éditorial



Les politiciens de droite et de gauche sont dans le camp de ceux qui profitent du chômage et de la misère

Balayer le danger de l’extrême droite, c’est l’affaire de la jeunesse et du monde du travail

Les nouveaux progrès enregistrés par le Front National à l’occasion des élections régionales provoquent une inquiétude grandissante et parfaitement fondée. Il est positif que de nombreux jeunes et de nombreux travailleurs de gauche veuillent exprimer dans la rue leur dégoût et leur rejet de l’extrême droite. Mais toutes les protestations ne peuvent être efficaces et nous permettre de préparer un autre avenir que si nous y voyons clair dans les manœuvres des politiciens de droite comme de gauche.

Chirac, Jospin, Robert Hue et les médias se sont tous employés à vouloir sauver “ l’honneur ” de la droite. Ils voudraient nous faire croire qu’il y a eu une alliance contre nature entre certains politiciens de droite et le Front National. Mais cela fait belle lurette que les leaders de droite reprennent à leur façon les thèmes réactionnaires du Front National sous la pression de la concurrence électorale de Le Pen.

Les efforts des dirigeants de gauche pour sauver la réputation de la droite en félicitant ceux qui résistent encore aux sirènes de l’extrême droite sont d’autant plus lamentables. Mais en fidèles serviteurs de la bourgeoisie, ils voudraient que la droite classique reste suffisamment crédible pour que l’alternance au pouvoir puisse continuer tranquillement dès qu’une équipe gouvernementale est un peu trop usée.

De toute façon les politiciens de la gauche plurielle sont vraiment mal placés pour se présenter comme un recours contre l’extrême droite. Au gouvernement ils ont repris à leur compte les lois anti-immigrés de la droite et Chevènement continue à orchestrer la répression contre les sans-papiers. Leur gouvernement est autant hostile aux revendications du monde du travail que les gouvernements de droite qui l’ont précédé. Les ministres de la gauche plurielle y mènent la même politique au service du patronat et des financiers. Et cela accule toute une partie d’un électorat populaire désespéré et déboussolé à voter pour ses pires ennemis du Front National.

Il est d’autant plus important que les travailleurs et les jeunes rompent toute solidarité avec les gouvernants de gauche. Les trémolos d’indignation des politiciens de gauche contre le F N, leurs discours où ils brodent sur “ les valeurs de la république ” ne peuvent pas nous faire oublier un seul instant qu’ils se soucient uniquement des intérêts des nantis. Les valeurs de la république qu’ils servent, ce sont les valeurs boursières, celles qui atteignent actuellement des niveaux jamais vus. A tel point que le quotidien économique “ les Echos ” poussait lundi ce cri du cœur de tous les patrons, les gros actionnaires et les riches rentiers : “ Que la fête continue ! ”. Car pour eux, que ce soit Juppé ou Jospin qui gouverne, c’est toujours la fête !

Cette flambée des profits boursiers à Paris comme à New York est alimentée par une exploitation de plus en plus acharnée des travailleurs, par une baisse de leur pouvoir d’achat, par des licenciements à jet continu et par une misère qui envahit de plus en plus les villes et les quartiers populaires. Les bourgeoisies veulent repousser toujours plus loin les limites de leur course folle aux profits en intensifiant leurs attaques contre le monde du travail. La logique implacable de leur système économique entraîne toute la société vers une catastrophe.

Pour parer à toute éventualité, la classe des riches garde en réserve une extrême droite qu’elle n’hésitera pas à propulser au pouvoir pour briser toutes les organisations ouvrières, pour empêcher par la terreur toutes les luttes contre les injustices sociales. La question du chômage et de la misère est étroitement liée à celle du danger de l’extrême droite. On ne peut pas régler l’une sans régler l’autre. De nombreux jeunes et travailleurs de gauche s’inquiètent à juste titre des progrès du Front National comme de la progression dramatique du chômage. Ils ne trouveront aucune réponse sérieuse du côté des dirigeants de gauche dont les lamentations hypocrites ne visent qu’à masquer les problèmes sans les résoudre et même à empêcher les travailleurs de les résoudre.

