éditorial



Les patrons nous déclarent la guerre, le gouvernement mène un jeu de dupes avec la complicité des syndicats, rassemblons nos forces

La conférence-éclair de Matignon a déclenché l'humeur orageuse du CNPF. Cette crise ridicule qui secoue l’organisation patronale, symptomatique de l’état d’esprit de la bourgeoisie, ne gêne guère, du moins pour le moment, le gouvernement. Depuis plusieurs mois bien sûr, les ministres Aubry et Strauss-Kahn la préparaient avec délectation cette conférence. Dans leur scénario tous les "partenaires sociaux" auraient dû se congratuler à la fin. Jospin avait déjà pris la pose historique de celui qui va pourfendre le chômage par une grande mesure sociale. En fin de compte, comme du temps de Juppé, le patronat est reparti les bras chargés de nouveaux cadeaux. Mais le CNPF, mauvais joueur, a gâché l'ambiance en se disant furieux. Par contre toutes les revendications fondamentales des travailleurs sont passées à la trappe. Qu'importe, les dirigeants syndicaux sont repartis tout guillerets, en assurant le gouvernement de leur appui unanime. Quant à la Bourse, elle est restée sereine. Les milliardaires ont tout de suite compris que cette conférence n'était que du vent. Les ficelles sont grosses, tout le monde peut les voir et c'est tant mieux.

Sur le plan revendicatif, le bilan de cette conférence est rapide à faire. Côté salaires, les travailleurs n'obtiennent rien. Mais Jospin a promis aux patrons de diminuer leurs charges sociales sur les salaires et "une modération de la progression salariale " s'ils acceptent de diminuer le temps de travail. Côté emploi, les travailleurs n'obtiennent rien non plus. Mais le gouvernement a réaffirmé qu'il faudrait créer 350 000 postes pour les jeunes en trois ans dans le secteur privé. Il l'a redit et le patronat ne va pas bouger. C'est ça le fameux dialogue social qu'affectionne la gauche gouvernementale pendant que les jeunes continuent à galérer entre les petits boulots, les stages bidons et le chômage au long cours.

Côté réduction du temps de travail, il y a eu l'annonce d'une grande mesure, aussi volumineuse qu'une baudruche, le passage aux 35 heures pour le 1er janvier de l'an 2000, à condition que les salariés acceptent de faire toutes les concessions nécessaires, en rognant sur leurs salaires, en s'épuisant encore plus à leur travail, en ayant leur vie personnelle désorganisée sur toute l'année. Dans de telles conditions, la perspective des 35 heures n'a donc rien pour enthousiasmer les travailleurs. Les discours sirupeux de Jospin se prétendant fidèle à son programme fantomatique n'y changeront rien. Mais pour amadouer le patronat, le gouvernement a prévu une série d' "incitations" sonnantes et trébuchantes que les patrons empocheront sans dire merci et en se réservant toujours le droit de licencier dès qu'ils l'estimeront nécessaire. L'argent des impôts versés par les petits contribuables y pourvoira, comme d'habitude. Martine Aubry a déclaré tout de go  :"Nous ne faisons que généraliser la loi de Robien. Il y aura même dans notre texte moins d'obligations pour pouvoir toucher plus d'entreprises." L'ancienne directrice-adjointe du P-DG Gandois a tenu ces propos devant le député de droite de Robien qui aurait pu applaudir mais qui s'est contenté de se taire, clivage droite-gauche oblige.

Le gouvernement a eu beau s'évertuer à dire que tout se ferait en souplesse, au travers d'accords négociés entreprise par entreprise, sans contrainte pour les patrons, le CNPF a tenu à faire esclandre sur esclandre. Il y a eu d'abord la colère de Gandois, l'ex "patron des patrons", contre le gouvernement. Visiblement, ses concurrents directs n'ont pas trouvé sa prestation suffisamment convaincante et ils l'ont éjecté de la présidence du CNPF. Au-delà du côté farce de l'épisode, le patronat envoie un message qui est clairement une déclaration de guerre contre le monde du travail.

Bien sûr, la colère des patrons aide un peu Jospin à se faire passer pour un homme de gauche, ce dont tout le monde doutait fortement ces derniers temps. Mais derrière cette colère feinte, il y a aussi une colère réelle et plus profondément politique. Pour les patrons, les gouvernants socialistes sont décidément trop stupides de prétendre légiférer dans un domaine où ils devraient se contenter de leur verser des milliards en douce, sans bla-bla moral, sans loi d'orientation et autre date-butoir ridicule. Ils veulent obtenir la flexibilité totale et l'annualisation du temps de travail sans que Jospin fasse de chichis.

