éditorial 



Le mouvement en Seine-Saint-Denis fait reculer le gouvernement

Préparons tous ensemble le succès des luttes à venir

Tandis que Chirac semble sombrer dans les luttes intestines au sein de la droite, Jospin et Allègre doivent faire face à la lutte de milliers d’enseignants, de jeunes et de parents d’élèves en Seine-Saint-Denis. Cette lutte entre dans sa neuvième semaine et même si pour l’instant elle n’a pas encore fait tâche d’huile, elle n’a rien perdu de son dynamisme.

Le ministre de l’Education nationale a traité cette mobilisation avec mépris pendant des semaines mais finalement le gouvernement a commencé à battre en retraite et a promis la création de 3000 postes d’enseignants et d’autres personnels sur trois ans. C’est insuffisant par rapport aux besoins criants du 93. Mais il y a un mois Allègre prétendait encore ne pouvoir concéder que 200 postes ! Il jouait la fermeté et espérait que le mouvement allait s’effriter de lui-même. Dans la continuité du gouvernement de droite précédent, le gouvernement actuel veut toujours rogner plus sur les moyens consacrés aux services publics comme à la couverture sociale des cinq millions de personnes sans emploi. Ce gouvernement qui n’a pas voulu relever les minima sociaux ne voulait pas davantage satisfaire les revendications du 93. Et cela afin de disposer du maximum d’argent pour aider les patrons et les financiers.

Seule une lutte massive et déterminée pouvait commencer à faire céder le gouvernement. C’est ce qui s’est produit dans le 93. Les salariés et les jeunes en mouvement ont maintenu leur grève et sont descendus dans la rue sans relâche. Ils continuent aujourd’hui, sans se contenter des promesses d’Allègre. Ils veulent obtenir des garanties sérieuses sur l’application des mesures concédées.

Une des raisons principales qui donne sa force au mouvement de Seine-Saint-Denis, c’est que les enseignants et les jeunes ont pris en charge eux-mêmes une bonne partie de leur lutte en s’organisant et en faisant valoir leur point de vue au travers d’assemblées générales démocratiques. Ils se sont méfiés à juste titre des directions des syndicats enseignants qui ne souhaitaient pas que le mouvement prenne une telle ampleur ni qu’il mette en cause le gouvernement.

Ces directions-là comme celles des centrales syndicales ouvrières sont bien plus liées au gouvernement qu’à tous ceux qui revendiquent. En effet pour les empêcher de trahir les luttes ou de les mener sur des chemins de traverse, les travailleurs doivent exercer en permanence leur contrôle démocratique. Ils n’ont aucune confiance à avoir dans ce gouvernement ni dans ceux qui le soutiennent. Les enseignants du 93 ont pu en juger sur pièce puisque le ministre Allègre les a calomniés en affirmant que leur grève faisait le jeu du Front national.

C’est en fait Allègre et ses semblables au gouvernement qui favorisent la progression de l’extrême droite en se faisant passer pour socialistes ou pour communistes alors qu’ils sont tout dévoués aux intérêts des patrons et des gros actionnaires et contribuent ainsi à désorienter et à écœurer une partie de la population qui plonge dans la misère.

Bien sûr on ne peut que se réjouir de la défaite de la candidate du Front national dimanche dernier à Toulon, elle qui s’imaginait récupérer tranquillement le siège de son époux invalidé. Mais ce serait une illusion grave de croire qu’on peut endiguer le danger du Front national dans les urnes, en s’en remettant aux politiciens du Parti socialiste et à ceux de la droite qui, pour l’instant, ne veulent pas faire alliance avec Le Pen mais le feront peut-être demain avec Mégret.

Le barrage contre le Front national ne peut venir que du monde du travail mobilisé et organisé pour défendre ses intérêts et ceux de toute la société. De ce point de vue le mouvement de Seine-Saint-Denis a fait beaucoup plus contre l’enracinement de l’extrême droite que tous les discours électoralistes et pleurnichards des politiciens de la gauche plurielle. Les enseignants, les parents d’élèves et les jeunes en lutte ne se sont pas résignés à voir partir à la dérive leur banlieue à cause de la progression du chômage et à cause du délabrement des logements, des services publics et en particulier des conditions d’enseignement. Il est à souhaiter que ce mouvement et les manifestations du 1er mai qui ont connu un regain de succès annoncent un printemps de luttes, redonnant l’espoir à de nombreux jeunes et à de nombreux travailleurs de changer leur sort en changeant cette société.

