éditorial



Grève des routiers , les bourgeois félicitent le gouvernement

Tirons-en les leçons pour renforcer notre camp

La grève des routiers est terminée et le gouvernement est soulagé. Car devant leur détermination, ils n'en menaient pas large Jospin et son ministre des Transports Gayssot. Aujourd'hui ils se félicitent que le conflit n'ait duré que cinq jours alors que celui de l'an dernier géré par Juppé avait duré deux fois plus longtemps. L'opinion bourgeoise a bien voulu admettre qu'ils s'étaient bien débrouillés. Chirac a décerné un bon point à Jospin en présence de Tony Blair. Jospin a reconnu que son ministre " communiste " avait bien assumé ses responsabilités. On a les éloges qu'on mérite. Pour nous tous et en particulier pour ceux qui s'imaginaient qu'un ministre du Parti Communiste pouvait peser dans le bon sens, celui des travailleurs, les leçons de cette grève sont précieuses.

Les routiers n'ont pas obtenu gain de cause, loin de là, mais ils ont forcé le respect et obligé bien des gens à dévoiler leur jeu : les patrons, les gouvernants et les dirigeants syndicaux. Le patronat aurait bien aimé transformer ce mouvement en un fiasco, en une défaite cuisante pour les routiers, pour affaiblir encore plus la classe ouvrière. Cela aurait été un échantillon de cette guerre que le CNPF veut mener contre tous les salariés. Mais les patrons des transports n'ont pas osé. L'audace des routiers passant outre aux menaces et aux pressions diverses leur en a imposé. Les routiers bénéficiaient de la sympathie de la plupart des travailleurs. Ils menaient leur mouvement à la fois avec souplesse et fermeté. Les patrons, déconcertés, n'avaient plus qu'à revenir à la table des négociations sans se faire prier et en se faisant relativement discrets jusqu'à la fin du conflit. Cette ligne de conduite prudente leur a été facilitée par le gouvernement qui a été très soucieux de leurs intérêts.

Avant d'envoyer Gayssot manger un sandwich sur un barrage pour faire diversion, le gouvernement avait pris soin d'envoyer les CRS supprimer des barrages considérés comme stratégiques par le grand patronat. Il a eu à nouveau recours aux CRS pour accélérer le dégagement des barrages à la fin du conflit. Joli titre de gloire pour la gauche gouvernementale... Mais les patrons ne pouvaient se contenter de cela. Pour leur complaire, ils ont eu droit à de nouveaux cadeaux et notamment à une remise de 800 francs par camion de plus de 16 tonnes. Le gouvernement leur a fait grâce de la prime de 3000 francs que la plupart d'entre eux avaient refusé de verser depuis l'an dernier. Les hausses de salaires de 3 à 6 % selon les cas et les diverses promesses d'augmentations ou de " salaire mensuel professionnel garanti " pour les années à venir seront-elles mieux tenues ? Ce ne sont pas les décrets, " tables rondes " et autres " observatoires " mis en place par Gayssot, ni les vingt contrôleurs supplémentaires prévus pour 1998 qui exerceront la contrainte nécessaire sur les patrons, mais la menace d'un mouvement des routiers encore plus puissant.

La grève des routiers a également révélé que nous ne pouvons pas faire confiance aux directions syndicales pour mener les luttes jusqu'au bout de leurs possibilités. L'amertume de nombreux routiers syndiqués qui tenaient les barrages est très compréhensible. Par delà les querelles entre boutiques syndicales, aucune ne tenait à mettre le gouvernement en difficulté, lequel à son tour ne voulait pas mettre le patronat en difficulté. C'est par un tel enchaînement que nos intérêts de travailleurs passent à la trappe.

