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Notre rôle et nos perspectives dans les mois qui viennent

 Les résultats des élections régionales comme ce qui s’est passé la semaine qui les a suivies confirment l’ensemble de nos raisonnements. Une nouvelle situation politique est en train de se mettre en place. Alors que la droite de cohabitation s’effondre sous la pression du Front National, les partis de gauche au pouvoir pour gérer les affaires de la bourgeoisie, créent les conditions du renforcement du FN, en menant une politique contraire aux intérêts non seulement des travailleurs mais de l’ensemble de la société et en démoralisant, en paralysant, tous ceux qui leur ont fait confiance dans le même temps que, pour la énième fois, ils dévalorisent les idées du socialisme et du communisme. A l’opposé, le vote pour l’extrême gauche et en premier lieu pour Lutte Ouvrière exprime une radicalisation qui s’était manifestée déjà en 1995 et reflète une évolution de la conscience d’une fraction de la classe ouvrière qui tire les conclusions de 15 ans de politique de cohabitation.

Il se crée ainsi les conditions pour que puisse se former un nouveau parti d’opposition à la gauche gouvernementale.

Lutte Ouvrière, c’est une des conclusions que nous tirions de notre exclusion il y a un an de cette organisation, n’est plus capable de devenir l’axe autour duquel pourrait se construire ce parti. D’ailleurs, Arlette Laguiller n’en dit mot, se contentant de défendre avec beaucoup de fausse modestie un succès qu’avec beaucoup de prétention Lutte Ouvrière s’attribue.

Nous prenons pleinement en compte les raisons pour lesquelles la transformation des consciences qui s’opère parmi les travailleurs socialistes et communistes s’est exprimée dans le vote LO tant en 1995 qu’en 1998. Lutte Ouvrière avait su donner l’image d’une organisation honnête, fidèle au camp des travailleurs, intransigeante dans la critique de la gauche. Nous y avons joué un rôle et occupé notre place.

Aujourd’hui, c’est de préparer l’avenir dont il s’agit, en restant fidèle à cette image, pour jeter les bases de ce nouveau parti, dans la perspective tracée au lendemain des élections présidentielles.

Malheureusement, notre exclusion et la façon dont elle s’est passée attestent le renoncement de certains dirigeants de Lutte Ouvrière à ces perspectives. C’est à ces perspectives, par contre, que nous voulons tenter d’apporter des réponses.

Comment pouvons-nous le faire alors que notre tendance est minoritaire, alors que Lutte Ouvrière est forte de son succès ?

Nous pouvons agir en apportant des réponses politiques et en démontrant, à notre niveau, leur validité, leur justesse, en pensant et en agissant en tant que fraction de l’ensemble de l’extrême gauche, du futur parti d’extrême gauche.

Nous sommes convaincus qu’une mue profonde va s’opérer dans l’ensemble du mouvement révolutionnaire. Il ne s’agit pas d’une recomposition du mouvement révolutionnaire conçue au sens bureaucratique des choses, mais d’une transformation profonde au sens où l’ensemble de l’extrême gauche est confronté à une situation nouvelle qui exige des réponses nouvelles.

Lutte Ouvrière est en train de devenir une autre organisation, que sa direction en ait conscience ou non est une autre histoire. Elle cherche à minimiser son succès, prisonnière des doutes du passé, du leitmotiv “ rien n’a changé, rien n’est possible ”, mais elle ne peut pas échapper à la logique politique de ce succès qui l’oblige à rompre avec ces affirmations ridicules, qui l’oblige à s’ouvrir sur l’extérieur, à la transparence, dans le même temps que ses militants confrontés à l’évolution de leur propre milieu chercheront des réponses qui ne pourront se satisfaire de la politique de l’an passé de Lutte Ouvrière.

Si nous sommes capables en tant que fraction de ce futur parti d’extrême gauche de formuler une politique à travers notre propre activité comme à travers le travail avec d’autres tendances et de la mettre en œuvre partout autour de nous, alors nous pouvons avoir une influence déterminante sur l’évolution de l’ensemble de l’extrême gauche.

La politique que notre tendance veut formuler se situe dans la perspective tracée par l’appel d’Arlette Laguiller aux élections présidentielles de 1995. Nous pensons qu’il est urgent et indispensable de créer un cadre qui permette à l’ensemble des militants qui ont conscience que la seule façon de faire barrage à la montée de l’extrême droite est la mobilisation du monde du travail pour imposer ses propres revendications, de se regrouper tout en respectant le passé de chacun, en créant les conditions qui permettent la confrontation des différentes traditions politiques dans l’activité, ou, à la jeunesse, de s’éduquer, de s’approprier les idées du marxisme tout en faisant sa propre expérience.

Cela suppose d’œuvrer pour regrouper tous ceux qui parmi les marxistes révolutionnaires veulent surmonter l’émiettement et le sectarisme.

