Comores : la révolte contre la misère et loppression dans limpasse, faute dune autre perspective
INSURRECTION A ANJOUAN ET MOHELI
Depuis le début du mois daoût, la population de deux des quatre îles, Anjouan et Mohéli, des Comores (600 000 habitants), ancienne colonie française située entre Madagascar et lAfrique, est en état dinsurrection.
Le mouvement parti en mars dune grève des fonctionnaires, violemment réprimée par la police qui a tué un manifestant et blessé gravement une dizaine dautres travailleurs, sest amplifié au mois de juillet, et début août, lorsque le gouvernement central comorien a envoyé sur place des soldats, la population sest insurgée.
Les 8 et 9 août, à Anjouan, des manifestants ont pillé la villa dun dignitaire du régime et promené celui-ci par les rues. Des jeunes se sont emparés dun poste de police et ont occupé laéroport, en chassant les soldats gouvernementaux.
LA REVENDICATION DES INSURGES
Les insurgés qui ont proclamé leur indépendance du gouvernement central et élu un président, réclament également leur rattachement à la France. La presse se plaît à souligner le paradoxe de cette revendication de la part des habitants dune ancienne colonie, mais celle-ci exprime, même sous une forme dévoyée, les aspirations nées dune révolte contre une situation désastreuse et aberrante.
Alors que la population, dont plus de la moitié est au chômage, subit la misère, que les fonctionnaires ne sont plus payés depuis des mois, la clique des gouvernants comoriens, installée dans lîle de la Grande Comore, accapare laide internationale. La revendication séparatiste des habitants dAnjouan et de Mohéli exprime la volonté davoir une administration plus proche deux et moins corrompue.
Ils réclament en même temps une association avec la France dans lespoir, illusoire, dobtenir une aide économique et une tutelle sur leur propre administration qui à leurs yeux en limiterait la corruption. La misère est telle que le sort des habitants de Mayotte, restée française, leur paraît préférable, ne serait-ce quà cause des maigres protections sociales, comme le RMI, qui leur sont accordées. Or à cause des lois françaises restreignant limmigration, les habitants des Comores ne peuvent plus sy rendre librement, comme interdits de séjour dans cette île pourtant si proche.
Mais il est illusoire de compter sur les dirigeants de lEtat français dont la politique est à lorigine de la situation contre laquelle se révoltent aujourdhui les habitants dAnjouan et de Mohéli.
LA RESPONSABILITE DE LIMPERIALISME FRANCAIS
Ce nest que contraint et forcé par le mouvement général de révolte des peuples contre le colonialisme que lEtat français a dû abandonner la domination directe quil a exercée sur les Comores de 1843 à 1976. Obligé de concéder lindépendance, il a tout fait pour garder sa main mise sur larchipel : le référendum devant décider de lindépendance en décembre 1974 étant organisé par île, Mayotte où était installé un fort lobby pro-français et à qui avait été promis un statut spécial, " choisit " de rester française. 37 % de la population seulement y votèrent pour lindépendance, contre plus de 90 % dans les trois autres îles. Après lindépendance, lhomme de main de limpérialisme français en Afrique, Bob Denard et ses mercenaires organisèrent en 78, 90 et 95, des coups détat destinés à mettre en place des gouvernements à sa botte.
Transformées en réservoirs de produits agricoles destinés à lexportation (vanille, clous de girofles, plantes à parfum), dont la chute des prix ces dernières années a accéléré la ruine des paysans et réduit les rentrées de lEtat, les Comores nont pas dautres ressources que laide internationale française, qui se réduit régulièrement.
POUR UNE PERSPECTIVE INTERNATIONALISTE
La population des Comores subit les conséquences de la domination impérialiste, de la domination de la bourgeoisie des pays les plus riches, comme la France, et dont les dirigeants locaux ne sont que des larbins plus ou moins grassement payés. Cest pourquoi lindépendance nationale, quils ont arrachée par leur révolte, ne pouvait offrir dissue à la misère et à loppression. Comme les autres peuples coloniaux, ils restent dépendants économiquement des trusts impérialistes, par le biais du marché mondial dont ces derniers fixent les prix. La seule chose qui a changé cest que cest maintenant un gouvernement local qui se fait le gendarme dictatorial de cet ordre social.
Mais la révolte actuelle a, quelles que soient les revendications et les directions derrière lesquelles elle sexprime, un contenu social, exprime laspiration à sémanciper de toute exploitation. Elle ne pourrait aboutir que si cette aspiration sexprime consciemment sous la forme dune lutte contre lexploitation capitaliste, contre la domination de la bourgeoisie, pour son renversement à léchelle mondiale, partie intégrante dune lutte internationale de tous les opprimés, de tous les travailleurs.
