éditorial



En menant une politique de droite la gauche gouvernementale sert de marchepied à Le Pen

Chevènement présente une loi qui préserve l’essentiel des dispositions réactionnaires des lois Pasqua-Debré. Mais tout comme la loi Guigou sur le Code de la Nationalité, la loi Chevènement sera votée. Certains députés de la gauche plurielle auront beau renâcler, ils auront le choix entre voter pour avec des réticences, s’abstenir, se faire porter pâle ou voter contre en s’assurant auparavant qu’ils ne sont pas trop nombreux à le faire afin que la loi passe quand même. Ces députés que Chevènement a appelés avec mépris la " petite gauche " expriment par leurs hésitations leur crainte des travailleurs. Car les travailleurs et en particulier ceux qui ont voté pour eux ne sont pas prêts à accepter leurs reniements. Mais ils se livrent aussi aux habituels marchandages parlementaires en vue des régionales. Le secrétaire du Parti Socialiste ne les a-t-il pas incités à bien voter s’ils veulent qu’eux ou leurs amis figurent en bonne position sur les listes de la gauche plurielle ?

Qu’ils hésitent ou pas à voter cette loi, il est souhaitable que l’hypocrisie des députés de " gauche " soit clairement perçue par tous ceux qui se préoccupent, non pas de l’avenir du gouvernement Jospin, mais de celui du monde du travail. Car pour préparer les luttes qui changeront le sort des travailleurs et des chômeurs, il va falloir nous délivrer de toute forme de solidarité avec ces gens-là.

Le ministre de l’Intérieur prétend que sa loi va assouplir les conditions du regroupement familial pour les immigrés et qu’elle va supprimer quelques " tracasseries inutiles " dans les procédures administratives. Mais ce que Chevènement va maintenir et même aggraver contre la partie immigrée de la population travailleuse, ce sont les mesures répressives, les " tracasseries utiles " aux yeux de l’Etat. Sur le terrain des mesures odieuses contre les immigrés, le gouvernement Jospin parachève ce que les gouvernements précédents avaient entamé. Il corrige les maladresses de la droite en la matière qui faisaient que, d’après Chevènement, des immigrés étaient à la fois " irrégularisables et inexpulsables ". Résultat 80 000 à 90 000 personnes " sans papiers " risquent fort d’être brutalement expulsées dans un pays de dictature où règne la faim et la misère.

En faisant passer des lois qui sont dirigées contre des travailleurs originaires d’autres pays, le gouvernement porte un coup contre toute la classe ouvrière. De façon indirecte, sournoise, il les montre du doigt comme responsables de plaies sociales dont la bourgeoisie est exclusivement la cause, par toute sa gestion désastreuse de l’économie et de la société. Il prend toutes les mesures, tous les décrets et toutes les lois susceptibles de plaire à ses maîtres bourgeois et susceptibles de dérouter, d’affaiblir et de diviser les travailleurs.

La gauche gouvernementale se présente comme ayant des projets de lois " équilibrés " pour qu’on ne la confonde pas complètement avec la droite et pour apparaître aux prochaines élections régionales comme un recours face au Front National. Dans les faits les gouvernants de gauche copient les gouvernants de droite. Depuis des années sous le prétexte de ne pas laisser ce terrain à Le Pen, tous les gouvernants de droite comme de gauche occupent avec plus ou moins de vergogne et d’insistance celui des préjugés nationalistes et xénophobes. La droite fait à nouveau de la surenchère sur le thème de l’immigration pour se refaire une santé électorale. Mais Le Pen vient de rappeler une fois de plus que personne ne l’imiterait impunément en réaffirmant aux côtés d’un ancien SS que les crimes du nazisme ne sont qu’un " détail ".

