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Nos perspectives

Plus de six mois après que le gouvernement de gauche est arrivé aux affaires, et plus de quatre mois avant les prochaines élections régionales, tous les courants qui se revendiquent de la gauche et principalement, pour ce qui nous intéresse, de l’extrême gauche, discutent les bilans et décident les orientations. C’est aussi l’occasion pour nous de faire le bilan de huit mois d’existence contrainte, puisqu’il y a maintenant huit mois que les militants à l’origine de " Voix des Travailleurs " ont été exclus de Lutte Ouvrière.

Au lendemain de cette exclusion nous écrivions, le 17 avril 97, dans l’éditorial du premier numéro de " Voix des Travailleurs " intitulé " un premier pas et un tournant ":

" De fait une nouvelle période s’ouvre, n’en déplaise à tous les esprits chagrins qui voudraient que rien ne change, une nouvelle période qui exige de nouvelles initiatives, qui exige que l’ensemble de l’extrême gauche, si elle veut jouer un rôle actif dans les événements et les luttes à venir, s’en donne les moyens.

La situation nouvelle devant laquelle se trouve toute la classe ouvrière, ne peut manquer de provoquer une large discussion, qui entraîne pour l’ensemble de ceux qui se posent le problème de l’avenir de la société et du mouvement ouvrier dont il dépend, bien des remises en cause. Personne ne pourra rester à l’écart ".

L’arrivée de la gauche au gouvernement avec la participation du Parti Communiste, dans un contexte qui ne laisse à la bourgeoisie qu’une marge de manœuvre extrêmement faible, donne, aujourd’hui, à ces discussions un caractère très concret et des implications immédiates, autour de la question de comment se définir par rapport au gouvernement.

Pour les révolutionnaires, cette question se transforme, de fait, en une autre question, comment se donner les moyens pour que se constitue réellement une opposition ouvrière de gauche à la politique du gouvernement socialiste et communiste, comment redonner à tous les militants socialistes ou communistes, à tous les militants syndicaux honnêtes, une politique qui renoue avec la lutte de classes et rompe sans aucune ambiguïté avec les faux fuyants, les mensonges, les reniements qu’implique la solidarité avec les ministres socialistes, communistes ou verts.

C’est à cette tâche que nous voulons contribuer en surmontant les clivages hérités du passé pour que s’ouvre une large discussion publique sur la nécessité de regrouper les forces du mouvement ouvrier autour d’un programme authentiquement socialiste et communiste, un programme de classe.

Pendant longtemps, nous avons cru que Lutte Ouvrière était la seule tendance de la famille trotskyste capable d’impulser un tel débat, d’avoir une politique de regroupement de l’extrême gauche, et de front unique vis-à-vis du Parti Communiste et de ses militants. Lutte Ouvrière s’est dérobée à cette tâche, en se repliant dans le sectarisme, ce qui s’est exprimé tant dans la naissance de la minorité de Lutte Ouvrière que par notre exclusion.

Bien évidemment, pas plus aujourd’hui qu’au lendemain de notre exclusion, nous ne tirons un trait sur les camarades de notre ancienne organisation. Nous écrivions, toujours dans le N° 1 de " Voix des Travailleurs " : " Loin de nous l’idée de dire que tous ceux qui comme nous ont apporté et continuent à apporter leur dévouement à nos objectifs communs sont perdus, ce serait ridicule et stupide. Mais Lutte Ouvrière, telle qu’elle est aujourd’hui […] ne peut plus avoir les initiatives qui permettraient à toutes les volontés qui veulent apporter leur pierre à la construction de ce parti de se retrouver, quels que soient leur passé politique, leur cheminement, les étapes de leur prise de conscience, leur niveau actuel de conscience, au coude à coude, dans un cadre qui permette à chacun de donner le meilleur de lui-même ". Rien dans la politique actuelle de la direction de Lutte Ouvrière ne peut nous faire changer d’avis, malheureusement. La tâche demeure cependant, plus urgente que jamais, et nous pensons que tous ceux qui s’étaient reconnus dans la campagne d‘Arlette Laguiller en 1995 et dans son appel à la construction d’un parti des travailleurs, n’ont aucune raison d’abdiquer. Ils peuvent se donner les moyens de peser et d’agir sur le cours des choses et bien évidemment, sur l’évolution de l’ensemble des militants qu’ils côtoient.

