éditorial



La lutte contre le chômage et les capitalistes qui en profitent doit être l’affaire de tous les travailleurs

La semaine dernière, le gouvernement a cru pouvoir se débarrasser du mouvement des chômeurs en concédant des miettes sur le plan financier, en recevant les porte-parole de leurs associations à Matignon et en envoyant les flics évacuer les antennes d’Assedic occupées. Il a fait chou blanc sur toute la ligne mais il a révélé son vrai visage. " La gauche plurielle est peut-être plurielle mais elle n’est pas de gauche " s’est écrié un chômeur en lutte. Cette vérité s’impose avec de plus en plus d’évidence parmi les travailleurs qui ne se faisaient déjà pas beaucoup d’illusions sur Jospin mais constatent qu’il agit fondamentalement comme l’aurait fait Juppé s’il était resté en place.

Les travailleurs sans emploi n’ont pas été dupes du milliard lâché par Jospin pour le fonds social d’urgence, une somme dérisoire en fait, qui ne peut rien changer au sort des 500 000 chômeurs en fin de droits. Ils ont constaté avec colère que le gouvernement refusait de relever les minima sociaux. Ils ont vu que son sens du " dialogue social " n’était qu’une manœuvre hypocrite quand les CRS ou les gardes mobiles les ont expulsés sans ménagement. Face à des travailleurs en lutte, qu’ils soient chômeurs ou chauffeurs routiers, la " méthode Jospin " se réduit à des procédés très ordinaires de gouvernement, combinant les discours pour tromper au recours à la police.

Cela a commencé à provoquer la juste indignation, non seulement des chômeurs en lutte, mais de quelques milliers de salariés et de retraités de gauche qui ont manifesté depuis à leur côté dans tout le pays. Ce sont des faits qui indiquent dans quelle direction tous les travailleurs doivent s’orienter. Notre solidarité pleine et entière s’impose avec les chômeurs en lutte.

Nous sommes tous cernés par le chômage qui frappe nos frères et soeurs, nos enfants, nos parents ou nos amis. Nous connaissons tous d’anciens collègues de travail qui pointent maintenant à l’ANPE. Et nous savons pertinemment que chacun d’entre nous peut se retrouver dans leur situation à la suite d’une maladie, d’un licenciement individuel ou collectif. Même ceux d’entre nous qui disposaient jusqu’alors d’un emploi stable savent bien que l’Etat veut rendre tous les statuts précaires.

Nous ne pouvons pas laisser les chômeurs se battre seuls car cela aurait des conséquences graves pour nous tous. Les travailleurs sans emploi n’ont pas, à eux seuls, les forces pour faire reculer notablement le gouvernement et le patronat, afin d’obtenir le relèvement des indemnités et des minima sociaux et surtout, un emploi digne de ce nom. S’ils se retrouvaient isolés, s’ils avaient l’impression d’être oubliés ou négligés par les travailleurs qui disposent encore d’un emploi, leur lutte serait sans perspective. Cela alimenterait leur amertume, voire leur désespoir et le recours à des formes de luttes vouées à l’échec.

Le fléau social qu’est le chômage a une cause très simple. Les patrons et les hommes d’affaires ont maintenu et développé leurs profits en grande partie grâce au chômage, en le créant et en l’amplifiant. Dans leur guerre contre les travailleurs, ils veulent encore l’accroître. Les contradictions de leur système économique pourri les y poussent. Ils vont faire pression dans l’avenir pour que les indemnités de chômage et les minima sociaux soient réduits et même, si possible, supprimés. Et cela pour nous acculer à accepter partout n’importe quel salaire et n’importe quelles conditions de travail.

