éditorial



La semaine où tout se révèle...

Vendredi, patrons, syndicats et gouvernement se retrouvent pour la conférence sur les salaires, l'emploi et le temps de travail. Juste le temps d'une journée, une journée de dupes dont seul le patronat tirera tout ce qu'il voudra...

Dans les semaines qui ont précédé la conférence, le patronat a affiché sa morgue et affirmé ses exigences. Pas question d'une loi sur les 35 heures sans perte de salaire. Le gouvernement s'est, avec beaucoup de bonne volonté, incliné. Jospin n'a jamais fait une telle promesse, disent-ils. Martine Aubry a bien essayé de défendre ce qui aurait pu être " sa " loi, pour vite rentrer dans le rang... Quant aux syndicats, si la CGT a bien essayé de donner un ton qui se voulait plus ferme, ce n'est que pour tenter de masquer sa déculottade, et tous, chacun à sa façon, vont discuter et voir... Les quelques petites phrases prononcées la veille de la conférence ne changent rien au fond de l'attitude des directions syndicales.

Ainsi, partis pour une loi sur les 35 heures payées trente neuf, nous allons nous retrouver avec des négociations branche par branche, voire entreprise par entreprise, pour en fin de course, on ne sait quand, se retrouver avec une loi-cadre sur la flexibilité et l'annualisation du temps de travail, ce que voulait le patronat.

La diminution du temps de travail est pourtant une revendication légitime, indispensable pour que l'ensemble des travailleurs puissent vivre et participer pleinement à la vie sociale. Les progrès de la productivité permettraient une réduction bien plus significative du temps de travail, les 32 heures ne sont pas une revendication utopique ou démagogique.

Mais réduire le temps de travail ne veut pas dire automatiquement en finir avec le chômage, tellement les patrons ont de moyens d'augmenter la productivité et l'intensité du travail.

Pour en finir avec le chômage et l'exclusion, il faudrait répartir le travail entre tous, ce qui exige le contrôle des organisations du monde du travail sur la marche des entreprises publiques comme privées.

Cette conférence devait aussi parler des salaires. Pour Jospin, il n'est pas question de remettre en cause " la compétitivité des entreprises ", en clair, leur capacité à dégager des profits. Qu'est devenu le SMIC à 8500F, qu'est devenue la revalorisation générale des salaires de 1500F ? Les dirigeants des organisations syndicales semblent gagnés par l'amnésie. Pourtant là aussi, il s'agit de revendications indispensables pour les salariés et qui vont dans le sens des intérêts de la collectivité. C'est l'intérêt de toute la société que la richesse créée soit réinvestie dans les salaires plutôt que gaspillée à la bourse ou dans des opérations financières irresponsables parce que " l'intérêt général " au nom duquel prétend agir Jospin, c'est l'intérêt de la majorité, c'est à dire celui des salariés, pas des patrons.

Les cheminots, avec raison, ont tenu à manifester par la grève, bien qu’ils n’aient aucune illusion, qu’ils en avaient conscience.

Les revendications indispensables, minimum, le gouvernement n'en parle pas, comme les organisations syndicales semblent les avoir oubliées. Voilà la logique de la politique du " réalisme de gauche ", on se plie au rapport de force, à la loi du plus fort, du patronat devant lequel on capitule par avance. Si le gouvernement, comme les dirigeants des partis qui le soutiennent et ceux des organisations syndicales, avaient d'autres ambitions que de gérer les affaires de la bourgeoisie, ils le diraient. Un véritable gouvernement de gauche s'appuierait sur les travailleurs, les chômeurs, les jeunes. Il les appellerait à s'organiser, les y aiderait, se soumettrait à leur jugement, ferait appel à leur mobilisation pour contrecarrer les projets et les manœuvres du patronat. De cela, ce gouvernement s’en garde bien, il n'est pas de notre côté, il nous trompe.

Et quand les ministres discutent entre eux, font semblant de s'opposer, ce n'est que sur la façon de capituler ou de faire avaler la pilule aux militants des partis et organisations syndicales qui le soutiennent comme aux travailleurs. Ce jeu de faux semblants n'est possible que grâce à la complicité des partis et organisations syndicales qui prétendent nous représenter.

C'est cela la vérité, il nous faut la voir en face, comprendre et en tirer les leçons sans crainte des conséquences. Si nous voulons enrayer le recul de la condition de l'ensemble du monde du travail, il nous faut construire un nouveau rapport de force en unissant nos forces. Il ne manque pas de gens qui voudraient nous diviser, nous opposer les uns aux autres pour justifier leur capitulation par notre soi-disant passivité. Ne nous laissons pas prendre aux pièges de la division qui nous détournent des vrais problèmes et de nos vrais adversaires.

