éditorial



L’heure des choix

Jospin le mal élu, l’élu par surprise, le gagnant par forfait de ses adversaires effondrés, semble si l’on en croit la presse et les sondages bénéficier d’un nouvel " état de grâce ". Les milieux réactionnaires et patronaux se félicitent de sa politique alors que le mécontentement de l’immense majorité de la population ne peut s’exprimer. La raison en est simple. Sur son nom les oppositions se neutralisent. Jospin fait la politique de la droite, la politique de Juppé, sans même faire l’effort de la voiler derrière du verbiage de " gauche " et pour quelque postes ministériels, il a anesthésié le PCF. Pour quelques postes, les dirigeants du PCF ont changé de lunettes, ils ne voient même pas la vie en rose, ils confondent leur gauche et leur droite, comme toute cette gauche dite plurielle singulièrement muette. Même Arlette Laguiller en allant serrer la main de Robert Hue à la fête de l’Huma ce dimanche, s’est crue obligée d’apporter, au mépris de son passé, son timide soutien au gouvernement.

Chacun prétend exprimer sa différence, rester critique et vigilant, certes, et Jospin laisse faire et dire, tant que, de fait, tous soutiennent sa politique, une politique en pleine continuité avec celle des gouvernements qui l’ont précédé, une politique dictée par les intérêts du patronat.

La rentrée parlementaire s’est ouverte cette semaine par la discussion et le vote du plan emploi-jeunes de Martine Aubry. Un énième plan, conforme à ceux qui l’ont précédé, qui ne changera rien au sort des jeunes, sans travail, sans perspectives dans une société incapable de leur permettre de construire dignement une vie parce qu’elle est sans avenir.

Le parlement aura aussi à discuter de la question des lois Pasqua-Debré. Là encore, le gouvernement Jospin fait la même politique que ceux dont il refuse d’abroger la loi réactionnaire. La gauche manifeste, tant mieux, mais que feront ses dirigeants mis en demeure de choisir ?

Parce qu’il va bien falloir choisir. Jospin entend bien obliger chacun à choisir entre l’opposition et le soutien.

Les dirigeants du parti communiste ne pourront pas éternellement jouer ce jeu qui consiste à condamner d’une main la privatisation d’Air France pour de fait l’accepter comme ils acceptent celle des Télécom. Il faudra bien qu’ils rompent cette ambiguïté hypocrite.

Comme il n’est pas possible de laisser croire que l’augmentation de la CSG appelée à remplacer les cotisations maladie représentera un gain pour les salariés, même ceux du privé. Ce tour de passe-passe qui consiste à remplacer les cotisations maladie par la CSG est une manœuvre qui permet globalement d’augmenter les prélèvements réalisés dans les couches populaires. Bien peu de salariés y gagneront, et tellement peu, beaucoup risquent d’y perdre. Voilà le socialisme selon Saint Jospin, prendre sur les revenus des milieux populaires pour donner aux riches en laissant croire que l’on se soucie des salariés en donnant quelques miettes. Parce qu’il n’est pas question, pour lui, d’imposer les fortunes et les classes privilégiées.

Non, ce gouvernement n’est pas le nôtre. La seule promesse un tant soit peu tangible qu’il ait faite, les 35 heures sans diminution du salaire, il se prépare à la renier pour faire plaisir au patronat. Jospin ne vient-il pas de déclarer qu’une telle mesure était " antiéconomique ". " Antiéconomique ", ça veut dire contraire aux intérêts des patrons. Le ton de la conférence sur les salaires et l’emploi est donné. Jospin prend son temps, met prudemment ses alliés " de gauche " et les dirigeants syndicaux au pied du mur, laissant à chacun le temps de se plier en douceur.

Alors, la CGT a raison quand elle dit dans ses tracts de rentrée qu’il faut " pour le vrai changement une mobilisation revendicative ". Mais elle n’est pas crédible, et beaucoup de travailleurs et de militants n’ont pas confiance, parce que dans le même temps ses dirigeants soutiennent et cautionnent la politique du gouvernement.

Notre mécontentement dans les entreprises, les bureaux, les quartiers est croissant. Chaque semaine apporte de nouvelles raisons de se battre. Seulement pour engager la lutte, il faut avoir confiance. Il faut être sûr que ses dirigeants sont bien dans son camp, et ne jouent pas un double jeu, flattant notre mécontentement pour mieux le désamorcer afin de rendre service à leurs amis qui sont au gouvernement.