Seul le monde du travail peut prendre tous ces problèmes à bras le corps, balayer la menace que constitue le Front National et supprimer le fléau du chômage et tous les maux sociaux qu’il entraîne.

Comment faire ? De nombreux travailleurs se sont abstenus de voter par un dégoût bien compréhensible à l’égard de tous les politiciens. Certains se sont résignés une fois de plus à voter pour le Parti communiste ou le Parti socialiste. Mais un courant non négligeable a voté pour les listes d’extrême gauche. Cela indique que nous sommes de plus en plus nombreux à reprendre confiance en nous-mêmes, dans la lutte, dans les idées socialistes et communistes véritables. Tous les travailleurs socialistes, communistes, révolutionnaires et tous ceux qui ne veulent pas subir le joug du système capitaliste doivent se regrouper.

L’œuvre de reconstruction d’une grande force politique ouvrière, démocratique, ne peut être entreprise que si nous sommes nombreux à prendre conscience de sa nécessité. Tout pas en avant dans notre organisation renforce d’emblée l’impact de nos luttes futures. Et chaque mouvement sera l’occasion de resserrer nos rangs et notre organisation. L’espoir de changer cette société de fond en comble ne renaîtra que dans les rangs de la classe ouvrière et de la jeunesse.

Bénéfices records en 97 : les capitalistes n’en ont jamais assez et font payer aux travailleurs leur course folle aux profits

C’est une avalanche de milliards de profits qui ont été annoncés ces derniers jours par les plus grands groupes français qui ont présenté leur bilan de l’année 97. France Télécom a décroché la timbale avec 14,9 milliards de francs et les profits sont en hausse dans tous les secteurs d’activité : Alcatel Alsthom (4,7 milliards de profits) mais aussi Michelin (4,1 milliards), Renault (5,4 milliards), Carrefour (3,58 milliards), Pinault- Printemps (2,6 milliards), AXA (7,9 milliards), la Société Générale (6,1 milliards) et le numéro un mondial de l’industrie du luxe, LVMH, à qui la vente de champagne, parfums, cognacs et maroquinerie a rapporté 4,5 milliards de francs de profits.

Mais même de tels records ne suffisent pas aux capitalistes. Ainsi l’action France Télécom qui a augmenté depuis le début de l’année de près de 60 % et de plus de 90 % par rapport au cours proposé en octobre 97, a chuté le lendemain même de l’annonce des 14, 6 milliards de profits. Pas assez ! ont conclu les “ analystes financiers ”, les Shylock de la Bourse n’ont pas eu leur livre de chair, la progression d’une année sur l’autre n’est pas jugée suffisante et les prévisions pour 98 pas assez juteuses. L’action France Télécom a donc perdu en une journée 8,6 % et la capitalisation boursière de France Télécom - la valeur de l’ensemble des actions cotées en bourse - a diminué d’un seul coup de 30,6 milliards de francs. Même mouvement d’humeur à l’égard de Michelin, au lendemain de l’annonce de profits en hausse de 34 %. Ces profits ont été obtenus par des plus-values exceptionnelles mais la rentabilité, elle, est en baisse : par rapport au chiffre d’affaires, elle a été de 7 % en 1997 au lieu de 7,8 % en 1996. Alors même si les profits augmentent, cela ne suffit pas. Pas assez rentable ! décrètent les capitalistes et en une seule journée, l’action Michelin a chuté de 9,7 % !