Il faut savoir ce que nous voulons, le dire et le faire savoir pour nous en donner les moyens. Et ce que nous voulons c'est que ce soit les financiers, les véritables privilégiés, les patrons et les possédants qui payent pour en finir avec le chômage, l'exclusion, la misère, la dégradation constante des conditions de travail et de vie de l'ensemble des salariés. Il est clair aujourd'hui qu'il n'y a pas d'autre issue que de faire payer la bourgeoisie et que pour cela, nous n'avons pas d'autre voie que notre organisation et notre mobilisation.

Il faut donner naissance à un nouveau parti qui défende réellement les idées de gauche, les idées du monde du travail, les idées du socialisme et du communisme révolutionnaires.

Régularisation de tous les travailleurs sans-papiers

Des intellectuels, notamment des artistes, des comédiens, des metteurs en scène, des universitaires, se font à nouveau entendre sur les lois anti-immigrés : dans une pétition signée par 1300 d'entre eux le jeudi 2 octobre, ils demandent la régularisation de tous " les sans-papiers qui en font la demande ". Après avoir été les initiateurs de la dénonciation des lois Pasqua-Debré en février dernier, ils dénoncent aujourd'hui le projet de loi Chevènement sur l'immigration. Leur attitude est logique puisque les choix du gouvernement Jospin sont dans ce domaine, comme dans tous les autres, dans la continuité de ceux du gouvernement précédent bien que Jospin ait, avant son élection, promis l'abrogation des lois Pasqua-Debré, et que bon nombre de responsables du parti socialiste se soient félicités en février dernier de l'initiative de ces mêmes intellectuels (certains de ces dirigeants du PS ayant même participé aux manifestations réclamant l'abrogation de ces lois). Le gouvernement n'a pour l'instant régularisé qu'à peine 3 % des dossiers déposés par les sans-papiers (5000 sur 120 000), multipliant les embûches administratives, tout en poursuivant les reconduites à la frontière. Les pétitionnaires s'inquiètent à juste titre de ce que deviendront tous ceux qui ont été encouragés à sortir de la clandestinité et ne seront pas régularisés alors que l'appareil d'Etat et la police sont désormais en mesure de les localiser. Mercredi 1er octobre, un travailleur malien a été arrêté à la Préfecture de Paris alors qu'il répondait à une convocation pour une éventuelle régularisation, puis conduit au centre de rétention de Vincennes : il a refusé d'embarquer dans l'avion qui devait l'expulser le lendemain. De telles méthodes laissent présager du contenu et de l'application de la loi Chevènement : toujours plus de répression contre les travailleurs immigrés.

Réagissant à la pétition des intellectuels, Chevènement a laissé transparaître tout son mépris envers eux, il les a traités " d'irresponsables " qui ne comprennent rien : " je ne leur en veux pas, en fait ils ne savent pas ce qu'ils signent ".

En réponse, ces intellectuels soulignent que le projet de loi Chevènement correspond à un calcul électoraliste, démagogique vis à vis des réactionnaires de tout poil. Le gouvernement Jospin chasse sur les terres de l'extrême-droite. C'est cela qui est irresponsable du point de vue des intérêts des travailleurs, de tous les travailleurs, avec ou sans papiers. En continuant à faire des immigrés les boucs émissaires des problèmes sociaux actuels, le gouvernement de gauche prouve bien qu'il sert les intérêts de la bourgeoisie.

Ce gouvernement vient de trouver le soutien d'une poignée d'"intellectuels", à l'échine bien souple. Dans un texte paru dans Libération le 7 octobre, ils s'attaquent aux signataires de l'appel pour l'abrogation des lois anti-immigrés : " ceux qui veulent tout et tout de suite sont les pires ennemis de la volonté de réforme efficace, dont le rapport Weil et le projet de loi gouvernemental actuellement en cours d'élaboration constituent des signes clairs ". Ces gens-là n'imaginent pas un monde sans frontières et sans police parce qu'ils défendent le monde tel qu'il est aujourd'hui.

Affaire Papon : un procès n'aura pas lieu, celui des crimes de la république camouflés au nom de la raison d'Etat

Mercredi 8 octobre, s'est ouvert à Bordeaux le procès de Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde sous Vichy, accusé de "crimes contre l'humanité", pour avoir fait déporter, de 1940 à 1944, 1645 Juifs. 57 ans après, s'ouvre le procès d'un vieillard, ancien haut fonctionnaire dont toute la presse s'accorde à vanter la brillante carrière, tout en feignant de s'étonner qu'il ait pu traverser sans être inquiété tous les régimes politiques. Comme s'il était le seul, même si son cas est particulièrement significatif.