Les dirigeants syndicaux sont liés au gouvernement comme aux partis qui le soutiennent et ils n’ont nullement l’intention de les mettre en mauvaise posture. On ne peut leur faire confiance. Tous les travailleurs conscients qui veulent réfléchir à l’avenir, qui ne veulent pas subir et laisser la situation se dégrader sans rien faire en abandonnant le terrain à l’extrême-droite doivent voir les choses en face. Il n’y a pas d’autre issue que de regrouper les forces de tous ceux qui n’entendent pas soumettre leurs intérêts à ceux de quelques politiciens arrivistes, calculateurs et manœuvriers. Il faut rompre avec leur politique pour construire une force nouvelle, dynamique, entièrement fidèle et dévouée aux intérêts du monde du travail.

Il n’y a pas d’autre issue. La situation actuelle, derrière le calme apparent, est grosse d’une crise. Il nous faut nous y préparer consciemment, en toute lucidité.

Emplois jeunes : on ne pourra pas tromper toujours impunément

La première loi soumise par le gouvernement à l’Assemblée a été la loi sur les emplois jeunes présentée par Aubry et votée par les députes socialistes et communistes. Par cette loi, le gouvernement prétend lutter contre le chômage des jeunes qui prend des proportions dramatiques puisqu’un jeune sur quatre est au chômage et que ceux qui ont du travail ont le plus souvent des emplois précaires et mal payés.

Le problème est d’ailleurs tellement pressant que des milliers de jeunes se sont précipités dans les rectorats et dans d’autres services publics pour postuler à ces emplois. Les attentes de beaucoup d’entre eux ont déjà été déçues car les emplois proposés par l’Education nationale par exemple ne concernait que les bacheliers.

" Il ne s’agit pas de créer une " Fonction publique bis " a déclaré Aubry à l’Assemblée nationale. Pourtant, le gouvernement est en train de créer des dizaines de milliers de nouveaux auxiliaires dans des conditions encore plus précaires que par le passé. Embaucher des jeunes dépendant d’organismes publics avec des contrats à durée déterminée et payés au SMIC, cela ne porte pas d’autre nom.

Jospin et Aubry avaient tenu à dire que ces mesures rompaient avec la logique des gouvernements précédents. Sur ce sujet là comme sur bien d’autres, il n’en est rien.

Combattre le chômage sans créer un seul emploi dans la Fonction publique, sans contraindre les patrons à embaucher et sans interdire les licenciements prévus par les " plans sociaux " en cours dans nombre de grandes entreprises et proposer comme solution des emplois précaires et mal payés, c’est faire très précisément comme les gouvernements précédents. D’ailleurs une trentaine de députés de droite ont reconnu cette continuité en s’abstenant lors du vote.

Jospin tente de reculer les échéances. Mais déjà, à en juger par leurs réactions, bien des jeunes ont compris le sens de ces mesures. A terme, le choix qui leur est offert entre des emplois précaires et mal payés et la galère et le chômage, après leur avoir fait miroiter la possibilité d’échapper aux deux, ne peut que provoquer leur colère.

Privatisations : Jospin sans idéologie ni dogmatisme… au service du capital avec l’argent des contribuables

La comédie jouée par le gouvernement, les dirigeants du Parti Communiste, le PDG d’Air France, Christian Blanc, et les dirigeants des syndicats, touche à sa fin. Air-France, comme France-Télécom autour desquelles tous ont multiplié les phrases plus ou moins menaçantes pour ou contre leur " privatisation ", ou -nuance- " ouverture du capital " seront, grosso modo restructurées et transformées dans la droite ligne de ce qu’avait prévu Juppé : pour France-Télécom, la vente en bourse de 20 %, qui sont depuis passés à plus de 30 % de son capital, dont 7,5 % réservés à Deutsche Telekom, avec, cadeau supplémentaire pour les acheteurs, une décote, ristourne de 20 % sur le prix des actions. Pour Air-France, une ouverture du capital de 49 %, pour l’instant, soit 10 % de moins que ce qui était prévu sous Juppé. La fusion entre Air-France et l’ex-Air Inter, contre laquelle avaient fait grève les salariés au printemps, vient d’être entérinée.

Alors que cette comédie-ballet, fortement médiatisée, attirait l’attention de tous, d’autres projets de privatisations de l’ancien gouvernement, étaient préparés, et le gouvernement Jospin compte bien les réaliser sans vagues.