La rentabilité, c’est l’obsession de tous les dirigeants de ces grands groupes. Bernard Arnault, le PDG de LVMH définit ainsi sa politique : “ l’objectif fixé, dans chacun de nos métiers, est d’atteindre ou de dépasser les ratios de rentabilité des meilleures entreprises mondiales du secteur considéré. ”

Augmenter la production ? Faire des investissements productifs ? Augmenter le pouvoir d’achat des salariés pour augmenter la consommation ? Ce serait faire baisser la rentabilité. Alors faute d’augmenter la production, augmenter l’exploitation des travailleurs, c’est le seul moyen de continuer à faire des profits. Tous les groupes qui font des milliards de profits ont un point commun quel que soit leur secteur d’activité : ils ont licencié des travailleurs par milliers ces dernières années et comme Renault et Peugeot, ils ont fait financer par l’Etat la plus grosse partie de ces licenciements.

Cet argent qui coule à flot, c’est par milliards qu’ils se le distribuent. Les “ dividendes exceptionnels ” distribués par les conseils d’administration se multiplient : les actionnaires d’Havas se sont partagés 8,7 milliards de francs “ à titre exceptionnel ” après l’absorption du groupe par la Générale des Eaux et c’est 34,5 milliards que les actionnaires de Daimler Benz vont empocher dans les mêmes conditions.

Cette distribution de milliards se fait aussi par rachat d’actions : des groupes rachètent à leurs actionnaires de substantiels paquets de leurs propres actions. Cela permet de distribuer des milliards aux vendeurs, de faire monter le cours des actions en augmentant la demande. Les actions ainsi rachetées sont le plus souvent détruites pour augmenter la valeur de celles qui restent en circulation. Des sommes considérables sont ainsi dépensées : ce sont 27 milliards de francs que Rhône-Poulenc a dépensés pour le rachat de la participation des actionnaires minoritaires de son laboratoire pharmaceutique américain Rorer.

C’est une logique folle, où les richesses produites par les salariés sont accaparées par une poignée de parasites qui les stérilisent, en privent la collectivité et exigent qu’elles rapportent toujours plus. C’est une course aux profits qui ne tolère pas le moindre arrêt dans la course à la rentabilité, c’est-à-dire aux licenciements, à la baisse des salaires, à l’augmentation de l’exploitation. Cela plonge la société dans la misère ? Cela ruine la vie de millions de personnes ? Peu leur importe : il leur en faut plus, toujours plus, la société dût-elle en crever.

De la droite de cohabitation à une droite musclée, quand le centre de gravité se déplace vers l’extrême-droite

L’élection des présidents des conseils régionaux a ouvert une crise politique au sein de la droite sous la pression du Front National. Dans cinq régions, les candidats RPR et surtout UDF ont accepté les voix de ses conseillers pour être élus, et c’est ainsi plus de deux cents conseillers régionaux, notables de droite, qui se sont alliés pour la circonstance avec l’extrême droite.

La fronde des politiciens de droite pour garder leurs postes et contre la cohabitation

Les exclusions prononcées par le dirigeant du RPR Seguin, pas plus, bien entendu, que les appels solennels et dramatiques de Chirac ou des dirigeants socialistes, n’ont pas empêché ces politiciens de répondre, pour conserver leurs postes, à la proposition d’accord lancée par le FN sur un “ programme minimum ” pour “battre la gauche ”. Le renforcement de l’électorat du Front National, le désaveu de la cohabitation par une partie de l’électorat de droite, poussent ces politiciens, au-delà de l’intérêt immédiat, à envisager la naissance d’une droite plus musclée, préférant l’alliance avec l’extrême droite que la cohabitation avec la gauche.

Cinq maires de la Côte d’Azur, dont ceux de Nice et de Cannes, ont pris position publiquement pour l’alliance avec l’extrême droite, disant ne pouvoir “ accepter que la région soit livrée au pouvoir des socialo-écolo-communistes... ”, et l’ancien dirigeant du RPR, Mancel, exclu par Seguin, a déclaré que le Front National était appelé “ à faire partie de la droite de demain ”. Quant à Millon, président UDF de la région Rhône-Alpes, qui dit vouloir empêcher “ la montée de l’extrême droite ”, il souhaite que “ la pensée ” et la “ politique de droite ” se fassent “ sans honte ” pour réduire le Front National “ à quelques pour cent de fascistes résiduels ”.

