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Sous prétexte des 35 heures, le gouvernement aide le patronat à imposer des mesures antiouvrières

Les déclarations des principaux responsables gouvernementaux à propos des trente cinq heures ont permis de préciser, s’il en était besoin, les véritables objectifs de cette loi : baisser les salaires et imposer la flexibilité.

Ce que pourrait être une réduction des salaires, Martine Aubry en a donné une application immédiate avec l’instauration du double SMIC : le SMIC horaire et le revenu minimum mensuel. Pour que la réduction du temps de travail ne s’accompagne pas d’une hausse du tarif horaire du SMIC, il y aura donc un revenu minimum mensuel pour ceux qui travaillent 35 heures et un SMIC calculé sur la base d’un taux horaire pour ceux qui continueront à travailler trente neuf heures. Les modalités d’application sont encore confuses mais une chose est claire : devant le gotha des capitalistes réunis à Davos, Strauss-Kahn a affirmé que le revenu minimum mensuel augmenterait moins vite que le SMIC horaire. Il y aura désormais deux catégories de smicards, ceux qui percevront le SMIC horaire et auront des augmentations dérisoires et ceux qui toucheront le revenu minimum mensuel et dont les augmentations seront encore plus dérisoires.

Toujours à Davos, où il était décidément en veine de confidence, Strauss-Kahn a déclaré que la loi sur les 35 heures allait permettre d’ouvrir la négociation " trop longtemps bloquée en France " sur la flexibilité. C’est le moyen d’adapter " le processus de production aux impératifs de la productivité " a-t-il déclaré. En clair, les patrons vont pouvoir, sous prétexte des négociations sur les 35 heures, imposer la flexibilité et l’annualisation du temps de travail.

Et la réflexion que fit, selon le journal " la Tribune ", un politicien conservateur français à l’oreille d’un PDG, " comprenez qu’il s’agit pour vous d’une occasion unique d’obtenir l’annualisation du temps de travail ", en dit plus long sur la portée réelle de ce projet de loi que toutes les simagrées d’Ernest-Antoine Seillière.

Juppé-de Robien , Jospin-Aubry : la continuité au service des patrons

Le ministère du Travail a fait une estimation des résultats de la loi Robien depuis octobre 96. Sur 1442 conventions " Robien ", 9600 embauches auraient été réalisées, 7900 emplois maintenus et 11 000 auraient été supprimés. La réduction du temps de travail a permis d’imposer l’annualisation dans de nombreux cas.

Le bilan est donc surtout positif pour les patrons qui, dans 40 % des contrats signés, ont imposé le gel ou la baisse des salaires tout en empochant des exonérations de charges sociales : 40 % la première année et 30 % les six années suivantes. Pour 1998, le coût des aides aux patrons se monte à 2,7 milliards. Cela fait cher l’embauche !

Cette loi a pourtant trouvé un supporter de marque en la personne de Jospin qui a visité une verrerie dans l’Oise où elle allait être appliquée… le 1er avril prochain. Cet accord est " triplement gagnant : pour l’entreprise, pour les salariés, pour les chômeurs " a dit Martine Aubry.

Mais si 80 salariés seront embauchés dans le cadre de l’accord, il y a des contreparties qu’Aubry n’a pas évoquées. Les salaires de tous les travailleurs de l’entreprise baisseront de 1 à 3 % et seront gelés pendant trois ans, ce qui représente une baisse du pouvoir d’achat de 5 à 8 %. La direction va profiter de l’aubaine pour mettre en place l’annualisation du travail, ce qui, selon un délégué CGT, pourra obliger certains salariés à travailler 56 heures d’affilée en sept jours. Enfin, les exonérations de charges sociales joueront à plein : le PDG de l’entreprise, Loïc Quentin de Gromard a déclaré que cela avait été un argument important dans la décision de signer l’accord. On s’en serait douté !

De Robien, lui, n’a pas apprécié l’appui que lui a apporté Jospin et le parallèle qu’il faisait avec sa loi. " C’est intellectuellement malhonnête " s’est écrié le député UDF. Pourtant, peu d’emplois créés, une baisse des salaires pour les travailleurs, la flexibilité imposée à l’ensemble des salariés, des milliards de cadeaux aux patrons, c’est la loi de Robien mais cela ressemble comme deux gouttes d’eau à la loi Aubry !

Quoi qu’en dise de Robien, Jospin est intellectuellement très honnête envers lui et surtout envers les patrons : il va prolonger et améliorer les dispositions mises en place par la loi précédente en imposant moins d’embauches et en distribuant encore plus d’argent aux patrons !

Toujours la !