Le Pen laisse la droite et la gauche se déconsidérer et il attend pour ramasser la mise. Ses déclarations répugnantes donnent un avant-goût de ce que lui et ses semblables imposeraient à toute la société si les travailleurs ne rassemblaient pas leurs forces à temps. Le Front National est une carte dans la manche des capitalistes, une carte qu’ils abattront sans hésiter quand ils seront contraints par la pourriture de leur système à nous mener une guerre totale. Ils supprimeraient toutes les libertés démocratiques et en premier lieu les libertés syndicales. Le SMIC pourrait alors être abaissé au niveau du RMI et la semaine de travail passer à 50 heures tandis que les chômeurs seraient plus nombreux avec des indemnités diminuées, voire supprimées.

Prétendre comme le font tous les politiciens qu’il y a un problème de l’immigration n’est pas seulement une imbécillité mais un leurre qui cache un piège mortel pour les travailleurs comme pour toute la société. Il n’y a qu’un seul et unique problème : c’est celui de l’exploitation capitaliste qui se perpétue et qui entraîne toute l’humanité à sa perte. C’est à nous travailleurs de résoudre ce problème.

Nous en avons la force à condition de rejeter tous ces préjugés racistes et nationalistes avec lesquels les patrons et les politiciens à leur service voudraient nous diviser et nous paralyser. Nous pouvons résoudre tous les problèmes sociaux, ceux du chômage, de l’exploitation et de la misère qui en découle. Pour cela, quelle que soit notre origine, nous devons nous rassembler, nous organiser, avoir notre propre politique et construire notre propre parti, fondé sur les idées socialistes, communistes et internationalistes.

Les 35 heures, prétexte à des attaques antiouvrières du patronat secondé par le gouvernement

Le projet de loi sur les 35 heures a été présenté en Conseil des ministres. Il a donné lieu de la part du patronat et du gouvernement à un chassé-croisé de déclarations qui voudraient donner l'impression que l'un et l'autre continuent à se livrer une bataille acharnée à propos des 35 heures. Mais il n'en est rien : les 35 heures sont un prétexte qui permet au patronat de dicter sa loi au gouvernement et de mener de nouvelles attaques contre les travailleurs.

" Tout le monde ne chausse pas du 35 " : des coups de pied au derrière qui se perdent...

Jean Louis Beffa, PDG de Saint Gobain a déclaré : " le CNPF gémissant c'est fini , on a reçu une claque. Cela nous a fait retrouver notre dignité ". Mais dans les états généraux convoqués par les patrons pour manifester leur opposition aux 35 heures, ce ne sont que plaintes et lamentations résumées dans ce slogan infantile " tout le monde ne chausse pas du 35 ".

Avec ce concert de récriminations, les patrons font monter les enchères pour obtenir du gouvernement des cadeaux supplémentaires.

Le gouvernement Jospin : des larbins du patronat

Le patronat proteste-t-il contre le seuil de salariés fixé pour l'application de la loi ? Martine Aubry fait passer le seuil d'application des 35 heures en l'an 2000 de 10 à 20 salariés. Cela représente la possibilité pour 1 800 000 petites entreprises qui emploient 37 % des salariés du secteur privé de n'appliquer la loi qu'en janvier 2002.

Le patronat se plaint-il que les 35 heures augmenteront les coûts salariaux de 11 % ? Le gouvernement s'empresse de prouver qu'avec les aides gouvernementales, les patrons feront une bonne opération financière. Ainsi, une entreprise de 100 salariés touchant le SMIC ferait au bout de cinq ans un gain de 665 000 F. Il est facile d'imaginer le pactole que représente une telle mesure pour des groupes qui comptent des milliers de salariés ! Pas étonnant que dans le sondage commandé par le CNPF où 85 % des patrons s'affirment hostiles aux 35 heures, 32 % se disent prêts à les mettre en application et à bénéficier des aides gouvernementales ! Et pour ceux qui se refuseraient à appliquer les 35 heures, tout sera comme avant. S'ils continuent à faire travailler les salariés 39 heures par semaine, la majoration en heures supplémentaires sera au maximum de 25 % et Jospin a déclaré : " nous préservons la possibilité de réexaminer la majoration de rémunération des heures supplémentaires si la situation économique l'exigeait ".

