éditorial



Le gouvernement et le patronat veulent étouffer nos revendications. A nous travailleurs de les imposer, par notre union et par nos luttes

Les travailleurs et les chômeurs qui ont débrayé ou manifesté dans la rue mardi 27 janvier n’ont pas été dupes de la manœuvre des dirigeants syndicaux. Sans le clamer ouvertement comme l’ont fait sans vergogne des médias complaisants avec le gouvernement, les dirigeants syndicaux voulaient que ces manifestations soient centrées sur le thème des 35 heures pour soutenir la loi de Martine Aubry. Cela ne pouvait faire oublier le fait que Jospin a rejeté avec mépris le relèvement des minima sociaux de 1500 francs.

Selon lui, l’économie ne le supporterait pas. Ce serait du " maximalisme ". De quoi faire rire les milliardaires qui dépensent beaucoup plus en une soirée. Jospin n’a rien lâché sous prétexte de ne pas créer " une société d’assistance ". Il s’en tient à la société de profit. Du coup le président du CNPF, le baron Seillière a félicité Jospin en déclarant que ses propos " reflètent un véritable courage et une vision ".

Ce gouvernement a effectivement la même vision que le patronat, les financiers, les riches. Il épouse leur logique, il reprend leurs arguments, il est aux petits soins pour eux et pour leurs intérêts. Mais le mouvement des chômeurs continue à poser bien des problèmes à tous ces gens-là. Le gouvernement et tous ses supporters ont beau essayer de se rassurer en nous serinant que ce mouvement est très minoritaire, il est suffisamment vivant et dynamique pour démasquer leur hypocrisie.

En fait il y a déjà trop de chômeurs en lutte aux yeux du gouvernement qui aimerait bien les isoler et les faire rentrer dans le rang. Il craint que la sympathie actuelle de la plupart des salariés à leur égard se transforme en une solidarité active, massive sur des objectifs menaçant les intérêts des capitalistes et de tous les nantis.

Alors pour donner le change, pour faire oublier son arrogance, ses mensonges et son recours aux flics contre les chômeurs, le gouvernement essaie, en urgence, de se refaire une image de gauche. Il agite à nouveau le thème des 35 heures. Il veut ainsi détourner l’attention des travailleurs et des chômeurs sur un autre sujet pour que nos revendications fondamentales passent à la trappe. Le fin du fin pour les tacticiens qui dirigent le Parti socialiste et le Parti communiste serait de transformer un mouvement de contestation du gouvernement en un mouvement de soutien à ce même gouvernement qui serait attaqué méchamment par les patrons et la droite ! Les dirigeants de la gauche plurielle ainsi que les dirigeants syndicaux se prêtent à cette opération de diversion. Ils serrent les rangs autour du gouvernement Jospin en apportant un appui plus ou moins bien déguisé à la loi Aubry sur les 35 heures.

Les chefs du patronat participent avec plaisir à cette mascarade en jouant le rôle des opposants farouches au projet de loi sur les 35 heures. Ils savent très bien que la loi Aubry va leur donner pleine satisfaction, puisqu’elle va leur permettre d’obtenir des milliards d’aides supplémentaires, des baisses de salaires et le recours généralisé à la flexibilité et à l’annualisation.

Tout cela est déjà acquis par le grand patronat lequel, en riant sous cape, fait semblant de se fâcher tout rouge contre le passage aux 35 heures qui le prendrait à la gorge. La droite emboîte le pas au CNPF pour essayer de se refaire une petite santé électorale en vue des régionales. Quant aux secrétaires du PS et du PC, ils s’imaginent pouvoir ainsi, à peu de frais avoir les joues roses, se faire passer pour des gens de gauche, en brodant sur le thème des 35 heures.

Accommodées à la sauce Aubry qui est parfaitement au goût du patronat, les 35 heures ne peuvent que se retourner contre nous. C’est pourquoi nous ne devons pas hésiter à dire : " Non à la loi Aubry. Oui aux 35 heures sans diminution de salaire et sans flexibilité ". Dans tous les domaines, c’est à nous les travailleurs de définir quels sont nos besoins, de nous battre et de nous organiser pour imposer les mesures qui pourraient changer notre vie.

Tous les minima sociaux doivent être augmentés de 1500 francs. Il nous faut également exiger l’augmentation du SMIC de 1500 francs comme l’augmentation de tous les salaires pour qu’aucun ne soit inférieur à 8 500 francs.

Pour s’attaquer sérieusement au fléau du chômage et à la précarité, il faut imposer la diminution massive du temps de travail, bien au-delà des 35 heures, sans diminution de salaire, afin de répartir le travail entre tous.