Coupable ou pas, feint de s'interroger la justice embarrassée devant la lourde tâche d'escamoter le procès qui devrait être intenté à l'Etat, à la "République", derrière le procès d'un individu. C'est ce procès qui n'aura pas lieu, celui de la continuité de cet Etat et de ses crimes, dont Papon est une illustration et que l'on veut taire au nom de la raison d'Etat. Ce procès se voudrait même à l'opposé l'occasion du blanchiment de l'Etat, de sa police et de sa servante l'Eglise.

Car Papon n'est ni un "intrus" dans la république, ni un assassin qui aurait échappé à l'épuration, mais un fonctionnaire d'Etat, fidèle serviteur qui, comme tous, a su, sûrement avec plus de talent que d'autres, réécrire sa propre histoire pour traverser tous les régimes, en brouillant les pistes et se refaire une vertu politique en rapport avec les régimes qu'il servait.

Ceux qui pourraient croire qu'il a fallu attendre la gauche au pouvoir pour que s'ouvre enfin ce procès oublient que c'est au prix du plus grand acharnement que Michel Slitinski qui réussit à échapper aux rafles de 1942 en s’évadant, et les familles des victimes, qui ont porté plainte contre Papon dès 81, ont réussi à l'imposer. La gauche a mis tous les obstacles à sa tenue, sous l'influence directe de Mitterrand, qui fut, comme Papon et beaucoup d'autres, fonctionnaire sous Vichy et décoré de la Francisque.

Si la gauche ne voulait pas de ce procès, c'est qu'au-delà du procès du fonctionnaire vichyste que fut Papon, risquait de s'ouvrir un autre procès, celui de l'Etat, de la continuité de cet Etat que la gauche servit à plusieurs reprises à la Libération, puis en 1956 et 1981, s'assurant les services des mêmes fonctionnaires qui, comme Papon, poursuivirent leur carrière sous De Gaulle après avoir servi sous Vichy.

L'histoire de Papon est celle de ces serviteurs de l'Etat qui, comme Mitterrand et bien d'autres, ont traversé tous les régimes réécrivant à chaque étape leur passé. Si aujourd'hui, Papon peut se revendiquer pour sa défense d'avoir été un résistant, c'est que dès la fin de 43, comme beaucoup de fonctionnaires vichystes, il avait préparé sa reconversion en donnant quelques gages tardifs à la Résistance, se faisant une nouvelle " honorabilité " aux yeux du nouveau régime de De Gaulle de qui il obtint à la Libération le poste de préfet des Landes. Papon n'eut alors d'autre souci pour la poursuite de sa carrière que de faire valider un passé de résistant, finissant par obtenir tardivement, en 1958, une carte de combattant volontaire de la résistance.

Sa carrière se poursuivit dans les cabinets ministériels, et il traversa tous les régimes politiques. C'est le gouvernement du socialiste Guy Mollet qui l'envoya en Algérie en 56 pour "pacifier" le Constantinois, où il fit déporter plus de cent mille personnes et assassiner des milliers de "rebelles". En 1958, De Gaulle le choisit comme préfet de police de Paris. C'est lui qui ordonna la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 où la police parisienne réprima sauvagement les manifestants faisant plus de 200 morts et des milliers de blessés. Quelques mois plus tard, le 7 février 62, sous ses ordres, la police réprima brutalement, en faisant 9 morts, la manifestation appelée par le Parti Communiste, la CGT et la CFTC contre les attentats de l'OAS.

Sa carrière de préfet de police prit fin en 67. Il fut alors propulsé par De Gaulle PDG de Sud-Aviation et commença une carrière politique sous l'étiquette de l'UDR qui deviendra plus tard le RPR. La consécration arriva pour lui en 78 quand le président Giscard et son premier ministre Barre lui offrirent le poste de ministre du budget.

Le " Canard Enchaîné " interrompit brutalement sa carrière politique en 1981 en révélant, ce que, dans les sommets de l'Etat personne n'ignorait, son passé sous Vichy.

La révélation publique de ce passé a fait grand bruit car il ramène sur le devant de la scène une période de l'histoire qui reste pour beaucoup obscure et que beaucoup voudraient enterrer, cherchant à faire du procès qui vient de s'ouvrir celui d'un homme, Papon, ou celui d'un régime, Vichy, pour ne pas faire celui de l'Etat et des hauts fonctionnaires qui, sous tous les régimes, de droite ou de gauche, ont servi et continuent de servir les intérêts des possédants en exerçant leur violence contre les opprimés.