La volonté de lutter contre l’offensive des capitalistes relayée par le gouvernement commence à s’exprimer. Mais elle ne pourra commencer à prendre sa pleine mesure qu’en prenant appui sur un regroupement de toutes les énergies pour créer un parti des travailleurs, des chômeurs et des jeunes, ayant un programme authentiquement socialiste, communiste et révolutionnaire. Cette tâche d’une grande ampleur est à notre portée. Rien ne doit nous décourager ou nous intimider dans cette voie. Dès maintenant dans les entreprises et les quartiers, il faut nous donner les moyens de jeter les bases de ce parti, cet instrument solide pour préparer et coordonner toutes nos luttes.

Lancement chaotique de l’euro, les rivalités entre bourgeoisies européennes ont encore un grand avenir

Ca devait être une belle fête mondaine. Le gratin des capitalistes et des hommes d’Etat de 15 pays européens devaient se montrer heureux de lancer l’euro. Tout fut gâché le samedi 2 mai par la querelle autour de la nomination du président de la Banque centrale européenne. Dressé sur ses ergots, Chirac entendait faire valoir la candidature de son poulain français, Jean-Claude Trichet, membre du PSU dans sa jeunesse et présentement gouverneur de la Banque de France. Tous les autres chefs d’Etat européens en tenaient pour le Néerlandais Wim Duisenberg mais le chancelier Kohl l’avait peut-être fait savoir avec un peu trop de lourdeur, ce qui ne pouvait que froisser le coq gaulois.

Après onze heures de tractations houleuses qui ont sérieusement décalé le repas, Duisenberg acceptait “ spontanément ” et “ pour des raisons d’âge ” de n’être président que pour quatre ans, Trichet prenant ensuite sa succession pour huit ans. “ On ne rit pas ” s’est écrié Chirac devant les gloussements provoqués par cette pantalonade.

Cet incident est en tout cas bien symptomatique des difficultés des Etats européens à surmonter leurs rivalités pour mettre en place une monnaie commune. Il est déjà assez plaisant et révélateur que sur les quinze Etats célébrant le lancement de l’euro, seulement onze ont l’intention de l’adopter dès janvier 1999. La bourgeoisie britannique qui est une des plus riches en Europe avec les bourgeoisies allemande et française se garde prudemment pour l’instant sa monnaie, la livre sterling. Après cela il y a eu de faux naïfs parmi les journalistes qui se sont étonnés que Tony Blair soit incapable de calmer le jeu entre Chirac et Kohl...

Il y a eu aussi dans le “ lancement ” de l’euro le week-end dernier avant tout un effet d’annonce puisque sa mise en œuvre s’étalera sur quatre ans. L’euro devra franchir sept étapes d’ici là avant de devenir la monnaie unique des pays qui l’adopteront. Il y a plutôt de quoi rire devant ces efforts dérisoires des capitalistes et gouvernants européens qui nous annoncent depuis cinquante ans qu’ils vont unifier l’Europe. Il leur a fallu un demi siècle pour faire tomber quelques barrières douanières et coordonner très relativement leurs politiques monétaires. Quant au grand saut vers une monnaie unique, ils y aspirent tout en le redoutant.

Leur comportement zigzagant leur est dicté par les contradictions de leur économie. D’une part le développement des forces productives des entreprises de ce continent a poussé à dépasser les cadres nationaux. Les grands groupes industriels et financiers ont besoin de déployer leurs affaires à l’échelle de l’Europe comme à l’échelle mondiale, sans barrières ou contraintes réglementaires. Ils rêvent donc d’un grand marché européen qui serait en théorie le plus grand marché intérieur du monde. Pour y parvenir l’euro leur faciliterait toutes leurs transactions et les rendrait plus sûres et moins coûteuses. Il éviterait les risques et les pertes inhérents au change entre monnaies différentes.

