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Tout attendre des luttes ou les préparer ?

Avec des raisonnements souvent diamétralement opposés, bien des militants se disent qu’avec la gauche au pouvoir se prépare une montée des luttes des salariés. Les uns partent de l’idée que les travailleurs se sentiront encouragés par la gauche au gouvernement, d’autres au contraire, se disent que les déceptions que suscitera la politique de la gauche au gouvernement ne manqueront pas de provoquer un mécontentement qui se manifestera dans l’explosion d’un ras le bol, et qu’à ce moment-là, les révolutionnaires auront pour tâche de donner des perspectives aux travailleurs retrouvant le chemin de la lutte. Il s’agit là de raisonnements tout faits, sans grand rapport avec la réalité. Pour les militants de la classe ouvrière, il ne s’agit pas de supputer ce que feront les travailleurs, mais d’essayer de les armer dans la mesure de leurs forces et de leurs moyens pour faire face aux conditions nouvelles dans lesquelles ils vont devoir défendre leurs propres intérêts. Et dans ce sens-là, toutes les visions mythiques sur les luttes aveuglent plus qu’elles n’éclairent.

Loin de susciter par on ne sait quelle spontanéité ou un aveugle encouragement, les luttes de la classe ouvrière, les partis de gauche feront tout ce qui est en leurs moyens pour étouffer le monde du travail, le faire taire, et lui faire accepter une politique qui tourne le dos à ses intérêts en évitant bien sûr, dans la mesure du possible les affrontements.

Loin de provoquer une montée des luttes, l’arrivée impromptue de la gauche au gouvernement se traduira probablement dans un premier temps par une déprime des luttes pour la simple raison que la grande majorité des militants de la classe ouvrière étaient et sont encore solidaires des partis au pouvoir et s’ils ne sont plus solidaires d’eux, ils sont pour le moins désorientés.

Les luttes des travailleurs ne sont pas des phénomènes spontanés indépendants de leur conscience politique et en particulier de la conscience politique des militants, et le problème aujourd’hui, pour ceux qui se posent le problème de l’avenir du mouvement ouvrier, de ses luttes et qui voient en lui la seule force de progrès, est d’aider les travailleurs, les militants ouvriers à y voir clair, c’est-à-dire à ne pas se sentir solidaires des partis au pouvoir.

La politique de la gauche la conduira à un moment ou à un autre à s’opposer directement aux travailleurs. Pour que cela ne se traduise pas par une démoralisation ou par des affrontements sans perspectives, il est nécessaire et urgent de s’y préparer dès maintenant.

Rencontres citoyennes : faire parler ou mieux faire taire ?

Le Parti Communiste organise des assemblées citoyennes, qui semblent rencontrer un succès très relatif. Bien des militants les boudent, et ont compris que la présence de ministres de leur parti au gouvernement, les amenaient à "refaire comme en 81", c'est-à-dire cautionner et faire appliquer une politique anti-ouvrière au service du patronat, et beaucoup d'entre eux ont dit clairement qu'ils ne voulaient pas refaire l'expérience.

Par exemple, à une assemblée dans la banlieue de Bordeaux, un responsable local expliquait à la quinzaine de militants et sympathisants présents que les mesures prises par le gouvernement, bien qu'insuffisantes, allaient dans le bon sens. Ce qu'il faudrait, c'est "faire pression" sur le gouvernement et sur tous les élus, c'est "intervenir", pour "aider au changement", pour que le gouvernement mène une vraie politique de gauche.

Les responsables, dont trois étaient à la tribune et d'autres parmi le public, sont intervenus pour dire qu'il fallait être solidaires du gouvernement, qui "fait ce qu'il peut, et qui a besoin de notre aide", avertissement on ne peut plus clair à ceux qui pourraient très rapidement en avoir assez et exprimer leur colère par la lutte sans tenir compte de tous ces discours. Car si demain, le mécontentement de la classe ouvrière s'exprime à travers une remontée des luttes, les dirigeants communistes demanderont aux militants d'être solidaires des ministres communistes et du gouvernement, comme cela s'est déjà produit dans le passé, contre les travailleurs.

Les responsables locaux, en bons émules des dirigeants de leur parti, ont banni de leur langage les termes de "classe ouvrière" et de "lutte de classe" pour ceux "d'intervention citoyenne", pour essayer de faire oublier aux travailleurs qu'ils ne peuvent compter que sur leurs luttes et rien attendre des gouvernements quels qu'ils soient.

