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Ni le terrorisme, ni la dictature militaire n’ont réussi à briser le peuple algérien

Les manifestations les plus nombreuses depuis 1989, ont rassemblé depuis plus d’une semaine à Alger des dizaines de milliers de manifestants. Celle de jeudi 30 octobre, appelée par tous les partis protestant contre la fraude électorale, a été la plus nombreuse : des dizaines de milliers de manifestants, applaudis par des milliers de personnes sur les trottoirs, ont dénoncé la fraude électorale mais aussi demandé la démission du premier ministre Ouyahia et scandé " à bas la dictature ".

La parodie de démocratie de la dictature militaire algérienne et les calculs des dirigeants politiques

Parachever l’édifice démocratique ", c’est ainsi que le pouvoir algérien avait présenté les élections municipales et départementales du jeudi 23 octobre. Mais ce processus, les Algériens n’en attendent plus rien : ni les élections présidentielles, ni les élections législatives de juin dernier n’ont résolu aucun problème. Toutes les institutions " démocratiques " sont aux mains des militaires : l’Assemblée nationale composée majoritairement de députés qui soutiennent le pouvoir, ne peut voter une loi que si elle est approuvée par les trois-quarts du Sénat dont le tiers des membres est directement nommé par le président de la République.

Au cours de ces élections, le pouvoir a multiplié les irrégularités de façon grossière. Les élections algériennes se font à une proportionnelle un peu particulière : le nombre de voix et de sièges attribué à chaque parti est proportionnel à son degré de servilité à l’égard du pouvoir. Mais le RND, le Rassemblement National Démocratique, parti présidentiel créé il y a quelques mois, a forcé la dose et visiblement bousculé les accords passés avec ses partenaires au pouvoir.

Le succès de la manifestation du FFS, Front des Forces Socialistes, qui a rassemblé le lundi 27 une quinzaine de milliers de manifestants pour une manifestation qui n’avait pas été autorisée, a encouragé les autres dirigeants à s’associer à la manifestation de jeudi, convoquée par tous les partis à l’exception du RND. L’objectif de ces politiciens est de contraindre le pouvoir algérien à renégocier le partage des places. Mahfoudh Nahnah, chef du parti islamiste MSP qui a sept représentants au gouvernement, l’a dit crûment : " on a montré qu’on pouvait sortir la population dans la rue. Maintenant, il faut arrêter ".

Des manifestations qui sont l’expression d’un profond mécontentement politique et social

Il n’est pas sûr que les manifestants l’entendent de cette oreille. Bien sûr, le mépris affiché par le pouvoir en truquant les élections par des procédés dignes de l’époque coloniale, a provoqué la colère de bon nombre d’Algériens. Mais c’est surtout l’exaspération devant la guerre civile chronique pour le pouvoir qu’expriment ces manifestations et aussi le mécontentement provoqué par la dégradation de la situation sociale.

Car si la manne pétrolière profite à une petite minorité de la population, cette bourgeoisie d’affaires étroitement liée au pouvoir, pour la population, les difficultés de la vie quotidienne se sont aggravées. Le recul de la production industrielle de 5,9 %, la baisse de la production agricole de 24 % ont aggravé le chômage, la cherté des produits de première nécessité et les difficultés pour satisfaire les besoins vitaux, illustrées par le manque de logement salubres ou les pénuries d’eau deux jours sur trois à Alger.

Ces manifestations ont été l’occasion de montrer que le peuple algérien n’avait été brisé ni par la terreur des islamistes, ni par celle de l’armée qui se sont sans doute conjuguées dans les récents massacres comme elles se conjuguent depuis des années pour étouffer toute explosion sociale. Selon les propos rapportés par la presse, beaucoup de manifestants exprimaient leur fierté d’être de nouveau dans la rue, leur " sentiment de libération, d’avoir enfin surmonté leur peur ".

Et c’est au pouvoir aujourd’hui d’éprouver de la crainte. Zéroual dans un discours vendredi dernier, a menacé de réprimer les manifestations qui ne seraient pas autorisées. Menace qu’il a mise à exécution en faisant intervenir la police le lundi 3 novembre. Le pouvoir algérien s’apprête à " restructurer " nombre d’entreprises du secteur public, à procéder à de nouvelles privatisations et à licencier des milliers de travailleurs. Mesures qu’il lui sera bien plus difficile d’imposer à une population qui relève la tête.