Cela suppose que les plus avancés fassent les premiers gestes pour aider à impulser un mouvement qui correspond aux besoins de bon nombre de militants. C’est pour agir dans ce sens que nous souhaitons nous rapprocher des camarades de la Ligue Socialiste des Travailleurs comme de la Gauche Révolutionnaire ou continuer d’entretenir des relations de discussion et de confrontation avec les camarades de la minorité de LO ou de la tendance R! de la LCR. Ces premiers pas ne seront pas sans suite ni sans effet sur les militants de toutes les tendances dont toute l’activité est limitée, voire paralysée par le sectarisme hérité du passé. Dans le cadre des prochaines élections régionales, nous ferons ce qui est en notre pouvoir pour essayer que se constituent des listes d’opposition à la politique du gouvernement, affirmant la nécessité pour les travailleurs de se donner les moyens, tous ensemble, de préparer les luttes et un autre avenir. Nous le ferons partout où cela sera possible. Si, comme c’est le plus probable, Lutte Ouvrière se présente seule, au mépris de toutes les autres tendances, malgré ses calculs sectaires, nous appellerons à voter pour ses candidats, parce qu’ils seront de fait et indépendamment de ce qu’ils diront, les porte-parole de l’appel d’Arlette Laguiller à la construction d’un parti des travailleurs. Cela, bien sûr, sauf dans les départements où les anciennes sections de Lutte Ouvrière ont été dissoutes et où nous sommes les porte-drapeaux de cet appel.

Rien ne peut empêcher la vie de reprendre ses droits, la lutte d’imposer ses exigences. Des discussions, des confrontations actuelles et à venir naîtra l’irrésistible besoin d’unir toutes les volontés.

Echo d’une rencontre-débat du Parti communiste

Mercredi 19 novembre, nous avons participé à une rencontre-débat organisée par la cellule du P C de Bègles, une commune de la banlieue bordelaise. Les organisateurs avaient invité deux élus du Parti Communiste ainsi que trois universitaires dont un sociologue et un économiste. Nous étions un peu plus de 40 personnes, surtout des camarades du PC.

La réunion avait pour thème : " L’emploi, le chômage et la réduction du temps de travail ".

Deux camarades du PC ont d’abord pris la parole pour souligner l’ampleur du chômage et donner leur avis sur les moyens de le combattre. Parmi les mesures qu’ils proposaient, ils défendaient particulièrement la diminution du temps de travail, mais avec " augmentation du pouvoir d’achat ". Tous deux se posaient le problème de comment intervenir pour mettre en place ces mesures. L’un d’eux avançait la nécessité de se bagarrer dans les entreprises : " pour la diminution du temps de travail, le patronat ne veut rien savoir, donc il faudra imposer quelque chose. La loi cadre, elle est bien, mais elle est pour l’an 2000 et moi j’aurais aimé tout de suite. Il faut qu’on se batte dans les entreprises parce que même les politiques ne savent pas dans quelles entreprises on peut embaucher ".