Il est très déplaisant pour les patrons que le gouvernement ait provoqué de fait, sous le prétexte d'être symboliquement "de gauche", toute une agitation sur les problèmes des salaires, de l'emploi et de la réduction du temps de travail. Car ces problèmes concernent en premier lieu la classe ouvrière. N'est-ce pas jouer avec le feu que de les mettre publiquement en débat ? Et si les travailleurs prenaient pleinement conscience qu'ils sont les seuls à créer des richesses et que la bourgeoisie est une classe parasitaire qui précipite les uns dans le chômage pour mieux surexploiter les autres ? Et si les travailleurs mettaient les pieds dans le plat, intervenaient à leur manière dans le débat, et se mobilisaient dans les entreprises et dans la rue ? Cette perspective est effectivement inquiétante pour Gandois et ses semblables. D'autant plus qu'ils savent pertinemment qu'il ne va pas leur être facile de maintenir leurs profits au niveau vertigineux actuel étant donné la concurrence qui fait rage plus que jamais sur tous les marchés, et cela à l'échelle de la planète. L'heure n'est pas aux concessions, même les plus minimes. Alors ils se préparent à faire la guerre de façon encore plus brutale, accessoirement à Jospin bien sûr, mais en visant le monde du travail. Ils le proclament haut et fort. Sur ce point-là au moins, ils ne parlent pas en l'air et les travailleurs doivent se tenir prêts à leur répondre sur le même ton, avec leurs armes de classe. "Tu l'auras voulu Jean Gandois !"

Ainsi ce sommet social qui n'a accouché que de cris de souris aura au moins servi à éclairer les travailleurs sur la voie dans laquelle ils doivent s'engager. Tout le monde a montré son vrai visage. Le gouvernement joue les arbitres mais il est dans le camp des patrons auxquels il s'apprête à céder davantage. Les dirigeants syndicaux se rangent frileusement derrière Jospin et oublient complètement nos revendications. Au même titre que le gouvernement, ils s'inquiètent de tout ce tapage fait par le patronat qui au lieu d'effrayer les travailleurs pourrait bien les inciter à préparer leur riposte. Leur rôle est de calmer le jeu social pour faire rentrer les travailleurs dans le rang si nécessaire.

Finalement, le bluff et les reniements de tous ces gens-là pourraient bien déclencher "un appel d'air" comme dirait Robert Hue ou un "processus" comme dirait Martine Aubry, celui de la prise de conscience des travailleurs que tous les politiciens, gouvernants et chefs syndicaux cherchent à les berner, à les paralyser. Le moment est venu de s'affranchir de tout lien de solidarité avec eux. Préparons-nous sans perdre un instant à avancer des revendications qui sont vitales pour nous, la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire, la semaine de 35 heures payées 39, le SMIC à 8500 francs, l'augmentation générale des salaires de 1500 francs. Discutons entre nous des moyens à mettre en œuvre pour les imposer et pour les faire payer à la bourgeoisie. Regroupons nos forces pour créer un parti fondé sur les idées socialistes et communistes, défendant uniquement les intérêts du monde du travail. C'est dans nos rangs, à la base, en nous organisant démocratiquement que vont se préparer les grandes mobilisations qui changeront notre sort et celui de toute la société.

La course à la compétitivité, c’est la stagnation et la crise, la croissance, c’est la répartition des richesses et du travail

A en croire la presse comme les augures gouvernementaux, l’avenir serait sinon radieux du moins laisserait espérer que rien n’empirerait, voire que tout pourrait aller mieux du fait de la croissance qui se dessine déjà depuis plusieurs mois. Selon l’INSEE, si tout va bien...et personne ne sait si tout ira bien, la croissance devrait être de 2,3% en 98. Le gouvernement tablait sur 3%… Les uns comme les autres s’efforcent de convaincre pour entretenir la confiance qui, comme chacun le sait, est indispensable à la bonne marche des affaires... Seul petit problème, c’est que ce genre de statistiques ne servent qu’à ceux qui veulent y croire. Les seules prévisions statistiques à peu près fiables sont celles qui concernent l’année en train de se finir. Et pour cette année 97, la croissance attendue sera inférieure à celle qu’espéraient les capitalistes parce que la consommation intérieure continue de stagner, voire de reculer. C’est la progression inespérée du commerce extérieur qui donne des signes de reprises avec une croissance prévue légèrement supérieure à 2%.

Une croissance qui vient des exportations…

Pour cette année 1997, la balance commerciale française devrait connaître un excédent record de 160 milliards de francs contre 89 milliards en 96. Les exportations progressent de 11% alors que les importations progressent seulement de 5%. Cette compétitivité retrouvée dont se réjouissent patronat et gouvernement repose en fait sur deux phénomènes aux effets pervers. Un fait conjoncturel, la hausse du dollar et un fait malheureusement de longue durée, la baisse du coût du travail, le chômage et les bas salaires. Que le cours du dollar baisse et c’en est fini de la reprise en France…

C’est bien ce qui fait la fragilité de cette croissance, qui se nourrit de la baisse de la consommation intérieure. Comme dans chaque cycle de l’économie capitaliste, la reprise ne fait que créer les conditions d’une nouvelle crise, chaque fois plus profonde dans la marche chaotique de ce système aveugle qui ne marche que sous le fouet de la concurrence et de la course au profit.

