éditorial



Contorsions en tout genre des politiciens à propos de l’Euro, c’est aux travailleurs de construire par leurs luttes une Europe sans chômage, sans exploitation et sans frontières

Les politiciens de tous bords se sont livrés à diverses contorsions à l’Assemblée nationale à propos de l’euro. L’empoignade a été de pure forme puisque le vote sur la résolution gouvernementale ne pouvait faire obstacle au passage à l’euro, théoriquement dans huit mois. Autant dire qu’il s’agissait quasiment d’un “ match amical ” où dans l’équipe des pro-euro comme dans celle des anti-euro cohabitaient sans complexe hommes de droite et hommes de gauche. Toute cette querelle n’aura servi qu’à déconsidérer un peu plus tous ces députés qui font semblant d’avoir des convictions et se livrent à une caricature de débat où ne comptent que leurs petits calculs politiciens.

De toute façon la position de “ la France ”, traduisez celle de la grande bourgeoisie française en faveur du passage à la monnaie unique, avait déjà été exprimée dans des plaidoyers identiques par Chirac et Jospin. Mais c’est le ministre “ socialiste ” de l’économie Dominique Strauss-Kahn qui a révélé en passant le fond de l’affaire en déclarant que “ la monnaie unique sera un atout majeur pour la compétitivité de nos entreprises. ”

Tout ce que les gouvernements de gauche ou de droite ont décidé a toujours eu ce but fondamental : permettre aux grands patrons de réaliser le maximum de profits. Si brusquement il fallait renoncer à l’euro pour préserver les profits des capitalistes, Jospin et Chirac pourfendraient ensemble l’euro avec la même vigueur. Aujourd’hui ils se font un devoir de le porter aux nues parce que les capitalistes français, comme ceux des autres pays européens qui seront concernés par l’euro, veulent que leurs transactions commerciales soient moins coûteuses et moins risquées. Ils espèrent ainsi à la fois dominer un marché plus vaste à l’échelle européenne et mieux résister partout dans le monde à la concurrence des capitalistes américains et japonais.

Le gouvernement de la gauche plurielle est sur ce sujet de l’euro comme sur toutes les autres questions importantes, à plat ventre devant les intérêts des grands groupes industriels et financiers. Pour que cela ne se voit pas trop, Jospin et Strauss-Kahn prétendent que l’euro sera un outil pour la “ croissance ” et donc pour l’emploi. C’est un mensonge. La croissance dont ils parlent est celle des capitaux et des profits. Cette croissance-là est alimentée en permanence par les plans de suppression d’emplois et le recours de plus en plus accentué à une main d’œuvre précaire et mal payée. Que les capitaux, les marchandises ou les salaires soient libellés en francs ou en euros ne changera rien à la question. Aujourd’hui comme demain, avec ou sans monnaie unique, la croissance des grosses entreprises sera alimentée par un surcroît de chômage et de misère.

Les démagogues nationalistes de droite et d’extrême droite qui font semblant de tempêter contre l’euro le savent bien aussi. Mais pour Pasqua, de Villiers et Le Pen, les discours enflammés contre l’Europe sont un fond de commerce sordide qu’ils veulent faire fructifier pour accéder au gouvernement ou pour y retourner un jour. Ils veulent engranger toutes les peurs que suscite le passage à l’euro en particulier du côté d’un électorat de petits patrons ou de petits commerçants craignant d’être ruinés. Ces politiciens qui sont tout autant du côté des milliardaires que les autres aimeraient bien aussi s’annexer la partie désespérée et déboussolée des classes populaires en lui inoculant la haine de l’Europe, de “ l’étranger ” et finalement du monde entier. Il y a là un danger auquel les partis au gouvernement sont incapables de faire face.

Pendant des années, les dirigeants du PCF ont facilité la tâche de tous ces démagogues xénophobes en flattant, eux aussi les préjugés nationalistes. Sans abandonner ce terrain fangeux, ils sont bien obligés de mettre un bémol à leurs critiques de la monnaie unique pour la simple raison que le PCF participe au gouvernement. Mais Robert Hue marque sa différence avec le Parti socialiste sur ce terrain-là car il est déjà préoccupé par le score du PCF aux élections européennes qui auront lieu dans un an.