Cette perspective que le mouvement ouvrier devenu réformiste et nationaliste, a abandonnée et reniée est plus que jamais nécessaire dans un monde gros des révoltes que le capitalisme en crise engendre. Elle peut sembler lointaine, mais ici, nous pouvons contribuer à la concrétiser en travaillant à la construction dun parti révolutionnaire, internationaliste, sachant utiliser les liens déjà créés par lhistoire pour établir la liaison entre les travailleurs vivant en France et ceux de toutes les anciennes colonies de lEtat français, dont les Comores.
Crise en Thaïlande et dans le reste du sud-est asiatique : il ny a pas de jeunesse nouvelle possible pour le capitalisme
Le FMI a conclu la semaine dernière un " plan de sauvetage " de léconomie thaïlandaise : 16 milliards de dollars apportés par le FMI et le Japon essentiellement, et par dautres pays de la région doivent y être injectés pour sauver lEtat thaïlandais de la banqueroute. Cette " aide " loin dêtre gratuite puisquil sagit de prêts sur 3 à 5 ans aux taux dintérêt du marché sera - les généraux qui dirigent la dictature thaïlandaise sen portent garants - payée par la population en commençant par une hausse immédiate de la TVA de 7 à 10 % et la réduction des dépenses publiques.
Cela empêchera-t-il lEtat thaïlandais et les autres Etats de la région, qui ont du puiser dans leurs réserves pour tenter darrêter la dégringolade de leurs monnaies de faire faillite ? Provisoirement peut-être, nul ne peut le dire.
Si la hausse du dollar a été saluée ici comme une bonne nouvelle, en Thaïlande par contre, dont la monnaie était jusqualors indexée sur lui, cest une catastrophe : les exportations deviennent trop chères pour être concurrentielles, et la monnaie thaïlandaise, incapable de suivre la hausse, décroche du dollar, flotte, et est attaquée par les spéculateurs. La crise monétaire sest propagée à la Malaisie, Singapour, Indonésie, sans compter le Japon, le principal créancier de tous ces pays.
Cette crise monétaire est la manifestation dune concurrence accrue entre ces pays alors que le marché se restreint en particulier dans lindustrie de lautomobile. En Thaïlande, celle-ci est détenue à 90 % par les constructeurs japonais. Ils y ont investi des capitaux, à partir de 1985, alors que la main duvre en Corée du Sud, devenait plus chère parce que la classe ouvrière avait imposé par ses luttes des augmentations de salaires. Elle est en même temps le premier marché de lAsie du sud-est pour lautomobile. Mais voilà que ce marché, comme tous ceux de la région asiatique, se trouve aujourdhui saturé tant la production, stimulée par la concurrence acharnée des capitalistes y a augmenté. La hausse du dollar vient de lui porter le dernier coup. Les constructeurs japonais ont stoppé leur production pour plusieurs semaines, les capitaux ont tendance à se retirer, menaçant ainsi de faillite lEtat thaïlandais dont la dette extérieure se monte à 90 milliards de dollars.
La Corée du Sud connaît une crise comparable : les groupes financiers, moins confiants dans la possibilité dy faire du profit, renâclent à accorder des prêts à certains grosses sociétés automobiles.
La crise est dautant plus contagieuse que léconomie de ces pays repose sur un endettement colossal, et que la spéculation immobilière et monétaire y fait rage.
Il y a quelques années, les pays du sud-est asiatique, les " dragons " ou les " tigres " comme les appelait la presse, nous étaient présentés comme la preuve que le capitalisme était capable de dynamisme, et rendait possible un développement harmonieux des pays sous-développés. Ce mythe seffondre comme sétait effondré au début des années 80, celui des grands pays dAmérique latine, ou de la Pologne.
En réalité les seuls progrès y ont été apportés par la pression dune classe ouvrière engendrée par le développement de lindustrie, par ses luttes aussi, comme celles que les travailleurs coréens ont menées récemment.
Un des atouts du sud-est asiatique aux yeux des capitalistes était que des dictatures féroces y assurent la bonne marche de lexploitation. Contrairement à la propagande qui la entourée, lindustrialisation de ces pays na pas sorti leurs peuples de la misère, mais elle y a créé une classe ouvrière nombreuse et concentrée, jeune et moderne à laquelle le capitalisme nest capable que de réserver une exploitation féroce, et dont les luttes quelle ne manquera pas de mener la conduiront à la conscience de sa force et à la nécessité de renverser ce système.
Etats-Unis : après quinze jours de grève, UPS recule
Le 3 août, 185 000 salariés d'UPS sont entrés en grève entamant un des plus grands conflits sociaux que l'Amérique ait connus depuis une douzaine d'années. Ils revendiquaient l'augmentation de leur salaire et la fin des embauches à temps partiel. La grève a provoqué une belle pagaille puisque UPS transporte habituellement 12 millions de colis chaque jour à travers le pays. UPS, une des plus grandes entreprises mondiales de messagerie (330 000 salariés), numéro 1 aux Etats-Unis - où elle a le quasi monopole du transport du colis (85 % du marché) - est une entreprise qui réalise chaque année des profits juteux : 5,7 milliards de francs de bénéfice net l'an dernier.