Mercredi 28 a eu lieu une A.G à la Bourse du Travail de Bordeaux avec les syndicats CGT, SUD, et toutes les associations de chômeurs. Nous avons été plusieurs à dénoncer la tentative de détourner la manifestation de la veille en soutien aux 35 h de Aubry. Il faudra une réduction massive du temps de travail sans perte de salaire. Un camarade disant " il faut le relèvement de 1500 F pour les minimas sociaux et aussi pour les salaires… et pour imposer l’embauche il faut une opposition ouvrière résolue contre ce gouvernement et le patronat " a été applaudi par la majorité des présents au delà des étiquettes. Un bureau de travail unitaire est mis en place pour les prochaines actions.

Le jeudi, nous nous sommes invités à l’inauguration des nouveaux locaux de la FSL (logements sociaux) à Lormont où le maire socialiste a dit " nous comprendre "… Mais les promesses de logements pour des copains à la rue sont restées des promesses.

Vendredi, nous étions aux Assedic de Libourne, ville d’un autre " socialiste ", Gilbert Mitterrand. Nous avons pu vérifier que même les miettes débloquées pour les fonds d’urgence le sont au compte-gouttes : 10 dossiers traités en 15 jours, alors qu’en un jour nous avons aidé 85 chômeurs à en remplir et fait aussi annuler 12 coupures de fluide. Quand les travailleurs agissent d’eux mêmes, c’est plus rapide. En soirée, les CRS nous ont délogés en proférant des injures racistes à l’encontre d’un copain.

Samedi 31, nous étions plus d’un millier dans les rues de Bordeaux : sans-papiers, sans-travail, sans-toit et contre la venue de Le Pen. Le PS, ne voulant pas entendre les slogans hostiles à sa politique, défilait en queue de cortège

Occupation de la Chambre des Métiers lundi 2 février. Le président des petits patrons nous a fait un discours nous assurant de son soutien " humain " mais refusant de condamner le rôle de son organisme qui vote à l’Unedic avec le patronat.

Ce mardi, au tour d’Aquitanis (office public du logement) de nous voir arriver. La direction a voulu renvoyer le personnel en payant la journée, mais les employés ont décidé de rester et ont même versé à une collecte de soutien. La manœuvre pour monter les travailleurs et les clients contre notre lutte a donc échoué. Avant l’expulsion, nous avons dégusté des gâteaux tunisiens apportés par des habitantes de la cité. Demain, on remet ça !

Elbeuf : les chômeurs ne désarment pas

Au début de la semaine dernière, les chômeurs se sont rendus dans deux centres de formation gérés par des organismes locaux, l’INIREP et le CECOP, où certains d’entre eux sont en stage ; des stages dont ils voulaient dénoncer le caractère bidon tels que ceux où l’on apprend les techniques de recherche d’emploi, " à se vendre " comme on dit. Ces stages ne sont pas toujours rémunérés, et quand ils le sont, ça peut être à un niveau inférieur aux allocations ou indemnités qu’on percevait auparavant. Les chômeurs voulaient aussi protester contre l’attitude méprisante et injuste d’un directeur de centre, qui, pour faire pression sur les stagiaires qui participent au mouvement, s’est permis de décompter tout le week-end (soit trois jours de paye) à ceux qui prenaient leur vendredi ou leur lundi pour prendre part à une action ou à une manifestation organisée par le comité de lutte des privés d’emploi : " Si on ne vous voyait pas tout le temps à la une des journaux, vous auriez trouvé du boulot ! "

Le vendredi suivant, les chômeurs sont retournés à l’antenne ASSEDIC, d’où ils s’étaient déjà fait expulser par la police trois semaines avant. Ils demandaient qu’un employé - et un bureau - soient mis à la disposition de ceux qui viennent demander de l’aide pour remplir des dossiers de fonds sociaux. D’habitude, cela se fait au guichet, sans aucun respect de la confidentialité, alors qu’il y a des bureaux inoccupés. La direction a répondu par la négative et menacé de fermer l’ASSEDIC. Comme les chômeurs prenaient les gens qui entraient à témoin, l’antenne est restée ouverte, mais la direction a maintenu son refus de discuter et a fait appel à la police pour évacuer une fois de plus les lieux. En fin d’après-midi, les sans-emploi ont fait irruption avec leur banderole dans la salle où se tenait le Conseil Municipal. Les représentants de la gauche plurielle plongeaient la tête dans leur dossier pour ne pas avoir à répondre aux questions que les chômeurs, sans illusion quant aux réponses, leur posaient. De Tarlé, le leader FN local, est intervenu sous les sifflets et les huées des manifestants.