Autant dire que nous, travailleurs, nous n’avons pas à nous ranger ni dans le camp des politiciens qui sont pour l’euro, ni dans celui de ceux qui se disent contre. Les uns comme les autres se gardent bien de nous expliquer comment ils comptent relever les salaires, les retraites ou les minima sociaux, que ce soit en francs ou en euros.

Cette fausse querelle ne nous concerne pas. Par contre nous sommes concernés par l’avenir de l’Europe et celui du monde entier. Si nous laissons les patrons et les milliardaires avoir les mains libres pour s’en occuper, il en résultera un gâchis et même un désastre pour toute la société, pour tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité ou leur origine. Les ententes entre les Etats européens au service des capitalistes se feront comme toujours contre nous. Et s’ils ne parviennent pas à s’entendre, c’est aussi à nous qu’ils feront payer la note.

Alors il nous faut préparer le passage à une Europe permettant le progrès, la fraternité et l’épanouissement de tous les peuples. Cette Europe-là ne pourra être que celle construite par les travailleurs. Les patrons regroupent leurs forces pour mieux nous exploiter et nous écraser. Face aux méfaits de leur système et pour changer cette société, nous devons regrouper les forces de notre camp, en prenant conscience de tout ce qui unit les travailleurs et les chômeurs de ce continent, en coordonnant et en faisant converger nos luttes à l’échelle européenne.

Un an après la dissolution de l’Assemblée par Chirac, la droite s’apprête a rompre avec la cohabitation

A travers les prises de position de ses politiciens qui se succèdent en cascades depuis les Régionales, la majorité de la droite est en train de rompre avec l’image qu’elle avait jusque là d’une droite de cohabitation.

A l’UDF, deux vieux dirigeants, Poniatowski et Griotteray, hostiles à l’exclusion des présidents de région élus avec les voix du Front national, ont annoncé leur démission, accusant Léotard d’avoir “ transféré volontairement des régions aux communistes et aux socialistes, trahissant ainsi son électorat ”. De son côté, Millon, le président de la Région Rhône-Alpes, a annoncé vendredi dernier, devant un meeting de 4000 de ses partisans à Lyon, la création d’un mouvement baptisé “ La Droite ”, ayant pour objectif “ la constitution d’un grand parti de la droite... à l’exemple de la CDU-CSU allemande, du Parti conservateur anglais ou du Parti populaire espagnol... un parti, précise Millon, enfin de droite ”. Enfin Madelin, chef du courant UDF “ Démocratie Libérale ” a refusé de “ se diluer ” dans ce qu’il appelle “ une espèce de magma au centre ” et reproché à l’opposition d’avoir eu “ le libéralisme honteux ”, d’avoir mené des “ politiques chèvre-chou ”, précisant : “ Il faut combattre le Front national mais à notre façon et non pas à la remorque des formations de gauche ”.

Les politiciens du RPR sont à leur tour entrés dans la danse, plus unanimes qu’à l’UDF, contre la cohabitation.

A la mairie de Paris, Toubon à la tête de 30 élus dont Pons, et le député UDF Goasguen, conteste Tibéri, voulant le pousser à la démission pour, dit-il, “ éviter à Paris d’être fiscalisé et fonctionnarisé avec un maire socialiste ”. Pasqua a levé l’étendard de la lutte contre la cohabitation à propos de l’euro : “ J’imagine mal le RPR voter pour ce gouvernement. Autrement il n’y a qu’à tirer le rideau. ”. Et l’appel a visiblement été entendu puisque Debré, le président du groupe RPR à l’Assemblée nationale a appelé dans un premier temps les députés à voter contre la résolution du gouvernement sur cette question : “ Nous disons oui à l’euro et non à la politique économique du gouvernement ”. Après une nuit de réflexion, Débré, en plein cafouillage et cherchant ses mots, a finalement appelé à voter une motion de censure contre le gouvernement et à ne pas participer au vote de la résolution. Quant à Seguin, le chef du RPR, il compte bien rester à la tête de ce parti en déclarant la guerre au gouvernement, désavouant au passage Chirac qu’il avait déjà accusé de la défaite de la droite en dissolvant l’Assemblée nationale.