Le patronat exige la flexibilité et la baisse des salaires et le gouvernement est prêt à imposer ces mesures antiouvrières

Mais cela n'est pas assez pour le patronat. Le PDG de Saint Gobain annonce clairement la couleur : " pour ma part, si la référence à l'annualisation n'est pas inscrite dans le texte, je n'ouvrirai pas de négociations ".

Les députés socialistes ne demandent qu'à exaucer les vœux patronaux : Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée a précisé que la loi sur les 35 heures devait " ouvrir des possibilités vers l'aménagement du temps de travail ". Comme le dit Ernest Antoine Seillière, futur patron des patrons : " Ne désespérons pas. Tant que la représentation nationale ne s'est pas prononcée, il reste de l'espoir "...

Le patronat s'en prend aussi aux salaires. Aux états généraux convoqués par l'Union patronale de Paris, le PDG d'une PME a déclaré " si les 35 heures seront payées 39 pour mes salariés actuels, elles ne le seront pas pour ceux que je pourrais embaucher par la suite " projet soutenu par Strauss Kahn qui a déclaré que l'application des 35 heures " devra s'accompagner non seulement de gains de productivité mais aussi, le gouvernement l'a exprimé très clairement, d'un effort soutenu de modération des salaires ".

Face aux attaques du patronat, avec toute l'aide du gouvernement, les travailleurs doivent mener la bataille sur leur propre terrain

Bien des travailleurs se rendent compte de ces manœuvres. La mise en avant des attaques patronales a pour but de déclencher chez eux un réflexe de solidarité à l'égard du gouvernement, mais ils sont lucides sur les intentions des uns et des autres.

Selon un sondage, 69 % des salariés sont en faveur des 35 heures : comment pourrait-on en refuser le principe si elles n'entraînaient pas d'aggravation des conditions de travail ? Mais les conditions dans lesquelles patrons et gouvernement vont les appliquer ne trompent guère : pour 55 % des salariés interrogés, les 35 heures n'auront aucun effet sur l'emploi.

La " gauche plurielle " et certaines organisations d'extrême gauche qui participent à " des collectifs pour les 35 heures " disent qu'il faut amender les projets du gouvernement, imposer les 35 heures sans réduction de salaires. Bien sûr, il serait important d'imposer de telles revendications. Mais ce qu'il faut surtout, c'est mettre en avant nos propres objectifs et ne pas se cantonner au terrain choisi par le gouvernement et le patronat.

Pour lutter contre le chômage, nous aurons à nous battre pour imposer nos propres solutions : l'interdiction des licenciements, notamment dans les entreprises qui font des profits et qui licencient, et la répartition du travail entre tous en instaurant un véritable contrôle sur l'économie et en imposant aux patrons que l'économie soit gérée en fonction de nos intérêts. Cela passe par une rupture complète avec un gouvernement qui sert le patronat et par la claire conscience de nos objectifs et des moyens politiques de les défendre.

Alléluia, voilà Toyota !

" Cocorico ", c’est " la victoire de la sous-préfecture du Nord " sur 70 concurrents européens. Les journaux " tricolorent ", chacun y va de son " Yokodo " (bienvenue), les politiciens se congratulent, le maire communiste d’Onnaing pavoise. Leur chauvinisme exalte les atouts du Valenciennois et les " qualités et performances de la main d’œuvre " qui ont convaincu le 3ème trust mondial de l’automobile, Toyota, de construire sa deuxième usine européenne à Onnaing dans le Nord.

Chacun veut sa part dans ce qui serait une grande victoire pour l’emploi. Chirac, vieil ami d’Hiroshi Okuda, le PDG de Toyota, s’est empressé de le recevoir à dîner, tandis que Jospin devait se contenter d’une entrevue pour signer les accords. Bafouillant d’émotion aux côtés d’une si riche fréquentation, Jospin le rebaptisa " cher monsieur Toyota ". Okuda, on s’en doute, ne se vexa pas. Tout aussi chauvins, mais du point de vue des constructeurs français, quelques dirigeants syndicaux ont entonné, au nom de l’emploi, l’air de " l’intérêt économique national ", craignant que Peugeot et Renault ne souffrent de cette concurrence. Mais de toute façon, les services de l’Elysée et de Matignon avaient prévenu : " sur un dossier d’une telle importance, la France n’a qu’une voix ".

