.

Malgré la répression, et ces menaces, malgré aussi les tentatives des autorités palestiniennes pour brider sa révolte, la population palestinienne fait une fois de plus la preuve de son courage, de sa détermination, de son énergie. Et c’est la seule voie possible pour elle, comme d’ailleurs, pour la majorité de la population israélienne. Celle-ci, en effet, subit le cours toujours plus réactionnaire qu’impose à toute la société la fraction intégriste israélienne, minoritaire, mais bien installée au sein même du pouvoir. Si la bourgeoisie israélienne et son état réussissaient à écraser la résistance palestinienne, la population israélienne serait elle aussi muselée, et toute contestation en son sein étouffée. Les dizaines de milliers d’Israéliens qui ont manifesté le 28 juin à Tel-Aviv contre le gouvernement israélien, en réclamant la tenue d’élections anticipées, et en dénonçant les mesures obscurantistes décidées par le gouvernement pour satisfaire les intégristes religieux juifs, expriment, même si ce n’est que confusément aujourd’hui, ce sentiment.

Le sort des travailleurs israéliens comme palestiniens est lié, leurs intérêts sont communs. Il n’y a certes, aujourd’hui, aucune perspective politique, du moins à ce que nous en savons, exprimant clairement cette communauté d’intérêts. Mais lors de la révolte généralisée de l’Intifada, dans la fin des années 80, le soulèvement en masse de la population palestinienne avait obligé l’état israélien à reculer, et avait permis qu’au sein de la population israélienne apparaissent des courants exprimant une solidarité avec les Palestiniens, le refus de servir à leur oppression. Et aujourd’hui, c’est seulement de la lutte que peuvent naître de telles perspectives.