Sur la base de ces revendications fondamentales, nous devons tous œuvrer à la construction d’une opposition ouvrière de gauche contre le gouvernement et le patronat, une opposition prête à s’en prendre au grand capital en mobilisant toutes les énergies du monde du travail.

Non à la loi Aubry, prétexte à imposer l’annualisation du temps de travail et la baisse des salaires !

C’est le 10 février que sera votée en grande pompe la loi Aubry " d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail ". Tout le tintamarre organisé par le patronat et la droite contre cette " loi autoritaire et antiéconomique " ne peut cacher son contenu réel.

La réduction du temps de travail à 35 heures est le prétexte à imposer la généralisation de l’annualisation du temps de travail déjà appliquée dans bien des entreprises aujourd’hui. Certes le gouvernement n’inclut pas l’annualisation dans le projet de loi mais il en reconnaît le bien fondé. Dans une interview à " l’Humanité ", Aubry a déclaré : " avec une durée hebdomadaire de 35 heures voire 32 heures, on peut accepter des variations d’horaires qui seraient insupportables à 39 ou 43 heures ".

Cette loi est aussi l’occasion d’imposer une baisse généralisée des salaires. Si Aubry a fait mine de donner des assurances à ceux qui touchaient le SMIC et des bas salaires que leurs salaires pourraient être augmentés, elle a aussi déclaré : " il est possible dans une négociation de prévoir des accords de modération pour les salaires moyens ou élevés ". D’ailleurs se met en place toute une campagne sur le thème " si l’on veut créer des emplois il faudra accepter des baisses de salaires ". Ces derniers jours ont fleuri toute une série de "simulations" faites par des organismes officiels qui tentent d’évaluer le nombre d’emplois qui seraient créés par l’application de la loi. Toutes ces enquêtes, commandées par le gouvernement, concluent en disant que le nombre d’emplois créés sera d’autant plus important que les salaires n’augmenteront pas.

A tout cela s’ajoute aussi - et ce n’est pas le moindre intérêt de cette loi pour le patronat - des milliards de subventions sous forme d’exonérations de charges sociales. Dès le départ, il a été prévu une prime dégressive de 9 000 à 13 000 F par salarié versée pendant cinq ans à ceux des patrons qui réduiraient le temps de travail à 35 heures et embaucheraient 6 % de salariés. Ces primes seront calculées non pas en fonction du nombre de nouveaux embauchés, mais de tous les salariés concernés par la réduction du temps de travail. Pour les entreprises comptant des milliers de salariés, c’est un véritable pactole. D’autant que l’obligation de créer ces emplois ne vaut que pour deux ans alors que les subventions sont prévues sur cinq ans.

Mais cela ne suffisait encore pas. Parmi la trentaine d’amendements acceptés par la Commission des Affaires sociales, il y a de nouveaux cadeaux pour les patrons. Ainsi Aubry a accepté un amendement du député Vert Noël Mamère sur l’instauration d’une majoration de 4 000 F pour les patrons qui passeraient à 32 heures même si c’est en deux étapes. Enfin les patrons qui exploitent le plus leurs salariés et leur paient les plus bas salaires auront droit à un cadeau spécial du gouvernement. Prenant la suite du plan textile qui a permis pendant des années aux négriers de la confection de bénéficier de milliards d’exonérations de charges sociales, Aubry a annoncé qu’elle envisageait d’appliquer un " dispositif d’allégement de charges supplémentaires dans le cadre de la réduction du temps de travail pour les entreprises de main d’œuvre ouvrière et de bas salaires " . Bénéficieraient de ces nouveaux cadeaux, les patrons des industries de l’ameublement, de la confection et du nettoyage, du BTP et certaines activités agro-alimentaires.

Quant aux répercussions de cette loi sur l’emploi, elles sont faciles à prévoir : comme ils l’ont toujours fait, les patrons prendront l’argent des subventions, appliqueront toutes les dispositions qui leur sont favorables mais ne créeront pas les 450 000 emplois promis par Aubry, ni les 200 000 prédits par Strauss Kahn, pas même les quelques dizaines de milliers dont parlait plus prudemment Hollande. Ils précariseront le travail, aggraveront les conditions de travail et de vie des salariés en imposant largement l’annualisation du temps de travail, feront des profits supplémentaires en baissant les salaires et en empochant les centaines de milliards de subventions que leur offre le gouvernement.