Quand nous avons dit que les travailleurs ne devaient faire aucune confiance à ce gouvernement, et qu'ils doivent s'organiser pour préparer les luttes qu'il sera nécessaire de mener en toute indépendance, et que pour cela, les militants auront à choisir entre la solidarité avec leur propre parti au gouvernement, que leurs dirigeants exigeront d'eux, et les intérêts des travailleurs, les responsables n’ont pas pu réellement répondre, gênés de la sympathie rencontrée par nos propos.

Aider le gouvernement ou défendre en toute indépendance les intérêts des travailleurs ?

Beaucoup de travailleurs, de militants de syndicats, d’associations, des militants du Parti Communiste et même des militants d’extrême-gauche sont aujourd’hui dans l’expectative, un peu comme à la croisée des chemins, déboussolés, devant le gouvernement de gauche arrivé comme par surprise au pouvoir sans même qu’il y ait ne serait-ce que sur le plan électoral une poussée à gauche, et alors que se profile la menace du Front national.

Et beaucoup sont dupes ou acceptent d’être dupes d’arguments qui visent à solidariser les réticents, ceux qui ne voulaient pas qu’on leur refasse 81, avec le gouvernement Jospin.

Ce gouvernement devrait affronter un patronat qu’il ne pourrait affronter seul, sans l’aide des travailleurs, ou il faudrait laisser ses chances à ce gouvernement, sous entendu ne pas mettre le moindre obstacle à sa politique puisque son échec serait la victoire de Le Pen.

Même la direction du Parti Communiste laisse entendre que le " mouvement populaire " ou plutôt pour reprendre les nouvelles expressions du Parti Communiste le " mouvement citoyen ", pèse dans le sens d’un véritable changement… Pour la Ligue Communiste Révolutionnaire il s’agirait d’impulser un rassemblement des syndicats, du mouvement associatif pour un véritable rassemblement à gauche, et pour Lutte Ouvrière, il s’agit maintenant, le sectarisme cédant la place à l’opportunisme, d’" aider le gouvernement, voire le pousser ".

Mais quelles revendications ? Quelle politique les travailleurs et leurs organisations, comme les associations, doivent-ils formuler ? Et n’est-ce pas mentir aux travailleurs que de laisser croire que ce gouvernement, si tant est qu’il le veuille, puisse d’une quelconque façon agir consciemment et volontairement dans le sens des intérêts des travailleurs ? De cela il ne peut en être question. Ce gouvernement est là pour défendre, comme les uns et les autres le disent et le répètent assez, les intérêts de la France, c’est-à-dire les intérêts de la bourgeoisie française, la compétitivité de ses entreprises et de ses capitaux.

Et en réalité, toutes ces arguties qui font semblant de croire que le gouvernement serait " plein de bonne volonté " ne sont que des mensonges pour justifier une solidarité politique qui tourne le dos aux intérêts des travailleurs.

Oui, bien évidemment, le changement ne peut venir que d’en bas, des travailleurs eux-mêmes, de leur organisation et de leurs luttes, mais pour s’organiser, il faut avoir conscience qu’il n’y a rien à attendre du gouvernement et des partis qui s’y retrouvent comme de ceux qui les soutiennent.

C’est une vérité qu’il ne faut pas craindre de dire.

L'extrême-droite : un concurrent pour la droite, un instrument de chantage pour la gauche.
Pour les travailleurs, un véritable danger qu’on ne peut combattre qu’en combattant la bourgeoisie et son gouvernement

A chacune de leurs interventions publiques, les dirigeants du Front National l’affirment haut et fort : leur parti est destiné à succéder à la gauche au pouvoir, et c’est pour cette raison, a expliqué Le Pen récemment, qu’il avait déclaré préférer une victoire de la gauche aux élections législatives.

A droite, il y a quelques politiciens pour penser comme lui que l’heure de l’extrême-droite arrivera rapidement. C’est ainsi que Pandraud s’est affiché aux côtés de Le Pen dans un repas amical, tandis que Madelin, s’il a rejeté l’idée d’une quelconque alliance avec lui, se fixe comme objectif de " reconquérir les électeurs du Front National ", et a ouvert son parti à De Villiers. Mais la grande majorité des politiciens de droite se dit résolument opposée au parti de Le Pen, et Chirac le 14 juillet a qualifié ses thèses " d’inadmissibles ". Seulement il suffit de l’avoir entendu parler de la récente régularisation des immigrés sans-papiers pour comprendre qu’en fait d’opposition, Chirac comme la majorité de la droite chasse sur les terres d’un parti qui a surtout le tort à leurs yeux, d’être un concurrent de plus en plus redoutable. " Donner des papiers à tous les sans-papiers, cela consiste à légitimer l'immigration clandestine et à donner un fort signal pour l'immigration. C'est un encouragement à venir en France. Or la situation de l'emploi, la situation sociale ne permet pas à notre pays d'avoir une immigration de cette nature. Dans les réactions négatives de beaucoup de Français, qui alimentent cette xénophobie et ce racisme qui me font horreur, il y a ce laxisme à l'égard des entrées d'étrangers.", a-t-il affirmé. Pour être plus hypocrite, le message n’en est pas moins clair, ce qui ne peut surprendre quand on se souvient comment Chirac qui se dit aujourd’hui " horrifié " par le racisme, avait il y a quelques années, parlé d’ " odeur des immigrés ".