Une voix pleine d’arguments doux à l’oreille de n’importe quel capitaliste et qui a su séduire les actionnaires de Toyota.

D’abord bien sûr, les subventions. Il est encore difficile pour l’instant de savoir précisément combien touchera Toyota. Le gouvernement, peut-être pour ne pas froisser le patronat national, déclare que les subventions seront limitées, pas plus de 500 millions paraît-il. Mais pour une usine qui doit coûter 4 milliards, cela représente déjà un huitième du total ! Pour les dirigeants de Toyota, à la tête d’un trésor estimé à 140 milliards de francs, c’est toujours ça de pris. Et ce n’est pas tout… car le Valenciennois qui compte près de 23 % de chômeurs est classé région " Objectif n°1 " par la Communauté Européenne, aussi les entreprises qui s’y installent peuvent prétendre à des subventions européennes.

Le second " atout " de la région, c’est qu’y sont déjà produites 500 000 automobiles par an (les Renault Mégane à Douai, Renault Kangoo à Maubeuge, et monospaces Peugeot et Fiat à Sévelnord). 38 000 personnes travaillent chez une soixantaine d’équipementiers, les sous-traitants permanents de l’automobile, ce qui donne des possibilités incomparables pour le flux tendu, le " livré juste à temps ", un des piliers du " toyotisme ". De plus, toutes les infrastructures pour les livraisons et départs sont à portée de camions, autoroutes, tunnel sous la Manche, réseau ferré à grande vitesse, et les grands ports du nord de l’Europe sont à moins de 250 km. Dans ce même rayon qui comprend Londres, Rotterdam, Paris et Cologne, les dirigeants de Toyota voient des millions de consommateurs potentiels pour les 150 000 voitures par an prévues, lorsque l’usine sera construite.

Mais une des raisons principales de l’installation de Toyota est sans doute la situation de l’emploi et des salaires dans la région. Il y a plus de 28 000 chômeurs dans le Valenciennois, alors déjà les candidatures affluent à l’ANPE. Le directeur de l’agence locale déclare qu’il y a " un espoir qu’il ne faut pas décevoir ", et il promet lui aussi d’aider Toyota de son modeste concours financier : pour que les cadres sachent parfaitement l’anglais, l’ANPE financera " des modules de formation. Il faut que la main d'œuvre disponible réponde aux souhaits de l'entreprise ". De son côté, le député-maire de Valenciennes, Borloo, parlant des dirigeants de Toyota, reconnaît qu’" ils n’ont pas été insensibles au fait que le coût de la main d’œuvre dans le secteur métallurgique en France est particulièrement bas ", conséquence des vingt années de guerre menée contre les travailleurs par les patrons de la sidérurgie, à coup de licenciements massifs et de fermetures d’usines. C’est cette politique du chômage massif qui exerce sa pression sur l’ensemble des travailleurs qui fait qu’aujourd’hui, les coûts salariaux ouvriers sont inférieurs en France (97 F de l’heure en moyenne en 1995 avec les charges) à ce qu’ils sont en Allemagne (159 F), en Belgique (135 F) et aux Pays-Bas (121 F), mais aussi au Japon (118 F), contrairement à ce que pourraient laisser croire les incessantes jérémiades du CNPF sur la cherté du travail.

Le gouvernement de gauche peut s’agenouiller pour remercier la richissime multinationale, il peut chercher à profiter de l’espoir créé par la perspective de 2000 emplois nouveaux (lorsque l’usine sera construite) dans une région ravagée par le chômage, mais il ne peut lever l’inquiétude que la CGT locale exprime, car personne n’oublie qu’il se pourrait que " Toyota ne dure que le temps de l’exonération fiscale pour disparaître comme JVC, Panasonic, Gründig ou d’autres ".