Il y a d’abord la privatisation du GAN et du CIC, qui, d’après les déclarations des ministres, devraient être intégrales et se faire d’ici quelques semaines. Mais pour rendre le cadeau plus alléchant, le gouvernement a décidé d’offrir 11 milliards de francs au GAN, 11 milliards qui font partie des 40 milliards que l’Etat va injecter dans les caisses d’entreprises pour l’instant publiques, mais qui pourraient bien être privatisées d’ici peu, entre autres Thomson Multi-Media, et le Réseau Ferroviaire Français qui recevront respectivement 10,9 et 8 milliards de francs.

Il faut y ajouter la privatisation prochaine du Crédit Lyonnais, une fois sans doute, que sa situation " assainie " par les 125 milliards de francs consacrés par l’Etat à éponger ses dettes, le rendra plus attractif.

Mais c’est sans doute dans l’aéronautique que le gouvernement Jospin parie de faire mieux que Juppé. Celui-ci avait prévu la privatisation après fusion du groupe constitué par Aérospatiale et Dassault, dont Dassault détiendrait entre 15 à 25 % du capital. Pendant la campagne électorale, Jospin avait déclaré qu’il était pour la constitution d’un grand groupe comprenant Dassault, Aérospatiale, Thomson-CSF et Matra, mais public, sans privatisation. Or, aujourd’hui, le gouvernement prépare un projet prévoyant le transfert de la part de l’Etat dans le capital d’Aérospatiale, 45,9 %, dans Dassault. Dassault qui a le soutien du gouvernement pour reprendre d’ici peu, en association avec Alcatel-Alsthom, Thomson-CSF, sur lequel Lagardère, associé avec Daewoo avait lorgné, en vain, en 96.

Le gouvernement Jospin étudie et recherche, en somme, les meilleures conditions pour offrir au capital privé, des entreprises les plus rentables possibles, les ministres communistes suivant et faisant accepter. Les militants et sympathisants du parti communiste qui ont hué Robert Hue lorsqu’il a parlé des privatisations dans son discours à la fête de l’Huma, ne s’y sont pas trompés.

Seulement, le problème pour nous les travailleurs, ce n’est pas " privatisations " ou soi-disant " services publics ". Bien sûr aujourd’hui, il est clair que les privatisations se traduisent par autant de cadeaux à la bourgeoisie et de licenciements ou dégradations de leurs salaires et conditions de travail pour les salariés et les usagers. Et les travailleurs ne peuvent que s’y opposer. Mais les entreprises publiques, ou nationalisées dans les années 80, ont toujours été pour l’Etat un moyen de servir les intérêts des capitalistes privés : la fortune des actionnaires d’Alcatel, par exemple, a été faite, dans les années 70, par les marchés que les PTT lui avaient procurés pour des centraux téléphoniques qui avaient été entièrement conçus par les ingénieurs de l’entreprise publique. La SNCF a fait les profits de Bouygues qui a reçu le marché des voies du TGV et de l’Alsthom qui en fabrique les locomotives. Les nationalisées de 81 ont été renflouées de plusieurs dizaines de milliards par l’Etat, restructurées, " dégraissées ", pour être vendues, une fois rentables, au capital privé.

Gayssot d’ailleurs, le ministre communiste des Transports, a très ouvertement, dans ses déclarations protestant contre les " privatisations ", défendu l’intérêt des patrons en parlant au nom des " intérêts de la France ", de la " compétitivité " nécessaire... Pas un mot sur l’intérêt des travailleurs, car il n’est pas, c’est clair, au gouvernement pour le défendre. C’est ainsi qu’il a déclaré à " La Tribune " à propos d’Air France : " je considère que le fait qu'Air France soit une entreprise publique est un atout pour le transport aérien français. Cela, par exemple, a permis au pavillon français de revenir à 42 % de part de marché sur l'Atlantique Nord face aux américains, contre 26 % en 1992. " Entre temps, les salariés ont fait grève à plusieurs reprises, mais ce n’est pas son problème.

Alors, la question véritable, c’est que quelle que soit la forme juridique ou le statut de l’entreprise, la politique de l’Etat a toujours consisté à permettre aux capitalistes privés de s’enrichir en mettant à leur disposition l’argent des contribuables. Les " entreprises publiques " ne sont pas plus sous le contrôle de la population et au service de ses intérêts que les privées, alors que les unes comme les autres ne fonctionnent d’ores et déjà que grâce au travail collectif de centaines de milliers de salariés. Et c’est bien dans les comptes et la marche des unes et des autres que nous, leurs salariés comme les usagers ou consommateurs, bref l’ensemble du monde du travail, nous devrons mettre notre nez pour les rendre réellement " publiques ".