Le soir même, une réunion publique Voix des Travailleurs se tenait à Elbeuf, où militants révolutionnaires et chômeurs en lutte, une trentaine de personnes, en ont discuté largement. " Quand les chômeurs entreront dans les usines " , a dit l’un des intervenants, " non plus à quelques-uns mais par centaines, pour imposer les embauches, les patrons seront bien obligés de céder. " Un chômeur est intervenu pour rappeler que, pour les sans-abri, c’est encore plus difficile de se battre, et qu’il faudrait les aider à le faire. Un autre a exprimé le besoin que tous avaient de comprendre ce qui se passe, car c’est ça qui permet de se battre. " Il nous faut le ciment qui nous unira dans la lutte ".

Chômeurs, précaires, salariés : dans le Val de Marne, première expérience de coordination

Le " Collectif Val de Marne contre le chômage, la précarité et les exclusions " s’était constitué pour préparer la marche européenne à Amsterdam, en juin dernier, en regroupant les cinq collectifs AC! du département et l’APEIS ainsi que la CGT Rhône Poulenc de Vitry, Sud PTT, Sud Éducation, Sud Rail, la CFDT en lutte 94, le SNUI (impôts) et l’intersyndicale de la SFP. En septembre, il avait distribué un tract commun destiné aux salariés et aux chômeurs du département. Avec la mobilisation commencée en décembre, des chômeurs sont venus en plus grand nombre et le collectif a été aussi rejoint par le CRC-Sud de l’hôpital de Charenton et par une déléguée CGT de Carrefour.

Lors de la réunion du 21 janvier, cette camarade a fait une intervention remarquée. C’était la première fois qu’elle participait à une réunion hors du cadre strictement syndical. Après avoir dit l’importance qu’elle attache à l’unité des syndicats et des associations, elle nous a longuement expliqué l’explosion de la précarité dans les grandes surfaces en mettant l’accent sur l’utilisation qu’en fait la direction pour faire pression sur les salariés en CDI et pour contrecarrer l’action syndicale. C’était un véritable réquisitoire ainsi qu’un appel à la lutte contre la politique du patronat, soutenue par le gouvernement, de précarisation générale de l’emploi.

Le collectif se refuse à laisser tomber l’exigence des 1500 F comme voudraient le faire le PC et la CGT confédérale dont le but est de détourner la mobilisation vers une campagne " antipatronale " de soutien critique au gouvernement et à son projet de loi des 35 heures qui, en fait, généralise la flexibilité et l’annualisation. Mais il est tout aussi important d’étendre la bataille pour l’embauche des chômeurs, des précaires, pour la création de millions d’emplois par une réduction radicale du temps de travail sans flexibilité ni annualisation, sans diminution de salaire et avec embauches correspondantes. Des syndicats de plusieurs entreprises ou établissements se sont déclarés disposés à organiser, dès le mois de février des actions communes avec les chômeurs. Les propositions ont été soumises au collectif. Le 22 janvier déjà, une délégation d’AC! et de l’APEIS, a été reçue par la CGT Rhôme Poulenc à l’occasion de l’AG de rentrée de ses syndiqués. Les chômeurs qui y sont allés ont ressenti un réel intérêt de tous les participants pour leurs problèmes et leurs luttes.

Développer la bataille commune salariés-chômeurs n’est cependant pas simple pour plusieurs raisons. D’abord, cette nécessité n’apparaît pas encore à la majorité des travailleurs, qu’ils soient en activité ou au chômage. Les jeunes des cités, privés de tout, n’entrent que très marginalement dans le mouvement. Les précaires sont presque totalement inorganisés et très difficilement mobilisables. Ensuite, il faut que les décisions d’action communes soient prises démocratiquement à la fois par les salariés et par les chômeurs en lutte. Et puis, nous devons faire face aux obstacles dans nos propres rangs. Les confédérations syndicales, y compris la CGT, ne sont pas du tout décidées à organiser une véritable jonction avec des associations de chômeurs que, comble de tout, elles ne contrôlent pas. De leur côté, l’APEIS, qui est forte sur le département et le MNCP, autre association de chômeurs, veulent restreindre le mouvement à une stricte mobilisation des chômeurs sur " leurs " revendications.

Face à toutes ces difficultés, il faut mener une bataille à la fois de conviction et d’organisation. Aujourd’hui, la tâche immédiate est de mobiliser les salariés aux côtés du mouvement des chômeurs. Mais si, demain, des luttes se développaient dans les entreprises, ce collectif serait aussi en situation de jouer un rôle de coordination interentreprises, intersyndical, en y associant les chômeurs et les précaires.