... pas du développement de la consommation

Cette compétitivité des entreprises françaises repose sur des coûts faibles du fait des bas salaires. Le salaire moyen dans l’industrie en France est de 97F contre 159 F en Allemagne, 134 F pour la Belgique par exemple. Depuis 1990, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages n’augmente quasiment plus. En 1996, le pouvoir d’achat des salaires du privé a progressé de 0,2% contre 0,5% en 95, celui des salariés du public a baissé de 0,5%. Ce que les patrons gagnent à l’exportation, c’est ce qu’ils nous volent et ils ne sont capables de gagner sur nos dos que ce que l’impérialisme américain leur laisse.

... qui ne s’accompagne que de faibles investissements

Depuis 1990, d’après le CNPF lui-même, les investissements auraient reculé de 5%.

La croissance ne correspond pas à des investissements productifs, puisque, par exemple, durant l’année 96, alors que la croissance était un peu supérieure à 1%, les investissements reculaient de 1,1%, recul encore plus net dans l’industrie, - 1,5 %.

En 1997, ces investissements devraient connaître une légère reprise, + 2 %, progression qui compense à peine la stagnation de la consommation intérieure

Des progrès techniques soumis à la recherche de compétitivité

Les maigres progrès techniques accomplis avec ces maigres investissements qui permettent au patronat français de gagner des marchés à l’exportation sont bien fragiles et ne font qu’aggraver la dépendance de la bourgeoisie française. Alors que les investissements productifs en France ne progressent quasiment pas, aux USA, ils ont progressé de plus de 5% par an. Les maigres progrès de compétitivité gagnée par l’industrie française au prix d’une énorme pression sur la classe ouvrière (salaire, chômage) et de très faibles investissements, ne pèse pas lourd par rapport au progrès accompli par la machine industrielle américaine. Seule la conjoncture de la hausse du dollar offre une embellie aux capitalistes français, qui ne rendra que plus brutal le réajustement.

la petite croissance prépare les conditions d’une crise plus grave

Le journal "les Echos" écrit " la question qui se pose maintenant est de savoir quand la consommation intérieure et les investissements vont prendre le relais des exportations et tirer la croissance… " Un économiste du Crédit Lyonnais cité par la revue " Alternative économique " répond : " Il faudrait que le chômage baisse vraiment et que les ménages soient rassurés sur l’évolution future de leurs revenus pour que l’on assiste à une vraie reprise de la consommation. " L’un et l’autre que l’on ne peut soupçonner de gauchisme sont lucides Mais la politique du patronat comme de l’Etat n’agit pas dans ce sens, bien au contraire. Dominés par des objectifs de rentabilité à court terme, ils aggravent les déséquilibres et à défaut d’une réelle reprise, il faut opérer des transferts de richesses pour alimenter les profits et les spéculations boursières sur le dos non seulement des salariés mais aussi de la petite et moyenne bourgeoisie.

les travailleurs et la petite bourgeoisie payeront à moins que…

Par la dégradation des services publics, c’est déjà toute la société qui paye pour alimenter les profits. Faible croissance ou pas, cette évolution ne peut que s’aggraver avec son cortège de misère, d’exclusion, de désarroi de la jeunesse et les tensions sociales qui en résultent. Pour éviter ce recul de toute la société, le mouvement ouvrier est la seule force capable d’imposer les mesures nécessaires au progrès et à la démocratie.

Pour combattre le chômage et sortir la société de la crise dans laquelle la bourgeoisie la plonge, il n’y a pas d’autre issue que de partager le travail et de relancer la consommation par la hausse générale des salaires, une politique incompatible avec les intérêts bornés, égoïstes, asociaux du patronat. C’est une politique que les travailleurs devront imposer sinon les milliards qui n’auront pas été investis dans les salaires et la production pourraient, demain, partir en fumée dans un krach boursier ou une crise financière, plongeant le monde entier dans une nouvelle catastrophe.

Citation : Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique

" C'est ainsi que le machinisme devient pour parler comme Marx, l'arme la plus puissante du capital contre la classe ouvrière, que le moyen de travail arrache sans cesse le moyen de subsistance des mains de l'ouvrier, que le propre produit de l'ouvrier se transforme en un instrument d'asservissement de l'ouvrier. C'est ainsi que d'emblée, l'économie des moyens de travail devient, en même temps, la dilapidation la plus brutale de la force de travail, un vol sur les conditions normales de la fonction du travail ; que le machinisme, le moyen le plus puissant de réduire le temps de travail se convertit en le plus infaillible moyen de transformer l'entière durée de la vie de l'ouvrier et de sa famille en temps de travail disponible pour faire valoir le capital ; c'est ainsi que le surmenage des uns détermine le chômage des autres et que la grande industrie, qui va à la chasse, par tout le globe, du consommateur nouveau, limite à domicile la consommation des masses à un minimum de famine et sape ainsi son propre marché intérieur ".