Il est bien évident que nous ne pouvons compter sur aucun de ces politiciens pour nous protéger de l’extrême-droite, tant ils véhiculent les mêmes préjugés réactionnaires.

Pour l’instant, la gauche, malgré les propos de Chevènement rejetant tout " laxisme " en matière d’immigration, malgré aussi l’envoi des flics contre les sans-papiers à Saint-Bernard, n’a pas encore réitéré des propos semblables à ce que Rocard avait dit en son temps : " La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ". Mais si Jospin s’affirme lui aussi un adversaire résolu du Front National, c’est avant tout pour s’en servir d’épouvantail et d’instrument de chantage pour faire taire toute contestation contre sa politique. C’est ainsi que lorsqu’il a rendu visite aux députés du groupe socialiste à l’Assemblée, Jospin a fait la leçon aux " grognons " du PS qui divisent selon lui la majorité alors que " la situation est grave ", et que le débat gauche-droite prend une " coloration particulière compte tenu du raidissement de la droite et de sa mortelle attraction vers l’extrême-droite. " Cette leçon de morale s’adresse bien sûr, par-dessus la tête des députés à tous les travailleurs de gauche pour les inviter à la solidarité avec le gouvernement et fournit à tous les petits notables des appareils de la gauche des arguments au nom desquels faire taire les critiques contre lui.

Or le pire pour nous serait de céder à ce chantage. Car loin d’être un rempart contre l’extrême-droite, le gouvernement de gauche mène une politique qui peut lui ouvrir effectivement – Le Pen qui l’affirme, le sait bien -, les chemins du pouvoir.

La démagogie de Le Pen consiste, outre l’utilisation des préjugés racistes, à se présenter comme opposant et de la droite et de la gauche, en-dehors du jeu des partis traditionnels. Alors qu’il ne défend que les intérêts du patronat et qu’il est le pire adversaire de la classe ouvrière comme de tous ceux qui vivent de leur travail, il réussit à se faire passer comme différent des autres politiciens de la bourgeoisie, et il peut, de cette manière, récupérer le mécontentement que suscite la politique des gouvernements qui en servant les intérêts des patrons, appauvrit la plus grande partie de la population.

Mais là où l’arrivée de la gauche au gouvernement accroît ce danger, c’est que les partis socialiste et communiste, tout en servant les intérêts de la bourgeoisie, entourent leur politique anti-ouvrière de paroles mielleuses destinées à faire croire qu’ils se situeraient du côté des travailleurs, tandis que la droite, feignant de prendre au sérieux leurs propos et condamnant " l’étatisme, le dirigisme, quand ce n’est pas le collectivisme... ", du gouvernement, leur donne un certain crédit. Chacun joue son rôle de façon à tenter encore de faire croire à l’existence d’une différence entre la droite et la gauche.

Or ce n’est pas entre la droite et la gauche que passe le véritable clivage, mais entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, le patronat et le monde du travail. C’est pour cette raison d’ailleurs que quelle que soit leur hostilité, peut-être réelle, aux idées du Front National, les dirigeants des partis de gauche sont incapables de le combattre, parce que, comme les politiciens de droite, ils mènent la même politique au service du patronat, qui ne peut qu’enfoncer une partie croissante de la population dans le chômage et la pauvreté, la misère, et le désespoir.

Oui, le Front National représente pour les travailleurs, un danger qui peut être " mortel ", comme le dit Jospin, mais pour le combattre, il faut combattre la bourgeoisie, et sa politique que fait actuellement le gouvernement de gauche.

Dans l’immédiat, l’urgence est que tous les travailleurs et militants conscients de ce danger, rompant toute solidarité avec les partis de gauche, se sentent entièrement libres pour en dénoncer la politique, et que s’affirme ainsi un pôle d’opposition radicale, dans le camp du monde du travail, à la politique de la bourgeoisie et de son gouvernement.