Pour construire un rapport de forces qui nous soit favorable, il nous faut bien évaluer à qui nous avons affaire et quels sont précisément nos atouts. Nous nous passerons volontiers de tous ces conseilleurs des partis de la gauche gouvernementale ou des syndicats qui nous disent : " A vous de peser à la base, de vous faire entendre ". Et quand nous tentons de le faire, ces mêmes gens essaient de nous faire rentrer dans le rang le plus vite possible. Mais il ne suffit pas non plus de se répéter qu'il faudrait un mouvement général de tous les travailleurs. Car si un tel mouvement est indispensable, il ne surgira pas de rien, sans préparation, sans prise de conscience, sans l'édification d'une force politique capable de déjouer les pièges, de comprendre les enjeux et de formuler en toutes circonstances ce qui correspond aux intérêts de l'ensemble des travailleurs.

Construire une telle force, un tel parti du monde du travail ne sera pas facile mais il y a urgence. En envoyant à Vitrolles un groupe de nervis avec des barres de fer contre les routiers, le patronat a montré de quelles méthodes il est prêt à user contre les travailleurs ; et cela à grande échelle si le Front National accédait un jour au gouvernement. Alors il nous faut au plus vite renforcer notre camp, discuter entre nous des moyens et des objectifs, renoncer à nos illusions, renouer avec les idées socialistes et communistes pour que nos aspirations puissent s'enraciner, pour que nos luttes futures aient leur pleine efficacité et soient un jour victorieuses.

La réaction bourgeoise est venue à bout de la révolution russe, mais elle ne peut en détruire les idées

C’est tout un symbole ! Une semaine avant le jour anniversaire de la révolution d’octobre, Jospin rendait visite à Eltsine, accompagné d’une quarantaine de patrons français, dont celui de Renault qui venait signer un accord avec le maire de Moscou prévoyant la création d’une usine pour la fabrication de Mégane, et celui de Thomson qui signait le lendemain plusieurs contrats dont un avec le trust, maintenant privatisé, Gasprom. 80 ans après la révolution d’octobre 1917, la Russie a fini par réintégrer le marché mondial et le monde capitaliste, et Eltsine par se faire admettre par les dirigeants des pays impérialistes, comme un des leurs, même si ce n’est pas sans condescendance.

L’usurpation par la bureaucratie du pouvoir des masses : produit de la défaite de la classe ouvrière européenne

Pour des millions de travailleurs, en Russie puis dans le monde entier, comme pour le parti bolchevique, la révolution d’octobre n’était que la première phase d’une révolution qui ne pourrait aboutir à la transformation communiste de la société qu’après avoir renversé la bourgeoisie dans l’ensemble du monde. La première guerre mondiale, expression effroyable de la faillite du capitalisme, fut suivie d’une vague. révolutionnaire dans toute l’Europe. Mais victorieuse en Russie, la classe ouvrière fut écrasée en Allemagne, puis en Hongrie grâce à la complicité active des partis sociaux-démocrates.

C’est seulement parce qu’elle avait suscité d’immenses espoirs chez les opprimés du monde entier que la révolution russe réussit à survivre malgré la guerre ouverte menée contre elle par les puissances impérialistes. Sans être capables de prendre elles-mêmes le pouvoir, trahies par leurs dirigeants socialistes, les classes ouvrières d’Europe avaient refusé de marcher contre elle, et en Russie même, le sursaut de millions de paysans russes se dressant contre le retour des propriétaires fonciers liés aux armées blanches, avait renforcé l’énergie et l’initiative des masses ouvrières. Mais circonscrite à la Russie, la révolution dut faire face, seule, aux immenses difficultés nées de l’arriération économique d’un pays, saigné à blanc par quatre ans de guerre mondiale et trois ans de guerre civile.

L’apparition, et l’affermissement de la bureaucratie qui s’est substituée aux masses ouvrières exsangues, en proie à la misère et à la famine, dans l’incapacité de contrôler une économie encore constituée de millions de cellules paysannes isolées les unes des autres, est le résultat non de la révolution, mais des succès de la réaction bourgeoise.