Le Front national, toujours plus en matière de répression

Les dernières mesures annoncées par le gouvernement en matière de " sécurité " comme les leçons de morale qu’ont tenu à nous administrer les parangons de vertu que prétendent être les ministres visaient, selon leurs propres déclarations, à ne pas laisser ce terrain de la démagogie réactionnaire, sécuritaire à Le Pen. En toute logique, la politique gouvernementale aboutit à l’inverse, elle prépare le terrain pour des surenchères. Le Front National n’a pas manqué l’occasion qui lui était offerte.

Rouvrir les maisons de correction, " sanctionner " les parents des délinquants mineurs sont deux des propositions d’un plan sur la sécurité présenté par Bruno Mégret. Dans la polémique qui oppose les maires FN à la police nationale, il a défendu la " montée en puissance des prérogatives " des polices municipales et l'attribution d'un port d'armes à ses fonctionnaires.

Il conteste le recrutement d'auxiliaires de sécurité, " formés en trois semaines sans garantie de moralité ni de professionnalisme ", ni plus ni moins, et demande un réel renforcement des effectifs de la police nationale. Il propose de décharger les fonctionnaires des tâches administratives pour les recentrer sur leur mission: " dissuader, poursuivre et arrêter les criminels ". Le FN souhaite que le pouvoir politique puisse ordonner aux parquets la mise en œuvre d'une politique de " répression systématique des crimes et délits ". Il veut faire de la justice l’auxiliaire direct du pouvoir. " A la fin de 1996, sur 5 millions de plaintes, seules 500 000 ont donné lieu à une condamnation ", a dit Bruno Mégret en estimant que l'on devait placer la justice dans l'obligation de " poursuivre systématiquement et rapidement tous les délits ".

Le FN veut également relever l'échelle des peines, supprimer les sursis à répétition et déchoir les étrangers récemment naturalisés de la nationalité française lorsqu'ils se rendent coupables de crimes et délits. " Les actes d'incivilité des mineurs pourront entraîner des sanctions pour les parents : amendes, suppression des aides sociales, allocations familiales ", ajoute-t-il. Face à " l'explosion de la délinquance juvénile ", le parti d'extrême-droite prône également la suppression de la " présomption d'irresponsabilité " dont bénéficient les mineurs. Il propose aussi de rouvrir les maisons de correction pour ces derniers et de créer des " chantiers de réhabilitation ". Enfin, le FN veut renforcer la discipline à l'école en dirigeant les élèves violents " vers des établissements disciplinaires ".

Contre la violence qui naît de l’exploitation, de la dégradation des conditions d’existence due au chômage, le FN n’a à opposer que la violence d’Etat. L’impasse folle de l’enchaînement des violences qui justifie la dictature et conduit aux pires exactions.

C'est la société qu'il faut redresser

Dans la liste déjà longue du bêtisier de Chevènement, il y a eu son évocation récente de ce qu'il a appelé : " le regroupement des mineurs délinquants dans des structures closes. " Cette périphrase désigne en réalité les maisons de correction pour adolescents, de triste mémoire. Et au cas où certains auraient pu se méprendre sur le double sens du mot " maison de redressement ", le comprendre dans le sens de réinsertion, rééducation, Chevènement précise bien que ce n'est pas du tout de cela dont il est question : " j'ai tendance à penser que si nous voulons rétablir la sécurité dans les zones de non droit, il faut cibler précisément la répression. On ne peut pas séparer prévention et répression. " A ces jeunes auxquels la société n'offre qu'une enfance sans enfance, un avenir sans avenir, à ceux d'entre eux qui deviennent enragés, Chevènement propose de les enfermer derrière les " hauts murs " des prisons pour adolescents. Ces défenseurs de la morale, bien nourris et bien payés, sont prompts à crier " bandit, voyou, voleur, chenapan " quand il s'agit des délinquants des banlieues pauvres. Mais ils ne s'en prennent jamais aux bandits de haut vol que sont les boursicoteurs et les affairistes qui dirigent l'économie et affament les classes populaires. Ce sont les mêmes qui ont couvert des années les assassins d'enfants comme Papon.

La petite délinquance ne trouve pas ses racines dans les banlieues chics d'Auteuil, Neuilly, Passy mais dans les cités pauvres, là où sévissent le chômage et la misère. Car il y a bien sûr un lien de cause à effet entre les deux, tout le monde peut le constater.

Mais la solution n'est sûrement pas de mettre des flics au pied de chaque bus, de chaque immeuble, de chaque école et de multiplier les prisons. Elles sont déjà pleines à plus de 40 % de jeunes en attente depuis deux, trois ou quatre ans d'être jugés pour un vol ou un cambriolage. Qui souhaiterait vivre dans une société pareille ?