Nous avons conscience que notre seule influence ne peut actuellement suffire à convaincre de la justesse de nos raisonnements, même si les faits les confirment. Nous savons que la politique de la Ligue Communiste Révolutionnaire justifie aux yeux des militants de Lutte Ouvrière leur sectarisme et que bien des petits groupes préfèrent continuer leur propre vie plutôt que de se fondre dans un ensemble plus large, craignant d’y perdre plus qu’ils n’y gagneraient. Une déception voire une démoralisation peut même résulter des hésitations des uns ou des autres, des difficultés à s’émanciper des routines et des vieilles habitudes de petits groupes.

Les obstacles vers un regroupement ne peuvent se surmonter du jour au lendemain, mais tout tend vers la nécessité de ce regroupement. Le besoin d’unité est profond et légitime. Ni la LCR ni LO n’y échapperont surtout du fait de la perspective… des élections européennes. Le problème est quelle unité, sur quelle base politique ? Nous agirons dans le sens d’une unité se situant dans le camp des travailleurs en refusant toute solidarité avec la politique du gouvernement, même sous la forme de soutien critique.

C’est pourquoi développer notre propre tendance en contribuant, là où nous sommes, au rayonnement des idées du marxisme révolutionnaire dans le monde du travail comme parmi la jeunesse, et agir vis-à-vis des autres tendances dans le sens de l’unité, sont une seule et même tâche. Il s’agit de faire fructifier tout ce que nous avons appris depuis notre exclusion en unissant nos forces avec celles des camarades de la LST comme à travers notre travail unitaire qui a permis le front commun en Seine-Maritime aux élections régionales. Ces premiers pas en appellent d’autres.

Discussion sur le scrutin proportionnel : l’union de la droite et de la gauche pour faire barrage... à l’extrême gauche !

 La crise qui agite actuellement le monde politicien à la suite des élections régionales a poussé Chirac à sortir de sa réserve. Dans son intervention télévisée de lundi dernier il a fait face à la déconfiture de la droite en se situant en-dessous de la mêlée plutôt qu’au dessus. Il a distribué les mauvais points sous forme de proverbe : à la gauche “ il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu ” et à la droite “ la fin ne justifie pas les moyens ”. Conclusion : tout est de la faute... du scrutin proportionnel.

Chirac n’a vraiment pas réussi à faire preuve d’originalité puisque depuis plusieurs semaines la droite, la gauche et tous les éditorialistes de la grande presse crient haro contre le reste de proportionnelle qui existe dans le scrutin des régionales. “ Moderniser ” le scrutin c’est pour eux rendre les élections le moins démocratiques possible. Tous les arguments sur la nécessité de supprimer la proportionnelle pour faire barrage au Front National sont cousus de fil blanc. Serge July, le directeur de libération propose un scrutin calqué sur les municipales. Ainsi, écrit-il : “ la majorité des sièges va à la liste arrivée en tête ”. Sauf que dans l’hypothèse où le FN arriverait en tête, il raflerait la mise.

Il y a une sainte alliance entre les dirigeants de gauche et de droite pour supprimer la proportionnelle et pour trouver un scrutin majoritaire leur permettant de garder ensemble le monopole de la gestion des conseils régionaux. Jospin a d’ailleurs vendu la mèche mardi à l’Assemblée en déclarant qu’un autre mode de scrutin “ ne garantit personne contre les risques de l’extrémisme ni contre les tentations d’alliance. Tout mode de scrutin recèle ses propres risques ”. Mais il y a tout de même un risque contre lequel Jospin et Chirac veulent prémunir la sphère des politiciens ; c’est celui de voir des militants d’extrême gauche être élus aux élections futures et venir perturber leurs débats feutrés en se faisant les porte-parole des aspirations des travailleurs et des chômeurs.

Les leaders de la droite et de la gauche vont donc s’entendre sur les modes de scrutin étouffant un peu plus la diversité des courants d’opinion et tout spécialement le courant d’extrême gauche qui s’est exprimé aux régionales. Mais ils auront beau tailler dans le costume élimé de leur caricature de démocratie pour faire du sur-mesure au gré de leurs intérêts, les travailleurs qui ont voté extrême gauche se feront entendre dans bien d’autres arènes et bien d’autres lieux que ceux des assemblées actuelles. Seuls les travailleurs se mobilisant pour changer leur sort peuvent recréer les conditions d’une démocratie vivante permettant le progrès de toute la société.

Petits mensonges et petites omissions de LO

 Dans un article de Lutte Ouvrière qui rend compte des résultats de l’extrême gauche aux élections régionales, la liste que nous soutenions avec l’Association pour le Rassemblement des Travailleurs, la Gauche Révolutionnaire et la LCR de Rouen, est présentée comme une des nombreuses listes auxquelles la LCR a apporté son soutien dans une grande confusion politique. Sur quel programme se présentait cette liste, LO fait semblant de ne pas le connaître.

A noter que dans le même article, les listes soutenues par “ Voix des Travailleurs ” seule, en Gironde, Charente, Landes et Pyrénées Atlantiques, sont tout simplement ignorées. Sans doute pour une grande organisation comme Lutte Ouvrière nos modestes scores ne sont-ils que des petits chiffres, à peine comptabilisables. Quel aveu ce mépris qui n’est jamais que l’arme de la crainte et cette suffisance aveugle, résultat du bluff ! “ L’heure de vérité ” titrait le dernière éditorial de LO. Indiscutablement.