Nous avons collectivement la force de contrer leur offensive et même de supprimer le chômage. Mais il nous faut changer notre façon de percevoir les dirigeants de la gauche plurielle et tous les dirigeants syndicaux qui leur emboîtent le pas. Ces gens-là viennent de se démasquer par leurs actes et par leurs déclarations. Jospin a pris la pause martiale de l’homme d’Etat " droit dans ses bottes " pour affirmer qu’il n’y aurait ni " inflexion " ni " tournant " dans sa politique économique. Ce sont des déclarations qui ne peuvent que plaire au CNPF même si par ailleurs le patronat fait du tapage sur les 35 heures pour obtenir encore plus de concessions de la part du gouvernement. Le ministre " communiste " Gayssot et la ministre des Verts Voynet ont approuvé la manière forte de Jospin contre les chômeurs. Ils sont tous du côté du manche, du côté des riches, des nantis, des profiteurs du chômage. Quelles que soient leurs contorsions, les députés de gauche et les dirigeants syndicaux sont de mèche avec eux. Ceux de FO et de la CFDT ont calomnié le mouvement des chômeurs. Quant à Viannet, le dirigeant de la CGT, il a applaudi bruyamment les concessions minables de Jospin aux chômeurs.

La balle est dans notre camp. Le mécontentement monte dans toute la population travailleuse et il faut qu’il s’exprime de façon utile et efficace. Nous devons nous donner des objectifs clairs pour faire disparaître le chômage : l’interdiction des licenciements, la répartition du travail entre tous, la réquisition des entreprises qui licencient et le contrôle des comptes de toute la bourgeoisie. Nous devons nous donner les moyens d’atteindre ces objectifs en luttant au coude à coude avec les chômeurs, en renforçant nos organisations syndicales et en jetant les bases d’un parti pour mener nos luttes, ensemble et jusqu’au bout.

La dégradation des salaires de l’ensemble des travailleurs, produit de l’offensive des patrons

Des études et des rapports officiels récemment publiés témoignent de la dégradation des salaires ces dernières années. Bien sûr, ces rapports ne sont qu’un reflet bien atténué de la réalité mais tous aboutissent à la même conclusion : un recul important et généralisé du pouvoir d’achat des salariés dans les années 90.

Les patrons se servent de la pression du chômage pour imposer des salaires de misère

Un rapport du ministère du Travail révèle qu’un salarié sur six gagne moins de 4867 F net et qu’un salarié sur dix gagne moins de 3650 F. En quinze ans, le nombre de travailleurs touchant de très bas salaires a doublé, passant de 5 à 10 % des salariés.

C’est le travail à temps partiel qui est la cause de cette dégradation. Plus des trois-quarts des très bas salaires sont dus à cette baisse du temps de travail qui dans 85 % des cas est imposée aux salariés : au début des années 80, 8 % des salariés travaillaient à temps partiel, en 1997, 17 % des salariés. Ce sont les femmes qui en sont les premières victimes. Dans les secteurs où la main d’œuvre féminine est très importante, les patrons imposent le plus grand nombre d’emplois à temps partiel et de bas voire de très bas salaires : 36 % des employées et 19 % des ouvrières qualifiées n’ont pas de salaire complet.

Quant aux jeunes salariés, leur sort est significatif du changement profond de la situation sociale que nous vivons aujourd’hui. Si pendant des années, les travailleurs pouvaient espérer une lente amélioration de leurs conditions de vie et de travail, cette illusion ne peut plus s’appuyer sur aucune réalité. Un rapport de l’INSEE en témoigne : " hier un fils de 30 ans pouvait couramment gagner plus que son père sans que ce dernier ait jamais vu son salaire diminuer. Aujourd’hui le salaire du père est presque toujours supérieur à celui du fils ". Dans les années 70, la rémunération de la tranche d’âge de ceux qui avaient trente ans était de 25 % inférieure à celle de la tranche d’âge la mieux payée : celle des 40 ans et plus. Aujourd’hui, cet écart dépasse les 50 % aussi bien dans le public que dans le privé. Le salaire moyen des débutants qui était de 35 % inférieur au salaire moyen de l’ensemble des salariés en 1991 est aujourd’hui inférieur de 45 % et se monte en moyenne à 5876 F mensuels, à peine plus que le SMIC.