La parole a ensuite été donnée aux universitaires. Chacun, au lieu d’apporter des réponses claires y est allé de son discours sur le capitalisme et le libéralisme aujourd’hui, se parant d’un semblant de théorie pour, au bout du compte, noyer le poisson… Nous sommes intervenus en évoquant d’abord ce que nous avons en commun avec les camarades du PC, la défense d’un camp social : celui des travailleurs, puis pour dire que pour mettre en place les mesures nécessaires, il faudra s’attaquer aux profits des patrons, qu’on ne pourra pas compter sur ce gouvernement mais sur nos propres luttes…

Les universitaires et les élus ont repris leurs discours, mais tous comme un seul homme sont alors devenus très concrets sur un point : le soutien à ce gouvernement, les uns évoquant la nécessité de faire preuve de réalisme politique, les autres d’insister sur la nécessité de lui donner du temps. Une élue précisait bien : " Tant qu’on parlera de compter ou pas compter sur ce gouvernement, on se trompe. Le problème est de voir comment on en fait un point d’appui. ". Et tous y sont allés de leur couplet pour enterrer les luttes de la classe ouvrière comme l’économiste qui affirmait : " Depuis les années 80, il n’y a plus de contestation donc le capital peut tout se permettre " ou encore le sociologue qui réfutait le mécontentement que l’on rencontre actuellement chez les travailleurs en disant qu’" il ne faut pas faire dire au mouvement ouvrier ce qu’il ne dit pas ". Ils ont même affirmé plus directement : " Le mouvement ouvrier est mort "…

Durant la réunion, malgré la pression et l’intimidation imposées par la présence et l’attitude des universitaires et des élus, certains camarades du PC ont pris la parole pour rappeler leurs préoccupations et souligner à tous ceux qui veulent enterrer le mouvement ouvrier que ce sera par la lutte qu’on pourra défendre nos intérêts, comme un camarade de l’APEIS qui disait : " Je ne considère pas du tout qu’il faut attendre. C’est aujourd’hui qu’il faut rendre les coups. C’est notre intervention qui fera que la conjoncture sera en notre faveur ".

Renault : forcing à la flexibilité

Sur l’ensemble de ses usines, Renault a mis en place depuis plusieurs années des accords de flexibilité des horaires pour accroître ses productions en période de haute activité.

A Renault-Cléon près de Rouen, depuis le mois d’avril 1997, nous travaillons 21 minutes de plus par jour et les repas et une partie des repos ont été mis en fin de poste. Nous n’avons plus que 30 minutes de pause au lieu de 45, ce qui accroît la fatigue. Ces 21 minutes sont capitalisées dans une banque d’heures sous forme de dix jours de congés. La direction s’en octroie l’utilisation selon ses besoins. En conséquence, avec ce système, ce sont les salariés qui se paient eux-mêmes le chômage technique comme tout récemment lors du conflit des routiers pendant lequel certains secteurs étaient en manque de pièces.

A l’usine de Sandouville près du Havre, les chaînes de montage de la Safrane et de la Laguna ont des horaires en période haute qui vont pour l’équipe du matin du lundi au samedi inclus de 5 h 30 à 13 h 08. L’équipe du soir travaille cinq jours de 13 h 08 à 21 h 46, soit des journées de 8 heures et 38 minutes sans manger car comme à Cléon, le temps de repas est placé en fin de poste.

Dernièrement, c’est à l’usine de Douai dans le nord où sont montées les Mégane et les Scenic que la direction a fait signer aux " partenaires sociaux " locaux, CGC, CFDT, FO, un accord de flexibilité aggravant celui mis en place en 1992. Ce dernier avait déjà rallongé de trente minutes par jour les horaires de travail. Celui de 1997 prévoit encore cinq minutes de plus pour l’équipe du matin et douze samedis de travail obligatoire non payés pour le secteur de la Mégane en échange de 17,5 jours de congés supplémentaires. Des syndicalistes ont calculé que Renault récupère ainsi 13,5 jours de production en ne payant pas les différentes majorations en heures supplémentaires. Au total, ce serait près de 32 jours qu’elle devrait aux travailleurs de Douai au lieu des 17,5 jours. Dans le secteur de la Scenic, la direction utilise d’autres moyens sous prétexte de faire face à la demande commerciale. L’équipe du soir finit vers 23 h au lieu de 20 h 35 pour le reste de l’usine. Renault prévoit même l’embauche de huit cents jeunes en CDD pendant sept mois. Leur salaire sera de quatre mille francs par mois pour 17 heures de travail par semaine en équipe de nuit.