Il y a un an Chirac, paniqué par l’idée d’une défaite de la droite aux élections législatives qui devaient avoir lieu cette année, avait cru pouvoir s’en sortir par cette petite manoeuvre, dont il se serait attribué le succès. La défaite électorale de la droite n’en a été que plus cuisante. Le discrédit du gouvernement était tel que la gauche a remporté les élections bien que les travailleurs aient peu d’illusions sur elle, et le Front national est sorti renforcé des législatives. Chirac a alors engagé la droite dans la cohabitation avec le gouvernement Jospin, l’un et l’autre se vantant de parler “ d’une seule voix ”. Aujourd’hui, alors que le gouvernement de gauche est discrédité auprès du monde du travail, et que sa politique se fait plus ouvertement réactionnaire, la majorité des politiciens de droite se positionne contre la droite de cohabitation, et dans le sens de la création d’un parti d’une droite musclée, dont chacun pour l’instant, postule à être le chef. Il ne leur manque que l’arbitre, suffisamment capable à leurs yeux de garantir la victoire de tous, pour qu’ils acceptent de discipliner leurs rivalités de politiciens en mal de postes dans un seul parti, acceptant les alliances avec le Front national, en même temps que son rival et concurrent, sur le même terrain d’une propagande ouvertement réactionnaire, anticommuniste et xénophobe. Alors que De Villiers fait des appels du pied aux politiciens du RPR, Pasqua en particulier, sur le thème du “ non à l’euro ”, Mégret s’est félicité de l’initiative de Millon, “ il y a place pour un parti politique de droite, différent du Front National mais qui serait prêt à passer des accords avec lui. Si cela se produit, je suis convaincu que cette coalition est capable d’arriver au pouvoir très vite ”. Et ce serait évidemment pour mener une politique particulièrement musclée contre le monde du travail.

“ Saint-Denis en colère, collectif budgétaire ”

Mercredi 22 avril, les parents, les élèves, les personnels et enseignants de Seine Saint-Denis, se sont retrouvés à une centaine devant l’Eglise de la Madeleine avec des choux, pour faire comprendre que, comme les paysans, ils voudraient être entendus tout de suite, et non l’an prochain, ou durant l’été dans le cadre d’un Comité interministériel comme le proposent Allègre et Jospin. Marquant sa volonté d’un rendez-vous rapide, pour des réponses crédibles, le rassemblement s’est dirigé en direction de l’Elysée. Bloqué par les CRS, il s’est rendu à l’Assemblée nationale.

Les déclarations d’Allègre poussent la lutte vers sa radicalisation. En effet, il déclarait lors de l’émission “ Droit de Cité ” que le budget de l’Education nationale avait augmenté, que la dotation en postes enseignants était légèrement supérieure à la moyenne nationale et qu’il n’y avait pas de candidats pour assurer la présence des infirmières dans les établissements qui en sont démunis. Tentant de manipuler l’opinion, Allègre continue d’affirmer que le problème est plus qualitatif que quantitatif, qu’il n’y a pas de problème budgétaire qui l’empêche de satisfaire les demandes de la Seine Saint-Denis. Il se cache derrière le fait qu’il ne veut pas recruter de nouveaux auxiliaires, feignant d’ignorer qu’il suffirait d’augmenter le nombre de candidats aux concours cette année. De même il tente de faire porter la responsabilité aux personnels de l’Education en déclarant qu’il faut “ rendre le travail attractif et trouver d’autres méthodes pédagogiques ”. Mais pour innover, il faut des moyens, et le mouvement de Seine Saint-Denis apporte des solutions que le ministère ne veut pas entendre : même si 125 postes d’enseignants sont proposés à la rentrée 98, la baisse des effectifs à 25 élèves par classe nécessite la création de 1200 postes pour les seuls collèges (2200 postes pour 18 élèves). Il faudrait trois fois plus de postes non enseignants (160 annoncés) pour simplement rattraper la moyenne nationale. Seuls une dizaine d’établissements sont classés en ZEP, alors que 70 seraient en situation de le demander.

Face aux réponses ridicules du ministre, l’assemblée générale des établissements en lutte du 93 a voté le 7 avril la poursuite et l’extension du mouvement de grève, dès le 23 avril, et appelle à une manifestation le samedi 25 à Paris, place Raoul Dautry à 14 h 30 pour aller à Matignon.

Si l’assemblée générale des établissements en lutte du 93 montre la voie, Allègre et le gouvernement ne reculeront pas tant que la lutte ne s’étendra pas à d’autres départements qui connaissent les mêmes problèmes que le 93. Pour cela, il faudrait que les organisations syndicales les reprennent à leur compte, les popularisent et œuvrent à l’extension de la lutte. Mais il est peu probable qu’elles le veuillent.