La victoire de Staline : le retour du vieux fatras bourgeois

La classe ouvrière affaiblie aussi bien physiquement que moralement ne put empêcher le retour au vieux fatras et aux privilèges qui accompagnent la lutte pour le nécessaire, la misère, l’inculture des masses. La bureaucratie qui s’était élevée au-dessus des masses, prenant conscience de sa situation et de ses privilèges, mena une véritable guerre, d’abord insidieuse, puis ouverte contre tous ceux qui, dans la classe ouvrière, tels Trotsky et ses compagnons, n’avaient pas abdiqué de la révolution. Mais il fallut à Staline, pour assurer sa victoire et usurper sans être contesté, l’étiquette du communisme, éliminer une génération entière de révolutionnaires, en Russie et dans les autres pays. Libérée du danger venant des masses ouvrières, la bureaucratie put consolider et officialiser ses privilèges, dans une nouvelle constitution en 1935. A propos de laquelle Trotsky écrivait dans la Révolution trahie : " La presse bourgeoise ne s’est pas trompée sur le sens de cette contre-réforme. Le Temps écrivait, le 25 septembre 1935 : " cette transformation extérieure est un des signes de la transformation profonde qui s’accomplit en ce moment dans l’Union Soviétique tout entière. Le régime maintenant définitivement consolidé se stabilise graduellement. Les habitudes et les coutumes révolutionnaires font place, à l’intérieur de la famille et de la société soviétique, aux sentiments et aux moeurs qui continuent à régner à l’intérieur des pays dits capitalistes. Les soviets s’embour-geoisent. " Nous n’avons presque rien à ajouter à cette appréciation. "

Ce n’est qu’aujourd’hui que la bureaucratie a pu réaliser ses aspirations de toujours

Il a cependant fallu 60 ans de plus à la bureaucratie pour s’affirmer bourgeoise au grand jour et arriver à détruire les traces matérielles de la révolution dans l’ex-Union Soviétique. Pendant plusieurs dizaines d’années, par crainte de la classe ouvrière, elle n’a pas osé rétablir la propriété privée, ce à quoi elle aspirait depuis toujours pour effacer son usurpation. Chaque crise qu’a connue l’URSS, parce que la classe ouvrière n’a pas eu la force de la mettre à profit, a été un pas de plus dans le sens de cette contre-révolution : la guerre, la mort de Staline, et depuis quinze ans, la crise ouverte par la disparition de Brejnev et la lutte pour le pouvoir qui s’en est suivie.

Le démantèlement de l’URSS en 1991, la réintroduction de la propriété privée dans la loi depuis 1988, et la privatisation de l’économie à partir de 1993, la réélection en 96, face au " communiste " Ziouganov, de Eltsine assuré du soutien politique et financier des dirigeants impérialistes, ont été les étapes de l’achèvement d’un processus engagé il y a plusieurs décennies. Aujourd’hui, des pans entiers de l’économie étatisée sont entre les mains des nouveaux magnats-parrains de la finance et des capitalistes étrangers.

Les bouleversements qui ont conduit à cette transformation, derniers en date d’une longue série, n’ont rien à voir avec une révolution, ne serait-ce que par en haut, que beaucoup, même parmi les révolutionnaires, subissant la pression de la propagande anticommuniste, ont voulu voir dans le relâchement de la dictature en URSS ou la chute des dictatures staliniennes dans les pays de l’Est, ceux-ci n’ayant été que le résultat bien involontaire de la lutte qui se déroulait dans les sommets de l’Etat. Les conditions d’existence de la population se sont détériorées dramatiquement, au point que l’espérance de vie en Ex-URSS a reculé de 5 ans au cours des dernières années.

La force invincible des idées de la révolution russe

Lorsque la chute du mur de Berlin en 89 a ouvert une crise dans tous les pays de l’Est et une nouvelle offensive de la bureaucratie pour réintroduire la propriété privée capitaliste en URSS, il restait l’espoir que la classe ouvrière au décours de cette crise intervienne sur la scène politique et reprenne le contrôle de l’économie et de la société. Les travailleurs ont bien engagé des luttes, même importantes comme celle des mineurs, mais la classe ouvrière n’a pas pu ni su, car sans politique propre, sans direction révolutionnaire, empêcher le processus d’aller jusqu'à son terme.