Une dégradation qui touche l’ensemble des salariés.

La guerre des patrons pour imposer des baisses de salaires a aussi affecté les travailleurs qui ont des emplois à temps complet. Pour 1996, une enquête de l’INSEE établit que la baisse du pouvoir d’achat pour les ouvriers, employés et cadres est de 1, 3 % .

Cette baisse du pouvoir d’achat est due à l’accroissement des charges sociales qui sont passées de 8,7 % du salaire brut en 1975 à 21 % (CSG comprise) en 1997 ! Mais pas seulement : sur la période 1990-1996, un salarié sur quatre, parmi les salariés n’ayant pas changé d’employeur et travaillant à temps plein, a vu sa rémunération baisser. Le plus souvent par suite de la suppression ou de la diminution des primes qui étaient un complément substantiel du salaire de base.

Cette baisse des salaires permet aux patrons de faire pression sur les travailleurs pour leur imposer des heures supplémentaires qui, de plus en plus nombreuses sont de moins en moins payées. Dans les petites entreprises, dans les secteurs du bâtiment et de la restauration où elles sont les plus nombreuses, elles représentent en moyenne 10 % du salaire. Les quelques barrières légales sont bafouées : les patrons ne demandent quasiment jamais d’autorisation administrative pour des dépassements d’horaires. Les abus patronaux sont tels que dans certaines entreprises, ce sont les salariés qui ont réclamé le retour des pointeuses, pour qu’un contrôle soit exercé sur le nombre d’heures travaillées.

Cette offensive menace l’ensemble de la classe ouvrière, mais elle crée aussi les conditions qui rendent nécessaire que le monde du travail unisse ses forces.

Des krachs en cascade en Asie à la chute des bourses occidentales, l’extension mondiale de la crise

En fin de semaine dernière, la Bourse de Djakarta, capitale de l’Indonésie, a chuté de 12 % tandis que la monnaie, la roupie, perdait 27 % en une journée, soit une chute de 50 % par rapport au dollar en une semaine. Après la Corée, c’est le pays le plus peuplé d’Asie du Sud-Est qui est emporté dans la tourmente financière. Dirigée par un dictateur, Suharto, venu au pouvoir en 1965 après avoir fait massacrer plusieurs centaines de milliers de communistes, de travailleurs, l’Indonésie est confrontée à une crise économique et politique encore plus aiguë que celle qu’affronte la Corée. C’est d’ailleurs une bravade du dictateur qui s’est cru assez puissant pour défier le FMI qui a provoqué le krach de la fin de semaine. Méprisant les conseils de ses patrons, il avait annoncé un nouveau budget en misant sur une croissance de 4 %, et une quasi stabilité de la monnaie… Il avait oublié que les pires dictateurs ne peuvent dicter leur volonté aux événements et surtout pas au FMI ni aux financiers aux intérêts desquels ils doivent se plier. La sanction a été immédiate : crise de confiance, retrait des capitaux, chute de la Bourse et de la monnaie qui ont vite ramené le dictateur à plus de compréhension à l’égard de ses maîtres.

Dans le sillage de l’Indonésie, les Bourses de Hong Kong et de Singapour ont plongé et en début de semaine la principale banque d’investissement de Hong Kong, Peregrine, était mise en liquidation. " Les investisseurs craignent que cette situation ne provoque des faillites en chaîne car, dans de nombreuses entreprises locales endettées en dollars, le risque de change n’est toujours pas couvert " écrivait un commentateur. En effet, plus les monnaies locales sont dévaluées par rapport au dollar, plus la dette s’alourdit puisqu’elle est libellée en dollars. Par le simple jeu de l’effondrement des monnaies, les USA s’enrichissent étendant la main mise du dollar sur chaque jour un peu plus de richesses.