Vers la constitution d’une droite musclée avec Mégret ?...

Les uns comme les autres voudraient regagner leur influence électorale sur leur concurrent, le Front National, et ils pourraient bien, avec bon nombre des notables du RPR ou de l’UDF qui avaient rejoint le Front National lorsqu’il a commencé à faire des scores importants, constituer un grand parti de droite ouvertement réactionnaire.

C’est bien ainsi que Mégret, lui-même ancien dirigeant du RPR, verrait le Front National. “ Le Front National, a-t-il dit à la suite de l’élection dans les conseils régionaux, est maintenant clairement reconnu par un certain nombre de responsables locaux, régionaux du RPR et de l'UDF comme un mouvement républicain, démocratique, légitime, qui a toute sa place dans les institutions de notre pays ”.

Et c’est sans doute parce que Le Pen, qui craint que ses troupes ne lui échappent, croit possible cette solution, qu’il a tapé du poing sur la table, histoire de rappeler que le Front National n’était pas aussi fréquentable que le voudrait Mégret. Le Pen a réclamé par exemple la présidence de la région PACA, semble-t-il une initiative individuelle et il a accusé violemment Millon, qui l’avait désigné à mots couverts de “ fasciste ”, de “ cracher dans la soupe. ”

... qui, avec ou sans Le Pen, renforce le danger de l’extrême droite

Sans dramatiser, comme l’ont fait ces jours derniers les politiciens du Parti socialiste, dans le but intéressé d’exercer un chantage destiné à intimider les travailleurs, un tel parti, plus implanté par le biais de politiciens locaux installés depuis longtemps, ayant leur clientèle et leurs réseaux, représenterait un renforcement de l’extrême droite. Un tel parti peut tout à fait être respectable aux yeux des politiciens, et férocement anti-communiste et anti-ouvrier, être aujourd’hui soucieux des formes légales et demain utiliser la violence contre les grévistes et les militants des organisations ouvrières. Rien ne l’empêcherait non plus de reprendre la “ démagogie raciste et xénophobe ” qu’a condamnée Chirac lundi, lui qui parlait il n’y a pas si longtemps “ des odeurs des immigrés ”. Il pourrait s’en servir pour dresser les travailleurs les uns contre les autres, tromper une partie des couches populaires pour les embrigader et les lancer contre la classe ouvrière, lorsque la bourgeoisie n’aura pas d’autre choix, pour maintenir ses profits, que d’imposer par la dictature une exploitation insupportable.

Pour combattre l’extrême droite il faut l’unité, oui, mais celle du monde du travail en toute indépendance des partis qui défendent l’ordre établi.

On a eu droit ces derniers jours à un flot d’indignations vertueuses de la part des politiciens de droite comme de gauche, qui ne manquent pas de se renvoyer les uns aux autres la responsabilité du renforcement du Front National. Mais les uns en sont aussi responsables que les autres, par la politique qu’ils ont tous menée au gouvernement, en aggravant la détérioration des conditions d’existence de fractions toujours plus larges de la population et en renforçant, pour justifier leur politique, le courant d’opinion réactionnaire par une propagande anti-ouvrière, ouverte ou plus insidieuse quand il s’agit de la gauche, contre le soi-disant “ assistanat ”, les “ charges ” qui pèsent sur le patronat, la nécessité de la “ fin de l’Etat Providence ”.

Il est significatif d’ailleurs que de droite ou de gauche, ils se retrouvent sur les mêmes thèmes, de la défense des “ valeurs essentielles de la République ”, “ du suffrage universel ”, et tout dernièrement de la lutte contre “ tous les extrémismes ”. Aucun ne souhaite s’appuyer sur le monde du travail dont tous ont peur.