Mais le fait qu’il ait fallu 80 ans à la bourgeoisie et à la bureaucratie pour réussir à effacer les traces de cette révolution témoigne de sa force et de la profondeur des transformations qu’elle a permises. En URSS même, c’est l’expropriation radicale des capitalistes qui a permis que se construise sur un sixième du globe, une économie qui ne soit pas déterminée par les perspectives de profits d’une minorité. Malgré les prélèvements énormes d’une caste privilégiée, malgré la gabegie et les aberrations dues à la nécessité pour la bureaucratie de masquer ses privilèges et imposer sa dictature, la planification, qui n’aurait pu se développer pleinement que dans une démocratie ouvrière, a cependant montré sa supériorité en permettant un développement économique qu’aucun pays comparable à ce qu’était la Russie en 1913, n’a connu.

Si, en dehors d’une classe ouvrière puissante, nombreuse, née de ces transformations, il n’en reste plus de traces sociales significatives, la révolution d’octobre survit pour nous dans les idées qui l’ont animée, et sans doute, en Russie même, dans bien des consciences, comme le fit en son temps, la Révolution française.

" Femmes, manifestons-nous "

La situation de la classe ouvrière se dégradant, les femmes sont particulièrement touchées par la détérioration des conditions d’existence des salariés. Leurs droits reculent dans tous les domaines. Dans le travail, elles sont les moins payées, les plus précarisées, les plus touchées par le chômage. Quelques chiffres l’illustrent : elles représentent plus de la moitié de ceux qui se retrouvent au chômage, entre 52 et 58 %. Les plus jeunes, celles qui ont entre 20 et 24 ans, sont pour 31,4 % d’entre elles au chômage. Et les emplois Aubry n’y changeront rien, puisque la précarité va encore être développée alors qu’elle frappe tous les travailleurs de plein fouet. Mais, là aussi, les femmes ont des conditions plus difficiles que celles des hommes : selon les statistiques, 85 à 99 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Il y a une sacrée hypocrisie à présenter le fait de travailler à temps partiel comme un choix librement consenti. Certains se gargarisent sur ce qu’ils appellent " le temps choisi " qui permettrait d’avoir une meilleure qualité de vie. Mais lorsque les employeurs profitent de la pression qu’exerce le chômage pour faire reculer l’ensemble des conditions de vie des travailleurs, les femmes n’ont pas d’autre choix que d’accepter des emplois inférieurs à 39 heures, avec, bien sûr, un salaire qui lui aussi, est partiel. Dans l’hôtellerie ou le commerce, par exemple, le travail à temps partiel se traduit par des heures de travail avec des coupures dans la journée, ce qui fait que bien souvent, le temps passé hors du domicile est bien supérieur au nombre d’heures passées au travail. Les CES sont en majorité occupés par des femmes, rien d’étonnant à cela puisqu’elles sont aussi les plus touchées par le chômage, y restent plus longtemps et sont les moins indemnisées. Dans ces conditions, le recours à un CES est souvent la seule façon de retrouver un emploi, même avec une rémunération dérisoire. Question salaire, là aussi, la discrimination existe. La revendication ouvrière : " à travail égal, salaire égal ", n’est jamais rentrée dans les faits. Les salaires des femmes sont 27,2 % inférieurs à ceux de leurs camarades masculins. Une légère amélioration, il est vrai car en 1984, la différence était de 33 % ! Mais avec la baisse générale des salaires, il est probable que cette diminution de l’écart ne traduise que le fait que les hommes comme les femmes sont de plus en plus mal payés et que les bas salaires sont en augmentation.

Le Collectif national pour les droits des femmes appelle à une manifestation nationale samedi 15 novembre à Paris pour l’emploi des femmes. Pour notre part, nous nous y associerons, " tous ensemble ", hommes et femmes, pour manifester contre la politique des patrons et du gouvernement à leur service.