En fait, les travailleurs de l’usine de Douai subissent de plein fouet les répercussions de la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde en Belgique qui fabriquait aussi des Mégane, fermée fin juillet 1997 avec la complicité du gouvernement Jospin.

Cela se traduit directement par une aggravation des conditions de travail à Douai comme dans tout le groupe Renault.

Extraits de bulletins d'entreprises

Extrait du bulletin " Voix des Travailleurs " de la raffinerie TOTAL du Havre

MARIAGE ROYAL

Les deux gros trusts pétroliers B.P. et MOBIL ont fusionné leurs activités de raffinage et distribution en Europe. Cette fusion se traduit par des restructurations dans les raffineries et dans leurs réseaux de distribution.

Rien qu’au niveau de la production de lubrifiants, ce sont 460 emplois qui seront supprimés dont 235 par la fermeture d’une raffinerie au pays de Galles, 80 à la raffinerie

B.P. de Dunkerque et 50 à la raffinerie Mobil de Notre Dame de Gravenchon.

Le mariage de leurs patrons coûte très cher aux travailleurs de ces sites. Ils n’ont pas à payer par un surplus de précarité le parasitisme des capitalistes de l’or noir. Tout comme leurs patrons, leur intérêt est de se mettre ensemble et de s’unir eux aussi pour contrer ces plans.

Extrait du bulletin " LUTTE DES TRAVAILLEURS " du Centre Hospitalier du Rouvray près de Rouen édité par des militants de la Gauche Révolutionnaire et de Voix des Travailleurs.

BUDGET SLIM FAST POUR 1998

La conférence des directeurs des CHG a annoncé que le budget qui avait été adopté pour 1997 (1,25 % en dessous de l'inflation) se traduit par la perte de 10 000 emplois, aucune rallonge budgétaire n'est prévue.

Pour 1998, l'objectif de progression des dotations budgétaires (2,2 %) retenu dans le projet de loi de finances de la sécurité sociale va encore aggraver la situation. Dans l'hôpital, on sait déjà que le blocage total du recrutement que l'on craignait tant depuis un ou deux ans est maintenant à l'ordre du jour pour 98. Quand on sait que les SROSS (schéma régional d'organisation sanitaire social) psy sont en préparation, quand on sait qu'avec les ordonnances Juppé l'agence régionale de l'hospitalisation a tout pouvoir pour concrétiser les suppressions de moyens, de lits... Quand on sait que notre " cher " directeur Gaisset se permet déjà des réflexions sur certains moyens en trop au CHR... il y a vraiment de quoi s'inquiéter... et de quoi se préparer à défendre chèrement notre peau.

Extrait du bulletin " LUTTE DES TRAVAILLEURS " de Ralston à Caudebec-lès-Elbeuf (Seine-Maritime) édité par des militants de Voix des Travailleurs et de la Ligue Communiste Révolutionnaire.

UNE INFORMATION QUI EN DIT LONG

Sur un site informatique internet web, le syndicat américain AFL-CIO a créé une rubrique qui donne des informations sur les patrons de plusieurs centaines de grandes entreprises américaines.

L'usine Ralston de Caudebec-lès-Elbeuf dépend du patron américain William Stiritz, P D-G de Ralston-Purina-Company. Ainsi, quand on clique sur William Stiritz, on apprend que pendant l'année 1996, ce grand patron a touché 19 355 816 dollars (qui se décomposent en salaire, actions spéciales pour 96 et actions spéciales des années précédentes), ce qui, en francs, représente 106 456 988 francs (si on prend pour base 1 dollar = 5,5 francs).

Un salarié de chez Ralston gagne environ 85 000 francs en une année. Le calcul est simple. Le salaire annuel du P D-G de Ralston équivaut au salaire annuel de 1290 salariés de base. Impossible de nous faire croire que les inégalités se réduisent. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres sont de plus en plus pauvres. La lutte des classes est plus que jamais d'actualité.