L’effondrement financier aggrave ce qui était au départ de la crise, le ralentissement de la production, la diminution des échanges. Déjà il y a une baisse de la demande, une concurrence plus dure, pour un même marché celui de l’Asie, et le marché américain. Tous ces pays sont en effet des sous-traitants des USA.

Il y a ainsi un effet cumulatif, la crise financière se nourrit d’elle-même par la dévaluation des monnaies qui alourdit la dette des pays comme des banques et entreprises, tandis que la production et le commerce reculent.

Et la crise s’approfondit. Le yen, la monnaie japonaise, ne cesse de se dévaluer par rapport au dollar malgré l’intervention de la banque du Japon. " Je protégerai sans aucune réserve le système financier en prenant toutes les mesures envisageables pour rétablir la confiance tant au Japon qu’à l’étranger " a déclaré le premier ministre japonais plus prudent que le dictateur indonésien. Mais de simples déclarations n’y suffiront probablement pas. La chute du yen renforce le Japon dans sa concurrence avec les Etats-Unis qui s’en inquiètent et ne cessent de lui demander de s’occuper de l’Asie, mais cette chute le rend très fragile et dépendant.

Cette compétitivité plus grande des pays d’Asie sur le marché mondial se traduira par une diminution des exportations américaines et contribue à un ralentissement de l’économie. C’est ce qui se passe déjà de façon sensible en Angleterre et atteindra demain le reste de l’Europe. Cela explique que la chute des Bourses asiatiques s’est répercutée sur l’ensemble des places financières occidentales.

" L’ère de la hausse du marché est finie, les investisseurs resteront très inquiets tant qu’une solution ne sera pas trouvée aux problèmes d’Asie " disait un financier. Sauf que ce n’est pas le problème de l’Asie, mais celui du capitalisme mondial qui plonge dans la crise. La crise a commencé là où les déséquilibres étaient les plus aigus, mais le déséquilibre entre la masse de capitaux sans cesse croissante à la recherche de profits à court terme et la stagnation de la production est mondial. Personne ne sait quel sera le nouveau point d’équilibre, et s’il y en a un. La seule certitude est l’internationalisation du krach.

La hausse du dollar fragilise les autres pays d’Asie dont la Chine sur laquelle ne manquera pas de se répercuter la récession qui touche les autres pays. Sans doute est-ce la prochaine étape du krach avant qu’il n’atteigne de plein fouet le Japon.

Trois millions de licenciements en Indonésie dans l’année qui vient selon le principal syndicat du pays viendront s’ajouter à ceux qui toucheront des milliers de travailleurs en Corée et dans les autres pays comme aux milliers de travailleurs immigrés expulsés. En Thaïlande, sous l’égide de l’armée, une véritable mobilisation " populaire " est organisée pour drainer dans les caisses de l’Etat les maigres biens de la petite bourgeoisie. Ce sont des millions de travailleurs, de petits artisans et paysans qui vont payer la faillite des classes dominantes corrompues. Elles sont au service de l’impérialisme financier, incapable de contrôler la marche aveugle et folle du système qui plonge le monde dans une crise chronique entraînant chaque jour des milliers d’hommes de femmes et d’enfants dans la misère. Il n’y a pas de réforme possible hors du contrôle des populations sur la marche de l’économie, hors de l’expropriation des expropriateurs.

" La mondialisation, c'est-à-dire l'interdépendance croissante des économies, rend plus que jamais nécessaire la prise en charge par la collectivité mondiale des risques que fait désormais courir à toute la planète une crise locale, nationale ou régionale. Faute d'un gouvernement mondial, une utopie encore prématurée... " écrivait le journal Le Monde. La seule collectivité mondiale capable de sortir le monde de la faillite du capitalisme, c’est la collectivité des masses opprimées, des travailleurs de tous les pays. Ce n’est pas une utopie, c’est la seule issue réaliste.