Mais ce déploiement des grands groupes européens ne peut s’opérer que dans le cadre d’une concurrence acharnée entre eux ainsi qu’avec les groupes américains dont les investissements en Europe se chiffrent d’après l’ambassadeur des Etats-Unis à plus de 1 000 milliards de dollars. De leur côté les firmes américaines dont la puissance et la productivité l’emportent largement ne s’inquiètent pas du tout de la mise en place de l’euro mais à condition que cette devise soit forte et ne soit pas un moyen pour les patrons européens de pénétrer davantage sur le marché américain. La banque américaine Merrill Lynch a déjà examiné en détails le “ scénario catastrophe ” au cas où l’euro échouerait afin que le grand capital américain soit également gagnant dans ce cas de figure qui n’a tout de même pas sa préférence. En cas de revers dans tel ou tel secteur et a fortiori en cas de récession générale, tous les groupes européens affaiblis devront à nouveau compter avant tout sur leur Etat national, sa capacité à les renflouer, à édifier à nouveau des barrières pour les protéger de la concurrence des autres, à leur garantir une monnaie nationale et éventuellement à s’appuyer sur leur armée pour préserver leurs marchés ou en gagner d’autres. Ces contradictions propres au système capitaliste ne peuvent être surmontées par les Etats et capitalistes européens. Mais dans la mesure où cahin-caha, ils parviendront à créer un cadre économique relativement commun à l’échelle de l’Europe, les travailleurs de ce continent ne doivent pas regarder en arrière vers l’Europe des frontières et des affrontements économiques voire militaires qui ont marqué ce siècle. Les bourgeoisies tentent de s’entendre et de coordonner leurs intérêts pour tirer encore plus de profits des travailleurs. Pour leurs propres intérêts et pour construire une Europe sans chômage et sans exploitation, les travailleurs doivent à l’exemple de leurs ennemis de classe s’entendre autour de revendications communes et d’une politique commune. Ils doivent se préparer à coordonner leurs luttes pour créer les Etats-Unis socialistes d’Europe.

Octobre 61 : les socialistes fabriquent un nouveau mensonge d’Etat

Le procès Papon avait été l’occasion de revenir sur la manifestation du 17 octobre 1961 des Algériens de Paris et de sa répression sanglante organisée par Papon, alors préfet de police de Paris. Celui-ci avait alors confirmé le bilan “ officiel ” de l’époque : 3 morts et 64 blessés... et avait été soutenu dans cette version par tous les autres serviteurs de l’Etat alors en place, dont Messmer : pas question de dévoiler au grand jour, même aujourd’hui, le massacre d’au moins deux cents Algériens, la rétention et le tabassage de centaines d’autres par la police. C’était la continuité de l’appareil d’Etat bourgeois exerçant sa violence contre tous les opprimés qui était en jeu.

Pour faire croire que la gauche tenait, elle, à ce que la vérité éclate (sans doute n’avait-elle pas eu le temps de le faire entre 1981 et 1995) Chevènement avait alors annoncé la rédaction d’un rapport d’enquête par un conseiller d’Etat, Dieudonné Mandelkern. Celui-ci vient de rendre sa copie... elle est presque sans faute. Après avoir précisé que le bilan ne peut être donné “ avec assurance ”, il conclut après avoir étudié les seules archives accessibles, celle de l’Institut médico-légal, que “ l’on reste au niveau des dizaines, ce qui est considérable mais très inférieur aux quelques centaines de victimes dont il a parfois été question ”.

Bref, en avançant le chiffre d’une trentaine de morts dus à la répression, ce qui est toutefois nouveau, le rapport reste bien en-dessous de la réalité de cette horrible nuit de terreur et de répression. Mais surtout il attribue les victimes au fait que la police aurait été “ débordée ”, “ prise par la panique ”... La directive adressée par Papon le 5 septembre 1961 à la police laisse pourtant l’impression d’une police complètement préparée et à qui carte blanche était donnée (“ les membres des groupes de chocs du FLN surpris en flagrant crime devront être abattus sur place par les forces de l’ordre ”). La police a consciencieusement obéi aux ordres d’un Etat français en guerre contre le peuple algérien et la répression de cette manifestation n’est pas un accident. Elle s’explique par le racisme déchaîné de la police envers les Algériens, racisme encouragé par les différents gouvernements qui ont mené depuis sept ans la guerre d’Algérie.

Le rapport a au moins un mérite, celui d’avouer l’absence d’archives... Quoi d’étonnant ! Imagine-t-on les flics tortionnaires et leurs donneurs d’ordres noter soigneusement leurs méfaits pour que des historiens puissent un jour les lire ? Il n’y a rien dans les archives de la préfecture de police de Paris, ni dans celle de la direction de la police... Quant à celles de la brigade fluviale qui a ramassé les corps jetés dans la Seine, elles ont été détruites il y a quelques années... au cas où. Seuls les témoins qui ont survécu ainsi que les militants de gauche ou d’extrême gauche qui ont dénoncé dès le lendemain la barbarie des flics et la responsabilité de l’Etat savent ce qui s’est réellement passé, ils l’ont raconté, c’est impossible de ne pas le savoir. Seuls ceux qui défendent l’Etat bourgeois et ses méthodes peuvent encore continuer à masquer les faits.