UPS utilise des méthodes bien connues : depuis des années la direction licencie des camionneurs payés au salaire moyen pour embaucher à leur place des salariés à temps partiel, beaucoup moins payés, qui constituent maintenant 57 % des effectifs. Sur les quatre dernières années et sur les 46 000 emplois créés, 38 000 sont des emplois à temps partiel. Les nouveaux embauchés gagnent deux fois moins de l'heure qu'un salarié embauché à temps plein (8 dollars de l'heure contre 16 à 20 dollars), ce qui met leur salaire au taux de 1982.
UPS est le symbole même dune politique qui permet à la bourgeoisie américaine d'augmenter ses profits malgré la crise, en intensifiant toujours plus l'exploitation, en licenciant, en généralisant le travail précaire et mal payé. On parle aujourd'hui de la " relance " américaine et du taux de chômage plus faible qu'en Europe (4,8 % aux USA au lieu de 12 % en France). Mais ce que cachent ces chiffres, c'est justement qu'à l'échelle de toute l'économie américaine, la bourgeoisie a systématisé les embauches au rabais, les salaires de misère et la précarisation. Ce sont 20 % des ouvriers américains qui travaillent maintenant à temps partiel (la proportion a triplé en 5 ans) pour des salaires nettement inférieurs, puisqu'ils ne gagnent plus que 6 dollars l'heure en moyenne (environ 38 francs) - contre 9,3 dollars (55 francs) pour les salariés à temps plein. Les journaux économiques estiment que le niveau moyen des salaires est redescendu au niveau des années 60. Il faut ajouter à cela le fait que les salariés à temps partiel perdent en même temps leurs droits : 44 % d'entre eux seulement ont droit aux congés payés, 37 % à une retraite et seuls 19 % d'entre eux contre 77 % pour les temps pleins ont la possibilité de se faire rembourser leurs frais médicaux. La fameuse croissance américaine tant vantée, c'est la pauvreté généralisée et un recul pour tous les travailleurs. La grève d'UPS qui vient de s'achever a été une riposte massive à cette politique. Très populaire, la grève a rencontré une énorme sympathie de la part des ouvriers américains : c'est bien sûr parce que chacun connaît la dureté des conditions de travail des camionneurs, mais aussi parce que tous les travailleurs du pays se sont reconnus dans cette lutte et dans ses revendications. Vers la fin du conflit, les sondages révélaient que 55 % des américains soutenaient la grève, c'est à dire la majorité des travailleurs du pays mais aussi une partie de la petite-bourgeoisie. Profits colossaux d'un côté, licenciements continuels et baisse des salaires de l'autre, la situation commence à provoquer un sentiment de ras-le-bol et décurement. De son côté, les Teamsters, le syndicat des camionneurs semble avoir engagé cette lutte pour redorer son blason, regagner des adhérents et conserver la gestion des fonds de retraite des salariés. Mais quelles que soient ses motivations, ou ses arrière-pensées, il n'a pas hésité à rendre la grève populaire. Par contre, à aucun moment il n'a cherché à ce que la grève s'étende et devienne celle des millions de travailleurs américains confrontés au même problème. Au contraire, les Teamsters se sont efforcés de circonscrire la grève. Ils ont fait appel à la puissante centrale AFL-CIO, mais seulement pour obtenir d'elle un appui financier : leur optique était de " tenir " et pour ça les Teamsters encourageaient même les camionneurs grévistes à trouver des petits boulots pour tenir le temps que durerait la grève.
Mardi 18, après deux semaines de grève totale, le syndicat des Teamsters a obtenu un compromis de la part de la direction d'UPS : l'accord doit maintenant être ratifié par les salariés eux-mêmes. Les grévistes obtiendraient par cet accord l'embauche à plein temps de 10 000 d'entre eux et une augmentation progressive sur 5 ans des salaires horaires des employés à temps partiel. C'est loin de satisfaire toutes les revendications puisqu'il restera encore environ 90 000 salariés à temps partiel et il y a un risque que UPS licencie des intérimaires si les travailleurs ne maintiennent pas la pression. Cependant il s'agit bien d'un recul de la part d'UPS. Après la série d'échecs et parfois de défaites sévères (Caterpillar ou la grève de la presse de Detroit) que les travailleurs américains ont subie durant ces quinze dernières années, ce recul est significatif. Clinton n'a pas osé jouer la manière forte à cause de la popularité du mouvement.
La grève d'UPS pourrait bien marquer une nouvelle étape dans l'évolution de la conscience ouvrière américaine et ne peut qu'aider les travailleurs à reprendre confiance en eux.