Le rapporteur socialiste du projet de loi, Jean Le Garrec a déclaré que la loi Aubry est " une grande chance pour les entreprises car elle constituera un levier important de modernisation et de réorganisation pour mieux affronter les nouvelles conditions de la concurrence. "

Prétendre changer dans un sens favorable aux travailleurs une loi conçue dans cet esprit et comportant de telles dispositions, comme le prétendent les dirigeants des centrales syndicales ou ceux du Parti communiste et des Verts, c’est mentir aux travailleurs. Faire croire qu’un gouvernement, qui multiplie les déclarations rassurantes pour les patrons après avoir tenu à l’égard des chômeurs les propos les plus brutaux, peut prendre sous la pression des salariés des mesures qui leur soient favorables, c’est délibérément tromper les travailleurs. Cette loi est faite pour les patrons, elle est l’occasion pour eux d’aggraver l’exploitation des salariés et tous ceux qui ont à cœur de défendre les intérêts du monde du travail, ne peuvent que la dénoncer.

Pour vaincre le chômage et améliorer les conditions de travail de tous les salariés, ce sont les 35 heures hebdomadaires et sans réduction de salaires qu’il nous faudrait imposer. Et les fantastiques progrès techniques réalisés ces dernières années permettraient de réduire de façon encore plus conséquente le temps de travail à condition de lier les luttes des chômeurs et des salariés, et d’instaurer une répartition du travail entre tous. Une telle mesure permettrait de créer des millions de postes de travail et de venir à bout du chômage. Cela ne pourra se faire qu’en s’en prenant aux capitalistes et au gouvernement qui défend leurs intérêts.

Affaire Dumas : de l'utilité pour les trusts de cultiver les liens personnels avec les hommes de l’Etat

Les juges d’instruction qui suivent l’affaire Elf viennent de faire perquisitionner les domiciles de Roland Dumas, actuellement président du Conseil constitutionnel, ancien ministre des affaires étrangères et proche de Mitterrand. Si Elf est en cause par le rôle dans cette nouvelle affaire d’un de ses directeurs, Alfred Sirven -en fuite aujourd’hui pour échapper à la justice- c’est cette fois le trust Thomson-CSF qui aura bénéficié d’une opération digne d’un roman policier.

En 1991, Thomson-CSF signe un contrat juteux de 14,6 milliards de francs avec Taïwan pour la vente de six frégates militaires équipées d’un matériel électronique dernier cri. Une affaire inespérée et délicate pour le trust : vendre des armes à Taïwan, c’est prendre le risque d’une crise diplomatique avec la Chine, avec laquelle l’Etat français veut préserver de bonnes relations.

C’est pour donner toutes les chances à Thomson-CSF, et ramasser une commission au passage, que Sirven propose au trust la médiation d’une société basée en Suisse servant, selon ses dires, de couverture au réseau Elf en Chine, capable d’amadouer le gouvernement chinois : un contrat est signé qui prévoit en cas de succès de l’affaire le versement d’une commission de 1 %, soit 150 millions de francs.

Or voilà qu’il apparaît que cette société n’a été pour rien dans la conclusion du contrat, et que ce serait plutôt du côté du gouvernement français que se serait réglée l’affaire. Au cours de leur enquête sur Elf, les juges d’instruction Eva Joly et Laurence Vichnievsky mettent en évidence le rôle d’une amie très proche du ministre des affaires étrangères de l’époque, Roland Dumas, que Sirven avait fait embaucher par Elf en 1989, en raison de ses relations. Christine Deviers-Joncour, qui devient alors chargée de mission d’Elf, touche un salaire de 55 000 F, bénéficie d’un appartement de fonction, et d’une carte de crédit débitée sur le compte d’une filiale du groupe en Suisse, dont elle use largement à raison de 150 000 à 200 000 F par mois. Et coïncidence curieuse, Christine Deviers-Joncour recevra de Sirven, par l’intermédiaire d’un autre agent d’Elf, 45 millions de francs peu de temps après que le contrat entre Thomson et Taïwan ait été signé. De là à penser que Roland Dumas serait aussi dans le coup, il n’y a qu’un pas.

Thomson-CSF, à qui tout de même le crime a profité, ne serait dans l’affaire que la victime d’une tentative d’escroquerie : fléchir le gouvernement chinois peu importe par quels moyens, passe encore. Mais un ministre du gouvernement français, ça non, on n’est pas la mafia russe, que diable ! Quant à l’implication dans cette affaire de cadres haut placés de ELF, elle est due pour l’essentiel à l’acharnement du juge d’instruction Eva Joly qui mène depuis plusieurs années une enquête ayant déjà abouti à l’inculpation de plusieurs des dirigeants du groupe. Des affaires qui bénéficient de la discrétion et de la délicatesse des grands moyens d’information à l’exception d’articles de temps à autres, comme celui du journal Le Monde qui a rapporté ces faits.

Mais le coin du voile ainsi soulevé laisse deviner le reste, les liens des trusts avec l’Etat, et leurs tripatouillages communs, qui accompagnent naturellement le pillage tout à fait légal que font les capitalistes du travail collectif par le biais de l’Etat.