Manifestations en faveur des sans-papiers

Samedi 1er novembre, à Paris et à Bordeaux, ont eu lieu des manifestations en faveur de la régularisations des sans papiers, à l’appel des collectifs de sans papiers et des organisations de soutien aux travailleurs immigrés. " Régularisation des sans papiers ", " abrogation des lois Pasqua, Debré, Chevènement " étaient parmi les slogans les plus repris. Les manifestations étaient l’une et l’autre plus nombreuses que les précédentes même si le Parti Communiste, sans doute gêné d’avoir à dénoncer la politique du gouvernement, était représenté de façon symbolique et n’avait pas mobilisé ses militants.

C’est la veille qu’expirait le délai pour le dépôt des dossiers de tous les sans papiers qui demandent à être régularisés. Sur les 150 000 dossiers déposés, il est déjà prévu que 80 à 90 000 seraient refusés. Jusqu’à maintenant, si 10 000 dossiers ont été régularisés, il y a eu un nombre de refus équivalents. Et des expulsions ont déjà eu lieu, comme celle de ce Tunisien de 39 ans, Abdelwhaeb Bouallagui, en France depuis 13 ans, brutalement renvoyé en Tunisie où il se retrouve seul et sans passeport, sans pouvoir faire appel de son expulsion.

Chevènement et Jospin ont affirmé l’un et l’autre que les reconduites à la frontière seraient effectives. Mais qu’il n’y aurait d’expulsions que dans les cas de force majeure et que pour obtenir l’accord de l’expulsé, la prime d’aide au départ serait triplée. Lorsqu’on sait que cette prime est aujourd’hui de 1500 F par adulte et de 300 F par enfant, on mesure tout le cynisme de telles déclarations. D’autant plus que les 150 000 dossiers constituent un fichier détaillé de la situation des sans papiers qui sont sortis de la clandestinité et sont donc désormais encore plus vulnérables et à la merci de l‘administration et de la police. Tout laisse à penser que tous les renseignements seront utilisés pour procéder aux expulsions : en 81, Deferre, alors ministre de l’Intérieur, avait donné des consignes pour que les dossiers des immigrés dont la demande de régularisation avait été refusée soient détruits ou leur soient rendus. Même si une telle mesure était largement symbolique, comme la suite le montra, elle n’est même pas évoquée aujourd’hui, ce qui fait craindre le pire.

Il est donc d’autant plus important que se manifeste notre soutien total aux sans papiers qui passe par la dénonciation sans ambiguïté de la politique du gouvernement actuel, qui ne fait que prolonger la politique de Pasqua et Debré. Toutes les initiatives, la manifestation du 1er novembre comme celle qui est prévue le 22, peuvent aller dans ce sens si leur seul but est d’affirmer notre solidarité et notre soutien aux sans papiers, c’est à dire notre condamnation sans appel de la politique du gouvernement. Toute ambiguïté à ce sujet ne peut qu’affaiblir et diviser le mouvement.

Cinéma : " le destin ", l’éloge des droits de la vie...

Dans l’Andalousie du XII° siècle, à la croisée des chemins de trois religions, l’islam, le christianisme, le judaïsme, à la croisée de trois civilisations, l’Afrique du nord, le bassin méditerranéen, l’Europe, une série de facteurs se conjuguent pour faire de cette terre magnifique un îlot de tolérance, de culture, d’art de vivre, de connaissance et de science du moins pour ceux qui ont la chance de vivre dans les quelques villes où se concentrent les richesses.

Le film raconte à travers la vie d’Averroès, philosophe et médecin, qui vit à Cordoue sous le règne du calife El-Mansour, la fin de cette époque. Sous la pression de l’Occident chrétien mobilisé dans les croisades pour piller les richesses du Moyen Orient et de l’Inquisition au service de la reconquête de l’Espagne, se développent dans le monde arabe des courants intégristes.

Les fous de Dieu font d’Averroès leur cible, pour obtenir son bannissement et l’autodafé de ses œuvres que ses amis auront réussi à sauver en les faisant passer en Egypte après un long travail de copie...

Dans le cadre de la religion, qui s’imposait comme mode de pensée, c’est une vision tendant vers le matérialisme que professe Averroès. Le film fait l’apologie de la danse, de la musique, de la connaissance, de la vie. On y adhère pleinement même si face à la montée actuelle des intégrismes en Occident comme en Orient, l’humanisme du réalisateur égyptien Chahine ressemble plus à une saine aspiration qu’à une philosophie de combat.